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il dut se résigner à leur payer tribut (877) après avoir vainement imploré le secours de Charles le Chauve et de l’empereur Basile. Attaqué par Lambert, duc de Spolète, qui prit Rome, il s’enfuit en France (878), où il réunit sans succès un concile et sacra Louis le Bègue. De retour à Rome, il se tourna de nouveau vers Constantinople, et, dans l’espoir d’en obtenir des secours, eut la faiblesse de reconnaître Photius comme légitime patriarche. Ce pontife couronna trois empereurs : Charles le Chauve à Rome (875), Louis le Bègue à Troyes (878), et Charles le Gros à Rome (881). Parmi les onze conciles qu’il convoqua, nous citerons celui de Pontoise (876), où il donna le titre de primat des Gaules à l’archevêque de Sens, qu’il chargea de toutes les affaires ecclésiastiques dans la Gaule et dans la Germanie ; celui de Ravenne (877), où furent votés des canons pour réformer les désordres qui s’étaient introduits dans la discipline ; celui de Troyes (878), où de grands privilèges furent accordés aux évêques aux dépens des puissances temporelles ; celui de Constantinople (879), où Jean VIII reconnut Photius pour patriarche, etc. Ce pontife prodigua tellement les excommunications, qu’elles perdirent toute l’efficacité qu’elles avaient encore à cette époque. C’est ainsi qu’on le vit excommunier à Châlons un homme qui lui avait enlevé deux chevaux, et, à Flavigny, un prêtre qui lui avait pris une coupe. Jean VIII, dont la faiblesse et la conduite déréglée dégradaient la chaire de saint Pierre, fut empoisonné, et, comme le poison n’agissait pas assez vite au gré de ses meurtriers, on lui brisa la tête à coups de marteau. C’est ce pontife que quelques auteurs ont prétendu avoir été confondu avec la papesse Jeanne. On a de lui 320 Lettres qui se trouvent dans les Conciles de Labbe. Il eut pour successeur Martin II. Jean VIII dérogea à l’ancienne discipline en commuant les pénitences en pèlerinages.


JEAN IX, pape de 898 à 900, né à Tibur. Il était de l’ordre des bénédictins. Il sacra successivement empereur Bérenger, duc de Frioul, et Lambert, duc de Spolète, et fit annuler par un concile la procédure intentée par Étienne VI contre la mémoire de Formose (898). On cite de ce pontife, aussi sage que pieux, un mot qui lui fait le plus grand honneur. L’archevêque de Reims, Hervé, s’étant plaint à lui de ce que les Normands convertis retournaient au paganisme et ayant manifesté l’intention d’employer la violence pour les maintenir dans le giron de l’Église: « Ramenez-les, lui dit Jean IX, par la douceur et par la raison, et non par la force des armes. » Il eut pour successeur Benoit IV.


JEAN X, pape de 914 à 928. Il fut élu par l’influence de sa maîtresse, la puissante Théodora, dont la fille Marozia suscita contre lui Guido, duc de Toscane, qui le fit jeter dans un cachot et étrangler. Pendant son pontificat, il avait travaillé à la pacification de l’Italie et remporté une victoire sur les Sarrasins aux bords du Garigliano.


JEAN XI, pape de 931 à 936. Il était fils naturel de la fameuse Marozia et du pape Sergius III. Élu pape à l’âge de vingt et un ans, il régna sous le bon plaisir de sa mère, fut renversé par son frère Albéric, qui souleva le peuple de Rome, et enfermé au château Saint-Ange avec Marosia (936). C’est là qu’il mourut, croit-on, cette même année. Léon VII lui succéda.


JEAN XII, pape de 956 à 968. Il s’appelait Octavien et était né de l’inceste de Marozia avec son propre fits, le patrice Albéric, qui laissa à son enfant la souveraineté de Rome comme héritage. Devenu pape à dix-huit ans, après la mort d’Agapet II, Jean XII, à qui le roi d’Italie Béranger disputait le pouvoir, appela à son secours Othon le Grand, le couronna empereur (962), reçut de lui la confirmation des donations de Pépin et de Charlemagne, et lui promit en échange une inviolable fidélité. Mais peu de temps après, oubliant son serment, Jean XII se ligua avec Béranger contre Othon. À cette nouvelle, l’empereur marcha sur Rome, que le pape quitta en toute hâte, y réunit un concile pour le juger (963), et le somma de s’y rendre pour répondre aux accusations portées contre lui. Jean XII, qui déshonorait le saint-siége par toutes sortes de vices et de débauches, ne répondit que par une menace d’excommunication, fut déposé comme coupable d’homicide, de parjure, de sacrilège, d’inceste, etc. Léon VIII fut élu à sa place. Mais, dès l’année suivante, Jean XII fomenta à Rome une révolte à la suite de laquelle il reprit possession du siège pontifical, se vengea cruellement de ses ennemis et mourut assassiné par un mari qui l’avait surpris avec sa femme. Ce pontife est le premier qui changea son nom en parvenant à la papauté.


