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sanglante : l’Arabe lui avait enfoncé ses longs éperons dans le flanc...

■ Un autre escadron volant sillonne la plaine. Celte fois, ce sont les burnous rouges qui montent les coursiers les plus agiles : les spahis se serrent de près... Deux autres courses, auxquelles prennent part Arabes, spahis et chasseurs, suivent celle-ci ; ce sont les Africains qui remportent la palme, ,

Arrière les courses ! la véritable fantasia commence ; la fougue africaine se donne libre carrière. Deux cavaliers se détachent des tribus et traversent au galop le champ de courses en faisant tournoyer au-dessus de leurs têtes leurs longs fusils, qu’ils jettent en l’air et qu’ils reçoivent droits, en habiles jongleurs ; puis, se dressant de toute leur hauteur sur leurs étriers, ils placent la crosse de leur arme sous leur aisselle et ajustent leur ennemi, pendant cinq ou dix minutes, avec une précision admirable, sans paraître le moins du monde gênés par la course furibonde de leurs chevaux, qui s’animent étrangement aux cris de leurs maîtres et bondissent comme des gazelles. Ces deux éclaireurs sont suivis de trois, de quatre, de huit, puis de dix autres. Enfin des tribus entières s’ébranlent, tournoient comme une trombe dans la plaine en répétant l’exercice des premiers cavaliers et faisant retentir l’air de nombreuses détonations. Aussitôt les armes déchargées, les chevaux, rompus k ce manège, pivotent’sur eux-mêmes, et reviennent sur leurs pas avec la même rapidité, pour recommencer une nouvelle charge guerrière.

Quelle, rage anime ces Africains ! quelle sauvage fureur I comme ils se précipitent sur l’ennemi, le yatagan d’une main, le fusil de l’autre ! Comme ils manœuvrent à l’aise sur leurs chevaux rapides 1 La lutte les exalte. Us chargent au milieu d’une ronde infernale en jetant des cris aigus, assourdissants.

Les tribus roulent comme un tonnerre

— dans la plaine, où l’on ne voit plus que des tourbillons de fumée et de flammes, h travers lesquels flottent les blancs burnous. Pendant une heure, elles donnent ainsi le spectacle de leur ardeur belliqueuse sur ce vaste champ de bataille digne des Pyramides ; mais les Arabes n’ont ; jpis l’organisation ni l’audace des mameluks ; ils ne cherchent pas même à entamer les bataillons français : toute leur tactique consiste à charger avec fougue leur ennemi, à tirer avec adresse un coup de fusil et à s’enfuir aussi promptement qu’ils sont venuâ ; c’est la manière scytho ; mais ils ne peuvent se mesurer sérieusement avec des troupes disciplinées à l’européenne ; aussi les engagements, en Afrique, ne sont-ils jamais que des escarmouches plus ou moins meurtrières.

« ’Cependant les coups de feu diminuent : la poudre distribuée pour la fantasia s’épuise ; alors une procession d’Arabes piétons, au nombre de cinq à six cents, -traverse grave-"nent le champ de cours.es ; ils portent les mets qui vont servir à terminer les jeûnes du Ramadan. Les détonations cessent entièrement. Alors commence le défilé des troupes, suivi de celui des tribus, qui s’exécute au triple galop, toutes brides lâchées, toutes voiles dehors, en tirant leurs derniers coups de feu. C’est la mêlée la plus fougueuse, le chaos le plus épouvantable qu’on puisse imaginer : six mille Arabes chargeant à fond de train et se culbutant en hurlant comme, des forcenés. Leur entraînement et leur joie sauvage tiennent du délire, et les longs éperons s’enfoncent dans les flancs ensanglantés des chevaux, qui soulèvent, dans leur course désordonnée, des flots de poussière sous lesquels les spectateurs’sont littéralement noyés : c’est une véritable apothéose de soleil, de sable et de poudre. Les curieux se retirent comme ils peuvent de ces nuages enflammés, très-satisfaits, même k ce prix, de connaître la fantasia arabe. »

Fantnda ntiMnroc (unk), tableau d’Eugène Delacroix. Quatre cavaliers, montés sur des coursiers ardents qu’ils excitent de leurs cris et du bruit de leurs fusils, passent comme un tourbillon. Un Arçibe, assis’ au bord du chemin, enveloppé dans un burnous blanc, regarde impassible cette scène si animée : c’est un contraste, une antithèse. L’exécution de cette peinture est tout à fait magistrale, fine, et k la l’ois véhémente, large et terme. Le tableau, daté de 1833, a été payé 13,900 francs à la vente de la célèiire galerie de San-Donato, dont il faisait partie. Il a été gravé par M. E. Leguay.

