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uns. Mettant à profit les recherches des bénédictins, il porte sur la succession des idées et sur l’ensemble des faits l’attention que ceux-ci donnent surtout au détail. Cette méthode justifie le titre de l’ouvrage, vestibule d’un monument que d’autres ont édifié. Recherchant les traces et le dépôt des plus anciennes civilisations sur le sol gaulois, Ampère reconstruit le passé le plus lointain, et, à mesure qu’il se rapproche de l’époque grecque et de l’époque latine de notre histoire, les résultats acquièrent plus d’évidence. Dès que la Gaule a été conquise par la civilisation romaine, elle ne tarde pas à l’être par le christianisme. Sa littérature, tour à tour romaine et chrétienne, accuse la transition et reflète les deux aspects de la société. Dans le Ier et le iie siècle, elle est marquée d’un caractère artificiel ; puérilement adonnée au soin des mots, à un travail matériel de composition et de style, elle attend sa régénération du christianisme. Le tableau de cette régénération depuis la fin du iie siècle jusqu’au ve, nonobstant les efforts impuissants de la littérature profane, remplit une grande partie de l’ouvrage. Le sujet déborde hors du cadre. La Gaule, étudiée au point de vue de l’auteur, qui ne pouvait procéder autrement, n’est qu’une province littéraire de l’empire, une province religieuse du christianisme. De là nécessité fréquente de quitter le particulier pour le général, afin de mieux l’expliquer ; ou bien nécessité de suivre, dans les autres parties de l’empire, des personnages de naissance gauloise, et de s’occuper des étrangers devenus Gaulois par adoption. Astreint à l’ordre chronologique des faits, l’auteur s’attache, néanmoins, à l’ordre logique des idées, qu’il révèle avec art. Les détails, les épisodes, les biographies et l’examen des œuvres se rapportent à un but commun, et ce but n’est autre chose que l’histoire de la formation du christianisme pendant environ quatre siècles. C’est l’histoire de l’Eglise qui se constitue, et c’est aussi l’histoire des idées nouvelles, d’un génie original, d’un langage particulier. C’est presque toujours le contraste intéressant de l’ancien monde littéraire du paganisme en face du nouveau monde chrétien, la mythologie en présence des dogmes de la foi, et la rhétorique aux prises avec l’Évangile. Cette opposition se rencontrait souvent chez le même homme : l’habitude résistait à la conviction, et le goût obtenait de l’esprit un compromis. Chez quelques-uns, l’imagination était obsédée par les souvenirs de la littérature païenne, sur tout et en tout, il y avait réaction ; les païens même devenaient déistes. Les divers ouvrages de cette période, chrétiens ou profanes, y compris les moins importants, ont pour l’historien critique le mérite de peindre l’état politique et moral du pays à une époque (le iiie et le ive siècle) dont ils sont presque les seuls vestiges. Il en extrait des notions fort curieuses.

Cependant l’invasion des Barbares, que personne ne semblait redouter, vient modifier l’élément gallo-romain, ou le produit de la culture gréco-romaine et du christianisme. Les populations germaniques laissent quelque chose là même où elles ont détruit. L’historien fait leur part ; il recherche leurs traditions dans Tacite et dans les légendes Scandinaves ; il voit poindre dans leurs mœurs celles de la chevalerie. Il recherche encore la trace d’autres influences, le mélange de la langue germanique avec la langue gallo-romaine, mélange accompli plus vite au midi qu’au nord, l’introduction et la transformation de certaines légendes et superstitions. Après avoir réuni ces divers éléments du dévelopfiement intellectuel et littéraire de ce qui sera la France, il les met en jeu : le christianisme, en lutte avec l’ancienne civilisation, pénètre la barbarie, et la barbarie arrête, modifie, subit enfin l’action du christianisme. Ce tableau, difficile à bien ordonner, est distribué avec clarté et intérêt. L’auteur étudie ensuite la littérature qui résulta de cet état social si compliqué.

Passant au viie et au viiie siècle, il n’y reconnaît qu’un genre de composition qui en devient toute l’histoire, toute la poésie, tout le roman ; c’est la littérature légendaire, produit de l’esprit religieux. Il décrit enfin avec les mêmes procédés d’investigation la grande rénovation littéraire opérée au ixe siècle par le génie de Charlemagne, et en trouve, dans les siècles suivants, les traces encore sensibles.