JEAN XIII, pape de 965 à 972, Romain de naissance. Il fut élu par l’influence germanique et chassé de Rome par une révolte. Rétabli par l’empereur Othon (967), il souilla sa restauration par des cruautés horribles. Sous son pontificat, les Polonais et les Hongrois se convertirent au christianisme, et deux reines, Adélaïde de Hongrie et Dambrawka de Bohème, furent les principaux instruments de cette double conversion.


JEAN XIV, pape de 984 à 985, né à Pavie. Il fut élu pur l’influence de l’empereur Othon II, fut chassé par l’antipape Boniface Francone, et jeté dans un cachot du château Saint-Ange, où on le laissa mourir de faim.


JEAN XV, pape en 985. Il ne régna que quatre mois.


JEAN XVI, pape de 985 à 996. Il essaya de secouer le joug du consul Crescentius, qui s’arrogeait la puissance temporelle, fut chassé par lui et rétabli par l’influence d’Othon III et des Allemands. Ce pontife, dit saint Abbon, était « avide de lucre honteux et prêt à vendre toutes choses. » Il était fils d’un prêtre romain, nommé Léon. C’est sous son pontificat qu’eut lieu la première canonisation solennelle, celle de saint Uldaric, évêque d’Augsbourg.


JEAN XVI, antipape de 997 à 998. Il s’appelait Philagathe et était Grec d’origine. Lors de la déposition de Grégoire V par Crescentius, il acheta le saint-siége de ce dernier ; mais, bientôt après, Grégoire revenait à Rome avec l’aide d’Othon III, roi de Germanie, et faisait arrêter Jean XVI, qui mourut après avoir été accablé d’outrages, au milieu de tortures horribles.


JEAN XVII (Siccon), pape en 1003. Il mourut cinq mois après. Aucun événement ne signala son pontificat, qui fut suivi d’une vacance de quatre mois et demi.


JEAN XVIII (Phasian), pape de 1003 à 1009. Il était fils du prêtre Orso et né à Rome. Après avoir occupé pendant cinq ans le siège pontifical dans la mollesse et l’oisiveté, il abdiqua et se retira dans l’abbaye de Saint-Paul.


JEAN XIX, pape de 1024 à 1033. Il fut d’abord consul et sénateur, et n’entra dans les ordres que le jour de son élection, faite à prix d’argent. Il se montrait disposé à vendre au patriarche de Constantinople le titre d’évêque universel, lorsqu’il fut arrêté par l’indignation de toute l’Italie. En 1027, il couronna l’empereur Conrad II et l’impératrice Gisèle. Chassé de Rome en 1033, il fut rétabli sur son siège par Conrad. Ce pontife, qui avait succédé à son frère Benoît VIII, eut pour successeur son neveu, Théophylacte, qui n’avait que douze ans lorsqu’il fut élu sous le nom de Benoit IX.


JEAN XX, antipape. V. Sylvestre III.


JEAN XXI, pape de 1276 à 1277, né à Lisbonne. Il s’efforça vainement de rétablir la concorde entre Philippe le Hardi, roi de France, et Alphonse de Castille, et fut écrasé dans l’écroulement de son palais de Viterbe, au moment où il négociait auprès des princes chrétiens pour les entraîner dans une guerre en terre sainte Ce pontife avait des connaissances étendues en médecine, et Platina lui attribue un traité sur cet art, intitulé Thesaurus pauperum. Peu apte au maniement des affaires, il abandonna le soin de gouverner au cardinal Jean-Gaetan des Ursins, qui devint pape après lui sous le nom de Nicolas III.


