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saisir pour un trop long temps de ses droits, dans le cas de bail à ferme.

Lorsqu’il existe un ou plusieurs préposés pour le pesage, le mesurage et le jaugeage publics, dans l’enceinte des marchés, aucune autre personne ne peut y exercer la profession de peseur, de mesureur et de jaugeur. Mais ce n’est qu’en cas de contestation qu’une personne peut être contrainte de se servir des pesage, mesurage et jaugeage publics, et, sauf cette hypothèse, ce recours est purement facultatif pour les commerçants.

Aux termes des articles, 6 et 7 de l’arrêté du 7 brumaire an XI, l’enceinte des marchés, halles et ports est déterminée et désignée d’une manière apparente par l’administration municipale. Les citoyens à qui les bureaux de pesage sont confiés sont obligés de tenir les marchés, halles et ports garnis des instruments nécessaires à l’exercice de leur état, d’avoir un nombre d’employés suffisant, faute de quoi il y est pourvu à leurs frais par la police, et ils sont destitués. Ils ne peuvent se servir que des poids et mesures dûment étalonnés, certifiés et portant l’inscription de leur valeur. Les peseurs et mesureurs publics délivrent aux personnes qui en font la demande un bulletin constatant le résultat de leurs opérations.

Les préfets statuent sur les tarifs des droits de location de places pour les foires et les marchés. Suivant un arrêt de la cour de cassation du 14 août 1856, le refus de payement des droits de placage ne constitue point une contravention passible des peines de police. « En effet, l’article 471 no  15 du code pénal n’attribue le droit de répression aux tribunaux de simple police, pour les infractions aux règlements de l’autorité municipale, qu’autant que ces règlements ont été légalement faits et portent sur l’un des objets de police remis par la loi, et spécialement par celles des 16-24 août 1790 et 18 juillet 1837, à la vigilance et à l’autorité du pouvoir municipal. Tel n’est pas le caractère des règlements sur les tarifs des droits de place dans les foires et marchés. On ne peut pas non plus assimiler ces droits aux droits d’octroi pour leur appliquer les dispositions pénales relatives à ces droits. La perception des droits de place ne doit donc être poursuivie que par la voie civile ordinaire. » (V. Braff, Principes d’administration communale.)

Dans les foires et marchés, le fermier des droits de place qui perçoit des droits supérieurs à ceux du tarif adopté est coupable de concussion, et condamné à la réclusion et à l’amende, conformément à l’article 171 du code pénal (arrêt de la cour de cassation du 14 avril 1810, rendu contre le sieur Massip). V. HALLE.

Foire (théâtres de la). Ce genre de spectacle, qui a tiré son nom des foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent à Paris, paraît remonter à l’année 1595. Vers cette époque, bon nombre de comédiens ambulants s’établirent dans la première de ces foires et s’y maintinrent malgré les confrères de la Passion et les acteurs de l’hôtel de Bourgogne, auxquels ils furent seulement tenus, par sentence du 5 février 1596, de payer une redevance annuelle de deux écus. Avant de produire des acteurs en chair et en os, on avait débuté par des acteurs en bois. En 1650, le fameux Brioché, premier du nom, s’y montra avec ses machines : ses marionnettes firent merveille. Il eut des imitateurs nombreux. Puis vinrent les ménageries, les singes et les chiens savants, les joueurs de gobelets, enfin les sauteurs et les danseurs de corde. Ceux-ci, vers 1678, commencèrent à représenter des pièces de théâtre, quelques farces au gros sel, des fragments de canevas italiens. Dès 1671, La Grille avait même ouvert sur la foire Saint-Germain l’Opéra des bamboches, où l’action s’exécutait par une grande marionnette qui faisait les gestes convenables aux récits, que chantait un musicien dont la voix sortait par une ouverture pratiquée au parquet. On a vu, dans cet essai, la première origine de notre opéra-comique.