Fnntanta (une), tableau d’Eugène Fromentin ; Salon de 1869. Tout pétille, éclate, flamboie et tourbillonne dans cette peinture ; les costumes blancs, roses, jaunes, bleus des nombreux cavaliers resplendissent au soleil ; les selles brodées d’or et d’argent et les fusils damasquinés étincellent ; les bannières, que le vent soulève, se déploient et ondulent ; les chevaux, à la queue et à la crinière hérissées, bondissent, se cabrent ou fendent l’air, entraînés par un galop vertigineux. Les cavaliers, en proie k une sorte d’ivresse furieuse, s’agitent, crient, élèvent leurs armes et font parler la poudre. Deux chefs, arrêtés sur un tertre avec leur suite, assistent à cette fête guerrière, donnée en leur honneur par la tribu.

M. Fromentin, le meilleur peintre de l’Afrique après Delacroix, a traité avec sa prestesse, sa légèreté et son brio ordinaires cette

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scène éblouissante et mouvementée j peut-être a-t-il abusé de sa facilité et a-t-i ! laissé courir son pinceau un peu à l’aventure pour le seul plaisir de montrer la vivacité et l’esprit de sa touche. L’unité — cette qualité que l’on doit trouver même dans le désordre,

— manque à sa composition ; et enfin l’exécution, si subtile et si pimpante dans les figures, paraît lourde et pénible dans le ciel. M. Alex. Girardot a peint une Fantasia qui a figuré au Salon de 1845 ; M. Ginain en a exposé une au Salon de 1864.

Fnnuini», comédie en deux actes, en prose,par Alfred de Musset. — Ce Fantasio est un homme qui s’ennuie, rien de plus ; mais il s’ennuie à périr, et il trouve que l’homme est une bien misérable chose, de ne pouvoir sauter par sa fenêtre sans se casser les jambes ; d’être obligé de jouer du violon dix ans pour devenir un musicien passable ; d’apprendre pour être peintre, pour être palefrenier ; d’apprendre pour faire une omelette ! Fantasio ne croit plus k grand’chose : très-peu k l’amitié, pas beaucoup à l’amour, et nullement à la nécessité de payer ses dettes quand on en a. En revanche, il croit à la vigne et à son produit, et s’il se console de vivre, c’est que la terre produit encore du vin. Justement, il est en train de penser k toutes ces choses et k bien d’autres encore, lorsque passe un enterrement : c’est Saint-Jean, le bouffon du roi, que de bonnes gens portent au cimetière. « Au fait, se dit Fantasio, si je prenais la place du boufTon ? C’est dit ; je mets une perruque rousse et m’ajdste une bosse ; je me présente au palais ; on m’accepte, et mes créanciers pourront, tout k leur aisei venir se casser le nez contre ma porte. • Une heure après, Fantasio, dans son nouveau costume, va et vient librement dans le palais. On fait tous les préparatifs du mariage d’Elisabeth, fille du roi, avec le prince de Mantoue ; mais Elisabeth est bien triste : elle n’a jamais vu son fiancé et doute fort qu’elle puisse l’aimer. Fantasio voit la tristesse de la jeune fille et en comprend bientôt la cause, car, en sa qualité de bouffon, il peut l’aborder librement et lui parler ; il la surprend même occupée à sa toilette de bal et versant des larmes. Aussitôt Fantasio s’esquive, et, un moment après, on vient annoncer que la perruque du duc de Mantoue s’est enlevée dans les airs, lorsqu’il entrait à cheval dans la cour du château. C’est Fantasio qui, armé d’un hameçon, a fait cette plaisanterie, et le duc a déclaré qu’il lui fallait la vie du bouffon ; mais le roi a trouvé la peine un peu forte et n’a consenti qu’à la prison. N’importe, le duc est si furieux que le mariage est remis en question, et c’est tout ce que voulait Fantasio. Elisabeth vient le voir dans sa prison et le somme de lui expliquer les motifs de sa conduite : «C’est fort simple, répond Fantasio ; j’étais eriblé’de dettes, et j’ai imaginé de me faire bouffon pour avoir un refuge dans le palais.

