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de. font savoir et de tout comprendre, et c’est pour cette raison qu’il vit si souvent d’erreurs et de chimères. Vouloir expliquer l’inexplicable, tel est le mal qui dévore les hommes de génie et qui produit ffamlet, Faust, Manfred et toutes ces créations hors de cadre qui vivent volontiers d’abstractions, lui, absorbées dans la pensée pure, perdent acilement de vue la réalité, et, à force do réflexions sur la vie, oublient de vivre. Il en est résulté, pour certaines œuvres, un charme de mystère et de profondeur infini, une puissance d’émotion et de rêverie que l’art antique ignore à peu près complètement. Inspirés aux sources vives de la réalité, tous les trésors que la science et l’érudition ont accumulés ont profité à ces œuvres, qui se sont assimilé en même temps les richesses de l’antiquité, de l’Orient, du Nord, et ont su rester originales tout en faisant revivre des formes disparues, des époques oubliées ; mais, il faut le dire, pour un Gœthe qui, par un privilège unique dans l’histoire des lettres, « a su unir harmonieusement et conserver intactes l’aptitude de la réflexion, de l’observation scientifique, et la fraîcheur, la puissance de l’inspiration poëtique » (cours de M. Grucker, Faculté des lettres de Poitiers), que de poëtes extravagants n’ont enfanté

Î|ue des créations bizarres et monstrueuses ! jes uns, se faisant les aveugles serviteurs de la philosophie, ont voulu donner la couleur et ia vie aux conceptions les plus vagues, aux plus subtiles abstractions de la métaphysique ; les autres se sont appliqués à étaler les plaies les plus hideuses de l’esprit, du cœur et de la matière : parlerons-nous de ceux qui sont allés jusqu à analyser curieusement les progrès de la décomposition cadavérique ?

On pourrait croire, après ce qui vient d’être dit, que tout écrivain fantastique est nécessairement doublé d’un dogmatiste. Ce serait là une erreur. Un Edgar Poa a la vue trop perçante pour consentir à se laisser enrégimenter parmi ces pauvres tardigrades

qui s’essouftlent, depuis que le monde est monde, à nier ce qui est et à expliquer ce qui n’est pas. Qu’on demande à l’un d’eux s’il croit ceci ou cela, et, s’il est consciencieux, il vous fera une réponse analogue à celle que fit Talleyrand quand on lui demanda pourquoi il croyaifa la Bible : «J’y crois, dit-il, d’abord parce que je Suis évêque d’Àutun, et, en second lieu, parce que je n’y entends absolument rien. » Shakspeare, qui n’était pas un docteur Pancrace, et qui, pour cette rai. son, eût bien volontiers confessé qu’il n’y entendait absolument rien, a mis un mot d’une admirable portée dans la bouche de son Hamlet : » 11 y a sur la terre et dans le ciel plus de choses que notre philosophie n’en voit dans ses rêves I » Entre les différentes branches de nos connaissances, il y a des abîmes où l’intelligence se perd. C’est pour avoir voulu se plonger dans ces agîmes qu’Hoffmann meurt é-nervé, qu’Edgar PotS tombe vaincu par le detirium tremens, que Gérard de Nerval, troublé par l’invasion de la folie et du désespoir, exhale son âme si tendre au-dessus d’un égout sinistre ; mais c’est bien moins pour avoir voulu sonder l’insondable que pour s’être attaqués corps à corps à la réalité, qu’ils ont péri si misérablement ; pour avoir voulu arracher à la nature le secret de toutes choses, pour avoir surmené le cerveau au détriment du corps, ils semblent des rêveurs et des fous. Que n’ont-ils puisé des arguments tout faits dans les livres et suivi docilement les saines doctrines qui vous engraissent un homme et le conduisent à la considération la plus distinguée 1 Rien n’est favorable à l’embonpoint comme le spiritualisme mis en in - octavo bien compactes, comme un doux éclectisme relié en veau, et les grands prêtres de l’immatériel vous ont des trognes et des bedaines qui font joliment rentrer sous terre les mines de papier màehé et les torses diaphanes de ces sombres réfractaires en quête a la fois de l’idéal et du vrai, qui ont voulu courir les deux extrêmes, • arpenter les deux pèles opposés de l’esprit humain : la littérature et les mathématiques. Marier le nuage avec l’instrument de précision par excellence, le compas, voilà, certes, qui doit Stupéfier tous les savants de l’école déguisés en hommes graves. S’apercevoir que toute beauté porte sa laideur, tout sourire sa grimace, toute Heur sa chenille, cela a-t-il le sens commun ? et le dire, n’est-ce pas ùa cynisme ? ... Or, nous permettra-t-on de soutenir ceci : les avaleurs de sornettes, les rêveurs, ne sont pas toujours du côté où l’on pense les trouver j-jsn est bien plus certain de les découvrir parmi ces étonnants philosophes contemporains, qui, par état, ont tous la science infuse, que parmi ces enfants troublés et moroses qui, enfourchant l’hippogriffe, buissonnent à travers les ronces et les épines du fantastique. Que sont au fond les laborieuses élucubrations des premiers, leur prétendue science de la vérité ? D’ennuyeuses rêvasseries, le plus souvent emmaillottées de mots barbares, longs d’une toise, qui puent le cuistre et dont ils nous promettent de voir l’accomplissement dans un monde ou dans l’autre. Va-t’en voir s’ils viennent 1 Et les seconds, d’où tirent-ils, en somme, leurs calculs de « visionnaires ?» De la réalité ; et voilà pourquoi ca sont des poètes, car rien n’est plus poétique que la réalité ; des poètes, ou, pour parler le langage des gens sérieux,