En 1661, le sieur Raisin, organiste de Troyes, était venu montrer à la foire Saint-Laurent une épinette à trois claviers, dont l’un paraissait répéter tout seul les airs que l’on jouait sur les deux autres. Le roi, charmé et effrayé en même temps, voulut connaître le secret de ce prodige, qui s’accomplissait par le moyen du fils cadet de Raisin, blotti dans l’intérieur de l’épinette. Non content de combler de présents l’imprésario, Louis XIV lui accorda la permission de jouer la comédie, avec une troupe qui serait désignée sous le nom de troupe du Dauphin. Au jeu de l’épinette, Raisin joignait une sarabande exécutée par ses trois enfants, et la représentation à tour de rôle de deux petites pièces : Tricassin Rivai et l’Andouille de Troyes. Ce théâtre, après quelques années d’une vogue extraordinaire, fut terme, lorsque Molière obtint un ordre du roi pour enlever le jeune Baron à la veuve Raisin, qui, du reste, ne s’était pas maintenue à la foire. Dans la suite se formèrent plusieurs troupes foraines : celles d’Allard, de Maurice et de Bertrand, en 1697 ; de Selle, en 1701 ; de Dominique et d’Octave, en 1710, etc.

Du jour où ces troupes, concurremment avec leurs tours de force et d’agilité, qu’elles n’abandonnèrent jamais et qui faisaient le fonds de leurs représentations, s’étaient mises à jouer des scènes dialoguées, des comédies de chansons, le théâtre de la foire avait été constitué, l’opéra-comique était apparu, à l’état embryonnaire bien entendu, mais déjà goûté et applaudi. Avec les farces de l’ancienne comédie italienne, introduites et greffées sur le fonds national, se montrèrent, aux sons des violons et des hautbois, les types d’Arlequin, de Scaramouche, du docteur, de Gilles, du matamore, de Polichinelle et autres non moins aimés du public. Ces types, exploités sans relâche et toujours avec succès, se prêtaient merveilleusement, d’ailleurs, aux bouffonneries désopilantes, aux parades salées et aux folles parodies semées d’airs populaires, dont nos théâtres de vaudevilles continuent encore la tradition aujourd’hui. Mais la vogue de ce genre de spectacle, où la cocasserie, lancée à fond de train sur les roulettes de l’improvisation moqueuse et hardie, le disputait souvent à la crudité des tableaux et des expressions, souleva les réclamations de la Comédie-Française et de l’Opéra. Il s’ensuivit pour les acteurs forains toutes sortes de vexations, d’interdictions, de saisies, de censures, de démolitions par ordre et d’expulsions ; obligés de compter avec les monopoles existants, placés sans cesse entre le privilège de l’Opéra, qui leur défendait les chansons, et le privilège de la Comédie-Française, qui leur interdisait la comédie, les forains eurent de douloureuses luttes à subir contre leurs rivaux. La Comédie-Italienne vint compléter une trinité redoutable qui, pendant près de trente années, harcela les spectacles de la foire de ses persécutions. Il leur fut défendu de jouer des pièces en dialogue ; on alla même jusqu’à supprimer les monologues. Ces défenses mirent en travail l’imagination de leurs victimes : ce furent des enfants qui jouèrent, puis des marionnettes ; on essaya les pantomimes, mais les acteurs chantant les airs populaires, l’Opéra intervint encore. Que faire ? On place des écriteaux au bout d’une perche : ce sont les couplets que les musiciens jouent, et le public les chante lui-même. Grand scandale ! Les grands comédiens font vite exiler les instruments à vent, réduire à quatre violons le petit orchestre, et, afin d’éloigner des spectacles de la foire la bonne société, une ordonnance de police fixe à 21 sols par personne le prix unique des places, jusqu’au jour où, par un acte de vandalisme inouï, le ministère d’Argenson fit envahir le théâtre de la foire. Tout fut brisé, lacéré, saccagé, et, après ce glorieux assaut, des archers tinrent garnison dans cette enceinte, où l’on osait, en dehors des règles et sans privilège du roi, avoir folle gaieté et belle humeur. Et cependant, à force d’esprit, d’adresse et d’audace, à force d’expédients ingénieux, le théâtre de la foire en vint à se faire accorder son droit de cité dans le monde si divers de l’art dramatique. Aussitôt on vit éclore sur ses tréteaux une foule de divertissements, arlequinades, pantomimes, prologues, etc., auxquels travaillèrent Le Sage, Fuselier, Favart, Dominique, Dorneval, Boissy, Largillière, Lafont, Aûtreau, Piron, Vadé, Sedaine, Lemonnier, Panard, et les musiciens Gilliers, Dauvergne, Duni, Philidor et Monsigny, ces pères véritables de notre genre national, l’opéra-comique, né sur ces théâtres populaires où éclatait et s’esbattoit le rire de nos aïeux.