— Mais savez-vous bien, monsieur, que vous avez lait manquer mon mariage et que le duc de Mantoue s’en va en déclarant la guerre k mon père ? — Eh bien, répond Fantasio, aimeriez-vous mieux un mari qui prend fait et cause pour sa perruque ? — Et si la guerre est déclarée ? — Eh bien, nous autres, oisifs, nous saurons quoi faire de nos bras ; nous irons en Italie, et si vous entrez jamais à Mantoue, ce sera comme une véritable reine, sans qu’il y ait besoin pour cela d’autres cierges que nos épées. » Elisabeth, comme bien on pense, n’en veut pas à Fantasio : « Tiens, lui dit-elle, prends ces vingt mille écus et sois libre ; le jour où tu t’ennuierasd’être poursuivi par tes créanciers, prends ton habit de bouffon et reviens ici pour le temps que tu voudras ; tu retourneras ensuite k tes affaires. »

Dans Fantasio, plus que partout ailleurs, —on regrette l’absence presque complète d’invention, d’intrigue et surtout d’action. C’est une fine et spirituelle esquisse, une étude gracieuse, mais ce n’est qu’une bluette qui ne mérite pas le titre de comédie. Fantasio, qui du reste n’avait pas été écrit pour lp. scène, n’a pas été représenté.

FANTASMAGORIE s. f. (fan-ta-sma-go-rî

— du gr. phuutasma, fantôme, qui se rapporte à phantazà, je fais illusion, et de aijoreuà, je parle. Le mot fantasmagorie désigne ainsi proprement l’action de parler aux fantômes, d’appeler les fantômes). Spectacle de lanterne magique, dans lequel, au moyen de certains artifices, on fait paraître des figures qui semblent tour à tour s’approcher et s’éloigner.

— Par anal. Effet produit par une scène plus ou moins effrayante, réelle ou décrite dans un ouvrage ; Je n’aime point toute Cette

FANTASMAGORIE. (Acad.)

— Encycl. V. FANTASCOPE.

FANTASMAGORIQUE adj. (fan-ta-sma-gori-ke

— rad. fantasmagorie). Qui appartient k la fantasmagorie : Appareil fantasmagorique.

— Par ext. Qui a quelque chose de fantastique : Une sériéfantasmagorique de monstrueux événements. 0

FANTASME s. m. (fan-ta-sme — du gr. phuutasma, fantôme).Méd.-Vice de la vision, qui fait qu’on croit voir devant soi des objets qui n’y sont pas réellement.

FANTASQUE adj. (fan-ta-ske — rad. fan-

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taîsie). Capricieux, qui agit par boutades : Tin homme fantasque. Une femme fantasque. La fortune est une femme coquette et fantasque, gui veut être brusquée par ses amants. (Max. orient.) L’enfant, sans la communication des pensées d’autrui, ne serait que stupide ou Fantasque, selon le degré d’inaction ou. d’activité de son sens intérieur matériel. (Buff.) Va subir du public les jugements fantasques, D’une cabale aveugle essuyer les bourrasques.

Piron.

......... La Bourse a de grosses bourrasques

Qui rendront plus prudents les capitaux fantasques.

Possard.

Il Bizarre, extraordinaire : Une idée fantasque. Un costume fantasque. L’arabesque fantasque après les colonnettes Enlace ses rameaux et-suspend ses clochettes Comme après l’espalier fait une vigne en Heurs.

Tu. Gautiek.

— Substantiv. Personne fantasque : C’est un fantasque. Hua des nuances entre avoir des fantaisies et être fantasque : te fantasque approche beaucoup plus du bizarre. (Volt.) La fantasque inégale

Qui, m’aimant le matin, souvent me hait le soir...

Boileau.

— s. m. Genre fantasque ; ce qui est fantasque. : Nous voudrions que le romanesque, le fantasque, l’idéal, le poétique eussent une part plus large dans te théâtre moderne. (Th. Gaut.)

FANTASSIN s. ra. (fan-ta-sain — de l’italien f’antaccino, jeune soldat k pied, dérivé de faute, fantassin, proprement petit garçon, qui provient par aphérèse de infante, enfant, du latin infans, proprement celui qui ne parle pas encore. Faute, fantassin, a produit fantaceino de la même façon que faute, petit garçon, a produit le diminutif fantoenno, poupée). Soldat d’infanterie : M. Jung croit que c’est par mépris que Henri l V aurait appelé goujats de simples fantassins, tandis que par ce mot il entendait seulement des valets de soldat qui surchargeaient les marches. (Ste-Beuve.)

