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s’est prononcée, et auquel il n’est pas permis de ne pas croire : L’Immaculée Conception de la Vierge est un article de foi. J’ai entendu un dévot, parlant contre des gens qui discutent des articles de foi, dire : Messieurs, un vrai chrétien n’examine point ce qu’on lui ordonne de croire : tenez, il en est de cela comme d’une pilule amère : si vous la mâchez, jamais vous ne pourrez l’avaler. || Dans le langage commun, Chose digne de toute croyance : Vos paroles sont pour moi des articles de foi.

Acte de foi, Adhésion expresse, intérieure ou extérieure, à des dogmes ou aux dogmes religieux : Faire un acte de foi Tous les peuples ont désigné sous le nom d’acte de foi l’opération d’un homme qui ferme les yeux pour mieux voir. (E. About.) || Dans le langage commun, Adhésion non raisonnée, croyance aveugle : Écoutez-moi avant de me croire ; je ne vous demande pas un acte de foi. Toute science commence par un acte de foi. (J. Simon.)

N’avoir ni foi ni loi, N’avoir ni esprit religieux ni conscience :

Qui n’estime Cotin n’estime point son roi,
Et n’a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.
Boileau.

Voir quelque chose des yeux de la foi. Le croire sur des on dit et sans pouvoir le constater personnellement : Vous voyez bien ce ballon là-haut ?Oui, des yeux de la foi.

— Hist. Chevaliers de la foi et de la paix, ordre militaire du xiiie siècle, institué par Guillaume Ier, prince de Béarn. || Chevaliers de la foi de Jésus-Christ et de la croix de saint Pierre, Association de gentilshommes milanais contre les Albigeois. || Armée de la foi, Bandes espagnoles qui se formèrent, en 1820, pour renverser la constitution de 1812. || Ordre de la foi de Jésus-Christ, Ordre religieux et militaire, institué à Avignon en 1320, par le pape Jean XXII, et qui était destiné à fournir des défenseurs à l’Église ; on l’appelait aussi Ordre de Jésus-Christ. || Ordre de la Foi et de la Paix Association fondée par des seigneurs des provinces de Gascogne et de Béarn, en 1229, et dont les membres se vouaient à combattre les malfaiteurs qui dévastaient le midi de la France. Cette institution s’éteignit peu après sa création.

— Hist. relig. Propagation de la foi, Œuvre religieuse, qui a pour but la prédication de la foi chrétienne dans les pays infidèles.

— Jurispr. Foi pleine et entière, Preuve complète par acte authentique. || Foi provisoire, Créance donnée par provision à un acte argué de faux, || Foi publique, Créance accordée à certains fonctionnaires, à cause de leurs fonctions.

— Pratiq. En foi de quoi, Formule qui précède les signatures apposées au bas d’un acte : En foi de quoi nous avons dressé le présent procès-verbal.

— Féod. Foi et hommage, Devoirs du vassal envers son seigneur. || Homme de foi, Vassal.

— Blas. Meuble d’armoiries qui se compose de deux mains jointes ensemble, en signe d’alliance et d’amitié, et ordinairement posé en fasce : Pontas du Méril, en Normandie : D’or, à la foi de carnation, tenant un lis au naturel, posé entre deux épées de gueules, passées en sautoir ; au chef d’azur, chargé d’un lion d’or.

Le Royer : Ecartelé, aux 1 et 4 d’azur, à la foi couronnée d’une couronne à l’antique, aux 2 et 3 d’azur, au chevron d’or, accompagné en chef de deux roses d’argent, et en pointe d’une aiglette au vol abaissé du même, — Vie de Morand, en Blaisois : De gueules, à la foi d’argent, accompagnée en chef d’un écusson d’azur, chargé d’une fleur de lis d’or. || Foi parée, Foi dont les poignets sont couverts d’une étoffe d’un émail particulier : De Crespy-le-Prince : De gueules, à une foi de carnation, parée d’argent ; au chef cousu d’azur, chargé d’une épée d’or en pal. —Beauxhosles d’Aget, en Languedoc : D’azur, à la foi d’argent, parée d’or, surmontée d’une couronne de comte du même.

— Fauconn. Laisser un oiseau sur la foi, Ne plus lui donner de filière pour le réclamer.