Comme on le voit, d’excellents auteurs travaillèrent pour le théâtre de là foire, et n’en rougissaient pas. Beaucoup même en vécurent. Pendant longtemps, Le Sage en fut l’âme. Il composa, seul ou avec la collaboration de ses amis Dominique et Fuselier, plus de cent de ces petites pièces, intermèdes, farces, etc., avec ou sans couplets. Le caprice populaire décidait de leur chute ou de leur succès ; mais les auteurs ne perdaient jamais une occasion de parodier ou de tourner en ridicule les Romains ; c’est ainsi qu’on appelait, en style de la foire, les acteurs du Théâtre-Français.

Comme le théâtre de la foire Saint-Laurent et celui de la foire Saint-Germain étaient rivaux, ils ne se faisaient pas faute de se donner, de temps à autre, quelques coups de griffe réciproque. Dans Arlequin Deucalion, pièce de Piron, Le Sage et Fuselier sont tournés en ridicule par des plaisanteries, du reste, qui nous paraîtraient aujourd’hui bien innocentes. Arlequin, qui joue seul, se demande : « Pourquoi le fou ne dirait-il pas de temps en temps de bonnes choses, puisque le sage, de temps en temps, en dit de si mauvaises ? » Dans la même pièce, Arlequin jette une paire de pistolets dans la mer en souhaitant qu’on n’entende plus parler de pistolets, de fusil, ni de Fuselier (fusilier). On voit qu’on se permettait déjà, dans ce temps - là, le calembour par à peu près, comme on dit aujourd’hui. De pareilles plaisanteries ne tuent certes personne, et ne durent pas beaucoup troubler la bonne humeur des deux amis, ni faire grand tort à leur réputation.

En 1718, Catherine Vanderberg, qui avait le privilège du théâtre de la foire Saint-Laurent, avait obtenu de l’Opéra la permission exclusive de donner, durant les foires, des pièces mêlées de chant, danses et symphonies, pendant un espace de quinze ans, moyennant 35,000 livres par an ; ce qui, au mépris de cette clause, n’empêcha pas l’Académie royale de musique de traiter, en 1721, avec Lalauze et Francisque, dans des conditions analogues. Avant ces traités, en 1715, nous trouvons déjà, et pour la première fois, le titre d’opéra-comique donné à une parodie de Télémaque, due à Le Sage pour les paroles et à Gilliers pour la musique nouvelle ; ce titre signifiait alors œuvre plaisante avec chansons et vaudevilles. Une impulsion nouvelle fut donnée, en 1721, à ces spectacles suburbains. Lesage, Fuselier, Dorneval écrivirent, pour de nouvelles directions, des pièces gaies, spirituelles et mieux conduites. Gilliers intercala des airs nouveaux dans un prologue intitulé les Dieux de la foire. Le public se porta à ce genre de divertissement. Une vogue immense était désormais acquise au théâtre de l’Opéra-Comique de la foire, dont le privilège, accordé d’abord au sieur Honoré, puis à Pontau (1728), puis à De Vienne, connu sous le nom d’Amoise (1732), fut enfin concédé à Monnet, puis à Berger, puis de nouveau supprimé en 1715, jusqu’en 1752, époque où le privilège de l’opéra-comique, qui était décidément devenu le spectacle de la foire le plus distingué, fut définitif et accordé au même Monnet. Ce genre aimable, échappé pour ainsi dire du chariot de Thespis, eut dès lors, non-seulement de belles salles à son service et des décors où Servandoni mettait quelquefois la main, mais des ballets splendides, des pièces régulières, des auteurs et des acteurs distingués. C’est donc, répétons-le, le théâtre de la foire qui a donné naissance à la fois à l’Opéra - Comique et aux théâtres des boulevards. Mais nous ne pourrions le suivre dans cette nouvelle phase sans anticiper sur les articles Opéra-Comique (théâtre de l’), Comédie-Italienne, etc., auxquels nous renvoyons le lecteur. Disons seulement que l’Opéra-Cornique, dirigé alors par Maët et Coroy, se réunit à la Comédie-Italienne en 1762. Audinot, Nicolet et autres directeurs de troupes donnèrent ensuite des représentations aux foires Saint-Laurent et Saint-Germain ; les Variétés amusantes de Lécluse, les Italiens et les comédiens de Monsieur y figurèrent un instant. En 1791, deux spectacles nouveaux s’établirent à la foire Saint-Germain, dont l’ancienne vogue tombait de jour en jour, les Variétés-Comiques et Lyriques et le Théâtre de la Liberté ; la suppression des foires mit fin à ces entreprises. L’importance croissante des boulevards eut d’ailleurs pour conséquence de diminuer d’autant celle des théâtres forains. On avait vu même la foire Saint-Laurent, et son illustre rivale la foire Saint-Germain, privées, à diverses reprises, de toute espèce de représentations. Audinot, dès 1770, était allé continuer, dans son nouveau théâtre de l’Ambigu-Comique, ses représentations de petits comédiens de bois, qu’il avait commencées avec succès aux mêmes lieux que les Monnet et les Brioché. Nicolet, en 1761, avait fait construire, de son côté, la salle de spectacle qui est devenue depuis le théâtre de la Gaité, et ses marionnettes, ses équilibristes, ses joueurs de tambour de basque et ses tourneuses, amenaient maintenant la foule aux boulevards, où c’était de plus fort en plus fort...

