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dans une intention qu’il est aisé de deviner. Il paraît certain, toutefois, que son grand-père paternel, maître menuisier à Nancy, et son père lui-même, engagé volontaire dans les armées de la République, n’avaient point de prétention à la noblesse.

Ce qui est plus connu de ceux à qui ses œuvres sont familières, c’est le soin qu’il a pris de buriner en vers les moindres incidents de sa naissance, sa faiblesse chétive au moment où il vint au jour, et les soins affectueux de sa mère, dont il a toujours parlé avec la vénération la plus profonde. Dans la célèbre pièce de poésie qui ouvre le recueil des Feuilles d’automne, il explique ses doubles aspirations royalistes et impériales en ce qu’il est né d’un père soldat et d’une mère vendéenne ; il n’est pas inutile de s’en souvenir pour comprendre ses premières compositions lyriques. Les impressions de son enfance expliquent également la maturité précoce de son esprit. Ses premières années s’écoulèrent dans les marches forcées du régiment de son père, de Besançon à Marseille, à Bastia, à Porto-Ferrajo. En 1807, pendant que le capitaine Hugo allait guerroyer en Italie contre les bandes du fameux Fra Diavolo et gagner l’épaulette de colonel, son fils fut amené pour la première fois à Paris et il apprit à lire chez un vieux magister de la rue du Mont-Blanc. Un rapide voyage à travers les Apennins, Rome et Naples, se place à cette époque ; puis Mme Hugo revint à Paris, avec ses trois enfants, — Victor était le second, — se fixer au faubourg Saint-Jacques, dans cette vieille maison de l’impasse des Feuillantines que le poète a si souvent chantée :

Le jardin était grand, profond, mystérieux,
Fermé par de haut murs aux regards curieux,
Semé de fleurs s’ouvrant ainsi que des paupières,
Et d’insectes vermeils qui couraient sur les pierres,
Plein de bourdonnements et de confuses voix ;
Au milieu, presque un champ, dans le fond, presque
un bois.

C’est ce jardin qu’Olympio, plus tard, vint revoir, dans sa tristesse, et qu’il gronde, en si beaux vers, de se prêter à d’autres jeux, d’abriter d’autres amours. Aux Feuillantines vint se réfugier un proscrit, le général Lahorie, compromis dans la conspiration de Moreau, et qui, depuis 1804, errait de retraite en retraite, sans cesse traqué par la police de Bonaparte. De 1809 à 1811, il vécut là, caché à tous les yeux, et il fut le premier précepteur du poète, à qui il faisait lire Polybe dans une traduction française, et qu’il initiait au rude latin de Tacite. Un vieux prêtre, M. de La Rivière, ami de Mme Hugo, complétait cette instruction toute militaire, quoique lettrée, car Lahorie était une intelligence d’élite. Le général fut trahi, arraché à sa retraite par une odieuse machination dont Victor Hugo a promis autrefois de flétrir les auteurs, rappelons-le lui en passant ; il ne sortit de son cachot que pour être fusillé avec Malet. L’année même où se dénouait, devant le hideux mur de Grenelle, ce drame sanglant, le jeune Hugo partit pour l’Espagne avec sa mère. Son père, général depuis 1809, était nommé majordome du palais du roi Joseph et gouverneur de trois provinces. Le voyage, à travers les guérillas et les villages abandonnés, ne fut pas sans péril ; la famille s’installa à Madrid, au palais Macerano, et les enfants furent internés dans le collège des Nobles, cloître sinistre où les jeunes Espagnols s’essayaient à coups de couteau contre les nouveaux venus, fils de leurs vainqueurs. Le jeune Hugo visita une partie de l’Espagne, Ségovie, Burgos, et, si rapides que fussent ces visions des contrées méridionales, elles laissèrent en lui leur empreinte ineffaçable ; la vivacité des impressions d’enfance sur une nature aussi généreusement douée explique ce mirage oriental et mauresque reflété avec tant de puissance dans les premières œuvres du poëte, la tournure castillane de ses drames, la sonorité de son style puisé dans le Romancero beaucoup plus qu’aux sources classiques.

