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généralement ce mot, que je dois le rencontrer les jours et dans les endroits ou d’ordinaire se réunit le plus de monde. Je choisis un dimanche, et partout où je vois un grand nombre de personnes, je l’appelle public à l’imitation des autres. Ce jour-là, un nombre infini d’employés et de gens occupés ou non le reste de la semaine, mue, c’est-à-dire se rase, s’habille et se fionne. Pendant les premières heures de la journée, selon ce que je vois, il remplit les églises, la plupart du temps pour voir et être vu ; guette à la sortie les visages intéressants, les tailles sveltes, les pieds délicats des belles dévotes, leur fait des signes, les suit. J’observe qu’ensuite il va de maison en maison faisant une infinité de visites ; là il laisse un petit carré de carton avec son nom, c’est quand les visités ne sont pas ou veulent ne pas être chez eux ; là il entre, parle du temps qui ne l’intéresse pas, de l’opéra qu’il n’a pas entendu, etc. Et j’écris sur mon livret : « Le public entend la messe, le public coquette (qu’on me permette l’expression vu que je n’en sais pas de meilleure), le public fait des visites, en plus grande partie inutiles, parcourant les maisons où il va sans objet, d’où il sort sans motif, où il n’est régulièrement ni attendu avant son entrée, ni encore moins regretté après sa sortie ; et le public en conséquence (soit dit sauf son respect) perd le temps, et s’occupe à des futilités » : idée dans laquelle je me confirme en passant par la Porte-du-Soleil.

J’entre dîner dans un restaurant, et je ne sais pourquoi les tables y sont pleines d’une foule qui, à en juger par les moyens qu’elle paraît avoir de manger à l’hôtel, a probablement chez elle une table saine, propre, bien servie, etc. ; je trouve cette foule dînant volontairement et avec le plus grand plaisir pressée