— Optiq. et géod. Ligne de foi, Ligne du rayon visuel dans un instrument : La ligne de foi d’une lunette, d’une équerre d’arpenteur, d’un graphomètre à pinules.

Syn. Foi, créance, croyance, etc. V. CRÉANCE.

Antonymes. Doute, incrédulité, incroyance, scepticisme. — Déloyauté, fausseté, forfaiture, infidélité, mauvaise foi et manque de foi, parjure, perfidie, prévarication, trahison.

Encycl. Théol. Aux articles certitude et doute, nous avons établi que la certitude complète, objective et subjective tout à la fois, même lorsqu’elle s’appuyait sur une prétendue évidence, pouvait être considérée comme la somme d’une série convergente dont les termes décroissants tendent vers zéro ; que, dans un langage rigoureux, la certitude n’est, en d’autres termes, qu’une somme de probabilités tellement grande qu’elle permet de négliger et de tenir pour nulles les différences infiniment petites. Ce que l’on est convenu d’appeler évidence n’échappe pas à cette loi générale, puisque l’évidence même a ses degrés et que ce qui est évident pour l’un, ou dans un temps donné, ne l’est pas pour l’autre, et dans un autre temps. L’absolu nous échappant en toutes choses, contentons nous du relatif, surtout lorsque, dans la pratique, il produit les mêmes effets. Eh bien, ce vide à combler, quel qu’il soit, cette différentielle qui peut être du neuvième ordre, c’est précisément le domaine de la foi. Il n’est vérité si palpable et si bien démontrée qu’elle soit qui, pour obtenir l’adhésion pleine et entière de la conscience, n’ait besoin d’un supplément de foi. Il n’est ici question, bien entendu, que de la foi philosophique. Quant à la foi religieuse, elle part d’un tout autre principe que nous examinerons plus loin.

Dans cette adhésion de la conscience qui forme la conviction, la part du raisonnement doit être, et de beaucoup, la plus forte ; la part de la foi, que nous devons tenir pour tout aussi légitime, puisqu’elle est indispensable, n’est que complémentaire. Quelle est, en toutes choses, la part respective de ces deux éléments de conviction ? Voilà la vraie question. Ce qui donne aux vérités scientifiques, découvertes par l’observation et vérifiées par l’expérience, la prééminence sur toutes les autres, c’est précisément l’immense prédominance de l’élément rationnel et posisitif sur l’élément imaginaire ou conjectural. Plus cette prédominance se fait sentir, plus la conscience adhère spontanément, plus enfin l’esprit est satisfait. Il serait certainement à désirer que toutes les vérités {et nous avons en vue surtout les vérités nécessaires) fussent si aisément démontrées.qu’elles parvinssent à se passer du secours de leur dangereux auxiliaire ; mais il n’en est pas ainsi. Ce que nous constatons par l’observation directe, ou ce que nous apprenons par une démonstration rigoureuse se réduit, en somme, à fort peu de chose. Les trois quarts, pour ne pas dire les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de nos connaissances nous proviennent de l’induction : méthode nécessaire, sans doute, mais périlleuse, parce qu’elle laisse un champ trop vaste aux conjectures, et que le vide ne peut être comblé que par la foi. D’où nous concluons que nous ne saurions trop perfectionner nos méthodes de raisonnement, et nous tenir en garde contre les illusions inévitables qui peuvent naître de l’induction. Quelques exemples vont mettre dans tout son jour cette vérité

