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contribuer à faciliter la prospérité des théâtres, après les deux ressorts principaux que nous venons d’indiquer.

Nous demandons en premier lieu pour les poètes, sans crainte de paraître exigeants, ce qu’eux seuls n’ont pas dans la société : le droit de propriété. « Ils se sont partagé mes vêtements, et ont joué ma tunique au sort », peut s’écrier le poète avec beaucoup de raison, s’il nous est permis de mêler cette parole sacrée à nos bavardages.

Dans un pays où presque toujours celui qui n’eut plus de ressource en demanda aux lettres, et où la gloire qu’elles lui valurent fut si modique, il semble que le salaire eût dû être plus grand ; mais par malheur elles n’ont reçu ni salaire[1] ni considération.

  1. C’est avec une grande douleur pour nous que le propre argument de notre article nous oblige à nous écarter un moment de la gloire en faveur du vil intérêt. Certainement que dans un poème épique, ce serait un très-pauvre épisode, que dans l’ode il serait aussi mal placé qu’un hôpital dans le Paradis. Mais dans une feuille de peu d’éclat et de moins de produit, dans la bouche d’un Causeur et d’un Pauvre petit, il nous semble que l’intérêt s’enchâsse aussi bien qu’une pierre dans l’œil d’un boutiquaire, et le public, dans les bouches duquel circule ce charitable refrain, n’ignore pas l’exactitude de notre comparaison. Quoique pauvre petit, nous apercevons bien que les poètes qui ont obtenu le plus de gloire ont mangé, qu’on ne nous dise pas que c’est là un paradoxe. Souventes fois Homère se complaît dans la description des plus succulents banquets ; Horace se moque amèrement d’un mauvais festin. Quant à notre Cervantes, nous jurerions qu’il écrivit avec une faim et un appétit plus que médiocres le chapitre des noces de Gamache. Ne parlons pas d’Anacréon et de tous ses disciples, car c’est un fait avéré qu’ils ont toujours préféré une goutte de la liqueur de Lyceus à tout le jus que peut donner l’arbuste de Daphné. Nous savons combien notre Villegas appréciait le bruit des châtaignes et le bon clairet, et en quelle considération Balthasar d’Alcaçar avait la glorieuse brune qui jamais ne le laissa