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mal k ces compilations des moralités emruntées en générât k l’Évangile ou aux Pères de l’Église, et c’est ainsi que se forma enfin le recueil aujourd’hui connu sous le nom de Fables d’Fsope, qu’on donne à traduire à ceux qui commencent l’étude du grec. Le texte de ces fables, recueilli par Planude, fut publié vers 1480, par le savant Buono Accorso de Pise, avec une traduction latine, qui parut la première. Malgré le grand nom-bre d’éditions qu’on a données de ces fables, il n’en existe aucun recueil complet. M. Dùbner les a publiées dans la bibliothèque

frecque-latine de MM. Firmin Didot. Les trauctions et les imitations des Fables d’Ésope dans toutes les langues sont innombrables ; on en trouvera la liste à peu près complète dans le Bibliographisches Lexikon de Hoffmann. Les plus heureux imitateurs sont surtout Phèdre et La Fontaine.

Ésope, dont les fables représentent la sagesse antique sous une forme populaire et presque enfantine, n’était ni un Grec, ni un poète. Les’inventions de ce conteur moral, ou, si l’on veut, les emprunts qu’il avait faits aux trésors des littératures orientales, n’arrivèrent sans doute que lentement, apologue par apologue, aux oreilles des Grecs. Lorsque tous les mots heureux attribués au vieil esclave furent tombés dans le domaine public, il ne dut pas manquer de poètes pour s’exercer sur des sujets si bien préparés et pour esquisser les premiers traits de ce tableau, qui devint plus tard Yample comédie à cent ne les divers. La fable, chez d’autres peuples, est née de la contemplation de la vie des bêtes, qui souvent rappelle l’industrie humaine. Chez les Grecs ; elle prend toujours sa source dans un travestissement des rapports humains composé avec malice. La fable est un avertissement critique et mordent qui cache sa censure sous la Action d’un événement arrivé parmi les animaux. Dans plus d’un cas, on possède des données authentiques qui expliquent de cette façon l’origine des fables d’Ésope. C’est toujours quelque action, quelque projet imprudent des Samiens, des Delphiens ou des Athéniens, dont Ésope repré"sente le caractère et les conséquences dans une fable qui, facile k saisir et mettant les choses plus en relief, semble souvent plus propre qu’un long raisonnement k indiquer une situation d’une façon frappante, et à en faire mieux ressortir le point principal. C’est précisément parce que les choses humaines Jorment la première pensée dans les fables d’Ésope et que les bétes ne sont là que pour déguiser les hommes, qu’elles n’ont rien de commun avec la fabie populaire, les métamorphoses et la mythologie. C’est l’invention absolument libre d’un homme qui sait découvrir, dans le monde des animaux, des analogies avec certaines situations humaines, et qui, tout en conservant k ce monde son caractère réel, le met k même, en lui prêtant le langage et une certaine raison, de montrer ce caractère dans tout son jour. Ces contes symboliques sont plus dans le génie oriental que dans le génie grec. « Le curactère de la fable ésopique, d’après M. Ottfried Millier, est tout k fait celui de la vraie^fable des animaux, telle que nous la trouvons chez les Grecs. Les événements et les rapports réels de la vie des bêtes sont employés et mis tellement en relief par la réflexion et la parole que leur prête le poète qu’ils deviennent des paraboles surprenantes et frappantes des choses humaines et morales. « C’est à ce côté pratique qu’Ésope dut une popularité telle que la Grèce transforma plus tard ce Grec d’adoption en génie tutélaire. « Il semble, remarque M. Morel, que le peuple contemplât sa pauvre image dans ce pauvre affranchi, ce demipaysan exposé tant de fois aux traverses de l’existence. »

Selon toute probabilité, les fables d’Ésope furent d’abord écrites en vers ïambiques. Celles que nous possédons aujourd’hui sont en prose, d’un style simple et concis, mais pas toujours d’une correction irréprochable.

Fables de Marie de France. Elles datent du xine siècle, et s’élèvent au nombre de cent trois pièces, dans le recueil des poésies de Marie de France publié par Roquefort. Citons la suivante :

LA MORS ET LE BOSQUILLON.