Nous voyons une pomme tomber d’un arbre et se diriger vers le centre de la terre. Nous en voyons tomber une seconde, puis une troisième. Nous sommes induits à croire que si toutes les pommes se détachaient de l’arbre, elles prendraient toutes la même direction. Nous jetons une pierre en l’air et nous nous apercevons qu’après avoir épuisé la force d’impulsion, elle obéit à la même loi que les pommes. Dès lors, nous sommes amenés à constater entre les objets de natures diverses une propriété commune que nous appelons pesanteur ou gravitation. Plus n’est besoin alors de répéter la même expérience sur tous les corps pesants, et, par une généralisation légitime, nous concluons qu’un boulet de canon tombera comme la pomme et la pierre. Cependant, l’esprit méfiant du philosophe se tient en garde contre son propre entraînement, il ignore encore s’il est en face de quelque loi particulière à ce globe terrestre. Sa loi problématique, il l’analyse, il la soumet à un calcul rigoureux, puis, après l’avoir appliquée à tous les astres qui composent le système solaire, il remarque avec satisfaction que tous y obéissent sans souffrir une seule exception. Il en induit, avec le même degré de certitude, que le groupe entier de mondes soumis à son observation et à ses calculs est régi par une seule et même loi de gravitation. Ce n’est pas tout : au delà, et bien au delà de notre système solaire, apparaissent des millions d’astres qui, par l’énormité de la distance, se dérobent au compas du géomètre. Ce qu’il sait de leurs distances respectives, de leur volume, de leur densité, de leurs orbites, se réduit presque à zéro. Mais il a remarqué que sa loi, qui n’a jamais été prise en défaut, peut seule rendre raison de l’harmonie générale des mondes, et il n’hésite plus à proclamer la gravitation universelle. Ces inductions successives sont-elles légitimes ? Assurément, pourvu qu’on ne leur accorde pas plus de créance qu’elles n’en méritent. N’oublions jamais que plus on s’éloigne du point de départ, plus le degré de certitude s’affaiblit, ce qui accroît d’autant le degré de la foi complémentaire. Certes, jusqu’à preuve contraire, la gravitation passera pour une vérité scientifique des mieux établies. Mais rappelons-nous que le monde a vécu pendant de longs siècles sur des opinions qui n’étaient pas plus contestées et qui pourtant se sont évanouies à la lueur des faits et de l’observation, et, sans refuser notre adhésion dans une juste mesure, sachons réserver à l’avenir le bénéfice d’observations plus nombreuses, plus précises, qui peuvent tout aussi bien renverser que confirmer le système admis pour en inaugurer un nouveau.

Comme on peut le voir par l’exemple que nous avons choisi, la foi philosophique, nécessaire à une conviction entière, est en raison directe de l’éloignement du point de départ, des distances de lieux et de temps, de l’insuffisance des preuves et de l’obscurité de leurs éléments souvent contradictoires. Sans doute, pour les faits de l’ordre naturel et sensible, on peut conclure d’un temps à un autre comme d’un lieu à un autre. Sans aller en Amérique, j’affirme que les pierres y tombent comme en Europe ; puis, parce qu’elles sont tombées hier et aujourd’hui, je ne doute point qu’elles ne se soient toujours comportées ainsi et qu’elles n’échapperont pas davantage dans l’avenir à la loi de gravitation. Habitué à voir lever le soleil à l’orient, j’espère bien le voir apparaître demain du même côté de l’horizon, et je ne l’attends pas de l’occident ; mais, dans le domaine des faits moraux, qui ne se reproduisent pas avec la même régularité, ma certitude est moindre, et la foi me devient beaucoup plus nécessaire. Où puiser, par exemple, la certitude historique ? Eh ! même quand il s’agit de faits contemporains, qui comptent par milliers les témoins oculaires, c’est à peine si, dans le brouillard soulevé par la légèreté ou par la passion des témoignages, nous pouvons discerner le vrai du faux, le réel de l’imaginaire. Et pourtant il est dans la vie mille circonstances graves où il faut absolument se former une conviction. En face d’enquêtes et de contre-enquêtes contradictoires, où des faits déjà obscurs par eux-mêmes sont encore dénaturés ou exposés sous un faux jour par un défenseur trop zélé, au point qu’ils tiennent l’opinion publique en suspens, que peuvent faire le juré ou le juge consciencieux, sinon en appeler aux preuves morales qui, seules, peuvent apporter dans le plateau de la balance le poids décisif ? Le plus souvent, dans les procès criminels, ce n’est pas la certitude qui prononce le verdict, c’est la foi. Aussi le verdict acquiert-il d’autant plus d’autorité morale sur la conscience publique qu’il est rendu à une plus grande majorité de suffrages. Ici, comme en toutes choses, la foi représente le lot de la faiblesse humaine, puisqu’elle est en raison inverse de la preuve positive. Le jury serait composé de centaines ou de milliers de citoyens au lieu de douze, que, tout en s’accroissant selon la loi des grands nombres, le degré de la conviction générale ne s’élèverait jamais jusqu’à la certitude absolue. N’avons-nous pas vu, dans des procès récents, qui ont ému la France entière, l’opinion des masses se partager au point que des millions de suffrages, balancés par d’autres millions non moins respectables, tout en s’inclinant devant la chose jugée, laissaient la vérité dans les nuages ? C’est que la foi sera nécessaire à l’homme tant qu’il n’aura pas l’œil de Dieu.

