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dans l’occasion, il s’arme de leurs vertus pour faire le procès à l’humanité. Ajoutons qu’il donne à la fable le pas sur la réalité ; c’est elle qui est à ses yeux la démonstration du fait, et il le déclare avec une adorable naïveté :

De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde !

Comment l’illusion de celui qui est si bien et si complètement sous le.charme ne serait-elle pas contagieuse ?...

« La Fontaine est en réalité le plus aimable et le plus varié de nos poëtes : de la simplicité, de la candeur enfantine, il s’élève sans effort jusqu’à la plus virile éloquence ; il sait peindre, il sait badiner, il sait émouvoir ; sur sa riche palette il a toutes les couleurs : il est plein de gaieté et de malice, il a la véhémence et le pathétique, et quelque ton qu’il prenne, à quelque degré qu’il se place, il est toujours naturel ; l’auteur ne se laisse pas surprendre : c’est un homme qui converse avec nous, homme simple et supérieur qui ne se guinde jamais, toujours familier, lors même qu’il est sublime.

« En vérité, ceux qui ne savent pas se plaire avec La Fontaine ignorent ce que la volupté de l’esprit a de plus délicat et de plus savoureux. Les malheureux ! il leur manque un sens pour la plus vive et la plus douce des joies de l’âme ! »

OPINION DE SAINTE-BEUVE.

« Parler de La Fontaine n’est jamais un ennui, même quand on serait bien sûr de n’y rien apporter de nouveau : c’est parler de l’expérience même, du résultat moral de la vie, du bon sens pratique, fin et profond, universel et divers, égayé de raillerie, animé de charme et d’imagination, corrigé encore et embelli par les meilleurs sentiments, consolé surtout par l’amitié ; c’est parler enfin de toutes ces choses qu’on ne sent jamais mieux que lorsqu’on a mûri soi-même. Ce La Fontaine qu’on donne à lire aux enfants ne se goûte jamais si bien qu’après la quarantaine ; c’est ce vin vieux dont parle Voltaire, et auquel il a comparé la poésie d’Horace : il gagne à vieillir, et, de même que chacun en prenant de l’âge sent mieux La Fontaine, de même aussi la littérature française, à mesure qu’elle avance et qu’elle se prolonge, semble lui accorder une plus belle place et le reconnaître plus grand... Quand on a lu le Roman du Renard et les fabliaux du moyen âge, on comprend que déjà La Fontaine est là tout entier, et en quel sens on peut dire qu’il est notre Homère. Le piquant, c’est que La Fontaine ne connaissait pas ces poëmes gaulois à leur source, qu’il n’était pas remonté à tous ces petits Ésopes restés manuscrits, à ces Ysopets, comme on les appelait, et que, s’il les reproduisait et les rassemblait en lui, c’était à son insu : il n’en est que plus naturel et n’en obéit que mieux à la même sève. Il avait lu çà et là tous ces apologues et toutes ces fables dans les livres de seconde main où les sujets avaient passé, dans les auteurs du XVIe siècle, chez les Italiens ou ailleurs ; car il en lisait de tous bords. Son originalité est toute dans sa manière, et non dans la matière. Comme Montaigne, comme Mme  de Sévigné, et mieux encore, La Fontaine a au plus haut degré l’invention du détail. Eux, ils ne l’ont que dans le style, et lui, il l’a dans le style à la fois et dans le jeu des petites scènes. »

OPINION DE M. SAINT-MARC GIRARDIN.