Ampère, procédant autrement que les bénédictins, a été plus sage qu’eux ; l’histoire littéraire entreprise par les infatigables religieux demandera encore quelques siècles de travail à ses continuateurs. Ampère a tracé des lignes de perspective qui se rattachent aux horizons des âges modernes. Les rapprochements qu’il établit entre les objets éloignés et les choses présentes sont quelquefois trop subits. Il ne réussit pas toujours à combler les lacunes de son sujet ; mais il réussit plus souvent à intéresser à des œuvres peu accessibles.

M. Sainte-Beuve a dit au sujet de cet ouvrage : « La méthode de M. Ampère, qui reprend les choses dès l’origine et les embrasse dans tout leur cours, selon chacune des branches de leur développement, a cet avantage de n’omettre aucune des influences et aucun des précédents que les autres critiques n’ont saisis jusqu’ici que par un heureux hasard de coup d’œil ou de réminiscence, et comme à la volée. Pour lui, sa méthode est sûre ; elle est lente, mais inévitable ; il dispose ses lignes, il mesure ses bases, il croise ses opérations ; on dirait d’un ingénieur sur le terrain faisant la carte de France. Le résultat, c’est qu’il n’oublie rien ; il serre si bien son réseau géographique qu’il prend tous les faits et que tout ce qui a nom y passe. Il y aura bien quelques redites ; il y aura même quelques points plus ou moins excentriques, ou trop sinueux, qui ne seront pas représentés ; mais, après lui, si l’on parcourt le reste de la carrière comme il l’a commencée, il faudra marcher par les chaussées qu’il aura faites : heureux si l’on y trouve encore à glaner par quelques sentiers ! … La méthode d’exécution reste subordonnée, chez M. Ampère, à celle d’investigation ; il y manque par moments un peu plus de plastique, comme les Allemands diraient. Mais prenons garde en même temps de méconnaître une qualité essentielle, j’entends le sobre et le fin. »

France et la Sainte-Alliance en Portugal (la), par M. Edgar Quinet, juillet 1847. Outré du rôle odieux auquel s’abaissait en Portugal le gouvernement français, uniquement pour complaire à l’Angleterre, M. Quinet publia cette virulente brochure, où il infligeait au gouvernement de Louis-Philippe une flétrissure ineffaçable. Voici les faits qui motivèrent cette énergique protestation d’une âme virile et honnète, indignée qu’on avilît son pays par crainte de cette Angleterre que le pouvoir seul en France a souvent paru redouter. En 1830, plusieurs Etats de l’Europe sortirent de leur torpeur pour se demander s’il n’était point temps, à l’exemple de la France, de secouer un joug trop pesant et de faire quelques pas vers la liberté. Le Portugal, énervé par une tyrannie de plusieurs siècles, et qui comptait à peine encore parmi les nations de l’Europe, fut de ce nombre. Il ressaisit sa souveraineté et donna le trône à doña Maria, qui se confondit en serments de fidélité et de reconnaissance éternelle. Sur la foi de ces promesses, la vie reprit en Portugal ; la nation recommença à penser et sembla vouloir remonter au rang qu’elle avait jadis occupé par son commerce et sa civilisation. Cette résurrection ne fut qu’éphémère ; le gouvernement enraya la marche du mouvement, et un jour, en 1846, selon l’expression énergique de M. Quinet, la nation entière fut déclarée suspecte. Les Portugais se révoltèrent ; leur révolte contre le parjure et la tyrannie fut terrible. Cabral, le ministre des violences, s’enfuit sur un brick anglais ; la reine effrayée nomma un minisire populaire, Palmella, et promit de convoquer les cortès. Sur cette assurance, l’émeute quitta la rue, le pays confiant mit bas les armes. C’est tout ce qu’attendait doña Maria. Pendant une nuit d’octobre 1846, elle convoqua son nouveau conseil : « Messieurs, dit-elle, donnez votre démission, sinon vous ne sortirez pas de ce palais. » Ne se croirait-on pas, fait observer M. Quinet, revenu au temps de la Ligue, aux plus tristes époques de l’histoire, où régnait l’assassinat politique ? Le lendemain de cette funeste nuit, le Portugal se réveilla garrotté, les fers aux pieds. Il voulut briser ses liens et commença une seconde révolution. Déjà, la reine était cernée dans son palais ; les insurgés allaient triompher, leurs meilleures troupes étaient concentrées sur une corvette et quelques bâtiments de transport… Nous rougissons, avec M. Quinet, de dire le reste : les flottes de la France de Juillet, celles de l’Angleterre et de l’Espagne étaient apostées avec l’injonction de saisir, de couler bas, de massacrer, au besoin, la flotte de la nation portugaise en révolution. La petite armée entourée, saisie, garrottée, fut jetée pieds et poings liés dans les cachots de Saint-Julien, sous le balcon de la reine.