Tant de loing que de près n’est laide La Mors. La clamoit à son ayde Tosjors, un povre bosquillon Que D’ot chevance ne sillon : « Que ne viens, À ma mie, Ftner ma dolorouse vie I ■ Tant brama qu’advint ; et de voix Terrible : « Que veux-tu ? — Ce bois Que m’aydiez à carguer, madame. • Peur et labeur n’ont mesme game.

Une des plus curieuses est la Fable de la terne qui dist qu’ele morroit, pour ce que son mari vit aler son dru o lui (son ami avec elle) au bois. Ce morceau, qui est plutôt un conte qu’une fable, rapporte l’histoire d’un mari jaloux qui, ayant quelques soupçons sur sa femme, l’épie un jour et la voit entrer dans le bois avec un de ses propres amis ; Quand elle revient à la maison, le vilain l’accable d’injures..Mais la dame, affectant aussitôt une grande consternation, s’écrie en pleurant qu’il-ne lui reste plus longtemps k vivre ; qu’on avait vu de même, avant la mort de son père et de sa mère, un homme inconnu ac FABL

compagner plusieurs jours de suite leur ombre sous des arbres, quoique, pendant ce temps-là, ils fussent ailleurs, et que, dans sa famille, c’est un signe de mort certain. Elle ajoute qu’après un tel avertissement elle doit se retirer dans un couvent pour mettre ordre k sa conscience et se séparer de son mari en emportant tout son bien. Le bonhomme effrayé demande pardon à sa femme de s’être trompé et la conjure de rester auprès de lui, ce qu’elle lui accorde sajis peine. Il consent k jurer sur l’Évangile et devant toute sa famille, comme elle fexige, qu’il n’a pas vu ce qu’il a vu. En attendant, il va faire brûler un cierge k l’église afin de détourner le présage.

« Les fables de Marie de France, écrit Roquefort, composées avec cet esprit qui pénètre les secrets du cœur humain, se font remarquer surtout par une raison supérieure, un esprit simple et naïf dans le récit, par une justesse fine et délicate dans la morale et les réflexions... On y retrouve cette simplicité de style particulière à nos romans anciens, et qui fait douter si La Fontaine n’a pas plutôt imité notre auteur que les fabulistes d’Athènes et de Rome... Marie écrivait en français dans un temps où la langue, encore dans son enfance, ne pouvait offrir que des expressions simples et sans art ; elle y joignit des tournures agréables et une manière naturelle de tourner la phrase sans laisser apercevoir le tra’vail. » L’édition des poésies se Marie de France, par Roquefort, a été publiée en 1822 (2 vol. în-8°).

Fable» de Juan Ruiz, archiprétre de Hita, poète espagnol du xive siècle. À vrai dire, le recueil connu sous le nom général de Poésies de l’archiprêtre de Hita, un des plus curieux monuments de la littérature espagnole, ne porte pas le nom de fables., C’est une immense composition, très-originale, ’très-décousue, où se trouvent à la fois des cantiques, des histoires amoureuses, des aventures trop gaies, des conseils aux jeunes filles pour qu’elles ne se laissent pas séduire et des conseils aux entremetteuses pour réussir k mieux les enjôler, des récits autobiographiques assez peu en l’honneur du bon prêtre, mais surtout des apologues et des fables qui soulèvent quelques questions littéraires intéressantes, le tout relié, sous forme de poSine, par un fil assez léger.

M. de Puibusque, auteur d’un essai fort remarquable sur les Origines de l’apologue espagnol, en tête de sa traduction du Comte Lucanor, a remarqué que ces fables, malgré leur importance, ont échappé à tous les commentateurs de La Fontaine, Sylvestre de Sacy, l’abbé Guillon, Solvet, Robert, etc. Ce dernier, auteur d’un ouvrage intitulé Fables inédites des xile, xme et xive siècles, et fables de La Fontaine rapprochées de celles de tous les fabulistes (1825), dit qu’il n’a trouvé, dans la langue espagnole, aucune fable antérieure au xve siècle ; l’archiprêtre de Hita lui est tout à fait inconnu, de même qu’à M. Guillaume (Recherches sur les auteurs dans lesquels La Fontaine a pu trouver ses fables).