En 1812, l’horizon politique s’obscurcit en Espagne et Mme Hugo ramena son fils aux Feuillantines. La fécondité précoce du jeune poëte se fit remarquer sur les bancs mêmes d’une petite école, la pension Cordier, où il fut placé ; de treize à dix-sept ans, il écrivit la matière de plusieurs volumes, sur le moule usé alors en vogue : épîtres, satires, odes, idylles, contes, madrigaux, charades ; une tragédie d’Irtamène, dont on trouve quelques fragments dans le recueil intitulé : Littérature et philosophie mêlées, un drame d’Inès de Castro. En 1817, il envoya à l’Académie une épître, les Avantages de l’étude, qui fut jugée digne du prix, mais que l’on ne couronna pas, parce que l’on crut à une mystification ; l’auteur y disait son âge :

Moi qui, toujours fuyant les cités et les cours,
De trois lustres à peine ai vu finir le cours,

et lu pièce parut de beaucoup au-dessus des moyens d’un poëte de quinze ans. Victor Hugo échappa vite, heureusement, à ces banalités qui ne faisaient guère présager le puissant novateur de 1830. Aussi peut-on juger de l’effroi de ses anciens patrons académiques, lorsque apparurent ses œuvres véritables : « Quel dommage ! il se perd, disait avec componction François de Neufchâteau ; il promettait tant ! jamais il n’a si bien fait qu’au début. » L’ode de la Statue de Henri IV, celle des Jeunes filles de Verdun, Louis XVII, Moïse sur le Nil, qui obtint une médaille aux jeux Floraux, enfin toutes les Odes et ballades, qui parurent par fragments de 1818 à 1822, ont encore cette forme pure, qui séduisait tant les classiques, tout en montrant une sève lyrique que n’avaient jamais laissé couler ni les Rousseau ni les Lebrun-Pindare ; elles marquent parfaitement la transition entre les premiers barbouillages du versificateur inexpérimenté et les audaces postérieures du grand poète. Du jour où ces odes parurent, Victor Hugo, baptisé « l’enfant sublime » par Chateaubriand, fut célèbre dans les cercles royalistes. C’est la Muse française, organe poétique du parti, qui inséra les premières, et il fit paraître dans le Conservateur littéraire, revue fondée par ses frères et par lui, des essais de critique, dont quelques-uns sur Walter Scott, Byron et Moore sont déjà écrits de cette prose nerveuse que l’auteur sut si bien manier plus tard ; il faut surtout remarquer un article sur les Méditations de Lamartine, alors inconnu, et où le débutant devina toute une nouvelle source de poésie.

Le général Hugo destinait son fils au métier des armes et le faisait préparer à l’École polytechnique ; Victor Hugo avait montré, parait-il, de rares aptitudes aux sciences mathématiques, mais sa voie littéraire était déjà trop bien tracée pour qu’on lui fit obstacle. Ses ressources pécuniaires se trouvaient seulement fort modiques, sa famille ayant été ruinée par la chute de l’Empire ; sa mère, qu’il idolâtrait, mourut. Il dut vivre fort modestement pendant la première année de son émancipation, et il est possible qu’il ait personnifié dans le Marius des Misérables, vivant de pain sec, d’eau claire et d’amour, sa propre existence pendant une courte période. Les libéralités de Louis XVIII le tirèrent de cette situation précaire ; il reçut, sans la demander, une pension de 1, 500 francs que le roi doubla dès qu’il sut que le poète n’attendait qu’un peu d’aisance pour se marier avec une amie d’enfance, qui est devenue la compagne de toute sa vie, Mlle Adèle Fouché. Il paraît même qu’il dut cette pension moins à son talent qu’à une circonstance singulière. Après la conspiration de Saumur (1821), Victor Hugo offrit un asile à l’un des contumaces, condamné à mort, Delon. Sa lettre fut décachetée par la police et remise à son adresse, afin que le proscrit tombât dans le piège ; mais il avait quitté la France ; alors on dénonça Victor Hugo à Louis XVIII, qui répondit : « Je connais ce jeune homme, il se conduit en ceci avec honneur, je lui donne la prochaine pension vacante. » Tant de générosité chez ce monarque a lieu de nous surprendre, mais le fait paraît exact. Hugo reçut le brevet, et n’apprit que longtemps après les motifs véritables de la faveur royale, car il aurait fallu avouer la lettre décachetée.

