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montre la viande, là la verdure, ailleurs les pois chiches, plus loin le jambon, à droite la poule, au milieu le salé, à gauche les boudins d’Estramadure : suivit un plat de vache lardée, que Dieu maudisse, auquel plat en succéda un autre, d’autres et d’autres encore, moitié venus de l’hôtel, ce qui suffit pour que nous n’eussions pas besoin de faire leur éloge, moitié confectionnés dans la maison par la servante de tous les jours et par une Biscayenne, auxiliaire louée avec intention pour cette fête par la maîtresse de la maison, qui en de semblables occasions doit être partout et par conséquent a coutume de n’être nulle part.

« Voici un plat qu’il faut laisser de côté, disait celle-ci au sujet de certains pigeonneaux ; ils sont un peu brûlés. — Mais, femme… — Mon ami, je me suis éloignée un moment, et tu sais de reste ce que sont les servantes. — Quel dommage que ce coq n’ai pas vu le feu une demi-heure de plus ! on l’y a mis un peu tard. — Ne vous semble-t-il pas que cette étuvée sente légèrement la fumée ? — Que veux-tu, une seule ne peut être par tout. — Oh ! elle est excellente, nous écriions-nous tous sans toucher au plat, excellente ! — Ce poisson est fait. — Au bureau de la diligence du matin on a dit qu’il venait d’arriver ; l’employé est si stupide ! — D’où vient ce vin ? — En cela tu n’as pas raison, car il est… — Très-mauvais. » Ces courts dialogues se passaient accompagnés d’une infinité d’œillades furtives du mari à la femme pour faire remarquer à celle-ci quelque négligence, et nous donner à entendre que l’un et l’autre étaient fort au courant de toutes les formules qui en de semblables cas sont réputées politesse, et que toutes les maladresses devaient retomber sur leurs valets, qui jamais ne s’occupent d’apprendre à bien servir. Mais ces négligences se répétaient si