Les vingt-huit fables insérées dans le poème maearonique de l’archiprêtre, ont été presque toutes traitées également par La Fontaine, qui, très-probablement, les avait lues dans Ésope, Phèdre ou Pilpay ; ce sont aussi les sources ordinaires de Juan Ruiz, le second surtout. Il ne s’agit donc pas de l’imitation qu’aurait faite La Fontaine du poëte espagnol, que, selon toute apparence, il n’a pas connu, mais tout simplement de rapprochements dans la manière détraiter un sujet commun, rapprochements qui ont été faits, par les auteurs cités plus haut, à l’égard de tous les fabulistes, sauf notre archiprétre, ignoré d’eux. Voici les plus intéressantes de ces fables ; nous les indiquerons à ceux qui aiment ces curiosités bibliographiques :

Le Lion malade et les autres animaux ; le récit, la moralité, sont tout différents de la fable de La Fontaine. — Le Chien et le Voleur ; le chien ne veut pas accepter le morceau de pain que lui offre un voleur pour le faire taire, et perdre sa pitance de chaque jour pour une aubaine de rencontre ; le discours du mâtin est singulièrement joli de tournure et d’expression. — La Terre qui accouche ; c’est la Montagne qui accouche d’une souris. — Le Garçon qui veut se marier avec trois femmes ; nous ne savons si ce sujet a été traité par un autre. — Les Grenouilles qui demandent un roi à Jupiter, — Le Cheval qui se moque de l’Ane ; c’est la fable des Deux mulets de La Fontaine, avec quelques différences. — Le Loup, la Chèvre et la Grue ; la grue retire un os de chèvre de la gorge du loup ; c’est la même fable que le Loup et la Cigogne dans La Fontaine. — L’Aigle et le Chasseur. — La Corneille qui veut faire la roue comme le paon ; c’est le Geai paré des plumes du paon. — Le Cheval et le Lion ; dans La Fontaine, c’est le Cheval et le Loup ; le cheval feint d’avoir mal au pied et lance au lion, qui le regarde sous la semelle, une ruade qui lui casse la mâchoire. « Ainsi meurent tous les goulus, s’écrie l’archiprêtre I Manger sans mesure et grande buverie ont tué plus de gens que le couteau. Hippocrate l’a dit. » — Le Coup de pied de l’Ane ; même fable que La Fontaine ; seulement, dans le vieux fabuliste espagnol, le lion se tue de ses propres griffes, honteux de survivre k un tel affront. — Le Loup et le

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Renard devant le Singe, alcade de Buxia ; c’est la même fable que dans La Fontaine : le loup a pour avocat le lévrier, et le renard un grand mâtin de bergerie ; il y a dans les deux plaidoyers un esprit charmant ; la sentence du juge, trop longue peut-être, est d’un comique achevé ; c’est la parodie des vieilles formules judiciaires usitées en Castille. Notons encore : le Lion et, le Hat, le Renard et le Corbeau, le Rat de Monferrado et le Rat de Guadalajara (le Rat de ville et le Rat des champs), le Jardi>iier et la Couleuvre. Le Renard qui.fait le mort dans un poulailler a une vivacité, une originalité de récit que La Fontaine n’a pas surpassées. Nous pourrions citer un grand nombre d’autres fables de cet auteur, qui est trop peu connu en France.

Quoiqu’il emprunte ses sujets, comme nous l’avons dit, k Phèdre, k Ésope et k Pilpay, l’archiprêtre de Hita reste très-original, comme notre La Fontaine, par sa mise en scène, son style, sa manière de poser les personnages, et souvent par la moralité nouvelle qu’il sait tirer du récit. Il faut dire aussi que ses fables empruntent un relief singulier au cadre qu’il leur a donné. Elles émaillent d’une façon pittoresque son poëme bizarre, qui débute par une oraison à Jésus-Christ et des cantiques en l’honneur de la "Vierge, pour aboutir aux noces de dom Melon. et de dona Endrina, par l’entremise de dame Trotte-Couvents, et au récit des amours manquées du licencieux archiprétre avec une jolie Mauresque.