Le premier volume des Odes fut publié en juin 1822 (Renduel, in-8°) ; il fut suivi de Han d’Islande (1823, in-8°), farouche roman où sourit avec une grâce exquise, dans les intervalles des descriptions horribles, une idylle amoureuse, inspirée au poëte par sa propre situation ; du second volume des Odes (février 1824, in-8°) ; de Bug-Jargal (1826) ; du troisième volume des Odes, suivies de Ballades (1826), et de Cromwell (décembre 1827). C’est dans la préface de ce long drame injouable que Victor Hugo développa la poétique de la nouvelle école et se posa en réformateur ; ce fut la déclaration de guerre des romantiques aux classiques. Les Orientales, dont il s’inspira, non à Constantinople, comme on pourrait le croire, mais dans un petit jardin de Vanves où il allait voir se coucher le soleil, tradition qu’Alfred de Musset a consignée dans ces vers de Mardoche :

… Précisément à l’heure
Où (quand par le brouillard la chatte rôde et pleure)
Monsieur Hugo va voir mourir Phœbus le blond !

les Orientales, si magnifiquement empreintes de la nostalgie des pays aimés du soleil et des préoccupations politiques du moment, relatives à la libération de la Grèce, marquèrent pour le poëte ce que l’on peut appeler sa seconde manière lyrique. Ce qui la distingue de celle des Odes, c’est un plus grand éclat donné au style, toujours aussi pur, mais plus coloré. Ce recueil est une suite de visions étincelantes où tout paraît si bien donné au culte du mot, de la forme et de l’image, que les lecteurs superficiels et les critiques à système ont nié qu’il renfermât des idées. Le poëte y exalte à chaque vers ce qu’il y a de plus généreux au fond du cœur de l’homme, l’amour de la patrie et de l’indépendance, en même temps que le peintre retrace, avec une splendeur inconnue avant lui, les plus magnifiques spectacles de la nature. N’est-ce pas là le but suprême de la poésie ? Mais ses larges coups d’aile faisaient planer l’auteur bien au-dessus des sentiers battus, et il montait si haut que ses amis eux-mêmes avaient peine à le suivre.

C’est sur la scène que Victor Hugo résolut de livrer la bataille décisive. Cromwell, qui ne pouvait être représenté, n’avait fait que poser théoriquement les bases de l’art nouveau. Amy Robsart, qui n’eut qu’une seule représentation à l’Odéon, fut sifflé d’une façon virulente. Hugo avait écrit ce drame, tiré du roman de Kenilworth, en collaboration avec M. Ancelot, fait qui aujourd’hui nous parait bien étrange. Le lendemain de la chute, il réclama hautement sa part de paternité ; mais la pièce ne fut jamais imprimée. Fidèle à sa théorie qui veut que l’écrivain corrige une œuvre mal venue par une autre meilleure, il écrivit Marion Delorme (1829) ; la censure interdit les représentations. Infatigable à la lutte et trouvant au contraire dans les obstacles l’excitant qui double les forces, en quelques semaines il composa Hernani, réussit à faire jouer ce drame (Théâtre-Français, 25 février 1830), et la lutte fut engagée à fond. La première représentation fut une victoire, dont nous avons rapporté le bulletin. (V. Hernani.) Dès lors, V. Hugo devint un de ces écrivains dont chaque nouvelle œuvre fait sensation ; il n’y eut plus pour lui de public indifférent, il n’eut que de bruyants disciples ou des détracteurs acharnés. Chacun de ses livres, chacun de ses drames fut un champ de bataille, et il faut lui rendre cette justice qu’il marcha toujours droit devant lui, avec une volonté que rien ne put plier, ne voulant rien retrancher de ses défauts les plus violents et par cela même ne perdant rien des exquises qualités qui l’ont fait le premier poëte du siècle et qu’un peu de condescendance à la critique risquait de lui faire perdre. Après Hernani, l’apparition de Notre-Dame de Paris (1831, 3 vol. in 8°), admirable résurrection du moyen âge, où du moins l’alliage du beau et de l’horrible est masqué avec plus d’art que dans Han d’Islande et Bug-Jargal ; la représentation de Marion Delorme (Porte-Saint-Martin, 1830) ; la publication du recueil lyrique des Feuilles d’automne (1831, in-8"), furent autant de coups frappés avec une hardiesse inouïe et propres à réveiller le public le plus indolent. Victor Hugo avait hâte de marquer son rang à la tête de tous les écrivains de son temps et dans tous les genres, roman, drame, ode, poésie familière ; de là cette activité fiévreuse qui semble à distance quelque peu désordonnée, maintenant que le maître, n’élevât-il la voix que tous les dix ans, rencontrerait toujours le même auditoire attentif. Mais alors c’était une lutte quotidienne, une mêlée où il fallait frapper le plus fort et le plus souvent possible. Quand on jette un regard en arrière sur toutes les inepties que la critique lui opposa, de 1828 à 1840, sur les diatribes sans nom que signaient, non-seulement un Ch. Maurice, mais Armand Carrel, Jules Janin, sur les épigrammes dont le criblait le camp adverse, et qu’on songe à tout le venin que Dufaï et Gustave Planche distillèrent contre lui dans de lourds et pédants articles, on se rend compte de la ténacité du maître et de la violence des disciples. Armand Carrel disait de l’intrigue d’Hernani:« Voilà l’honneur castillan ! Nous ne pouvons pas nier que dans une autre planète que la nôtre, dans Saturne ou dans Jupiter, l’honneur ne fasse faire de telles choses ; mais sur notre globe, il nous semble que rien de semblable ne peut se voir. Tout au plus l’admettrions-nous des plus insensés habitants de Bedlam et de Charenton. » Charles Maurice, ce maître en chantage, se croyait un bien plus grand écrivain que Victor Hugo et trouvait dans Hernani et Marion Delorme « un horrible choix des mœurs, le dénigrement des caractères les plus inviolables et un intolérable système de style destructif de toute poésie. » Faites des odes ! ajoutait-il judicieusement. L’admiration de la postérité a bien vengé le poëte ; mais, dès la première heure, le groupe dévoué des écrivains et des amis qui se ralliaient autour de son nom et lui formaient, dans ses appartements de la place Royale, une sorte de cour, baptisée du nom un peu mystique de cénacle, devança l’avenir et le soutint avec vaillance dans cette ardente croisade. On les appelait les barbares ! « Nous acceptons la comparaison, dit M. P. de Saint-Victor. Là où passait Attila, l’herbe ne germait plus; là où Victor Hugo, Lamartine, Sainte-Beuve, Théophile Gautier, George Sand, Alfred de Musset ont passé, ne repousseront plus les tristes chardons et les fleurettes artificielles des pseudo-classiques. La littérature pourra s’égarer encore dans des voies scabreuses : elle aura du moins quitté sans retour la Béotie stérile où si longtemps elle a végété. »

