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siècles, où l’on voit toujours l’idée française triompher de l’idée allemande, la Réforme, victorieuse dans le nord de l’Europe, arrête son essor devant Henri IV, qui l’abjure pour le catholicisme. Le premier volume expose l’histoire complète du xvie siècle, qui fut l’âge héroïque des temps modernes. Ce sujet immense, l’auteur allemand l’a traité d’une manière succincte, en négligeant tous les détails inutiles et supposant au lecteur la connaissance préalable de ces événements. Dédaigneux des anecdotes usées que recherchent les historiens vulgaires, il déduit les idées, les causes, les suites, les résultats des faits principaux, qu’il apprécie et qu’il peint à grands traits. Néanmoins cette concision extrême, cette sobriété de détails, qui présentent de grands avantages, offrent aussi de grands inconvénients ; le principal est le danger d’omettre ou de négliger des faits qui ont aussi leur importance dans l’ensemble du tableau. L’historien allemand ne l’a pas évité : pas un mot des premières expéditions maritimes des Français, des découvertes de Cartier dans l’Amérique du Nord, des expéditions d’Ango, de la flotte de Marseille, qui battait la mer du Levant, où le nom français était redouté. Des omissions, des réticences d’un autre genre pourraient presque faire révoquer en doute l’impartialité de l’historien dans ce premier volume. Les cruautés, les crimes sans nombre, résultats infaillibles des guerres civiles, M. Ranke les raconte sans y insister ; mais, du moment où il parle des crimes commis par les catholiques, il fallait rappeler ceux des protestants. Les cruautés du baron des Adrets sont le pendant de celles de Montluc. M. Ranke représente ses coreligionnaires comme mus par des idées religieuses plutôt que par des passions politiques, et amenés forcément à faire la guerre. Ce point de vue n’est pas exact ; des témoignages irrécusables ne permettent pas de l’adopter. A part ces erreurs, que, malgré tout, nous appellerons des erreurs d’optique, M. Ranke juge avec impartialité. Il rend l’hommage le plus flatteur à deux érudits qui ont devancé les patients travaux de la savante Allemagne, Henry Estienne et Scaliger. « Pendant la seconde moitié du xvie siècle, deux philologues ont brillé en France, qui, par l’étendue et la profondeur de leur science, ont surpassé tous ceux que l’Italie avait produits ; peut-être n’a-t-on jamais depuis rencontré leurs semblables. »

M. Ranke a retracé avec la plus grande fidélité les portraits des personnages, des héros de cette période, des principaux chefs protestants et catholiques : Gaspard de Coligny, l’homme convaincu, le guerrier loyal ; Catherine de Médicis, l’ambitieuse Italienne, professant la triste morale de sa maison : Tout est permis pour se maintenir au pouvoir ; Charles IX, les deux Guise, le.connétable de Montmorency. La noble figure du chancelier de L’Hôpital est laissée dans l’ombre ; c’est une méprise de l’historien allemand. Elle est d’autant plus regrettable que tous les autres portraits sont pleins de vie et de vérité. La figure de Henri IV est largement tracée ; l’historien, tout en racontant les faits de ce règne glorieux, fait connaître le système du gouvernement. Il dépeint le roi maintenant avec énergie et dignité l’honneur de la France à l’extérieur contre le roi d’Espagne, contre le pape et contre quiconque s’attaquait à son peuple ; réorganisant l’armée, rétablissant les finances, développant les travaux d’utilité publique ; comprimant tout à la fois les seigneurs et le peuple, les catholiques et les protestants ; mettant la France en relation avec toutes les forces vives de l’Europe, et fondant la monarchie des Bourbons sur la plus large base possible.

La partie relative au xviie siècle est supérieure à la précédente ; le siècle, ou plutôt le régne de Louis XIV supporte la comparaison avec l’histoire tracée par Voltaire : les deux ouvrages ne se ressemblent pas, ils se complètent. Entrant dans cette nouvelle carrière, l’esprit de l’auteur se dégage entièrement de ses attaches protestantes. M. Ranke reprend la liberté de ses allures. C’est un narrateur concis, toujours intéressant, qui sait distinguer dans le pêle-mêle des événements le principal de l’accessoire, et qui connaît l’art de grouper les faits. Jamais le tableau des relations extérieures de la France sous Louis XIV n’avait été présenté d’une manière aussi exacte et aussi complète. Cette seconde partie, un véritable chef-d’œuvre, se termine par une revue succincte des événements du règne de Louis XV, de même que la première partie est précédée d’un résumé historique jusqu’au temps de François Ier.