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des hommes d’imngination, ce qui est presque un brevet de folie douce- oui, ô docteurs avec ou sans bonnet... d’âne, voilà ce que vous ne savez pas, tant vous êtes profonds, pjofonds comme des puits, c’est que l’imagination dont vous vous moquez, l’imagination la plus ardente, la plus créatrice, n’égalera jamais la réalité. Appelez après cela, si vous le voulez, la réalité une folle ; mais cela est incontestable. Tel coquillage des mers n’est-il pas cent mille fois plus fantastique que tous les contes d’Hoffmann ? Tel scarabée aux chatoyantes couleurs n’est-il pas le plus beau poëme qu’on puisse voir ? Et c’est en cherchant dans la nature même, la grande inspirée, la grande géomètre, la grande fantastique ; c’est en 1 analysant avec une audace, tantôt patiente, tantôt vertigineuse, que des hommes doués de cette profonde sensibilité qui vous manque et de facultés suraigùes, ont été conduits à la dissection fébrile et diabolique des choses. Voir en eux des esprits vagabonds, des littérateurs en état d’ivresse, ou simplement des fautaisistes, ce serait ou les outrager ou les méconnaître. Eh quoi ! l’observateur dont la volonté ardente et patiente jette un défi aux difficultés, celui dont le regard est tendu avec la roideur d’une épée sur des objets qui grandissent à mesure qu’il les regarde (Edgar Poii), celui-là serait tout bonnement un lantaisiste affligé d’une fêlure au cerveau ? Majs l’ardeur même avec laquelle il se jette dans le grotesque pour l’amour du grotesque et dans l’horrible pour l’amour de 1 horrible sert à vérifier la sincérité de son œuvre ; il est clair qu’il voit ce qu’il décrit nerveusement et fantastiquement, et que ce frisson surnaturel et galvanique dont il est possédé n’est pas une chose feinte. Quel que soit le vertige qui vous gagne en suivant l’auteur dans ses entraînantes déductions, dans ses hypothèses audacieuses, dans les mystères de sa fabrication conjecturale, on sent bien qu’il y a là une somme d’énergie vitale, d’aspirations étranges, et des phénomènes qui n’ont rien de commun avec les simples jeux de l’esprit.

Si Von a lu attentivement ce qui vient d’être dit, on comprendra sans doute que le genre fantastique ne saurait plus désormais être confondu avec le merveilleux, le tragique, la fantaisie et une foule de genres plus ou moins parasites, qu’il convient de porter ailleurs. En parlant d’Edgar Poë, en parlant d’Hoffmann, peut-être s’en est-on aperçu, nous étions amené à définir tout naturellement cet élément littéraire si important, qu’on le voit amalgamé dans presque toutes les œuvres de renom, et nous en’posions ainsi, d’après les maîtres qui les ont définitivement fixées, les règles les plus caractéristiques. Nous voudrions ajouter cette remarque très-importante et qui, à première vue, pourrait

passer pour un paradoxe : c’est que, dans l’écrivain fantastique, il y a généralement un réaliste violent. Si l’on peut contester cette assertion à l’égard de plusieurs, Achim d’Arnim, Clément BreiiUi.no, Jean-Paul Richter, Adalbert de Chamisso, écrivains d’un fantastique tel que des Français auraient beaucoup de peine a le comprendre, il ne saurait en être de même en c« qui concerne, par exemple, le souffrant et bizarre Hoffmann. Et nous nous appuyons, pour tenir ce langage, de l’autorité de Théophile Gautier. Nous citons :