À Marion Delorme succédèrent : le Roi s’amuse, de tumultueuse mémoire (Théâtre-Français, 22 novembre 1832) ; ce drame, qui n’eut qu’une représentation et que la censure interdit le lendemain, est celui où Victor Hugo a déployé le plus d’étincelante fantaisie à côté des imaginations les plus monstrueuses ; Lucrèce Borgia et Marie Tudor (théâtre de la Porte-Saint-Martin, 1838) ; Angelo (Théâtre-Français, 1835) ; les Chants du Crépuscule (1835, in-8") ; les Voix intérieures (1837, in-8°) ; Ruy-Blas, (Porte-Saint-Martin, 1838) ; les Rayons et les Ombres (1840, in-8°) ; Lettres sur le Rhin (1842, 3 vol. in-8°), pittoresque voyage qui servit comme d’introduction au drame des Burgraves (1843). Les beautés épiques de ce drame ne désarmèrent pas les critiques, fort heureux d’opposer alors Ponsard et sa Lucrèce au vaillant champion de 1830, et le maître ne fit plus rien pour la scène. Chacun de ces titres, gravés dans la mémoire de tous, éveille les plus puissants souvenirs ; ce sont les jalons de toute une période de la littérature française. Et quelle infinie variété de tons et d’inspirations ! Dans ses recueils poétiques, il a presque abandonné le ton solennel de l’ode pour chanter sur un rhythme plus doux le bonheur du foyer, les enfants, les riants paysages, les rêves philosophiques ou politiques de son imagination ardente. Dans ses drames, il heurte avec violence les plus formidables antithèses, le bouffon de cour au monarque, le laquais à la reine ; il fait se débattre en l’âme humaine les sentiments les plus opposés, ceux de la prostituée et ceux de la mère ; il remue puissamment toutes les fibres par la passion et la terreur. En ajoutant à ces œuvres:le Dernier jour d’un condamné (1829), effrayante analyse psychologique des idées et des sensations d’un condamné à mort, premier plaidoyer de l’auteur contre la peine capitale ; un second plaidoyer aussi émouvant, quoique plus simple, Claude Gueux (1834) ; une Étude sur Mirabeau (1834), morceau oratoire d’un grand caractère, on aura une idée de l’activité prodigieuse de cet esprit auquel rien de ce qui touche à l’homme, religion, politique, problèmes sociaux, questions d’art et d’esthétique, n’est resté étranger ou indifférent.

