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taines des raisons que l’on me donna pour le refus susdit, quoique se soit une petite digression.

« Cet homme court à sa perte, me disait un personnage fort grave et fort patriote. — Ce n’est pas une raison, lui répondis-je : s’il se ruine, on n’aura rien perdu à lui accorder ce qu’il demande ; il portera la peine de son audace ou de son ignorance. — Comment a-t-il pu se mettre cela en tête ? — Eh ! supposez qu’il veuille jeter son argent par la fenêtre, supposez qu’il veuille se perdre, ne peut-on pas mourir sans l’approbation d’un chef de bureau ? — Cela même que ce seigneur étranger propose peut préjudicier à ceux qui jusqu’alors ont fait d’une autre manière. — D’une autre manière, c’est-à-dire plus mal ? — Peut-être, mais on a fait ainsi. — Ce serait dommage que la mode de mal faire passât. Ainsi donc, parce que toujours les choses se sont faites de la plus mauvaise manière possible, il sera nécessaire d’avoir des égards envers les continuateurs du mal ? On devrait plutôt songer à voir si le vieux ne nuit pas au neuf. — C’est ainsi établi, c’est ainsi que l’on a fait jusqu’ici, c’est ainsi que nous continuerons de faire. — Alors on devrait vous donner de la bouillie, comme quand vous veniez de naître. — Enfin, seigneur Figaro, c’est un étranger. — Et pourquoi les naturels du pays n’imiteraient-ils pas cet étranger ? — C’est avec de telles escroqueries qu’on nous tire le sang des veines. — Monsieur, m’écriai-je, sans pousser plus loin ma patience, vous êtes dans la plus grande erreur. Vous êtes comme la plupart, vous avez la diabolique manie de commencer toujours par trouver des obstacles à toute amélioration, laissant de les surmonter à plus fort que vous. Ici nous avons le fol orgueil de tout ignorer, de vouloir tout deviner, et de ne pas recon-