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tion des deux autres, et difficilement peut exister la réunion des trois sans un quatrième plus important. Il faut qu’il y ait un public. Les quatre enfin dépendent en grande partie de la protection que le gouvernement leur prête.

Un public indifférent aux beautés, héritier d’une éducation générale mal entendue, et instruit superficiellement, est le premier anneau de notre chaîne de misère. Quand le poète voit le public applaudir des drames exécrables, ne pas seulement soupçonner l’existence de beautés positives, qui lui ont coûté tant de veilles, il ne tarde pas à succomber et à répéter avec Lope de Vega :

Le public nous paie : il faut avant tout
Lui parler en sot, puisque c’est son goût.

Les hommes ne sont que des hommes, et ce serait beaucoup exiger de la débile humanité que vouloir rencontrer toujours dans chaque homme un héros disposé à sacrifier les bravos justes ou injustes, au désir de plaire à une demi-douzaine de lettrés dont l’approbation de cabinet ne fait pas de bruit. Quand le poète voit qu’il manque à l’auditoire cet amour-propre national capable de faire des miracles en quelque endroit qu’il existe ; quand il entend applaudir indistinctement les mesquines traductions étrangères à nos mœurs et les œuvres originales, les premières même être préférées aux secondes ; quand il voit celles-ci payées par tant d’indifférence, quoi d’étonnant qu’il ne se fatigue pas à courir à la recherche de la perfection. Combien il est plus facile de traduire en une semaine une comédie que d’en faire une originale en une demi-année ! Pourquoi irait-il employer tant de temps, tant de peine à gagner ce même prix qu’en