« Avec cet heureux don qu’il avait de tout sentir et de tout aimer, La Fontaine a renouvelé l’apologue. L’apologue ancien ne s’intéressait qu’au sens et à la moralité, point au récit, point aux personnages. Il ne s’agissait que d’enseigner une vérité morale, et de l’enseigner d’une façon vive et spirituelle. Peu importait l’aventure et peu les personnages. La Fontaine changea tout. Il se mit à se prendre d’intérêt pour les bêtes, pour les arbres, pour tout enfin ; ou plutôt il prit intérêt à l’homme, qui est le vrai héros de toutes ses fables sous des noms divers, tantôt loup et tantôt agneau, tantôt chien et tantôt renard, tantôt cerf et tantôt cheval, mais toujours homme, c’est-à-dire victime de ses fautes et dupe de sa vanité... Sa supériorité est dans le récit. Les autres fabulistes ne font leur récit que pour amener leur leçon. La Fontaine s’intéresse d’abord à son récit : il nous représente ses animaux, leurs périls, leurs joies, leurs colères, leurs peurs, leurs ruses ; il fait son drame et son tableau ; la leçon arrive ensuite, presque toujours à propos, mais parfois d’une façon un peu imprévue et comme font quelquefois les dénoûments de Molière. Il y a en effet cette ressemblance entre Molière et La Fontaine, entre ces deux grands peintres de l’humanité, qu’ils s’occupent surtout de représenter les mœurs et les caractères des hommes, de reproduire l’image de la vie humaine. Si les portraits sont fidèles, l’œuvre leur semble faite. Seulement, comme Molière sait qu’il faut un dénoûment à la comédie, il le prend où il peut, sans avoir l’air parfois de se soucier de le faire naître du jeu des passions qu’il a mises sur la scène. La Fontaine soigne plus ses moralités que Molière ne fait ses dénoûments. Il sait que la moralité est une partie plus importante dans la fable que le dénoûment ne l’est dans la comédie, tout important qu’il est. La moralité est le fond même de la fable. »

OPINION DE M. H. TAINE.

« La Fontaine peint rarement, et toujours en deux mots, l’extérieur des animaux ; c’est au caractère seul qu’il s’attache. Il est l’historien de l’âme, et non du corps. Pour représenter aux yeux cette âme, il lui donne les sentiments et les conditions de l’homme ; ce mélange de la nature humaine, loin d’effacer la nature animale, la met en relief, et le chapitre de zoologie n’est exact que parce qu’il est une comédie de mœurs. La poésie montre ici toute sa vertu. En transformant les êtres, elle en donne une idée plus exacte : c’est parce qu’elle les dénature qu’elle les exprime ; et elle est le plus fidèle des peintres, parce qu’elle est le plus libre des inventeurs. Elle dépasse ainsi fa science et l’éloquence, et j’ose dire que les portraits de La Fontaine sont plus exacts et plus complets que ceux de Buffon. Tantôt Buffon décrit minutieusement, en naturaliste, les mœurs et les organes de chaque animal : La Fontaine anime et résume tous ces détails dans une épithète plaisante. Tantôt Buffon fait des plaidoyers ou des réquisitoires, et conclut sans restriction à l’éloge ou au blâme : La Fontaine dit le bien et le mal, raille le chien, qu’il juge « soigneux et fidèle, » mais qu’il trouve aussi « sot et gourmand. » Il peint ses héros sans parti pris, tour à tour fripons et dupes, heureux et malheureux, avec ce mélange de laid et de beau que fait la nature, et cette alternative de peines et de plaisirs qui est la vie. Le poëte est plus court et plus animé que le zoologiste, plus impartial et plus véridique que l’orateur. Il est créateur, et le premier n’est qu’un copiste. Il est peintre, et le second n’est qu’un raisonneur. »

— Bibliogr. Les fables de La Fontaine ont eu des éditions innombrables ; les plus importantes sont généralement remarquables par leurs gravures. Telles sont celles d’Amsterdam (1685, 2 vol. in-8°), avec des figures de Romain de Hooge, et celles de Paris (1695-1721, et 1762, 8 vol. in-8°), avec des gravures d’Eisen et la notice de Diderot. Cette édition est dite des Fermiers généraux.

Mentionnons encore :

Les Fables de La Fontaine (1755-1759, 4 vol. in-f°), magnifique édition avec des dessins d’Oudry, gravés par Cochin. En 1787, parut une nouvelle édition (6 vol. in-18), ornée de 275 grav. de Simon et Coiny. (P. Didot.)

Fables de La Fontaine, avec un nouveau commentaire littéraire et grammatical, dédié au roi par Charles Nodier (Paris, Eymery, 1818, 2 vol. in-8°). Édition très-estimée, plus à cause du commentaire de Ch. Nodier que pour la pureté du texte, qui laisse à désirer, l’éditeur n’ayant pas collationné les éditions originales.