JEAN XXII (Jacques d’Eude), pape de 1316 à 1334. Il séjourna à Avignon. Suivant l’opinion générale, il était fils d’un cordonnier de Cahors, et il avait successivement été chancelier du roi de Sicile, évêque de Fréjus, archevêque d’Avignon, enfin cardinal-évêque de Porto. Il avait soixante-dix ans lorsqu’il succéda, après une vacance de vingt-sept mois, à Clément V. Il avait juré au cardinal des Ursins de rétablir le saint-siége à Rome, mais il s’empressa d’oublier son serment et alla s’établir à Avignon. Dès les premiers temps de son pontificat, il érigea en France de nombreux évêchés, publia en 1317 les Constitutions de Clément V, manuel de jurisprudence canonique connu sous le nom de Clémentines, condamna cette même année le schisme des frères mineurs et la secte des béguins ou fratricelli, s’engagea ensuite dans des querelles extrêmement violentes contre Louis de Bavière, qui, excommunié par lui (1327), ruina son autorité en Italie, se fit couronner roi des Romains, lui suscita des ennemis dans toute la chrétienté, et, après l’avoir déclaré déchu de ses droits à la tiare, fit élire pape Pierre de Corbière, qui prit le nom de Nicolas V. Mais à peine Louis de Bavière eut-il repris la route de l’Allemagne, que Pierre de Corbière, abandonné de ses partisans, traqué par ceux de Jean XXII, se vit contraint d’implorer la clémence de ce dernier, qu’il venait d’excommunier. « Au milieu de tous ces embarras, dit M. Viennet, le pape s’occupait de la conversion des Arméniens et des Tatars ; mais, tout en poursuivant les hérétiques et les idolâtres, il fut lui-même traité d’hérétique par ses propres partisans, à l’occasion de la vision béatifique. Il avait prétendu que les âmes des bienheureux ne devaient voir Dieu face à face qu’au jour du jugement dernier ; et cette nouveauté, prêchée trois fois par lui du haut de la chaire pontificale, scandalisa le monde chrétien. Un prédicateur anglais ayant tonné contre cette hérésie, le pape Jean envenima la querelle en faisant jeter le moine en prison. Le roi de France, Philippe de Valois, alla jusqu’à menacer le pontife de le faire brûler vif s’il ne se rétractait pas, et celui-ci, poussé à bout, après trois ans de disputes et de scandale, déclara, en présence de vingt cardinaux, qu’il abjurait sa proposition. Jean XXII mourut sans avoir vu la fin de ses démêlés avec Louis de Bavière. Ce fut lui qui ajouta une troisième couronne à la tiare. Il fit preuve d’une grande fermeté, mais aussi d’une grande ambition et d’une extrême avarice.

La tradition rapporte que ce pontife, célèbre par l’étendue de ses connaissances non moins que par ses querelles avec les empereurs d’Allemagne, composa en latin un livre sur l’alchimie, qui fut traduit en français en 1557 (Ars transmutatoria). Il est dit au commencement de ce livre que le pape Jean XXII transforma son palais d’Avignon en un laboratoire immense consacré à la fabrication de l’or, et que jusqu’à sa mort, qui survint en 1334, il fit travailler au grand œuvre. Ce fait est longuement rapporté dans le Breviarium de gestis romanorum pontificum, de Franciscus Pagus. Dans son Histoire de la philosophie hermétique, Lenglet du Fresnoy ajoute que Jean XXII avait appris à pratiquer l’art hermétique de Raymond Lulle et d’Arnauld de Villeneuve. Ces diverses assertions s’accordent peu avec l’histoire, qui rapporte qu’en 1317 ce pontife fulmina contre les alchimistes la bulle Spondent pariter, qui condamnait les adeptes à des amendes, déclarait infâmes les laïques qui s’adonnaient à l’art hermétique, et dégradait les ecclésiastiques convaincus du même cas. Ce fut Jean XXII qui composa les Extravagantes.