FANTASTICI (Maxima), dame Rossellini, femme de lettres italienne. V. Rossellini.


FANTASTIQUE adj. (fan-ta-sti-ke — rad. fantaisie). Qui n’a rien de réel ; chimérique, imaginaire : Une vision fantastique. Des projets fantastiques. Les Thémistocle, les Miltiade, les Aristide, les Phocion sont persécutés, tandis que Persée, Bacchuset d’autres personnages fantastiques ont des temples. (Volt.) Toutes les jeunes filles se construisent un monde fantastique qu’elles enrichissent deleurs propres perfections. (Balz.)

— Qui n’a pour règle que la fantaisie : Les jeux d’une imagination fantastique. (Cuv.) Les faiseurs, charpentiers, directeurs de théâtres, régisseurs, metteurs en scène et autres gens d’expérience, capables d’établir carrément un ouvrage, ne viendront jamais à bout d’une pièce fantastique. (Th. Gaut.)

— Fam. Fabuleux, incroyable, extravagant : C’est un luxe fantastique.

— Littér. Contes fantastiques, Contes où l’on introduit des fantômes, des revenants, des êtres fantastiques.

— Mus. Se dit d’un genre de musique où le compositeur s’est k dessein affranchi- des règles ordinaires.

— s. m. Ce qui est est fantastique ; genre fantastique : Le fantastique demande une virginité d’imagination et de croyance qui manque aux littératures secondaires. (Oh. Nod.) On a voulu donner une esthétique du fantastiquk ; et l’on n’a enseigné que le procédé du fantastique. (Champrieury.) Le fantastique n’a pas de motifs et ne s’explique pas. (Th. Gaut.)

De l’amour seulement nous sommes amoureux. Ainsi le fantastique a droit il notre hommage, Et nos feux pour objet ne veulent qu’une image.

Piron.

— Syn. Fantastique, chimérique, imaginaire. V. CHIMÉRIQUE.

— Antonyme. Réel.

— Encycl. Littér. « Toute certitude est dans les rêves, » disait Edgar Poë, un maître consommé dans l’art subtil de donner aux chimères et aux fantasmagories de l’esprit une forme et une vie vraisemblables. Ce singulier génie, qui se jouait avec une volupté enfantine et presque perverse dans le monde des énigmes, des probabilités et des conjectures, proclamait l’imagination la reine des facultés. Qu’on ne se hâte pas de l’en blâmer ; car, par ce mot, il n’entendait pas cette vagabonde si fort malmenée des gens dits sérieux qui, sur son compte, ont répandu tant de sottises, mais bien quelque chose de grand, de plus grand que ce qui est entendu par le commun des lecteurs. Pour lui, l’imagination n’est pas la fantaisie, le pur caprice ; elle n’est pas non plus la sensibilité, bien qu’il soit difficile de concevoir un homme imaginatif qui ne serait pas sensible. L’imagination lui apparaît comme une faculté

quasi divine qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies. Parmi les domaines littéraires où l’imagination peut obtenir les plus curieux résultats, il en est que ce fameux Américain affectionne par FANT

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dessus tout, c’est le conte et la nouvelle. Le conte et la nouvelle ont sur le roman à vastes proportions cet avantage décisif que leur brièveté ajoute à l’intensité de l’eftet. Une lecture qui peut être accomplie tout d’une haleine, laisse dans l’esprit un souvenir bien plus puissant qu’une lecture brisée, interrompue souvent par les mille et un soucis des affaires. « L’unité d’impression, la totalité d’effet, dit Charles Baudelaire, est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout k fuit particulière... L’artiste, s’il est habile, n’accommodera pas ses pensées aux incidents ; mais, ayant conçu délibérément, k loisir, un effet k produire, inventera les incidents, combinera les événements les plus propres k amener l’effet voulu. » On comprend dès lors pourquoi cette forme de composition convient, par-dessus toutes les autres peut-être, au genre qui nous occupe.