M. Ranke a apporté un discernement scrupuleux dans le choix des matériaux, des pièces destinées à instruire le grand procès du xvie siècle. Il semble se défier du témpignage des hommes qui ont joué un rôle actif dans ces luttes ardentes. Étudiant avec curiosité les questions politiques et économiques, recherchant avec amour tout ce qui peut éclairer l’étude du droit public, il a consulté de préférence les documents diplomatiques du temps. Ce sont les relations envoyées à Rome ou à Venise, les correspondances espagnoles, les lettres et les instructions des ministres et des rois de France, les actes du parlement, des notes diplomatiques ; ce sont enfin les papiers d’État les plus importants des archives de France, d’Espagne, d’Italie et d’Allemagne, qu’il a su consulter, dépouiller, résumer ; recherches d’autant plus curieuses, d’autant plus utiles, que la plupart de ces documents précieux étaient peu connus ou complètement inédits. Pour le règne de Louis XIV, la moisson a été encore plus abondante. Pas un document de cette époque, pas un des ouvrages qui la concernent, même parmi les plus récents, qui n’ait été consulté et mis à profit ; les éclaircissements sont puisés à des sources non encore exploitées, telles que les rapports des ambassadeurs vénitiens et ceux des résidents des cours allemandes. M. Ranke ne voit dans une nation qu’une œuvre humaine ; l’histoire, chez lui, est un drame qui se passe toujours entre un nombre restreint de personnages ; il ne suppose pas l’action de grandes forces secrètes qui servent à gouverner le monde ; il n’admet pas des moteurs occultes, qui s’appellent le Progrès, l’Église, etc. Il est satisfait d’exposer avec une exactitude scrupuleuse les événements et leurs causes immédiates, telles que les fournit l’étude attentive des documents positifs.

L’Histoire de France de M. Ranke est jugée dans toute l’Europe comme un livre de la plus haute valeur. M. Laboulaye a publié, dans le Journal des Débats, un article où il compare M. Ranke à M. Mignet, et où il les caractérise parfaitement l’un et l’autre : « Tous deux sont des esprits fins et curieux, nullement asservis aux opinions reçues, toujours prêts, au contraire, à renverser les anciens jugements et à discuter de nouveau toutes les réputations bonnes ou mauvaises ; mais tous deux aussi s’arrètant au paradoxe et ne franchissant jamais ce pas qui mène à l’abîme ; tous deux politiques habiles, connaissant bien les grands intérêts qui agitaient l’Europe ; tous deux maîtres dans l’art de choisir parmi les pièces, souvent peu lisibles, le trait qui peint l’homme et le mot qui nous livre le secret de sa conduite et de ses fautes : l’un, M. Mignet, porté aux réflexions générales, s’élevant volontiers au-dessus des temps qu’il raconte ; M. Ranke, tout entier à son théâtre et à ses acteurs ; M. Mignet, plus calme, plus élégant, aimant à faire poser ses personnages devant le lecteur, et arrivant à la perfection de l’ensemble par le fini des détails ; M. Ranke, plus ardent et comme impatient d’arriver, traçant avec la furie d’un peintre des esquisses pleines de vie, et remplaçant la passion qui lui manque à force d’esprit et de mouvement ; tous deux génies aimables, sérieux sans ennui, gracieux sans légèreté, et qui ont eu l’art de plaire aux indifférents comme aux délicats. »

Les deux premiers volumes de l’Histoire de France ont été traduits en français par un Adèle interprète, M. J. Porchat (Paris, 1853-1855, 3 vol. in-8º).