Fables de La Fontaine, divisées en XII livres, suivies de Philémon et Baucis, des Filles de Minée, de la Matrone d’Éphèse et de Belphégor ; nouvelle édition, enrichie de notes grammaticales, de la moralité des fables en prose, d’un vocabulaire contenant tous les termes et les expressions tombés en désuétude ainsi que la Vie de La Fontaine, par M. B. de Saint-Silvain (Paris, 1822, 2 vol. in-18, portrait).,

Les sources où La Fontaine a puisé les sujets de ses fables, indépendamment d’Ésope et de Phèdre, ont été l’objet de minutieuses recherches. Nous mentionnerons particulièrement l’ouvrage intitulé : Fables inédites des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, et Fables de La Fontaine, rapprochées de celles de tous les auteurs gui avaient avant lui traité les mêmes sujets, précédées d’une notice sur les fabulistes, par A.-C.-M. Robert (Paris, 1825, 2 vol.in-8°). Excellent travail, plein de recherches érudites et de rapprochements non moins curieux ; ouvrage bien autrement important que celui de l’abbé Guillon.

Fables de La Fontaine (ESSAI SUR LES), par M. Taine, publié en 1853. M. Taine est un écrivain tout d’une pièce, carré dans son système, et dont les œuvres, même littéraires, ne sont que des ramifications de ses théories philosophiques. Disciple de Spinoza, M. Taine est de bonne foi panthéiste, et, transportant ses opinions philosophiques dans le domaine de la littérature, il a le premier donné l’exemple d’une critique panthéiste et fataliste. Ses débuts littéraires furent son Essai sur les fables de La Fontaine, sujet de thèse qu’il avait choisi pour son examen de doctorat ès lettres. Il y a dans ce premier ouvrage beaucoup d’érudition et d’esprit, peut-être même trop d’esprit et d’érudition ; il est vrai que, sur ce dernier point, M. Taine peut alléguer comme justification le but de son ouvrage, qui en justifiait l’appareil scientifique. Si l’on a le malheur d’en oublier la destination, on se fatigue de l’abondance des citations. Ces appels trop fréquents au passé effacent le caractère personnel de la pensée de l’auteur, et témoignent plutôt en faveur de sa mémoire que de son jugement. La Fontaine peut parfaitement se passer de l’autorité d’Aristote. Où M. Taine se dessine, c’est en parlant des caractères, de l’expression et de l’action. Il y a beaucoup à louer dans ces morceaux ; l’auteur y prodigue les rapprochements ingénieux, et l’on sent qu’il ne dit pas tout ce qu’il pourrait dire. Il excelle à retrouver les personnages de La Bruyère, de Saint-Simon, de Mme  de Sévigné dans La Fontaine, ou du moins à faire croire qu’il les y retrouve. Le lecteur, ébloui de toutes ces citations choisies avec un art infini, qui passent devant lui comme les fusées d’un feu d’artifice, est tenté de croire qu’avant d’avoir lu cet essai il ne comprenait pas La Fontaine. Revenu de son éblouissement, il s’aperçoit que M. Taine est un guide plus amusant que fidèle, qui prête à La Fontaine plus d’une intention dont le bonhomme s’étonnerait à bon droit : « Que de belles choses ce jeune homme me fait dire, auxquelles je n’ai jamais songé ! » s’écrierait-il comme Socrate en lisant Platon. La Fontaine ne se connaissait pas tant d’esprit, et ne se doutait pas de ses talents comme nomme d’État et historien.

M. Taine simplifie la tâche qu’il s’est imposée en disposant les citations qu’il prodigue de façon à leur donner le sens dont il a besoin. Sans altérer une parole, il trouve moyen de transformer en compères dociles Saint-Simon, La Bruyère et Mme  de Sévigné. Comme il connaît familièrement tous les contemporains de La Fontaine, quand il lui plaît d’affirmer ce qui ressemble à un paradoxe, les témoignages ne lui manquent pas ; entre ses souvenirs, il n’a que l’embarras du choix. Il étend la main et prend sur un rayon de sa bibliothèque le volume où se trouve l’argument victorieux, et il a trop bonne mémoire pour jamais rester court. Malgré le respect dû à son talent, nous ne saurions voir dans La Fontaine le peintre de la France sous Louis XIV. C’était, au contraire, un génie libre, qui ne pouvait prendre son essor qu’en se séparant du milieu où il vivait, rêvant, méditant à son heure et à sa fantaisie, et n’usant d’artifice que pour rendre sa pensée. La thèse de M. Taine rapetisse singulièrement La Fontaine en métamorphosant ce songeur de génie en un produit nécessaire de son pays et de son temps. Il en fait un esprit prédestiné à la fable, poussé invinciblement vers ce genre, sans pouvoir s’en détourner. Nous préférons voir en lui le fablier produisant des fables comme un pommier produit des pommes.


