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une grande vertu et ce serait une grandissime grossièreté de blâmer un brave homme qui… Allons… le monde serait bien si les vertus disparaissaient, s’il n’y avait ni employés serviables, ni cœurs bien nés.

C’est comme quand vient te demander une faveur une senora, jolie d’accenture, ou accompagnée d’une enfant, sa fille. Comment te refuser à écouter une senora avec sa fille ? Il faudrait avoir des entrailles de tigre. Je t’assure que ce serait pour moi un des cas où ma galanterie ne resterait aucunement en arrière. Jésus ! Une senora !

Ajoute ceci : savoir dans un cabinet se donner du ton, faire attendre les hommes et les femmes quand elles sont laides dans la salle d’audience, dire au portier que le patron est fort occupé, ne faire attention à personne en entrant ou en sortant, renforcer sa voix, hausser son col, être ahuri, c’est là un métier tout appris. Je ne veux pas dire que là doivent se borner leurs fonctions, aux buralistes, mais je serais curieux d’en voir quelques-uns.

Certes, il y a chez nous des hommes qui ne font autre chose, et c’est le plus grand nombre. « Que peut-on être sinon employé ? me disait, ces jours passés, un ultra-batuèque. Voudriez-vous que, dans nos pays, des gens accoutumés à leurs heures, à leur bureau, à leur Gazette, à leur cigare aillent se fourrer dans la tête une demi-douzaine de sciences et d’arts utiles, comme on les appelle ; changer totalement enfin leur genre de vie passée, perdre la douce perspective du salaire et des profits adhérents aux mains ? Ce serait folie, Dieu le sait, car moi et nombre d’autres de ma connaissance, nous avons des têtes faites peut-être pour les sciences et les arts, mais bien plus certainement pour les perruques, je le dis avec fierté. Assurément