France sous Louis XIV (la), 2 vol. par M. Eugène Bonnemère (1863). La monarchie absolue trouve dans le règne de Louis XIV sa formule la plus complète ; elle s’affirme despotiquement en face de la nation, elle l’absorbe, et, quand le pays sort épuisé des mains du grand roi, « il n’a plus, comme le dit Saint-Simon, le désir ni la force de veiller lui-même à sa conservation et à ses destinées. » M. Eugène Bonnemère a entrepris de nous retracer en détail, d’une part ce despotisme, et de l’autre cet épuisement. La France sous Louis XIV est un tableau navrant de cette époque que les classiques appellent ordinairement le grand siècle, et, malgré le ton sombre du style et de la couleur, il a un caractère de triste vérité auquel on ne peut j se méprendre. En nous retraçant, avec l’indignation d’un honnête homme, des spoliations et des actes du plus criant arbitraire, l’auteur s’appuie sur des documents et des citations levant tous les scrupules et tous les doutes. Après avoir longuement et savamment parlé des vols et des brigandages de tous genres commis pendant la Fronde, par les princes révoltés ou par Mazarin ; après nous avoir donné sur l’immoralité sans vergogne de ces années de trouble des détails et des preuves impossibles à récuser, il entre dans une ère nouvelle. C’est le règne personnel de Louis XIV qui commence. Le prince est jeune, il est généreux, magnifique, presque populaire. Le peuple, taillé jusqu’alors à merci par la reine et par la noblesse, respire un peu ; il est misérable, mais il espère. L’illusion ne sera pas de longue durée. Au système d’intimidatfon persuasive, de basses intrigues, de cauteleuses machinations, employé jusque-là par Mazarin, succède un despotisme implacable, fruit d’un orgueil insensé. Plus de lois, plus de coutumes, plus de justice ; la volonté du roi tient lieu de tout. C’est le triomphe de l’adulation et du bon plaisir. Avec le temps, le désordre, l’injustice et la misère prennent les plus effrayantes proportions. Mme  de Maintenon elle-même, sur laquelle, à tort ou à raison, on veut rejeter, pour l’honneur do Louis XIV, une bonne partie de ces infamies, s’indigne et gémit dans le particulier. En 1698, au moment où l’épuisement des finances était presque achevé, elle se plaint « qu’on fait encore un corps de logis. » Marly sera bientôt un second Versailles. « Je n’ai pas plu, dit-elle, dans une conversation sur les bâtiments. Ma douleur est d’avoir fâché sans fruit. Il n’y a qu’à prier et souffrir ; mais le peuple, que deviendra-t-il ? » Et M. Bonnemère ajoute : « Lorsqu’au nom de la politique, non moins qu’au nom de la religion, la fondatrice de Saint-Cyr demandait de l’argent pour les pauvres à Louis XIV, il répondait sèchement : « Un roi fait l’aumône en dépensant beaucoup ! » Il spoliait ses peuples pour gorger d’or ses courtisans ; il gaspillait tout en dépenses superflues, en travaux qui ne profitaient qu’à un petit nombre d’êtres parasites, et, dans son orgueil, il se flattait de maintenir ainsi la prospérité dans ses Etats, lorsqu’il ne faisait, au contraire, qu’établir la ruine en principe et la réaliser en mettant en pratique ses ineptes théories. » Tel est le ton général du livre de M. Bonnemère, et les faits qu’il cite, malheureusement trop nombreux, autorisent cette chaleureuse indignation. Peut-être l’auteur l’a-t-il poussée un peu loin, entraîné par le désir de réagir contre l’erreur historique qui a fait de Louis XIV le grand roi.

France et Rhin, ouvrage posthume de Proudhon, publié par M. Gustave Chaudey (Lacroix, Paris). Ce ne sont guère que des notes et des fragments, pierres à peine taillées d’un édifice que la mort n’a pas permis d’élever. Proudhon se proposait de montrer dans cet ouvrage que le principe des frontières naturelles est, d’une part, en contradiction avec son objet, qui est la nationalité ; et que, d’autre part, dans les conditions politiques faites aux Etats, il créerait des inégalités choquantes, et deviendrait bientôt un moyen de domination bien plus qu’une garantie de paix. « Contradiction et injustice, voilà, dit-il, en deux mots, à quoi se réduit, dans la pratique, le soi-disant principe des frontières naturelles. »

France nouvelle (la), par Prévost-Paradol (1868, in-8º). Ce livre n’est autre chose qu’une théorie compléte de gouvernement posée, d’une façon très-vaillante, en face des institutions impériales alors dans toute leur vigueur.