JEAN XXIII (Balthasar COSSA), pape de 1410 à 1415, né à Naples. Il avait été corsaire dans sa jeunesse, et, depuis son entrée dans les ordres, ne s’était fait connaître que par ses débauches, ses exactions et ses violences. Le pape Boniface IX ne l’avait pas moins nommé cardinal en 1402, puis légat de Bologne, où il s’était livré à de tels excès, que Grégoire XII s’était vu contraint de l’excommunier. Malgré son passé, Cossa se fit élire à prix d’argent, à l’époque où l’Église était déchirée par le grand schisme. Il avait promis de renoncer au pontificat si de leur côté Grégoire XII et Benoît XIII abandonnaient leurs prétentions ; mais il n’eut garde de tenir sa parole, porta sur le trône pontifical son avidité insatiable et ses mœurs dépravées, se prononça pour Louis d’Anjou en guerre avec Ladislas, son compétiteur au trône de Naples, se vit contraint de reconnaître ce dernier, qui, après avoir abandonné moyennant cent mille ducats le parti de Grégoire XII, surprit Rome et s’en empara, s’aliéna le roi de France en réclamant les décimes des bénéfices ecclésiastiques, et fut réduit, après la prise de Rome par Ladislas, à implorer l’appui de l’empereur Sigismond. Ce prince consentit à lui accorder sa protection, mais à la condition qu’il convoquerait le concile de Constance. Après de longues hésitations et après avoir pris des précautions pour sa sûreté personnelle, Jean XXIII consentit à la réunion du concile, qu’il ouvrit le 7 novembre 1414. Sommé alors de déposer la tiare, il jugea prudent d’y consentir ; mais, quelques jours après, il parvint à s’échapper sous un déguisement, pendant un tournoi que donnait le duc d’Autriche, se rendit à Lauffembourg et protesta contre la renonciation qu’on lui avait arrachée, disait-il, par violence. « Le concile un moment consterné, dit M. Alfred Franklin, reprit bientôt son énergie, grâce à la fermeté de Sigismond et de J. Gerson qui, dans un sermon, proclama hautement la prééminence des conciles généraux sur la papauté. Jean XXIII, sommé de comparaître à Constance, s’y refusa ; mais bientôt, abandonné par le duc d’Autriche, trop faible pour résister à l’empereur, il fut arrêté à Fribourg et conduit à Rudolfcell. » Le 29 mai 1415, ce pontife fut déposé par le concile comme simoniaque, impudique, empoisonneur, dissipateur des biens de l’Église, et emprisonné dans le château de Heidelberg. Au bout de quatre ans, il recouvra sa liberté moyennant 30, 000 écus d’or, se rendit à Rome, où il fit sa soumission à Martin V, et fut nommé par ce pontife cardinal-évêque de Frascati et doyen du sacré collège. Il mourut quelques mois après à Florence, de chagrin, selon les uns, empoisonné, selon d’autres. On a de lui deux lettres et quelques poésies latines.


JEAN Ier ZIMISCÈS, empereur de Constantinople. V. ZIMISCÈS.


JEAN II COMNÈNE, empereur de Constantinople, fils et successeur d’Alexis Comnène (1118), né en 1088, mort en 1143. Il montra un grand esprit de justice et fut surnommé le Marc-Aurèle byzantin. Malheureusement ses actes administratifs sont peu connus. Son règne est rempli par des guerres heureuses contre les Hongrois, les Patzinaces, les Serbes, les Turcs, etc. Il fut tué à la chasse.


JEAN III VATACE, empereur de Constantinople. V. Vatace.


JEAN IV LASCARIS. empereur de Constantinople. V, Lascaris.


JEAN V CANTACUZÈNE, empereur de Constantinople. V. Cantacuzène.


JEAN VI PALÉOLOGUE, empereur de Constantinople, né en 1332, mort en 1391. Fils d’Andronic III, il lui succéda en 1341 sous la tutelle de Jean Cantacuzène, qui finit par partager avec lui l’empire (1347), et régna jusqu’en 1355. À partir de cette époque, pour mettre fin aux rivalités qui déchiraient l’État, Cantacuzène se retira dans un cloître et Jean VI régna seul. Mais ce prince, incapable et sans énergie, assista indiffèrent à la ruine publique, et passa, livré à la débauche, les années de son long règne. Il se laissa dépouiller par les Turcs de ses plus belles provinces, fit deux voyages à Rome pour demander des secours, n’obtint que de vaines promesses, se vit emprisonné pour dettes à Venise, et, de retour à Constantinople, ayant cédé au sultan Amurat toutes les provinces qu’il lui avait enlevées, il tomba dans la vassalité de ce prince et de son successeur Bajazet, au point de leur faire les plus lâches concessions. Il mourut bafoué par ses ennemis et méprisé par ses sujets, laissant le trône à son fils Manuel II.


