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un fils tenu secrètement au collège. Le jeune époux a un caractère excellent, il se fait aimer de toute la famille, il est fou de sa femme. Ces jours passés il disait en parlant de la vertu de sa moitié qu’il en mettrait sa main au feu, vois s’il est avisé. À ce propos, il ajoutait que de sa vie il ne se serait marié avec une veuve, car il avait toujours cherché une femme neuve pour l’apprendre à sentir, et il se félicitait d’avoir atteint son but.

Tu me demandes si, moi aussi, j’ai visé à quelque chose. Je vais te répondre. Je ne vise à nul emploi, car je sais qu’on doit m’en donner un, quoique Batuèque. Beaucoup me l’ont offert, mais jamais encore on ne me l’a livré. Oui, on me dit de ne pas tant presser, d’y compter, d’attendre un peu. Maintenant ce n’est pas le moment opportun, jamais non plus ça ne l’a été ; quelquefois j’arrive trop tard, d’autres fois trop tôt ! Vois si je suis maladroit, ne semble-t-il pas que je prenne modèle sur Barrabas lui-même ? Cependant j’ai beaucoup de protecteurs, et comme je puis être bon à quelque chose, on me l’assure si souvent, il peut bien se faire qu’un jour on me donne une place. Je te dirai plus : parfois quand j’entends quelqu’un, il m’arrive de le croire, il faut bien faire mon salut avec l’aide de Dieu, notre maître à tous, et de la bonne et chrétienne vie que je pense avoir menée. Tu le vois, de ce côté j’enfreins presque mon système d’incrédulité.

D’ailleurs, quoique ne visant à rien, je ne laisse pas de le reconnaître : il n’y a rien tel qu’une place et une solde courant toujours ni plus ni moins qu’un ruisseau. L’un, se disant malade ou non, laisse là son bureau, et court la paie, l’autre y lit gratis et devant le feu la Gazette et le Courrier, un cigare fait passer