»’ll (Hoffmann) a une netteté de dessin, une force de couleur, une circulation de vie singulière. Les physionomies qu’il trace restent ineffaçablement empreintes dans l’esprit, comme si on les avait rencontrées hors du livre. En lisant ses Contes, il semble qu’on se souvienne d’une foule de choses oubliées, et dont la mémoire se réveille à mesure qu’on tourne les pages. Les personnages ont quelque chose de déjà vu qui vous trouble profondément : des voix connues murmurent à

votre oreille ; vous éprouvez comme l’impression d’un rêve persistant à travers la veille, et la le&ture évoque en vous une foule d’imafes qui se succèdent et s’évanouissent comme es ombres légères, mais qui semblent sortir de votre propre cœur. Quand Hoffmann commence un conte, tout va d’abord le plus naturellement du monde ; il affecte de peindre

avec un pinceau vrai, comme celui d’un maître flamand, des intérieurs très-réels, où tous les objets sont rendus en détail ; voilà le grand poêle de fonte, la table de chêne lui-sant ; le scarlalwine brille dans les verts rcRmers ; la bonne bière de Munich déborde de sa mousse les hauts vidrecomes ; les bourgeois accoudés boivent et furent. Rien n’est plus simple. Mais bientôt, le poêle ronfle avec un son étrange et guttural, le brouillard se condense, 1 ombre s’entasse dans les coins, où les chimères commencent à grimacer ; peu à peu, les honnêtes faces des philistins Se déforment, s’élargissent ou s’effilent par un travail assez semblable à celui de la caricature sur la physionomie humaine. Regardez ce monsieur : ses yeux s’entourent de membranes bleuâtres, son nez se recourbe, sa bouche s’enfonce, son col rougit. Lu conseiller aulique de tout à l’heure est un vautour qui trempe son bec dans un verre. Ce massif Berlinois se gonfle et s’exagère en hippopotame ; cet autre, mince et grêle, devient un renard, ayant un collet fourré de sa propre peau. La cave est transformée en ménagerie comme dans la Nuit de la SaintSylvestre. Certes, tout cela n’est pas naturel, et nous sommes loin du point de départ ; mais

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quel art infini, quelles savantes préparations et quelle vraisemblance dans l’incroyable ! Comme toutes les fibres de l’imagination sont tendues dès le début ! Malgré la tranquillité apparente du narrateur, comme on devine qu’il va arriver quelque chose ! comme, au premier soupir du vent dans le corridor, comme, au premier craquement de ia boiserie, on se sent inquiet, ému 1 Une corde de piano casse et vibre dans sa caisse fermée, une rose se détache de sa tige et s’effeuille, deux petites taches rouges montent aux joues d’une jeune fille, et alors vous voilà emporté dans le monde invisible, à la merci du poète... Le grand sucées, chez nous, de l’auteur du Violon de Crémone, du Majorât, de la Cour d’Arlris, de VEtjlise des Jésuites, vient précisément de cette puissance de peinture, de cette observation profonde et de cette habileté à donner des formes réelles aux plus étranges fantaisies... »

On voit, d’après cela, combien se trompent ceux qui croient que le génie du fantastique doit se dépenser uniquement à la recherche d’un vague idéal. Cette idée est venue, non sans raison, à l’esprit de nos juges littéraires. En effet, que s’est-il passé chez nous ? Après l’introduction d’Hoffmann en France, ce genre ayant eu un moment de gj-ande faveur, les imitations se multiplièrent. Or, il en résulta toutes sortes de débauches d’esprit faites à froid, d’inventions puériles, des détails extravagants, la bizarrerie sans nouveauté, la folie sans gaiéé, l’absurdité sans intérêt. Nous en prenons à témoin les insanités de Pétrus Borel, le tycunt/irope, et de bien d’autres, hélas ! qui ne le valaient même pas. De telle sorte que cette littérature fut mal jugée chez nous, parce qu’elle fut, en général, mal servie, mal comprise, et qu’elle tomba aux mains de médiocrités tapageuses ou cyniques. Nous avons dit en général, parce u’en effet nous avons quelques exceptions à iiire. Citons bien vite, dans une facture très-littéraire, de délicieux morceaux de Charles