JEAN VII PALÉOLOGUE, empereur de Constantinople, fils de Manuel II, né en 1390, mort en 1448. Il succéda, en 1425, à son père, qui l’avait associé au trône en 1419. Aussitôt il fit avec Amurat II une paix qui dura dix ans, puis, se voyant menacé de nouveau par les Turcs, craignant que l’empire ne devînt complètement la proie des envahisseurs, et n’attendant de secours que des Latins, il résolut, pour se les rendre favorables, d’opérer la réunion des deux Églises. Dans ce but, il partit pour l’Italie (1437), se rendit à Venise, à Ferrare, à Florence, où eut lieu un concile dans lequel fut conclue l’union des Grecs et des Latins ; mais il revint à Constantinople sans les secours sur lesquels il comptait, se vit dans l’impuissance de faire accepter par les prélats grecs l’union des deux Églises, et la division se glissa jusque dans sa famille. Il mourut de chagrin, laissant le trône à son frère Constantin XIII. L’empire ne s’étendait plus alors au delà des murs de Constantinople. Sous Constantin Dracosès, son frère, l’empire grec achève de mourir ; en 1453, les Turcs s’emparent de Constantinople. Constantin laissa pour héritier de ses droits André Paléologue, despote de Morée, et ses deux frères, Démétrius et Thomas, qui furent chassés du Péloponèse par Mahomet II (1458-1461).


JEAN SANS TERRE, roi d’Angleterre, quatrième fils de Henri II et d’Éléonore d’Aquitaine, né en 1166, mort en 1216. Il doit son surnom à cette circonstance qu’étant mineur à la mort de son père il n’avait pu encore posséder aucun apanage en son nom propre. Il reçut de son frère Richard Cœur de Lion des fiefs considérables en Angleterre et en Normandie, essaya de le dépouiller pendant qu’il était en Palestine, puis pendant sa captivité, et proposa même une somme de 20,000 livres à l’empereur d’Allemagne pour qu’il le retînt prisonnier. Lorsque Richard revint en Angleterre, Jean s’enfuit en Normandie pour se soustraire à la colère de son frère ; mais, quelque temps après, il passa le détroit, implora son pardon et l’obtint, grâce à l’intercession de sa mère Éléonore. À la mort de Richard Cœur de Lion, son neveu Arthur, duc de Bretagne, devenait l’héritier du trône. Mais Éléonore, qui avait pour Jean une affection toute particulière, l’aida à s’emparer de la couronne, et il se fit reconnaître roi d’Angleterre, à Northampton, par une assemblée de barons et d’évêques, après avoir promis solennellement de respecter les droits de chacun. Arthur, trop faible pour résister, lui avait rendu hommage pour le duché de Bretagne ; Philippe-Auguste, roi de France, lui avait vendu à prix d’argent sa neutralité, et il paraissait affermi sur le trône, lorsqu’il enleva la femme du comte de La Marche, Isabelle d’Angoulême, qu’il épousa après avoir répudié la fille du comte de Glocester. Sur la demande d’Hugues de La Marche, Philippe-Auguste déclara alors la guerre à Jean sans Terre, et Arthur de Bretagne profita de cette circonstance pour réclamer ses droits usurpés. Ayant Arthur prisonnier, Jean sans Terre le fit conduire d’abord à Falaise, puis à Rouen, où il le poignarda de sa propre main et jeta son corps dans la Seine (1202). Cité pour ce meurtre par Philippe-Auguste devant la cour des pairs, il refusa de comparaître, et se laissa enlever sans les défendre le duché de Normandie et ses autres fiefs du continent (1204-1206). Son despotisme, sa lâcheté, ses cruautés et ses débauches l’avaient rendu odieux à ses sujets, comme ses crimes en faisaient un objet d’horreur pour l’Europe chrétienne. Sa prétention d’imposer au clergé de Cantorbéry un prélat de son choix, ses persécutions contre les moines attirèrent sur lui l’excommunication papale. Philippe-Auguste, choisi par le saint-siége, s’arma pour exécuter la sentence de déposition. Mais Jean, épouvanté, s’humilia devant le pontife jusqu’à se reconnaître son vassal, et Innocent III lui laissa son royaume (1213).

Cette même année, Jean sans Peur résolut d’aller porter la guerre en France et fit alliance avec l’empereur Othon et avec les comtes de Boulogne et de Flandre; mais, pendant que Louis, fils de Philippe-Auguste, le tenait en échec en Bretagne, la victoire remportée à Bouvines par ce dernier sur ses ennemis coalisés (1214) vint enlever à Jean sans Terre tout espoir de reconquérir ses provinces de France. Il retourna alors en Angleterre et eut à lutter contre les deux forces vives de ce pays, la noblesse et le clergé, qui lui imposèrent la grande charte (1215), et qui, fatigués de ses trahisons et de ses crimes, se révoltèrent ouvertement et offrirent la couronne à Louis, fils de Philippe-Auguste (1216). Abandonné de tous, Jean en fut réduit à fuir devant son rival, et mourut de peur et de chagrin au château de Newark.