Les frères Parfaict, Des Boulmiers, Monnet, etc., ont écrit l’histoire du théâtre de la foire, dont l’influence a été considérable sur notre littérature dramatique. C’est là que notre musique nationale s’est formée peu à peu ; c’est là aussi que nos meilleurs chanteurs du dernier siècle ont brillé, les La Ruette, les Clairval, les Trial, Mme Favart, Mme Dugazon, etc.

Foire aux vanités (la), roman anglais de W.Makepeace Thackeray. Ce roman, qui passe à bon droit pour le chef-d’œuvre de l’auteur, est le premier ouvrage de Thackeray. L’intention de l’auteur est clairement exposée dès le début : « À mesure, dit-il, que j’introduirai de nouveaux personnages (ce sont des hommes et vos frères), je vous demanderai la permission de vous les présenter. S’ils sont bons et honnêtes, vous leur accorderez votre estime et une poignée de main ; s’ils sont niais et bêtes, le lecteur pourra en rire plus à son aise et tout bas dans sa barbe ; s’ils sont dépravés et sans cœur, oh ! alors nous les attaquerons avec toute l’énergie que permet la politesse... On en voit beaucoup de cette espèce vivre et réussir dans le monde, gens auxquels il manque la foi, l’espérance et la charité... Il y en a d’autres encore qui ont pour eux le succès ; mais chez eux tout est sottise et platitude, C’est pour les combattre et les marquer qu’on nous a donné le ridicule. Ainsi, le moraliste nous montrera sur les tréteaux de la Foire aux vanités les laideurs et les difformités de l’espèce humaine, et, soit pudeur d’âme honnête, soit calcul d’artiste, il n’aura pas le courage de flageller ces êtres ridicules ou dépravés : il ressuscitera et il transformera le vrai roman comique ; il dira la vérité, mais non toute la vérité ; sa main, pleine de révélations, sèmera dans ses récits des réticences et des sous entendus. Toutefois, si ses instincts d’écrivain original repoussent les couleurs emphatiques, il ne trempera pas son pinceau dans ce vernis fade et douceâtre qu’emploient les peintres de salon et de boudoir. » — « Notre lecteur se rappellera, ajoute-t-il, que cette histoire annonce sur son titre, en gros caractères, la Foire aux vanités, et la Foire aux vanités est une place où l’on rencontre toutes les vanités, toutes les dépravations, toutes les folies, où l’on se coudoie avec toutes sortes de grimaces, de faussetés et de prétentions... Je vous avertis donc, mes bons amis, que je vais vous conter une histoire où vous rencontrerez les intrigues les plus atroces et les plus ténébreuses, et j’en ai aussi la confiance, tout ce qu’il y a de plus attachant en fait de crime. Mes coquins ne sont pas des coquins à l’eau de rose, je vous le promets. »