Ce genre n apparaît guère chez les écrivains de longue haleine qu’k l’état épisodique : tout cauchemar doit finir vite. C’est ainsi du moins que l’ont compris nos pères, k qui, comme au bonhomme La Fontaine, les longs ouvrages faisaient peur. Nos vieilles traditions, nos fabliaux, nos légendes du moyen âge, et ces contes de fées, et ces récits diaboliques pleins d’une odeur de soufre et de balai rôti, toutes ces créations aux mille formes capricieuses et hardies, naïves et charmantes, merveilleuses et terribles, qui constituent le fond même de toutes les littératures, affectent la concision, la brièveté. Il était réservé aux romanciers de notre temps de faire durer le frisson pendant d’interminables feuilletons et de pousser l’épouvante jusqu’à l’épilepsie. Témoin Frédéric Soulié et ses gigantesques et bizarres Mémoires du diable, imités de ce Diable boiteux de Le Sage, si vif, si ingénieux, si divers, et où le fantastique ou plutôt le merveilleux n’est qu un prétexte, le point de départ d’anecdotes piquantes, et non d’aventures atroces longuement préméditées.

Nous avons dit le merveilleux. C’est qu’en effet l’on confond souvent, cela arrive aux plus fins lettrés eux-mêmes, deux genres cependant bien distincts, si l’on considère que le but poursuivi n’est pas le même ici que 1k.

Le mot fantastique, mot plus allemand que français, exprime en général des procédés de fabrication littéraire tout modernes. Le merveilleux, au contraire, est pour nous un ancêtre vénérable dont les parchemins remontent aux premiers Ages. Il s’alimente de t tout ce qui est illusion, mensonge poétique ; il a pour domaine l’ignorance des peuples et leur crédulité. Les spéculations philosophiques, il s’en éloigne. Ces apparitions, qui faisaient le fond des anciennes légendes, ces interventions de divinités mythologiques, ces incidents surnaturels dont-sont faits les poèmes épiques de l’antiquité, ces scènes magiques qui remplissent les épopées italiennes, n’ont rien de commun avec l’art subtil, incohérent et sinistre de cet Hoffmann, qui, k son apparition chez nous, vers 1830, provoqua un enthousiasme si vertigineux. Le merveilleux les réclame, et ils lui appartiennent bel et bien ; car Homère et Virgile, car Eschyle et Euripide, comme Dante, le Tasse et Milton, n’ont rien qui ressemble, de près ou de" loin, k ces imaginations maladivement surexcitées que l’Allemagne a multipliées par voie d’exportation. Sera-t-on plus fondé k placer dans une même famille 1 Ane d’or d’Apulée, les Métamorphoses d’Ovide, les Mille et une nuitSj la Mandragore, fiudibras, Guilioer, le Diable boiteux et le Violon de Crémone d’Hoffmann, le Scarabée d’or d’Edgar PoiS, le Roi des gnomes de Nicolas Gogol, l’A uberge rouge de Balzac ? Nous croyons qu’une telle assimilation serait pour le moins hasardée ; mais, en cherchant plus près de nous, parmi ces livres remplis d horreurs romanesques qui n’ont trouvé que trop d’imitateurs sans talent, serait-on plus heureux ? Eh bien ! faut-il le dire ? Les romans infernaux de la noire Radeliffe, type d’une foule de productions médiocres, sont eux-mêmes partout dominés — c’est Chénier qui l’a écrit — par le merveilleux. Cependant les prestiges s’y entassent, la terreur les enveloppe ; on y est environné de spectres ; des esprits infernaux hantent les bois, les châteaux, les cloîtres, où le lecteur est poussé de coups de théâtre en coups de théâtre ; mais, quand le dénoûînent arrive, tout s’explique par des causes naturelles. Est-ce ainsi que procède ie fantastique allemand, avec son singulier mélange de rêves exaltés et d’existence bourgeoise, d’idéal et de réel, avec ses bizarreries alcooliques et ses formes compassées, ses caprices humoristiques, ses contrastes étonnants, ses enthousiasmes d’artiste, sa vapeur de bière et sa fumée de tabac, son réalisme implacable et son mysticisme grimaçant ? Assurément non. C’est en vain, comme Radeliffe, que vousévo* quez tous les dieux et tous les diables, et que vous les traînez la chaîne au cou k travers tous les corridors sombres où la terreur suinte goutte à goutte. Ce n’est point lk le fantastique selon la formule hoffmanesque ; car si votre prétendu fantastique n’exige guère, pour réussir, que des facultés médiocres, ainsi que l’ont prouvé.les Ducrav-Duminil, les Pixérécourt, les Caignez et autres écrivains plus oubliés encore, il n’en est pas de même du fantastique tel que l’ont compris les maîtres du genre. Celui-ci est né du besoin.