Que si l’on sort des faits contemporains pour entrer dans le vaste champ de l’histoire, c’est alors que la foi étendra indéfiniment son empire. Il n’est, nous l’affirmons, esprit si sagace, si judicieux et si désintéressé, qui, même en n’interrogeant que des documents authentiques, puisse porter sur l’histoire un jugement assuré. Il ne s’est pas encore écoulé un siècle depuis les grands événements qui, en bouleversant le monde, lui ont ouvert des horizons nouveaux. Or, dans la multitude de discours parlementaires et d’œuvres historiques, à ne parler que des plus sérieuses, qui traitent de la Révolution française, les faits les mieux avérés empruntent à l’esprit de parti tant et de si étranges couleurs que le jugement définitif de la postérité se fera longtemps attendre. Qui nous guidera dans ce dédale ? La foi. Plus on remonte le courant des âges, plus les ténèbres s’épaississent. Nous exécrons Philippe II, qui, en Espagne, passe pour un grand roi. -Nous maudissons la Saint-Barthélémy, dont Rome fêterait encore l’anniversaire si elle l’osait. Clovis nous est donné pour un héros et Marc-Aurèle pour un scélérat par les écrivains catholiques. Que Bossuet, d’un côté, et Condorcet, de l’autre, entreprennent de tracer une esquisse d’histoire universelle, on se demandera, après avoir confronté les deux opinions, si l’un parle de la terre et l’autre de Saturne ou de Jupiter. Dans l’inextricable confusion que présente la chaîne des temps historiques, il faut renoncer à se faire une conviction ou suppléer par une forte dose de foi à l’impuissance du raisonnement et des preuves à l’appui. Que penser alors de ceux qui, dans la conduite des affaires humaines, prennent la foi pour seul guide et éteignent le flambeau de la raison pour y voir plus clair ? Nous verrons bientôt où ce guide aveugle les conduit.

En morale, il faut bien le dire, la foi n’est pas moins nécessaire que dans les sciences physiques et historiques ; car, au fond, qu’est-ce que cette morale sur laquelle on dispute tant sans s’entendre ? Un ensemble de règles déduites scientifiquement de la nature de l’homme, de ses facultés, de ses penchants et de sa destinée. Or cette science, variable et progressive, est soumise, comme toutes les autres, aux procédés incertains de l’observation et de l’induction. De jour en jour, ou plutôt de siècle en siècle, une connaissance de plus en plus approfondie de la constitution morale de l’homme rectifie l’idée du devoir et en étend les limites. Chez tous les peuples civilisés, le niveau de la conscience s’élève et les principes de la morale tendent à devenir fixes et universels ; mais ils sont bien loin de l’être encore. Ce serait la perfection absolue, à laquelle il n’est pas donné à l’homme d’atteindre. Mais comme, en pareille matière, le doute n’est pas permis, il est de toute nécessité que le sentiment du bien supplée à l’insuffisance des arguments scientifiques. Le bien se conçoit mieux qu’il ne se prouve. Nous ajoutons foi instinctivement à des vérités morales qui ne nous sont pas clairement démontrées. Le monde intellectuel, sans excepter la géométrie, disait J.-J. Rousseau, est plein de vérités incompréhensibles et pourtant incontestables que la raison aperçoit, mais qu’elle ne démontre pas. Ajoutons modestement que le monde moral ne nous est pas mieux connu.

En résumé, rien n’est plus vrai que cet adage bien compris : « Il n’y a que la foi qui sauve. » Tous les actes de la vie sont des actes de foi. Dans le choix de nos aliments, nous n’avons d’autre guide que l’analogie, de tous les guides le moins sûr et le plus sujet à l’erreur. Nous nous approprions les substances qui ont paru convenir à d’autres espèces animales dont les conditions matérielles d’existence se rapprochent des nôtres. La foi fait le reste. Le malade a foi dans un médecin dont il serait incapable de contrôler le mérite. Nous vivons en sécurité dans des maisons, nous montons en wagon, nous traversons des ponts et des fleuves, nous nous lançons même dans des coques de bois sur l’abîme des mers, sur la foi d’architectes, d’ingénieurs et de pilotes, qui eux-mêmes ont plus de confiance dans l’expérience acquise que dans leurs théories scientifiques. C’est la foi philosophique, la foi raisonnable et raisonnée, si l’on peut s’exprimer ainsi, qui mène le monde. Que la science tende à réduire son empire, rien de mieux ; mais qu’elle l’envahisse tout entier, c’est à quoi les raisonneurs les plus audacieux ne prétendront jamais.