Le récit seul de ces faits suffit pour faire deviner ce que doit être le pamphlet par lequel M. Quinet les flétrit. Il nous peint le triste tableau de la France, fille aînée de la Révolution, imiter les excès de la Sainte-Alliance, qui n’aurait pas fait mieux, et se joignant à l’Angleterre pour étouffer les cris de désespoir d’un peuple torturé. Le règne de Louis-Philipppe fut sur la fin signalé par de tristes événements, funestes avant-coureurs de la chute du roi ; mais ce que la France ne pardonnera jamais au gouvernement de Juillet, c’est de l’avoir deux fois humiliée devant l’Angleterre. L’indemnité Pritchard et l’intervention en Portugal sont les deux causes principales de la révolution de 1848. Ne nous étonnons donc pas que M. Quinet ait pris à tâche de stigmatiser cette époque tristement mémorable où le droit n’existait plus. La France de Juillet était alors bien bas : une révolution, rapide comme la foudre, allait tenter la régénération du pays. Seul, parmi les hommes marquants d’alors, M. Quinet sut lire dans l’avenir et prédit la révolution de 1848. Cette preuve de sagacité politique restera comme un fait des plus remarquables de son existence, et il en reçut la récompense lorsque, réintégré par la République dans sa chaire au collège de France, il s’entendit appeler par la jeunesse studieuse : le Prophète, le Prophète ! Voici les paroles auxquelles faisait allusion cette ovation glorieuse ; « Je sais qu’il est des temps où les oreilles et les cœurs se ferment, où toute vérité est bonne au plus pour les enfants, où toute parole est inutile à ceux, qui oppriment comme à ceux qui sont opprimés. L’iniquité s’amoncelle en silence sans rien craindre. Ce sont les temps où la Providence se réserve d’agir seule, sourdement, au fond des choses, quand les âmes se sont retirées. Les hommes ne vous écoutent plus ; ils ont trop à faire. Mais la justice continue à travailler en secret et à préparer ses représailles, car tout l’or du monde n’a pas encore acheté en sa source cette conscience souveraine qui renaît éternellement de la mort de toutes les consciences. Son œuvre ne se lasse pas dans la lassitude des hommes ; aucun fait n’est jamais accompli pour elle, et l’iniquité consommée n’est que le commencement de sa justice. Pauvres gens ! que leur serviront à la fin tant d’efforts pour tout corrompre ? Ils n’ont pas encore acheté la Providence, et le châtiment approche ! » On reconnaît ici, comme dans tout le reste de l’ouvrage, le style énergique mêlé de mysticisme de M. Edgar Quinet, habitué à frapper sur les abus au nom de la morale et de la véritable religion.

France protestante (la), dictionnaire historique et bibliographique, par MM. Haag frètes (9 vol. gr. in-8º, 1847-1859). La Réforme et le protestantisme ont été l’objet de nombreuses études épisodiques ; mais il restait à publier un travail d’ensemble qui embrassât le sujet dans tout son développement, c’est-à-dire cette série de luttes et d’épreuves, ce combat qui a duré près de trois siècles, de 1525 à 1788. Une telle entreprise offrait mainte difficulté. Par exemple, fallait-il faire une œuvre de controverse et de propagande religieuse, ou bien devait-on lui donner le caractère de recueil historique ? Les auteurs ont eu le bon esprit d’adopter ce dernier parti, au risque de mécontenter leurs coreligionnaires. Ils se sont si bien dépouillés des ardeurs et des exagérations de la foi calviniste, des préjuges et des rancunes de sectes, qu’ils ne négligent jamais de flétrir ce qu’il y a à blâmer chez leurs ancêtres. Par exemple, ils traitent de brigand le terrible capitaine du Liscoët ; ils déplorent la mort de Michel Servet et le supplice d’autres martyrs plus obscurs, tels que Nicolas Anthome, exécuté comme parjure et blasphémateur, par arrêt des conseils de Genève, en l’année 1630. L’ouvrage, précédé d’un coup d’œil sur l’histoire du protestantisme français, se termine par un recueil de pièces justificatives : actes de la Réforme française, édits, placards séditieux, traités et capitulations, procès-verbaux des synodes, etc. Les manuscrits, les mémoires, les correspondances ont donné aux auteurs une riche moisson de documents, accrue encore par des voyages répétés et par des relations nombreuses nouées dans ce but. Une saine critique accompagne leur érudition.

