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quel les étudiants polonais prirent une part si admirable, et dont il avait, dix ans à l’avance, préparé les éléments. Plus d’une fois son souvenir fut évoqué au milieu de cette grande crise ; et comme en France, où le rôle d’appel garda si longtemps le nom du premier grenadier La Tour d’Auvergne, même après sa mort, dans l’insurrection lithuanienne, quand on demandait quel était le premier soldat, le premier patriote de la contrée, toutes les voix répondaient : « Zan ! « En effet, quoique dissoute légalement, la société des philarètes n’en continua pas moins d’exister de fait ; elle exerça sur les esprits une grande influence, et c’est à elle qu’il faut attribuer le concours que les citoyens prêtèrent à la conjuration militaire de Saint-Pétersbourg de 18S5, et à la révolution du 29 novembre 1830.

Adam Mickiewicz a immortalisé dans son mystère des Aïeux les étudiants de Wilna. Lui-même avait été frappé d’exil comme affilié à leurs associations, ainsi que l’historien Lelevel. Dans ses notes, il dit : » Tous les auteurs qui ont parlé de ces temps de persécution et de martyre s’accordent sur ce point, que, dans l’affaire des étudiants de Wima, il y avait quelque chose de mystique et de prodigieux. Le caractère profond, affable, mais inflexible de Thomas Zan, coryphée de la jeunesse ; la pieuse résignation, l’amour fraternel de ses compagnons de captivité, le châtiment de Dieu, qui poursuivait évidemment les bourreaux, ont laissé une profonde impression sur l’esprit de tous ceux qui ont pris part à ces événements et qui en furent les témoins, et semblent nous transporter dans les temps des miracles et de la foi primitive. » Miekiowiez s’est plu à retracer les scènes historiques et les caractères des personnages agissants de cette époque. Plusieurs parmi ceux-ci avaient été ses camarades ; il les nomme : c’est Jegota (prénom héraldique d’Ignace Domeyko, son compagnon d’exil), l’abbé Lwowicz, le Volhynien Prétend, Jean Sobalewski, qui, incorporé dans le corps du génie russe, mourut peu de temps après, comme Félix Kolakowski, envoyé à Khai-.an, puis rappelé à Saint-Pétersbourg. Il donne place aussi dans son œuvre à Zénon Niemoiewski, étudiant en droit de l’université de Varsovie, un des héros de la nuit du 29 novembre 1830, qui attaqua, lui dix-septième, le château du grand-duc Constantin et le chassa de Varsovie ; à Pierre Wysoçki, le chef de l’école des porte-enseignes, pépinière do héros, qui décidèrent la nuit du 29 à l’avantage de l’insurrection ; à Cichowski, mis nu cachot (le

1822 à 1820. Il avait fait partie du premier comité patriotique fondé par Lukasinski. C’est au silence de ces deux martyrs que l’on dut le salut des autres conjurés et la conservation du foyer révolutionnaire. Les universités de Varsovie et de Wilna ont été supprimées en 1832. La durée des études était de trois ans. Voilà l’étudiant ; voyons maintenant Vétitditpile. Ici, nous ne pouvons pas, comme Bolleau, dire par antithèse :

Passons du grave au doux, du plaisant au sévère.

