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empêcher cet attentat, fut volé et insulté par la soldatesque, et publia à ce sujet un écrit dans lequel il protestait énergiquement contre une violation du droit des gens dont il rendait responsable le colonel autrichien Barbacksy. Quelque temps après, il fut envoyé à Londres comme ministre plénipotentiaire, parvint à empêcher une rupture entre la France et l’Angleterre, en 1805, et conserva ce poste jusqu’en 1817. Il mourut cette année même en se rendant à Berlin.


JACOBIN, INE s. (ja-ko-bain, i-ne — de la rue Saint-Jacques, en latin Sanctus-Jacobus, où fut établi le premier couvent de dominicains à Paris). Hist. relig. Moine ou religieuse de l’ordre de Saint-Dominique : Un couvent de jacobins, de jacobines. || S’est dit autrefois pour JACOBITE.

— s. m. Hist. Membre d’un club qui se forma en 1789, et qui tenait ses séances dans un ancien couvent de jacobins, situé sur l’emplacement actuel du marché Saint-Honoré ; membre du parti politique sorti de ce club : Le club des jacobins. Les jacobins ont fait un mal infini à la Révolution, ils l’ont compromise, perdue même peut-être pour un certain temps, mais ils ont sauvé la France. (T. Delord.) Ce sont les jacobins qui nous ont rendus décidément indivisibilistes et centralisateurs. (Proudh.) || Démocrate ardent, qui cherche à réaliser ses idées par l’emploi de la force : Les jacobins deviennent de plus en plus rares dans la démocratie.

— Ornith. Passereau du genre gros-bec, qui habite les Moluques. || Jacobin huppé, Espèce de coucou qui habite la côte de Coromandel.

— Bot. Espèce de champignon comestible.

— s. f. Ornith. Nom vulgaire de la corneille mantelée, dans quelques pays. || Genre d’oiseaux, de la famille des colibris.

— Art culin. Soupe à la jacobine. Espèce de potage fait avec du bouillon d’amandes, du hachis de perdrix, d’œufs et de fromage.

— Adjectiv. Qui appartient aux dominicains : Un religieux jacobin.

— Qui appartient au club ou au parti des jacobins : Le parti jacobin. Le 9 thermidor fut un avertissement donné par le pays à la dictature jacobine. (Proudh.)

— Encycl. Hist. relig. L’ordre des dominicains ou frères prêcheurs ayant été approuvé, en 1216, par le pape Honoré III, saint Dominique, qui en était le fondateur, envoya quelques-uns de ses disciples à Paris ; ils y arrivèrent le 12 septembre 1217, et allèrent d’abord se loger près de Notre-Dame, dans une maison située entre l’Hôtel-Dieu et le palais épiscopal. Quelques mois plus tard, Jean Barastre, doyen de Saint-Quentin, leur donna une maison placée près des murs de la ville, entre les portes Saint-Michel et Saint-Jacques, et une chapelle du titre de Saint-Jacques, qui dépendait autrefois d’un hôpital fondé pour les pèlerins, et qu’on appelait l’hôpital Saint-Quentin. C’est de cette chapelle que la rue Saint-Jacques a pris son nom, et que les dominicains furent appelés d’abord jacopins, puis jacobins, non-seulement à Paris, mais dans toute la France. Lorsque l’Université s’exila de Paris, en 1229, les jacobins demandèrent permission d’enseigner la théologie à tous ceux qui la voudraient venir apprendre, à quoi l’évêque et le chancelier de Paris consentirent, afin de retenir au moins le peu d’écoliers qui restaient à Paris ; ce fut de cette manière qu’ils obtinrent une chaire en théologie dans l’Université. Dans la suite, lorsque l’Université fut revenue, mais n’était pas encore bien rétablie, ils s’attribuèrent une seconde chaire, malgré l’opposition du chancelier… Albert le Grand fut un des premiers jacobins qui enseigna à Paris. » (Tillemont, histoire manuscrite de saint Louis, p. 142).

L’Université, en 1252, abolit par un décret l’une des deux chaires publiques des jacobins ; mais ceux-ci résistèrent. Ce qui donnait aux jacobins l’audace d’entrer en lutte avec une corporation aussi puissante que l’Université de Paris, c’est qu’ils se sentaient soutenus par le roi Louis IX. ; en toute occasion, ce monarque leur donna des preuves de sa protection et les combla de bienfaits ; on prétend même qu’il fut sur le point d’abdiquer pour entrer dans leur ordre. Il fit achever l’église qu’ils avaient commencée.