Nodier, Inès de las Sierras entre autres, d’une réalité fantastique saisissante, d’une gradation de nuances admirable, où l’on est conduit, par un crescendo merveilleusement soutenu, de la curiosité incrédule à la terreur la plus intense, du haussement d’épaules du doute aux frissons de l’épouvante. À travers ce noir récit, sur cette sombre aventure, il a fait circuler et voltiger comme une flamme, ’ une flamme sur un tombeau, un amour de l’autre monde, une volupté morte, un délire glacial, toute une poésie sinistre et charmante qui effraye et qui ravit. « Nodier, dit M. Théophile GautierJ était passé maître en ces sortes de contes. Smarra, cet étrange poème où les cauchemars thessaliens sont traduits en style attique, montre quelle était sa puissance en ce genre. Nodier rêvait beaucoup, et il avait une mémoire nocturne singulièrement fidèle. Inès de las Sierras est un de ses rêves transcrits au réveil. » Balzac nous a laissé aussi quelques œuvres qui procèdent d’Hoffmann : El verdugo, le culte de la famille aboutissant au parricide ; Maître Cornélius, l’avarice se volant elle-même ; la Peau de chagrin, l’égoïstne rongeant le moi ; VElixir de longue vie, la paternité également déçue et abandonnée, qu’elle ait été débonnaire ou rigoureuse, que le fils ait hanté les courtisanes ou les moines ; Un épisode sous la l’erreur, qui montre l’idée passivement obéie parle fait indigné, la Convention servie par un bourreau royaliste. Il y aurait certes quelques réserves à faire sur le fantastique de plusieurs récits compris dans ce stock important ; niais passons. Gérard de Nerval, lui, plus convaincu, pouvait réussir en ce genre également ouvert à l’idéal et à la réalité. Aurélia ou le Rêve et la vie trahit malheureusement le désordre d’un esprit malade ; ce désordre, il est vrai, n’est apparent qu’à la fin de la seconde partie. C’est le poëme de la folie se racontant elle-même. Gérard de Nerval s’est tiré en ’grand artiste de la difficulté de fixer le vague et de donner de la clarté à des choses confuses et obscures. Ses pensées tournaient depuis longtemps autour de ce ré-. sultat (v. les Illuminés, le chapitre d’his dans les Filles du feu et le drame do Ylmtigier de Harlem), à Le thème fondamental n’est autre que ce problème qui a tenté plus d’un grand esprit parmi les littérateurs modernes étrangers, et auquel Gœthe, en dernier lieu, a appliqué, dans l’épopée de Faust, les forces de sa puissante intelligence : la combinaison du naturel et du surnaturel dans la vie humaine. Seulement, là où Gœthe, en vertu de la nature panoramique de son esprit, avait appelé à lui tout le prestige de la légende, et, ■pour ainsi dire, la mise en scène de l’histoire universelle, Gérard, plus modestement si l’on

veut, mais plus courageusement peut-être, s’était placé en pleine civilisation moderne, en plein monde contemporain. » (Ch. Asselineau.) Plus près de nous, MSI. Erckmann-Chatrian ont tenté de ressusciter en France la littérature d’outre-Rhin. Leurs Contes fantastiques portent ce genre au plus haut degré de terreur. Les Trois âmes sont spécialement effroyables. Après avoir lu le livre, M. Philarète Chasles s’écrie : « Quelles horreurs je viens de lire ! il m’en reste un certain tremblement nerveux, qui n’est pas sans agrément peut-être, mais que je lie voudrais pas me procurer tous les jours. » Jugeant à un point de vue très-différent du nôtre, mais assez juste dans certains casaque nous avons

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d’ailleurs suffisamment indiqués, le genre fantastique, M. Philarète Chasles ajoute : « Je me suis demandé comment l’esprit français,

. logique, sain, peu pittoresque, formé par l’ancienne société polie et sensée, avait pu se laisser duper par cette littérature névralgique, hystérique et hallucinée. J’ai reconnu là une de nos spéciales facultés, celle d’être mystifiés par quelque homme ingénieux et hardi, qui profite de notre ignorance et la pousse à la folie. »