Comprise telle que nous venons de l’exposer, la foi philosophique, complément nécessaire d’une certitude incomplète, n’a rien qui choque le bon sens ; mais ce qu’on appelle communément la foi, c’est-à-dire la foi religieuse, est tout autre chose, car elle a la prétention de remplacer la certitude entière, et, plus audacieuse que la raison, de tout embrasser, même l’incompréhensible et l’absolu. Comment justifie-t-elle ces prétentions ? quels sont ses titres ? Nous allons le voir d’après ses apôtres les plus autorisés.

Personne n’a mieux défini la foi religieuse que saint Augustin : Credo quia absurdum (Je crois, parce que c’est absurde). Ce n’est, sans doute, qu’après de violentes luttes contre sa raison qu’un penseur aussi éminent que saint Augustin en est venu à formuler aussi énergiquement sa propre déchéance. Credo quia absurdum ! Est-ce là un de ces paradoxes arrachés par la douleur, comme celui de Brutus, dans les angoisses d’un suicide moral, plus poignantes que l’agonie du dernier des Romains ? Non : c’est le principe radical de toutes les religions.

Douze siècles après saint Augustin, un autre grand désespéré, Pascal, s’écriait aussi : « La foi parfaite est tout. La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui nous surpassent. » L’abîme avait attiré Pascal, et il y tomba.

Le métaphysicien Malebranche ne consent pas si facilement à faire abnégation de sa propre raison, mais il prétend que la foi n’est pas contraire à l’intelligence de la vérité et qu’elle y conduit. Si c’est vrai, il faut convenir qu’elle y conduit par un étrange chemin.

Nous laissons de côté les rhéteurs et les poètes. Des gens qui se battent les flancs pour croire, et qui n’y réussissent pas, vous soutiennent que, sans la foi religieuse, l’homme n’a ni science ni courage, ni résignation dans les souffrances, pas même l’espérance au jour des déceptions cruelles de la vie. Et, pour conclure, la foi religieuse peut seule sauver l’homme de lui-même en l’empêchant de tomber dans un matérialisme grossier. Il existe sur ce thème varié volumes et volumes à l’usage des femmes, des enfants et de tous ceux qui n’ont pas même le courage de se servir de leur faible raison. Voyons à quoi tout cela se réduit.

Que nous soyons jetés en pleines ténèbres au milieu d’un monde incompréhensible ; qu’autour de nous tout soit mystère et que nous soyons un mystère à nous-mêmes ; que la cause et la fin de toutes choses nous échappent ; que, pour nous guider enfin dans ce dédale obscur, nous n’ayons d’autre flambeau qu’une lueur incertaine, qui le nie ? Mais, parce que les lumières de la raison sont insuffisantes, faut-il commencer par les éteindre avant de se mettre en route ? Mieux vaudrait le soleil sans doute ; mais où est-il ? Et ceux qui prétendent le voir à minuit ne sont-ils pas des aveugles et des charlatans ?

Que la foi commence où la raison finit ; que, pour toutes les vérités nécessaires, la croyance supplée à la certitude rationnelle, nous en demeurerons toujours d’accord ; mais avant d’appeler la foi à son secours, la raison doit avoir épuisé tous ses moyens d’investigation, et c’est, au contraire, une triste méthode pour parvenir à la connaissance de la vérité que la déclarer d’avance incompréhensible. Il sied vraiment bien aux apôtres de la foi religieuse de tonner en chaire contre l’orgueilleuse raison humaine, eux qui nous donnent, non-seulement l’incompréhensible, mais l’absurde à dévorer ! Oui, sans doute, il y a beaucoup de choses au-dessus de la raison ; mais, avec Leibnitz lui-même, qui n’était pas un incrédule, nous ne les confondons pas avec celles qui sont contraires à la