En 1387, l’Université trouva l’occasion de condamner les jacobins, à propos de l’immaculée conception, qu’ils refusaient de reconnaître. « Cette flétrissure, dit Félibien, diffama de telle sorte les jacobins du royaume, que partout où ils se montraient, dans les écoles, dans les assemblées et jusque dans les rues, le peuple les poursuivait et les couvrait d’injures. »

Au commencement du xvie siècle, les jacobins de Paris avaient grand besoin d’être réformés ; l’opulence que les religieux avaient acquise avait introduit dans leur maison un relâchement et des désordres qui, à plusieurs reprises, attirèrent les censures ecclésiastiques. En 1502, le cardinal d’Amboise, archevêque de Rouen et légat du pape, résolut d’entreprendre cette réforme difficile à cette époque. Ils résistèrent les armes à la main, et l’on fut obligé de les expulser de la ville. À la place de ces religieux mal réglés, le cardinal d’Amboise introduisit, le 25 février 1505, les jacobins de la nouvelle réforme de Hollande. Malgré l’opposition du corps de la ville, les jacobins obtinrent de la faveur du roi Louis XII l’ancien Parloir aux bourgeois et une ruelle qui régnait le long du mur de la ville.

L’église des Jacobins, construite au xvie siècle, renfermait un grand nombre de tombes illustres : celles de Robert de Clermont, fils de saint Louis ; de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel ; du comte d’Évreux, tige des rois de Navarre. Elle possédait, en outre, les cœurs ou les entrailles de Charles d’Anjou, frère de saint Louis, des rois de France Philippe III, Philippe V, Charles IV, Philippe VI, etc. Enfin, on y voyait les sépultures de Humbert II, dauphin de Viennois, de Jean de Meung ou Mehun, dit Clopinel, continuateur du roman de la Rose, et d’une foule d’autres personnages.

Dans le couvent des Jacobins de la rue Saint-Jacques ont vécu nombre d’hommes remarquables, parmi lesquels nous nommerons : Thomas d’Aquin, Albert le Grand, Pierre de Tarentaise, qui fut pape sous le nom d’Innocent V, Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, etc. Nous devons ajouter que de ce couvent est sorti l’assassin de Henri III, Jacques Clément. Le grand couvent des Jacobins occupait tout le terrain compris entre l’emplacement actuel du boulevard Saint-Michel, l’ancienne rue des Grès, aujourd’hui rue Cujas, la rue des Cordiers, la rue Saint-Jacques et la rue Soufflot, percée en partie sur les dépendances du couvent. Il y a quelques années, des parties considérables de cet établissement célèbre subsistaient encore ; l’église, transformée en maison d’école, était restée presque intacte. Ces vestiges du moyen âge ont disparu lors des transformations effectuées pour dégager les abords du boulevard Saint-Michel. Les jacobins possédèrent à Paris deux autres couvents, dont l’un rue Neuve-Saint-Honoré, près de l’hôtel de Vendôme. C’est dans la salle de la bibliothèque de ce couvent que siégea, pendant la Révolution, la fameuse société des amis de la constitution, qui reçut le nom de Société des jacobins. Les bâtiments de ce couvent furent démolis vers la fin de la période révolutionnaire, et sur leur emplacement on bâtit, en 1810, le marché Saint-Honoré.

Au faubourg Saint-Germain sa trouvait l’autre couvent, qui, à la Révolution, devint le Musée d’artillerie ; il est encore aujourd’hui affecté à cet usage. L’église, bâtie en 1682, par l’architecte Pierre Bullet, fut érigée en paroisse, après le concordat, sous le vocable de Saint-Thomas-d’Aquin.

Jacobins (SOCIÉTÉ DES). À l’article CLUBS, nous nous sommes bornés à des indications générales et à l’énumération des sociétés populaires de notre histoire politique, en renvoyant le lecteur aux articles spéciaux. Nous allons faire ici ce que nous avons fait pour les cordeliers, c’est-à-dire un historique de ce club fameux qui a joué un rôle si considérable dans notre histoire de la Révolution, et dont le nom même est resté longtemps dans les polémiques de parti comme une épithète pour désigner les révolutionnaires, les républicains et quelquefois même les simples libéraux. Sous la Restauration, c’était consacré.