Il y a, dans les vers de l’archiprêtre, un souffle, une vigueur qui se démentent rarement, et d’autant plus remarquables que ses œuvres appartiennent à une littérature k peine formée. Il composa sans modèle dans sa langue et dut tout à son inspiration originale. Ses Poésies n’ont jamais été traduites en français. On les trouve, en original, dans le recueil de Sanchez : Poesias anlariores al siglo xv, réimprimé-par Baudry (Paris, 1 vol. in-S"). Sanchez a cru devoir supprimer une vingtaine de strophes, comme trop licencieuses.

Fables d’Abstêmius, en prose latine. La Fontaine a puisé dans le vieux recueil de cet auteur des sujets "très-intéressants, entre autres : les Femmes et le secret, la Ajort et le mourant, e Pouvoir des fables. Le recueild’Abstémius s’appelle Hecatomythium, et com Ïirend cent fables, les unes traduites du grec, es autres nouvelles. Il a paru k Venise en 1495, Un second Hecatomythium a été publié dans la même ville en 1499. Pillot a donné une traduction française des Fables d’Abstémius (Douai, 1814).


Fables de La Fontaine. Ces fables furent publiées par l’auteur lui-même, en trois recueils, à des dates différentes, qu’il n’est pas inutile de rappeler, et sous ce titre sans prétention : Fables choisies, mises en vers. Le premier, qui parut en 1668, contient les six premiers livres ; il est dédié au grand Dauphin. Le deuxième recueil, qui parut en 1678, renferme les cinq livres suivants, jusqu’au onzième inclusivement : c’est dans ce second recueil, dédié à Mme de Montespan, que se trouve le plus grand nombre de ses chefs-d’œuvre. Enfin, le troisième et dernier recueil, qui ne contient que le douzième livre, parut en 1694, quinze ans après le précédent, et un an seulement avant la mort de La Fontaine.

Les Fables de La Fontaine sont, comme il le dit lui-même,

Une ample comédie à cent actes divers.

La duchesse de Bouillon, en appelant La Fontaine son fablier, semblait dire qu’il avait produit des fables comme un arbre produit des fruits.

Mme de Sévigné, parlant des Fables de La Fontaine, disait : « C’est un panier de cerises, on veut choisir les plus belles et le panier reste vide. »

Garrick, soupant avec les acteurs de la Comédie-Française, s’amusait à opposer, à chaque nom de grand poëte français prononcé devant lui, le nom d’un poëte anglais, que l’on pouvait considérer comme son égal, « Et Molière ? » lui dit-on. Garrick, sans se décontenancer, refusa de lui chercher un rival, en disant que Molière, génie universel, n’appartenait pas plus à la France qu’à l’Angleterre ou à toute autre nation. Eh bien ! ce qu’il disait de Molière, il aurait pu tout aussi bien le dire de La Fontaine, et peut-être même à plus juste titre encore ; notre grand fabuliste appartient à l’humanité tout entière : il n’est ni Français, ni Anglais, ni Allemand, ni Espagnol ; il est de ceux que toutes les nations, toutes les littératures peuvent revendiquer, car il s’identifie avec le gënie même de l’homme dans ses profondeurs les plus intimes. Tous les fabulistes s’éclipsent, en effet, auprès de lui ; ils n’occupent aucun rang et ne sont pas plus ses descendants que les Myrmidons n’étaient les descendants d’Hercule. Virgile est quelquefois préféré à Homère ; Galien est l’émule d’Hippocrate ; Michel-Ange le dispute à Raphaël, et la gloire de Napoléon rivalise avec celle de César ; seul, La Fontaine est hors de pair. On l’a surnommé de son vivant l’inimitable, et la postérité a confirmé ce jugement, qu’aucun fabuliste à venir ne fera casser.

Extrayons de

Cette ample comédie à cent actes divers

deux petites scènes qui ne sont que deux points dans ce vaste tableau, que deux morceaux minimes dans cette riche mosaïque, les deux fables intitulées le Renard et le Corbeau, le Loup et le Chien. Analysons les beautés, faisons saillir les images.