Malgré cette exubérance de noms et de renseignements, les auteurs de la France protestante sont toujours clairs, judicieux, abondants sans embarras, pleins de sagacité au milieu du dédale des généalogies, et à la hauteur des questions spéciales et si diverses qui surgissent à chaque instant sous leurs pas. La place considérable qu’ils ont réservée à la partie bibliographique donne à leur travail un mérite particulier et une utilité qui ne s’effacera pas. Tout écrivain de quelque valeur obtient d’eux, non-seulement une liste complète et raisonnée de ses ouvrages, mais souvent une analyse et même des extraits, soit qu’il s’agisse d’œuvres importantes comme l’Institution chrétienne de Calvin, les Mémoires de d’Aubigné, ou les Juvenilia de Théodore de Bèze, soit que les auteurs s’occupent seulement, par exemple, du Mystère de la Nativité, mis en vers par Barthélémy Aneau. Après les théologiens, les historiens et les poëles, MM. Haag étudient avec le même zèle et la même conscience les hommes qui ont consacré leur vie à des travaux d’un ordre tout différent, les hébraïstes et les jurisconsultes, les mathématiciens comme Ismaël Bouilliau, les artistes comme Androuet du Cerceau et Jean Cousin. La France protestante n’est donc pas une biographie ordinaire. Le noble but et le dévouement qui ont présidé à sa composition, l’unité qui règne dans tout son ensemble, le fini des détails, la multitude des renseignements qu’on y trouve, et qui sont généralement d’une exactitude irréprochable, font de cet ouvrage un monument littéraire de haute importance. Un grand nombre d’articles sont tout à fait neufs ; il y a dans l’ensemble une unité de vues et une concordance qui manquent aux meilleurs recueils biographiques. Toutefois, le Style, incolore et peu facile, ne peut être loué à l’égal de l’exactitude et de l’érudition.

France au xvie et au xviie siècle (histoire de), par Ranke (Stuttgard, 1852-1857, 4 vol. in-8º). Cette histoire embrasse une période de deux siècles. C’est une historien célèbre, mais un historien protestant, un historien allemand qui l’a écrite. A ces deux titres, son récit pouvait être suspect de parti pris. Il n’en est rien ; sauf quelques légères faiblesses, l’auteur suit une marche sévère, une méthode rigide ; il n’épouse ni les rancunes du protestantisme, ni les antipathies de ses compatriotes. Les écrivains allemands d’un véritable talent, comme Sehlegel et Gervinus, ont conservé dans le domaine de l’histoire et de la littérature les passions furieuses qui animaient leurs pères au temps de la coalition. Le seul et unique but de ces écrivains est de flatter les haines et les préjugés populaires en cherchant à prouver quand même, partout et toujours, la suprématie des idées et des races germaniques. M. Ranke, méprisant ces moyens faciles d’obtenir une popularité éphémère, s’est rangé du côté de la vérité. Assurément, son ouvrage n’expose pas la vérité absolue ; quel historien peut se flatter de la posséder ? Mais si une œuvre mérite l’estime et le succès, fondés sur la bonne foi et l’intégrité, c’est la sienne.