Fables de Fénelon. On connaît par Saint-Simon combien était impétueux et peu maniable le caractère du duc de Bourgogne, dont Fénelon était le précepteur. Le prélat s’attacha donc à corriger, au moyen d’apologues, les mauvaises inclinations de son élève. « Il voudrait, dit M. Sainte-Beuve, que son élève n’eût plus rien de l’élève ni de l’écolier ; il voudrait, une fois pour toutes, lui inspirer la hardiesse dans l’action, la noblesse dans le procédé et la démarche, le génie de la conversation, tout ce qui orne, qui impose, et ce qui donne au pouvoir sa douceur et sa •majesté. » Qu’il soit de plus en plus petit > sous la main de Dieu, mais grand aux yeux des hommes. C’est à lui à faire aimer, craindre et respecter la vertu jointe à l’autoute.» C’est pour corriger les défauts du jeune prince que l’archevêque de Cambrai composa ses fables, dont il est faciie de suivre la progression en les comparant aux progrès que I âge et la raison devaient amener dans l’éducation du duc de Bourgogne. Par la simplicité, la précision de quelques-unes, on voit qu’elles s’adressent à un enfant dont il fallait éviter de fatiguer l’intelligence ; d’autres indiquent un élève plus capable de comprendre des vérités élevées. Dans tous ces apologues, on voit Fénelon, suivant ses expressions, accoutumant le jeune duc à son

rôle royal «en se corrigeant, en prenant beaucoup sur lui, en s accommodant aux hommes pour les connaître, pour les ménager, pour savoir les mettre en œuvre. » Le style de ces fables brille d’une grâce et d’une élégance exquises ; toutes ont un but moral, non point vague, mais se rapportant à un fait récent et dont le jeune prince ne pouvait éluder l’application. C’était un miroir dans lequel il était obligé de se reconnaître, bien que souvent il lui offrît de lui-même une image peu flatteuse. Tantôt c’est un faune

?ui relève en riant les fautes de Bacchusenant ;

le jeune dieu s’irrite : « Comment oses-tu te moquer du fils de Jupiter ?’— Hé, répond le faune, comment le fils de Jupiter ose-t-il faire quelque faute ?» Dans le Fantasque, il retrace au duc de Bourgogne la fidèle histoire de ses inégalités et de ses emportements ; ce morceau est de tous points

digne de La Bruyère. Citons encore la Médaille, la délicieuse fable de la Fauvette et le Rossignol, les Deux renards, les Abeilles, le Singe, etc. Ce petit ouvrage est devenu classique et se trouve entre les mains des élèves à côté du Télémaque et des Aventures d’Aristono&s.

«La philosophie des fables de Fénelon, dit Palissot, n’est pointée pédantisme sec et aride qui flétrit le cœur de l’enfant, en lui exagérant sans cesse sa perversité ou ses infortunes ; mais c’est la sagesse même qui, Sous des images riantes, insinue doucement ses maximes et persuade en se faisant aimer. » C’est le cas de répéter : « Le style, c’est l’homme. •

Fnbles de Lamotte, publiées pour la première fois en 1719. Elles sont précédées d’un discours dans lequel l’auteur a esquissé, en une prose vive, élégante et fine, l’histoire de la fable. Les réflexions qu’il fait dans la suite de ces pages sur le genre de la fable sont justes et précises, et il met une délicatesse infinie k parler de ses devanciers, surtout de La Fontaine. Il y avait, il est vrai, de la témérité à oser aborder un genre dans lequel

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le bonhomme s’était rendu inimitable ; mais Lamotte pensait se créer une originalité en inventant des sujets et des types nouveaux. « Je ne me serais pas hasardé k écrire des fables, dit-il en parlant de La Fontaine, si j’avais cru qu’il fallût être absolument aussi bon que lui pour être souffert après lui ; mais j’ai pensé qu’il y avait des places honorables au-dessous de la sienne, et je serais trop heureux d’obtenir cette approbation modérée qui, en me pardonnant de n’avoir pas les mêmes grâces que La Fontaine, ferait honneur» ce que je puis avoir d’heureusement original. »

Quoique les fables de Lamotte soient bien inférieures à celles de La Fontaine, elles ont donné k leur auteur une belle place parmi les fabulistes français de second ordre. Un grand nombre, du reste, sontgracieuses, spirituelles et aimables ; quelques-unes sont excellentes. On cite souvent des vers, tels que ceux-ci, qui ont fait proverbe :

Il vaut mieux plaire que servir.

