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pour lui repasser une chemisette ; et le chapelier, auquel il avait envoyé son chapeau pour en redresser les bords, le fit rester deux jours tête nue sans pouvoir sortir dehors.

Ses connaissances et amis ne venaient pas à un seul rendez-vous, et ne lui donnaient pas plus d’avis en y manquant qu’ils ne répondaient à ses missives. Quelles formes et quelle exactitude !

« Que vous semble de notre contrée, Monsieur Sans-Délai ? lui dis-je, après ces épreuves. — Il me semble qu’il y a des hommes bizarres… — Eh bien ! ils sont tous ainsi. Capables de ne pas manger pour ne pas porter les morceaux à leur bouche. »

Pourtant, les jours allant et venant, il présenta dans certain établissement industriel que je ne citerai pas un projet d’amélioration, et le déposa en le recommandant très-expressément.

Quatre jours après, nous revînmes savoir l’issue de notre prétention. « Revenez demain, nous dit le portier. Le chef de bureau n’est pas venu aujourd’hui. » — Un motif important l’aura retenu, dis-je à part moi. Nous nous en allons faire un tour de promenade, et nous rencontrons, quel hasard, le chef de bureau sur le Retiro, très-occupé de se chauffer avec sa dame au beau soleil des clairs hivers de Madrid.

Mardi était le jour suivant, et le portier nous dit : « Revenez demain, car Monsieur le chef de bureau ne donne pas audience aujourd’hui. » — Il a sans doute de grosses affaires à traiter, dis-je. Comme je suis le diable, et que même j’ai été esprit follet, je cherchai l’occasion de jeter une œillade par le trou d’une serrure. Sa seigneurie jetait alors une cigarette au feu, tenait à la main le Courrier, y lisait une charade qui sans doute lui coûtait beaucoup de peine à deviner.