La première partie contient quelques études générales sur la démocratie. L’auteur établit une distinction nécessaire entre une société démocratique, c’est-à-dire une société qui a l’instinct de l’égalité, et un gouvernement démocratique qui donne à ces instincts leur entière satisfaction : dans le premier cas, les mœurs publiques peuvent établir l’accession de tous aux honneurs ; mais, dans le second cas seulement, le pouvoir appartient à tous : distinction fort importante, car elle met à néant plus d’un mensonge officiel et coupe court aux déclamations de ce gouvernement qui ne donnait au principe démocratique que de vaines satisfactions. Le publiciste examine comment une société devient démocratique. Pour lui, l’inégalité des conditions n’est point, comme pour Rousseau, l’œuvre de la société civilisée, mais le résultat de la société de nature. Ces inégalités de forces qui créent à l’origine deux partis, l’un opprimé, l’autre oppresseur, passent bientôt dans les institutions, et c’est pour cela que les sociétés sont d’abord aristocratiques.

Dans une seconde période, les instincts d’égalité se font jour ; enfin, après de longues luttes, tantôt par un progrès continu, tantôt par une secousse violente, ils finissent par triompher et passent dans les lois. L’humanité arrive alors à sa seconde phase, à la démocratie, à cet état de choses plus légitime et plus parfait que les Etats modernes souhaitent, conquièrent ou possèdent. Il est à craindre alors que cet état social, inattaquable en théorie, mais dont la pratique est pleine de périls, n’engendre d’abord l’anarchie, et bientôt après, par dégoût de l’anarchie, le despotisme démocratique. M. Prévost-Paradol trace, avec une modération sous le voile de laquelle un œil exercé peut reconnaître de vifs ressentiments, le portrait de ce despotisme démocratique qui se fonde sur la prétendue nécessité de pourvoir à la conservation générale, qui se soutient en donnant aux intérêts matériels et aux droits civils une apparente satisfaction, mais sans leur accorder en même temps la garantie nécessaire des intérêts politiques ; qui fait illusion à la démocratie en gardant toutes les fictions démocratiques, les réalités étant supprimées, « jusqu’au jour inévitable où, étourdi par sa prospérité même, et saisi d’une sorte d’ivresse, il se heurte à quelque misérable obstacle et s’écroule au milieu d’une anarchie pire que celle qui lui a servi de berceau. » L’écrivain trace dans la seconde partie un plan complet et fort net de gouvernement démocratique. Indiquons seulement que cette seconde partie se termine par des théories sur la justice, la presse, les cultes, œuvres de ce radicalisme sage que tous les bons esprits ont déjà appris à goûter dans le Parti libéral de M. Laboulaye. La troisième partie offre une triste revue des échecs de la liberté depuis 1789.

L’auteur terminait son livre, en 1868, par des paroles de confiance et d’espoir dans l’avenir ; mais, hélas ! après tant d’attaques mordantes dirigées par lui contre l’empire, il se rallia au ministère Emile Olivier, et il en était réduit à se tuer le jour même où le parti libéral allait à son tour prendre en main les destinées de la France.

France au xviiie siècle (histoire des idées morales en), par M. Jules Barni, professeur à l’Académie de Genève, tome II. Montesquieu et Voltaire rempliront amplement le premier volume, publié en 1868. Le second volume est occupé tout entier par trois hommes : J.-J. Rousseau, Diderot et d’Alembert. Il renferme vingt et une leçons, dont treize sont consacrées à Rousseau, quatre à Diderot et quatre à d’Alembert. Les extraits y sont choisis avec discernement ; nous y avons remarqué le passage suivant d’un écrit de Diderot intitulé De la politique des souverains : « Mais la force et la terreur ne sont pas pour le despotisme des moyens toujours sûrs ; la terreur est une sentinelle qui manque un jour à son poste. Il est donc nécessaire d’y joindre aussi la ruse, et la dissimulation, et l’hypocrisie. Il importe d’abord de dérober autant que possible au peuple sa servitude ; un moyen très-sûr pour cela, c’est de toujours demander l’approbation dont on peut se passer. »