Ces œuvres, d’un aspect multiple, dans lesquelles s’incarne non-seulement la pensée d’un homme, mais celle de toute une génération, marquent comme une première période de la vie littéraire de Victor Hugo. Elles reçurent leur consécration publique dans l’élection de Victor Hugo à l’Académie (3 juin 1841), où il obtint le fauteuil de Nèpomucène Lemercier ; l’année précédente, il avait échoué contre M. Flourens. En possession d’une gloire immense, maître souverain d’une littérature et d’une langue qu’il avait renouvelées par un travail incessant et une volonté indomptable, pouvant même imposer, comme une loi, ses fantaisies et ses caprices les plus discutables, tout autre, à sa place, n’eût fait que déchoir. Victor Hugo grandit encore, dans sa période de pleine maturité. Mais, avant de parler des œuvres rayonnantes qui ont marqué la seconde partie de sa carrière, et qui datent de son exil sous le second Empire, il nous faut parler brièvement de l’homme politique.

À vrai dire, la politique ne lui avait jamais été étrangère. Royaliste, il avait énergiquement combattu pour son parti en composant ses odes, dont le retentissement valait bien celui d’un article de journal ou d’un discours à la Chambre; il avait chanté le retour des Bourbons, les héros de la Vendée, les victimes de la République. Devenu libéral, sous Charles X et sous Louis-Philippe, il collabora à la légende napoléonienne, ce qui était alors une forme du libéralisme, et exalta la fibre patriotique dans l’Ode d la colonne et dans Napoléon II. Ce n’était pas assez:à toutes ses gloires, il rêva d’ajouter celle de la tribune, où ses deux émules, Chateaubriand et Lamartine, avaient fait entendre leur voix puissante. Louis-Philippe le créa pair de France (1845). Victor Hugo prononça, entre autres, à la Chambre haute, une éloquente plaidoirie en faveur de l’abrogation des lois d’exil ; il demandait le rappel des Bonaparte. C’était la suite de ses odes napoléoniennes. Survint la révolution de Février. Mal dégagé encore de son passé royaliste, le poëte fut porté sur la liste du parti réactionnaire, celle de l’Union électorale, et obtint 86, 965 voix. Son nom était le septième de la liste, entre Pierre Leroux et Louis-Napoléon ; étrange rapprochement ! V. Hugo siégea dans les rangs de la majorité jusqu’aux approches de l’élection présidentielle, mais il s’en sépara souvent pour voter avec le parti démocratique. Son attitude à la Constituante fut pleine d’incohérence. Ainsi, avec la gauche, il réclama l’abolition de la peine de mort, repoussa la demande en autorisation de poursuites contre Louis Blanc et Ledru-Rollin, refusa de déclarer que le général Cavaignac avait bien mérité de la patrie, et rejeta l’ensemble de la Constitution ; il se réunit à la droite pour tout le reste, et par conséquent vota l’abolition des ateliers nationaux, repoussa le droit au travail, l’impôt foncier, l’impôt progressif, l’abolition du remplacement militaire, l’amendement Grévy, qui eût décidé de l’avenir de la République, en écartant le plébiscite populaire si cher aux Bonaparte, etc. Le journal l’Événement, fondé par lui un mois après l’insurrection de juin (1er août 1848), et auquel collaborèrent ses deux fils Charles et François, P. Meurice, Vacquérie, Th. Gautier et A. Vitu lui-même, refléta cette politique changeante et posa la candidature de V. Hugo à la présidence. Ce journal disait qu’il fallait nommer un poëte, parce que le poëte referait le monde à l’image de Dieu ; qu’au-dessus de tous les hommes et de toutes les sociétés il y avait le poëte, celui qui prédit, vates, « à la fois bras et tête, cœur et pensée, glaive et flambeau, doux et fort, doux parce qu’il est fort, fort parce qu’il est doux, conquérant et législateur, roi et prophète, lyre et épée, apôtre et messie, etc. » Cette politique inspirée trouva peu d’écho : Victor Hugo eut quelques milliers de voix.

Son attitude à la Législative fut plus décidée : il devint le chef et l’orateur de la gauche démocratique et sociale. La question de l’assistance publique lui offrit l’occasion de donner un premier gage aux socialistes ; il en donna un second au congrès de la paix (août 1849), et combattit, avec toute la gauche, l’intervention française à Rome. Les