Dès 1789, le besoin impérieux des sociétés populaires se fit sentir, s’imposa à tous les hommes d’action. Dans un pays depuis si longtemps esclave, les livres, les journaux même n’eussent jamais suffi à réveiller les masses populaires, endormies dans leur ignorance, il fallait la parole publique. Les orateurs des réunions populaires jouèrent donc, dans l’ordre politique, le même rôle que les prédicateurs et les missionnaires dans l’ordre religieux. Et l’un des caractères de la Révolution, c’est qu’elle grandit et se développa avec les sociétés politiques, et qu’elle suivit leur décadence, tomba et disparut avec elles.

Voici quelle fut l’origine du club des Jacobins. Peu de temps après l’ouverture des états généraux, un certain nombre de députés eurent l’idée de se réunir, en dehors des séances de l’assemblée, pour délibérer à l’avance et en commun sur les questions à l’ordre du jour. Les députés de la Bretagne ayant été les promoteurs de cette réunion, on lui donna le nom de club breton. Mais, dès le mois de juillet, cette appellation n’étant plus en rapport avec l’extension prise par l’association, on lui substitua celle de Société des amis de la constitution. On y voyait figurer alors indistinctement des hommes qui, pour la plupart, deviendront bientôt des ennemis acharnés et se combattront sans merci : Mounier, Pétion, Sieyès, Volney, Barnave, Camus, Barère, Rewbell, La Révellière-Lepeaux, Adrien Duport, les Lameth, Robespierre, le duc d’Orléans, le duc de La Rochefoucauld, Buzot, Matthieu de Montmorency, Vadier, le vicomte de Noailles, Boissy-d’Anglas, Talleyrand, d’Aiguillon, La Fayette, Mirabeau, etc. La société avait son siège à Versailles, dans un édifice qu’on appelait le Reposoir, et qui, plus tard, devint un temple protestant.

Après les journées d’octobre, l’assemblée ayant suivi le roi à Paris, le club s’installa d abord dans une vaste salle servant de bibliothèque, au couvent des moines dominicains de la rue Saint-Honoré, situé à la hauteur du marché actuel (qui a été bâti sur l’emplacement des jardins), puis dans l’église même du couvent, après la destruction de l’ordre. Les dominicains étant plus communément appelés jacobins, on s’accoutuma à désigner les amis de la constitution sous ce nom, et eux-mêmes ne tardèrent pas à l’adopter. La même chose arriva pour les Cordeliers et les Feuillants ; en sorte que les principaux partis révolutionnaires, par suite de ce baptême singulier, allaient se faire connaître du monde entier sous des noms de moines.

Une autre singularité, c’est que les derniers moines jacobins (en 1789 et 1790) assistaient aux séances, comme les derniers cordeliers au club qui se tenait chez eux.

Voici quelle était l’organisation intérieure du club des Jacobins : un président, un vicep-résident, quatre secrétaires, douze inspecteurs, quatre censeurs, huit commissaires introducteurs, un trésorier, un archiviste, tous nommés par une élection trimestrielle. Il y avait aussi cinq comités : de présentation, de correspondance, d’administration, de rapports, de surveillance. On voit que c’était compliqué comme un gouvernement. Les admissions étaient soumises à des formalités très-sévères. Le sociétaire nouveau, une fois admis, prêtait le serment suivant :

« Je jure de vivre libre ou de mourir, de rester fidèle aux principes de la constitution, d’obéir aux lois, de les faire respecter, de concourir de tout mon pouvoir à leur perfection, de me conformer aux usages et règlements de la société. »

Les séances avaient lieu trois, puis quatre fois par semaine, enfin tous les soirs, et dans l’origine elles n’étaient pas publiques, la société étant composée exclusivement de députés. Mais bientôt, beaucoup d’autres citoyens sollicitèrent et obtinrent successivement leur admission. C’étaient, pour la plupart, des hommes de la bourgeoisie lettrée, des avocats, des médecins, des écrivains, des artistes. Parmi les plus connus, nous citerons : Laharpe, M.-J. Chénier, Chamfort, Andrieux, Sedaine, Louis David, Vernet, Talma, Laïs, le jeune duc de Chartres, l’auteur des Liaisons dangereuses, Laclos, agent du duc d’Orléans, etc.