France musicale (la), journal hebdomadaire de musique, fondé par MM. Marie et Léon Escudier le 31 décembre 1837. A l’origine, les articles insérés dans ce journal ne portaient point de signature ; mais cette réserve dura peu, et bientôt on vit surgir les noms do MM. Escudier frères, Théodore Labarre, Adolphe Adam, Castil-Blaze, do Pontècoulant ; puis, successivement, ceux de MM. Alexis Azevedo, Oscar Comottant, Aristide Farrenc, A. Elwart, Giacomelli Maillot, Schœlcher, Lamon, A. de Gasperini, Gustave Chouquet, Gromier, Henri Yvert, etc. Aujourd’hui, les collaborateurs de la France musicale, dont l’unique directeur est M. Marie Escudier, sont Théodore de Lajarte, Arthur Pougin, Albert L’Hôte, A. Thurner, Sylvain Saint-Etienne, Jules Carlez, François Schwab, A. Elwart, E. Thoinan et Édouard Grégois. La France musicale porte vaillamment le poids de ses trente-cinq années d’existence, et a su conserver la place distinguée qu’elle s’était faite dès l’abord dans la presse spéciale.

France (la), journal politique quotidien, fondé eu 1801. Le Constitutionnel, le Pays et autres organes des antichambres ministérielles ayant perdu tout crédit, le gouvernement songea à créer une feuille officieuse qui, sous des allures d’indépendance, devait le servir avec plus d’efficacité. M. de la Guéronnière fut l’homme sur lequel s’arrêta le choix du pouvoir, et la France parut. Mais c’était l’homme qui convenait le moins à la polémique et aux discussions do la presse, et son journal, expression vraie d’une politique servile, n’eut d’autre programme que la conservation de la dynastie napoléonienne et celle d’un sénat capable tout au plus de délibérer sur un turbot à mettre à la sauce. Depuis la chute de l’empire, la France, qui a perdu sa boussole, flotte indécise entre les diverses fractions réactionnaires de la Chambre ; mais il est facile de voir que son rêve est la restauration des Bonaparte.

France (jeune-). C’est ainsi qu’on désigna un groupe d’écrivains qui parurent vers 1830, dans la ferveur de la nouvelle école romantique, dont ils aidèrent le succès en exagérant ses théories, en les portant jusque dans la politique et même dans le costume. Les Jeune-France furent un moment si nombreux qu’ils formèrent un parti politique, très-exalté, dont quelques membres firent le coup de feu aux barricades du cloître Saint-Merry ; mais leur rôle original fut surtout littéraire, et c’est celui-là seul qui mérite l’attention.

L’histoire de la Jeune-France n’a été écrite qu’au déclin du parti, quand ses exagérations commençaient à la faire sombrer dans le ridicule ; aussi tourne-t-elle à l’ironie et à la charge. Th. Gautier, un des plus fervents adeptes, quand il écrivait la Comédie de la mort, s’en moqua cruellement dans un volume aujourd’hui très-rare (les Jeune-France, Renduel, 1833, in-8º), et Alfred de Musset, après avoir écrit l’Anglais mangeur d’opium, selon les lois de leur poétique, leur donna le coup de grâce dans ses Lettres de Dupuis et de Cotonnet. Un grand nombre des Jeune-France s’étaient rangés à cette époque ; beaucoup, après avoir publié des volumes de vers excentriques et quelques romans à titres effrayants, destinés à terrifier le bourgeois, rentrèrent dans la vie commune, si raillée par eux. Mais leur effervescence n’en avait pas moins été utile au triomphe de l’école romantique.

Un Jeune-France enragé, M. Dondey-Dupré, auteur du volume Feu et flamme, signe O’Neddy (anagramme de son nom de famille), nous renseigne dans une pièce de ce recueil sur les mœurs factices des Jeune-France. Jehan, le statuaire (et non pas Jean !), donna a ses amis une fête, une orgie, dans son atelier. Ces amis, ce sont : Reblo, le poëte ; don José, le duelliste ; Noël, l’architecte (probablement pseudonyme de Jules Vabre, autour de l’Essai sur l’incommodité des commodes inédit), et quelques autres.

Vingt jeunes hommes, tous artistes dans le cœur,
La pipe ou le cigare aux lèvres, l’air moqueur,
Le temporal orné d’un bonnet de Phrygie,
En barbe Jeune-France, en costume d’orgie.
Sont pachalesquement jetés sur un amas
De coussins dont maint siècle a troué le damas.

Voilà pour la mise en scène : la barbe taillée d’une certaine manière dénotait le Jeune-France. On venait de représenter avec succès Henri III, le premier drame de M. Alexandre Dumas, et Firmin, qui jouait le rôle de Saint--