Sans chercher querelle à l’auteur sur le plus ou moins d’originalité de son idée, nous nous contenterons d’examiner le parti qu’il en a su tirer et d’étudier les principaux caractères qu’il met en jeu. Le principal, sans contredit, est celui de Rebecca Sharp, la séduisante Becky, l’égoïsme féminin incarné. La destinée humaine, aux yeux de cette petite personne dénuée de sens moral, paraît être de réussir dans le monde. Elle débute comme institutrice chez les Cracoley, il faut donc qu’elle tende ses filets dans cette famille. Au bout de quelques mois, elle a mis à ses pieds le père et le fils. Elle choisit le fils, cela est naturel, et devient la femme de M. Rawdon Cracoley, capitaine dans les horse-guards. Becky a bientôt fait de son mari un esclave, mieux encore, un instrument, un animal bien dressé, un oiseau de proie dont elle se sert pour prendre le gibier humain. En sa qualité de femme habile, Becky n’est dupe ni de ses devoirs de femme ni de ses devoirs de mère. Il lui faut des amants pour parvenir, et elle en a. Avec le capitaine Osborne, elle est savante, poète, fantasque ; avec lord Steyne, ce sont d’autres talents qu’elle déploie pour amuser un vieillard blasé qui ne peut se passer d’elle, quoiqu’il la méprise, et qui l’entretient de bijoux et d’argent. Ce personnage aristocratique, odieux et poli, élégant et méprisable, a beaucoup contribué à donner à Thackeray la réputation d’un fougueux radical. Malheureusement pour Rebecca, son mari s’avise d’avoir de l’honneur. Il ne veut pas qu’on le trompe, et surtout qu’on le fasse arrêter pour dettes, afin de laisser le champ libre à sa seigneurie lord Steyne.. Tandis qu’on le croit bien et dûment enfermé par les soins de l’usurier Moss, il rentre chez lui et trouve sa femme en tête à tête avec lord Steyne. Il n’y a pas d’habileté qui puisse réparer un tel scandale, et le jour du châtiment est venu pour l’ingénieuse Becky. Plus de ruses, plus de mensonges; ils sont désormais inutiles. Chassée par son mari, elle continue la vie errante qui convient à une femme sans cœur, pour tâcher de rétablir sa réputation perdue. On la voit passer tour à tour des sociétés honnêtes aux compagnies équivoques : dévote à Boulogne-sur-Mer et à Chaillot, folle aventurière à Paris et à Bade, jusqu’à ce que sa lutte avec la fortune la fatigue et qu’elle finisse par se contenter d’un succès modeste dans un petit pays où elle est inconnue et où elle se consacre aux écoles d’adultes et à des œuvres de charité. La Foire aux vanités parut à Londres en 1817, selon l’usage, anglais, par séries mensuelles ; elle obtint tout de suite un immense succès qui depuis n’a été qu’en grandissant, et, du premier coup, acquit à son auteur la fortune et la réputation. Ce beau-roman a été traduit en français par M. Georges Guiffrey et n’est guère moins populaire aujourd’hui en France qu’en Angleterre.

Foire de la Vierge Marie (la), pièce portugaise de Gil Vicente. On sait que cet auteur dramatique fécond, qui ouvrit la voie à Calderon et à Lope de Vega, vécut dans la première moitié du xvie siècle, et que ses œuvres eurent un immense succès ; Erasme lui-même apprit le portugais pour lire les farces de Gil Vicente. La Foire de la Vierge Marie est ce qu’on appelait un auto, pièce religieuse destinée à être jouée à une des grandes fêtes de l’Église. Cela rappelle assez nos mystères du moyen âge ; mais il y a en même temps certains traits satiriques qui se ressentent un peu du voisinage de nos sotties et moralités. Chose singulière ! quoique la péninsule ibérique soit restée la plus catholique des nations au xvie siècle, et la moins touchée de l’esprit de révolte et de l’esprit de réforme, le souffle hardi du temps semble avoir pénétré en Portugal, et on en trouve plusieurs traces dans la Foire de la Vierge Marie. Au début paraît Mercure, le dieu de la planète qui porte son nom ; il explique longuement le système planétaire tel qu’on le connaissait alors. Après lui vient sur la scène un séraphin, envoyé par Dieu pour annoncer aux hommes une grande foire en l’honneur de la sainte Vierge : « À la foire, s’écrie-t-il, à la foire ! Églises, monastères, pasteurs des âmes, papes endormis, achetez ici des habits ! Changez vos vêtements, reprenez les tuniques de peau de vos prédécesseurs, au lieu de celles que vous chargez de dorures ! Prêtres de Celui qui a été crucifié, souvenez-vous des saints pasteurs des temps passés. Princes élevés, gouverneurs du monde, gardez-vous de la colère du Seigneur des cieux ! Achetez une grande somme de la crainte de Dieu à la foire de la Vierge, maîtresse du monde, exemple de paix, bergère du monde, lumière des étoiles. Femmes et filles, accourez à la foire de la Vierge ; car sachez que dans ce marché les choses les plus belles sont en vente. » Cette courte citation peut donner une idée et de la naïveté du genre, et des quelques hardiesses que, même dans ce pays catholique, on osait se permettre à l’endroit du clergé. Bientôt on voit Rome qui vient à la foire vendre le