Point d’hommes du peuple comme aux Cordeliers. Les frais de réception et de cotisation étaient d’ailleurs assez élevés, surtout pour l’époque : 12 livres lors de l’admission, plus 24 livres par an, pour les dépenses intérieures, la correspondance, la publicité, etc. Le défaut de payement pouvait amener l’exclusion.

Dans la première période de son existence, c’est-à-dire jusque vers le milieu de 1790, le club des Jacobins, mêlé d’éléments divers, et notamment d’orléanisme, n’avait point, naturellement, cette cohésion, cette concentration qu’il eut plus tard. Ses doctrines étaient vagues et indécises ; c’était un constitutionnalisme plus ou moins nuancé, suivant les tendances de chacun. Les hommes les plus influents d’alors étaient Duport, Barnave et Lameth. Les idées étaient si peu arrêtées, que la direction du journal que fonda la société Journal des amis de la constitution) fut d’abord confiée à Laclos, l’homme du duc d’Orléans, qui, discrètement d’abord, plus ouvertement ensuite, en fit, pendant quelques mois, une espèce de moniteur de l’orléanisme.

Néanmoins, la réputation de patriotisme des Jacobins grandissait, et bientôt ils sentirent la nécessité de se défendre contre les complots de la cour, des prêtres et de l’aristocratie par de fortes associations, des centres de propagande, des postes de surveillance contre l’ennemi. Cette nécessité était si impérieusement imposée par la situation, qu’il se forma spontanément une foule de sociétés semblables sur tous les points de la France, et ces sociétés, pour la plupart, entrèrent en correspondance avec la société de Paris, si imposante par le nombre d’hommes éminents qu’elle contenait, et se rattachèrent à elle par l’affiliation. « Aujourd’hui, écrivait Desmoulins dans ses Révolutions de France et de Brabant, des clubs semblables, formés dans une multitude de villes, demandent à être affiliés à la société de la Révolution, et déjà ce grand arbre, planté par les Bretons aux Jacobins, a poussé de toutes parts, jusqu’aux extrémités de la France, des racines qui lui promettent une durée éternelle. »

On peut évaluer, en effet, à près de mille sociétés le nombre total qu’atteignit cette puissante organisation ; en sorte que la société mère en arriva à rayonner sur tout le territoire, à avoir partout des succursales qui prenaient d’elle le mot d’ordre ou tout au moins l’inspiration.

« Ainsi, dit Quinet (la Révolution), les idées de la Révolution se répandirent d’échos en échos par des milliers de bouches. Ces principes, qui seraient restés lettre morte dans les livres, éclairèrent subitement une nuit de mille ans. Aucune puissance ne pouvait lutter avec ces sociétés. Elles s’imposèrent aux trois grandes assemblées législatives ; elles venaient à la barre, et c’étaient des ordres qu’elles donnaient. La pensée sortie du club des Jacobins circulait en quelques jours à travers toute la France, et revenait à Paris éclater dans la Législative et la Convention, comme un plébiscite irrévocable. Là fut la caractère peut-être le plus nouveau de la Révolution. C’est ce qui projeta ses idées avec la rapidité de l’éclair. Les provinces, si mornes il y avait à peine deux ans, furent illuminées du feu qui éclatait à Paris. Mais il en résulta aussi qu’il suffit de mettre fin à ce rayonnement électrique des clubs pour que tout changeât en quelques mois. Alors l’ancienne ignorance reparut ; et là encore les Français furent punis des fautes de leurs pères. »

Pour tout dire, en un mot, le grand foyer de la rue Saint-Honoré formait comme une sorte de Grand-Orient politique, la métropole et le sanctuaire de toutes les chapelles jacobines.