L’ennui naquit un jour de l’uniformité.

La haine veille et l’amitié s’endort.

Pour prouver combien les critiques, même les plus spirituels, avaient mis de- partialité dans leurs jugements-à l’égard de Lamotte, Voltaire se plaisait k raconter l’anecdote suivante. Il se trouvait à souper au Temple, chez le prince de Vendôme. • Les Fables de Lamotte venaient de paraître, et, par conséquent, tout le monde affectait d’en dire du mal. Le célèbre abbé de Chaulieu, l’évêque de Luçon, fils du fameux Bussy-Rabutin et beaucoup plus aimable que son père, un ancien ami de Chapelle, plein d’esprit et de goût, l’abbé Courtin, et d’autres bons juges des ouvrages s’égayaient aux dépens de Lamotte ; le prince de Vendôme et le chevalier de Bouillon enchérissaient sur eux tous ; on accablait le pauvre auteur ; je leur dis : ■ Messieurs, vous avez tous raison ; vous jugez en connaissance de cause : quelle différence du style de Lamotte k celui de La Fontaine l Avez-vousvu la dernière édition des Fables de La Fontaine ? — Non, dirent-ils. — Quoi l vous ne connaissez pas cette belle fable qu’on a retrouvée parmi les papiers de Mmola duchesse de Bouillon ?» Je leur récitai la fable, ils la trouvèrent charmante ; ils s’extasiaient. «Voilà du La h’ontaine, disaient-ils ; c’est la nature pure ; quelle naïveté ! quelle grâce I

— Messieurs, leur dis-je, la fable est de Lamotte. » Alors ils me la firent répéter et la trouvèrent détestable. ■

Failles nnginiaes de Gay (1726). Les fables anglaises, et particulièrement celles de Gay, lé plus accrédité des fabulistes anglais du xvme siècle, ne ressemblent aucunement à celles de La Fontaine. Elles n’en ont ni la grâce, ni la malice, ni la causerie ingénieuse, ni l’élévation simple et touchante. Elles sont souvent toutes politiques, surtout la.seconde partie ; mais nous aurions tort de croire que, dans ces fables politiques, il y ait quelque chose de l’esprit philosophique du xvme siècle français. Rien ne se ressemble si peu, de ce côté, que l’esprit des deux littératures. En France, la littérature attaque surtout l’ordre social ; en Angleterre, elle s’adresse plus volontiers au gouvernement. L’apologue français censure les ministres, moins comme ministres que comme grands seigneurs, privilégiés dans l’ordre civil et-élevésdans l’ordre politique. L’apologue anglais ne censure que l’homme politique, le membre du ministère, un des directeurs de la majorité du Parlement. En Angleterre, la satire littéraire plaide pour la liberté, qui est toujours en cause plutôt qu’«n danger, et il en est ainsi dans tous les pays politiques, c’est-à-dire que la liberté y est toujours entretenue par l’attaque et la défense. Gay, cherchant à renverser le ministère, s’élève aussi contre le Parlement, ou plutôt contre la majorité parlementaire qui soutient le ministère. Il introduit dans une de ses fables la Fourmi en charge, une fourmi présomptueuse qui vole l’État et se tire d’affaire avec de belles paroles, jusqu’au jour où une fourmi patriote dévoile sa trahison. Gay voulait sans doute désigner par lk le*ministère d’Horace Walpole, et il avait raison de le flageller. Mais remarquons surtout la différence considérable qu’il y a entre le genre d’esprit des fables politiques de Gay et l’esprit philosophique des fabulistes français du xvme siècle, différence de causes et d’effets. Quand Gay flétrit les vices des ministres et du Parlement anglais, il attaque des hommes et des choses qui peuvent changer. Si le ministère perd la majorité dans les Chambres, si la majorité n’est pas réélue dans les élections, tout se renouvelle, et ce changement suffit pendant quelque temps pour calmer l’irritation du public. Il apaise les colères du jour, il les amortit avant qu’elles aient le temps de se tourner en haines irréconciliables. Nous devons donc noter, comme un trait caractéristique des fables politiques de Gay, qu’elles n’ont pas ce ton de mécontentement contre la société, qui est le caractère général de la littérature en France au xvme siècle. Autre témoignage de cette différence, et plus curieux encore : en France, la littérature du xvme siècle surtout abonde en allusions malicieuses contre les inythologies ou religions ; en Angleterre, au contraire, Gay, bon pro-