Si les effets de terreur obtenus par le moyen d’ombres et d’apparitions suffisaient à constituer le fantastique tel qu’il faut définitivement le concevoir, la plupart des drames de Shakspeare auraient droit à ce nom. Shakspeare, l’écrivain le plus puissamment terrible qu’on puisse imaginer, était un habile metteur en scène, mais c’était plus encore un grand poëte qui savait que le corps> n’est rien sans l’esprit ; tous les pressentiments sur l’homme et sur la destinée le tourmentaient étrangement. Les personnages qui

peuplent ses constructions prodigieuses, ses immenses palais, ses salles mêlées d’ombres et de lumières mystérieuses, qui, d’un pied furtif, suivent le dédale de corridors sans fin, les circonvolutions des escaliers vertigineux, les forêts de colonnes, qui pénètrent dans les gouffres et s’élancent dans les cieux, ne sont-ils pas, qu’on nous passe l’expression, le fourmillement même du fantastique ? Et, si l’on veut prendre son œuvre dans ses détails, qu’on n’aille pas, infidèle aux règles du genre tel qu’il doit être compris selon nous, chercher le fantastique dans ses évocations de sorcières et d’esprits infernaux, mais, et voilà où les grands maîtres ont excellé, dans le caractère même de ses personnages. Vo3’ez Hamlet. L’Ombre y paraît et parle, comme on peut supposer qu’un esprit sans corps parlerait ; mais, après tout, ia merveille des merveilles, dans cette pièce,

. consiste, non dans ses éléments surnaturels, mais dans ses éléments naturels. Hamlet lui-même en est la création la plus fantastique, et pourtant elle est conforme à la. nature, à la nature la plus élevée dans l’ordre moral, intellectuel, physique même. Nous voyons toutes ces perfections, combinées de la façon la plus étonnante, mises à la plus rude épreuve, donner tous leurs résultats, si bien que nous reconnaissons que ce serait une hérésie philosophique des plus complètes que de mettre

en doute sur un seul point la vérité et Je naturel de ce caractère : et pourtant, ainsi que le faisait remarquer dans une lecture publi| que le révérend M. W. Mayow, le caractère est si difficile à pénétrer qu’il n’y a pas, à ce qu’il semble, deux personnes d’accord sur les sentiments d’Hamlet, ses motifs, ses pensées, ses actions, ni sur la véritable explication qu’on en peut donner. Maintenant qu’il est debout devant nous, nous reconnaissons qu’il peut y avoir, qu’il y a, qu’il y a eu un tel homme (c’est un homme véritable, qui n’a rien de monstrueux, pas même ses perfections) ; mais reconnaissons aussi que si Shakspeare ne lui avait pas, nouveau Prométhée, donné l’existence, cet homme n’aurait jamaisexisté. Et voilà justement pourquoi Hamlet nous paraît être comme le point culminant du genre fantastique, dont les sous-genres après cela peuvent varier à l’infini. Parmi ces sous-genres, il en est de grossiers, qui s’attaquent aux sens ; il en est de tout intimes qui parlent à l’âme. Telles sont certaines ballades : la Revue nocturne, de Zedlitz ; les Deux archers, de Victor Hugo ; la Ballade de la nonne, du même ; la célèbre ballade de Lénore, de Burger ; le Itoi des aulnes, àej Gœthe, appartiennent à un fantastique qui a son caractère particulier de beauté.

— Mus. On a donné le nom de musique fantastique a un genre de composition où l’on trouve un grand nombre d’idées et de cantilenes présentées sous des formes nouvelles, avec des combinaisons inusitées, et où il est fait un emploi particulier des instruments. Dans ces sortes d’ouvrages, le compositeur agit avec une entière liberté, et son esprit a toute carrière. Nous citerons : la Symphoniefantastique, de Berlioz, la Damnation de Faust, et plusieurs œuvres du même auteur, dont le système a été exagéré encore en Allemagne, cette patrie des étrangetés hoffmanesques. On a reproché à ce système de

sacrifier presque complètement les deux éléments constitutifs de la musique, la mélodie et le rhythme, de violer de propos délibéré les lois de la composition. Il est vrai que, malheureusement, les poursuivants du fantastique musical, imitant trop bien en cela les Eoursuivants du fantastique littéraire, seraient chercher avant tout des effets violents que cet art n’a jamais eu pour but de produire, des phrases épileptiques, des rhythmes boiteux, sans parler du fracas d’une instrumentation endiablée. Produire chez les auditeurs de ces sensations qui s’exaltent jusqu’à la douleur physique, arracher l’oreille et forcer les nerfs, tel est le résultat le plus fréquent qu’on en puisse attendre ; mais c’est aller trop loin que de dire, comme on l’a fait, que la musique fantastique est tout à la fois chargée de couleurs et terne, bruyante et inanimée ; qu’elle cherche l’expression puérile de la lettre, sans jamais s’élever jusqu à l’esprit. Cette proscription en bloc n’est pas juste, et le genre nous offre des exceptions qu’il ne faut pas dédaigner. Richard Wagner, quoique