Cependant des divergences d’opinion avaient éclaté de bonne heure aux Jacobins. Les hommes de l’école anglaise, La Rochefoucauld, Le Chapelier, Roederer, Talleyrand, La Fayette, Bailly, Sieyès, etc., ne tardèrent pas à se montrer choqués des tendances démocratiques du plus grand nombre. Un schisme était inévitable. Il éclata au mois d’avril 1790. Le 12, les dissidents, c’est-à-dire la fraction la plus aristocratique, se retiraient pour constituer une société rivale, le club de 1789 (plus tard les Feuillants). « Ils s’installèrent pompeusement, dit Ferrières (mémoires), dans un superbe appartement du Palais-Royal, avec tout le fracas propre à attirer et à frapper la multitude. »

Dans ces réunions, « on affectait, dit Loustalot, de se proposer les mêmes objets, de débattre les mêmes questions qu’aux Jacobins ; mais on y ajoutait d’autres avantages et agréments, tels que de bons dîners, des soirées splendides, un luxe royal. »

Mirabeau, flottant de l’une à l’autre société, trouva le moyen de faire partie des deux, mais sans fréquenter beaucoup ni l’une ni l’autre. Réduits à leurs seules forces, les dissidents eurent bientôt la preuve de leur faiblesse et de leur nullité. Bien qu’ils comptassent au milieu d’eux des illustrations de plus d’un genre, ils ne purent contre-balancer l’influence du club de la rue Saint-Honoré, influence qui s’étendait de jour en jour et qui finit par devenir prépondérante sur la grande scène de la Révolution.

Nous avons dit qu’il ne s’était d’abord recruté que dans l’aristocratie libérale et philosophique et dans la bourgeoisie, par ce fait surtout qu’à l’origine il n’était qu’une réunion de députés. Ses cadres s’élargirent successivement, par suite du progrès des idées démocratiques ; le public fut admis comme spectateur aux séances ; une société fraternelle fut fondée, siégeant à d’autres heures dans une salle voisine pour faire l’éducation politique des ouvriers et même des femmes du peuple. Néanmoins, de même que les Cordeliers étaient essentiellement une société parisienne et révolutionnaire, la puissante assemblée des Jacobins, étendant partout ses mille bras, organisée, réglée, disciplinée, était surtout un séminaire d’hommes politiques, et resta plus bourgeoise, moins populaire et moins audacieuse, dans la théorie comme dans l’action. Elle forma aussi comme un conseil de surveillance, comme un grand œil constamment ouvert sur les faits et gestes des hommes publics, et devint par là une espèce de pouvoir fort redouté. Sa correspondance assidue avec ses succursales, les plaintes, les dénonciations journalières qu’elle recevait contribuèrent à accentuer davantage ce caractère ombrageux et scrutateur, que l’influence toujours croissante de Robespierre aigrit encore, et bien souvent au delà de toute mesure.

« Les Jacobins, dit M. Michelet, par leur esprit de corps qui alla toujours croissant, par leur foi ardente et sèche, par leur âpre curiosité inquisitoriale, avaient quelque chose du prêtre. Ils formèrent en quelque sorte un clergé révolutionnaire. »

D’un autre côté, M. Louis Blanc, grand admirateur de Robespierre, c’est-à-dire de l’esprit jacobin dans sa plus haute intensité, nous donne l’appréciation suivante :

« La haine des inégalités conventionnelles d’autrefois, des croyances roides, une sorte de fanatisme calculé, l’intolérance au profit des nouveautés hardies, le goût de la domination, et, au fond, l’amour de la règle, voici, quoi qu’on ait dit, de quels traits se composa 1 esprit jacobin. Le véritable jacobin fut quelque chose de puissant, d’original et de sombre, qui tenait le milieu entre l’agitateur et l’homme d’État, entre le protestant et le moine, entre l’inquisiteur et le tribun. De là, cette vigilance farouche transformée en vertu, cet espionnage mis au rang des procédés patriotiques, et cette manie de dénonciations qui commença par faire rire et finit par faire trembler. »

Cette manie de dénonciations, dont parle M. Louis Blanc, excita plus d’une fois la verve satirique des pamphlétaires royalistes. Une feuille, spécialement consacrée à diffamer les Jacobins, publiait des couplets comme celui-ci :

          Je dénonce l’Allemagne,
                Le Portugal et l’Espagne,
                Le Mexique et la Champagne,
                La Limagne et le Pérou.
                Je dénonce l’Italie,
                L’Afrique et la Barbarie,
                L’Angleterre et la Russie,
                Sans même excepter Moscou.
                  (Les Sabbats jacobins, no 8.)

Malgré ces quolibets et mille autres, l’in-