L’auteur fait connaître en ces termes le point de vue auquel il s’est placé : « Les grands peuples et les grands Etats, dit-il, ont une double mission, l’une nationale, l’autre purement historique, qui intéresse le monde tout entier. Leur histoire offre donc un double aspect. Et en tant qu’elle forme une part essentielle du développement général de l’humanité ou qu’elle le domine, elle éveille un intérêt qui s’étend bien au delà des limites étroites d’une nationalité, elle attire l’attention des étrangers. Peut-être pourrait-on prétendre que la principale différence des historiens grecs et des historiens romains qui ont traité l’histoire de l’ancienne Rome au temps de sa splendeur et de sa toute-puissance consiste surtout en ce que les uns ont saisi l’aspect universel, tandis que les autres, dans leur exposition, se sont attachés au côté national. L’objet est le même. Les écrivains grecs et les écrivains romains l’ont envisagé sous un point de vue différent ; mais tous ensemble ils instruisent la postérité. Parmi les peuples modernes, il n’en est aucun qui ait exercé sur les autres une influence plus diverse, plus continue, que ne l’a fait le peuple français. Tout le monde a entendu dire : « L’histoire de France, dans ces derniers siècles, c’est l’histoire de l’Europe. » Je suis loin de partager cette opinion. Entourée des quatre grandes nations qui représentent la civilisation européenne, la France ne s’est pas hermétiquement fermée contre l’influence du dehors. De l’Italie elle a reçu les lettres et les arts ; l’Espagne a été le modèle que les fondateurs de la monarchie du xviie siècle avaient sous les yeux ; l’Allemagne lui a inspiré les idées de la réforme religieuse ; l’Angleterre celles de réforme politique. Mais ce qu’on ne peut nier cependant, au moins pour le continent, c’est que c’est toujours de la France qu’est venue la fermentation générale. Les Français se sont toujours occupés de la façon la plus vive des grands problèmes de l’Etat et de l’Eglise, et ils les ont mis à la portée de tous, grâce à ce talent d’expression qui leur est propre. De tout temps, ils ont eu l’art (si je puis m’exprimer ainsi) de centraliser l’effort des esprits et de donner aux théories une application pratique. Et ce n’est pas seulement dans le domaine de l’opinion qu’ils ont voulu régner. Emportés par l’orgueil national, ambitieux, avides de combats, ils ont tenu leurs voisins incessamment en haleine, par les armes non moins que par les idées. Tantôt leurs systèmes sont devenus des prétentions, tantôt, et sans avoir ce prétexte, ils ont attaqué ou ils se sont défendus contre des dangers sérieux ou supposés ; quelquefois ils ont délivré des opprimés, mais plus souvent ils ont menacé la liberté. C’est ainsi qu’il y a des époques où, par l’importance des événements extérieurs et leur action générale, l’histoire nationale de la France devient l’histoire du monde. C’est une de ces époques que j’entreprends de représenter dans ce livre. Des figures comme celles du roi François Ier, de Catherine de Médicis et de ses enfants, de l’amiral de Coligny, des deux Guises, de Henri IV, ce grand prince de la maison de Bourbon, celles de Marie de Médicis elle-même, de Richelieu, de Mazarin, de Louis XIV, appartiennent à l’histoire universelle aussi bien qu’à l’histoire de France. Ce qui caractérise par-dessus tout ces personnages distingués par de grandes qualités, bonnes ou mauvaises, c’est le rôle qu’ils ont joué dans la lutte politique qui a rempli le monde pendant le xvie et le xviie siècle. C’est bien moins de l’opposition des doctrines qu’il s’est agi — en France il n’y a rien eu de bien particulier sur ce point — que du rapport des deux religions avec l’Etat et avec les partis qui se disputaient le pouvoir. On voit alors la royauté, menacée, combattue, succombant presque ; puis, tout à coup, se relevant par un effort suprême, sortir du milieu de ces orages dans une plénitude de puissance jusqu’alors inconnue chez les nations romano-germaniques. L’apparition de la monarchie absolue, l’imitation qu’elle provoque, ses prétentions, ses entreprises, l’opposition qu’elle rencontre, ont fait longtemps de la France le centre des événements qui ont agité l’Europe et le monde. »

Juge intègre au milieu des débats les plus passionnés, l’historien n’a étudié les questions que dans leur ensemble et sous le rapport de la politique ; il s’efforce de n’être ni catholique ni protestant. Ce qu’il raconte, c’est l’histoire de la rivalité de la France et de la maison d’Autriche, de cette guerre acharnée, commencée par François Ier, terminée seulement par Louis XIV, de cette lutte pleine d’efforts, couronnée par de grands résultats : le triomphe de la France, la destruction de la puissance formidable élevée par Charles-Quint, et l’avènement au trône d’Espagne d’un prince de la maison de Bourbon. Pendant cette longue période de deux