LE RENARD ET LE CORBEAU.

Maître corbeau, sur un arbre perché,
    Tenait en son bec un fromage ;
Maître renard, par l’odeur alléché,
    Lui tint à peu près ce langage :
    « Hé ! bonjour, monsieur du corbeau.

Au premier coup, il l’anoblit. Comment ne pas prêter une oreille complaisante à un langage aussi poli ? Ce n’est pas de l’atticisme, ce n’est pas de l’encens d’Arabie, assurément ; c’est plutôt un coup d’encensoir. Mais le renard sait qu’il ne faut pas prendre beaucoup de précautions : il flatte, et c’est à un corbeau que s’adressent ses louanges. On a comparé la flatterie à l’anneau que l’on passe dans le nez du buffle d’Italie, et à l’aide duquel le pâtre napolitain le dirige à volonté.

Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !

Les deux hémistiches de ce vers forment battologie, et le second n’enchérit pas sur le premier. Mais le flatteur, dans son ardent désir de plaire, ne craint pas de se répéter. Il en donne trop, persuadé que celui qu’il flatte n’en aura jamais assez.

   Sans mentir, si votre ramage
    Se rapporte à votre plumage.
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.

Remarquez que le renard use de précautions oratoires. Il veut amener le corbeau à ouvrir le bec, c’est-à-dire à chanter ; mais il ne dit pas dès le début : Si votre ramage se rapporte à votre plumage ; ce sera le post-scriptum de la lettre. Il n’arrive au fait qu’après avoir préparé les voies. Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois : voilà le bouquet. On ne résiste pas à un compliment qui va emprunter ses termes à la fable de l’ancienne Égypte. Dans le vieux Roman du Renard, où se trouve également ce récit, le fourbe commence son discours avec beaucoup d’adresse :

Par le saint Dieu ! que vois-je là ?
    Dieu vous sauve, sire compère.
    Bien ait l’âme de votre père,
    Dom Corbeau qui bien sais chanter.

À ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie,
       Et, pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Ces trois rimes, semblables par le son, bien que différentes de genre, accusent de la part de l’auteur une intention d’harmonie imitative. De toutes nos voyelles, la diphthongue oi est celle qui oblige à ouvrir le plus la bouche. On voit le corbeau, on l’entend jeter dans les airs ce cri rauque, discordant et de si mauvais augure.

      Le renard s’en saisit.

Encore de l’harmonie imitative, s’en saisit. Il est impossible de prononcer lentement ces trois syllabes, et cette rapidité indique l’ardeur du renard à se précipiter sur la proie dont la conquête lui a coûté tant de fleurs de rhétorique.

... Et dit : « Mon bon monsieur,
        Apprenez que tout flatteur
   Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »

Le renard change de ton. Ce n’est plus mon beau, c’est mon bon monsieur, et bon signifie ici simple, crédule, sot, comme dans bonhomme :

Au peu d’esprit que le bonhomme avait.

La Fontaine n’a pas jugé à propos de faire répondre le corbeau. Il demeure anéanti ; et l’on se fait une idée comique de l’air penaud avec lequel il regarde de ses deux grands yeux ronds le renard qui dévore sur place le fromage, et qui ajoute cruellement, selon le vieux fabliau :

      Dès l’heure où je suis né
      Ne mangeai de si bon fromage.
      Le corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

Ce serment, il le fait in petto. Mais profitera-t-il de la leçon ? Il est permis d’en douter. La flatterie est un mets des dieux. La voix qui flatte est plus douce que celle des Sirènes, et Ulysse aurait sans doute brisé ses liens, si les filles d’Achéloüs avaient célébré dans leurs chants la valeur, la sagesse et la prudence du héros d’Ithaque.

LE LOUP ET LE CHIEN.

   Un loup n’avait que les os et la peau.
     Tant les chiens faisaient bonne garde ;
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau.
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
      L’attaquer, le mettre en quartiers,
      Sire loup l’eût fait volontiers ;
      Mais il fallait livrer bataille,
      Et le mâtin était de taille