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de bornes ; elle se retire tout ahurie sans penser à s’excuser, en se retournant elle heurte contre un valet qui apportait une pile d’assiettes propres et un plateau sur lequel étaient les verres pour les vins généreux, et tout cela tombe mêlé sur le sol, avec le plus horrible fracas et dans la plus grande confusion. « Par saint Pierre ! » s’écrie tout d’un bond Braulius, une pâleur mortelle répandue sur ses traits, tandis que le visage de son épouse lance des éclairs. « Mais continuons, seigneurs, ce n’est rien », ajouta-t-il en revenant à lui.

Oh ! bonnes maisons où un modeste plat à la fois le premier et le dernier, constitue la félicité quotidienne d’une famille, fuyez le tumulte d’un banquet de réception ! Seule la coutume de bien manger et de bien se servir journellement peut éviter de semblables désastres.

Y a-t-il plus de malheurs ? Juste ciel ! Y en a-t-il plus pour moi, infortuné ! Dona Juana, celle aux dents noirs et jaunes, me tend de son assiette et avec sa propre fourchette une fineza[1] qu’il est indispensable d’accepter et d’avaler ; l’enfant s’amuse à envoyer l’un après l’autre les noyaux de ses cerises dans les yeux des assistants ; don Léandre me fait goûter d’exquise camomille, que j’ai refusée, dans son propre verre, qui conserve les empreintes indélébiles de ses lèvres grasses ; mon gros voisin fume déjà sans cesse et fait de moi son tuyau de cheminée ; enfin, oh ! dernière des disgrâces ! le bruit et la conversation croissent, déjà les voix rauques demandent des

  1. Ce mot dont le sens général est délicatesse, n’a pas dans le cas présent de correspondant, ni dans la langue, ni dans les mœurs françaises. — M. M.