car Xétudiant, que nous sachions, n’est pas plus grave que l’étudiante n’est sévère. Décaissons donc l’étudiante : Petit mammifère rongeur à museau rose, à crinièro brune, blonde ou rousse, très-friand de cancan, de galette et de spectacle ; il habite de préférence les hauteurs de la vieille ville, à la fois tranuitle et bruyante, située sur la rive gauche o la Seine. Volage et passager, on le voit par fantaisie, et souventpar besoin, faire pour un jour, ou plutôt pour une nuit, son nid dans les mansardes du quartier Latin. Les voyageurs qui signalèrent les premiers l’étudiante à l’attention du monde civilisé, ., et bustringueur, la confondirent avec la (/risette, dont elle n’est, à vrai dire, qu’une dégénérescence. D’observations plus récentes et de travaux fort compliqués lus à l’Académie des sciences, il ré-, suite d’une façon certaine qu’elle n’est, à vrai dire, que la femelle de l’étudiant, dont elle aurait pris le nom ; car il fauf toujours que cet animal aimable prenne à l’homme quelque chose. Des gens sérieux et plusieurs fois décorés, auteurs de travaux vraiment remarquables’sur la génération spontanée, et qui, par suite, connaissent l’alpha et l’oméga de toute chose, ont affirmé sur l’honneur de Phémie Tape-à-1’ûïil que l’étudiante est née sous le règne de Sa Majesté Louis-Philippe lcr) vers l’époque mémorable de la rentrée des cendres de Napoléon. Inutile d’être profond comme un puits et d’être aussi fort que feu Zoéga sur l’origine et l’usage des obélisques, pour deviner que ce nom d’étudiante lui vient de ce qu’elle n’étudie pas et de ce qu’elle empêche surtout l’étudiant d’étudier. Soyons avant tout d’une logique serrée. Ce préambule, était absolument indispensable pour arriver sans secousse au parallèle qu’à l’exemple de Plutarque et de beaucoup d’autres il est de notre devoir de risquer entre l’étudiante et la grisette.

Et d’abord la grisette a-t-elle réellement existé ? « Faudrait voir ! » comme disent les gens distingués.

— I. Première question : La grisette a-t-elle existé ? Nous ne remonterons pas au déluge, car les grisettes d’alors étaient trop peu vêtues pour qu’on en puisse parler décemment. Et puis ne nous brouillons pas avec les érudits, qui nous démontreraient que, s’il est parmi uous de charmants petits êtres, propres, élé l

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gants, coquets, toujours prêts à sacrifier à la Vénus lacile, il ne faut pas les confondre pourtant avec aucun des genres connus dans l’antiquité, tels que bayaderes de l’Inde, aimées d’Égypte, antétrides, familières, dictériades et autres courtisanes fort prisées des Grecs, et que les Romains, ces maîtres en débauche, mirent aussi en honneur chez eux. Nous savons, certes, que, parmi les diverses variétés de prostituées, les Rhodope, les Aspasie, les Phryné, les Sapho, les Lesbie, les Livie, les Messaline, les Lucrèce Borgia, les Diane de Poitiers, les Marion Delorme, les Ninon de Lenclos, les Montespan, les Dubarry, les Camargo, les Sophie Arnould et autres que nous ne nommerons pas, jusqu’à la dame aux Camélias et à Rigolboche, on ne trouverait pas l’étoffe d’une grisette telle que Paul de Kock, Auguste Ricard et Eugène Sue l’ont décrite, telle que Gavarni l’a crayonnée, telle que Béranger l’a chantée. Manon Lescaut est le fragile arbuste qui, prenant racine en terre parisienne, a produit toutes les Lisettes, toutes les Rigolettes que beaucoup de gens de bonne loi, d’ailleurs, sou tiennent être le produit artificiel du roman, aussi bien que les Musettes et les Mimis rendues à jamais fameuses par les pochades légères de la Vie.de Bohême, et que la Mirai Pinson d’Alfred de Musset. Sans doute ce serait ici le cas de se livrer à une définition bien sentie du petit mauvais sujet que nous traitons. Les respectables vieillards qui se réunissent sous la marmite renversée destinée «servir de coupole à leur Institut, dans le but assurément fort louable de définir tous les mots de la langue française, qualifient la grisette de « substantif féminin », en ajoutant ces paroles remarquables : « Jeune fille ou jeune femme de médiocre condition. > Rien de plus ; nous voilà bien avancés ! Ainsi quarante hommes, aussi chauves qu’immortels, se sont assemblés officiellement pour dire deux inexactitudes au moins en quatre mots, car toute fille de médiocre condition n’est pas une grisette, et du moment où la grisette véritable se marié et devient une jeune femme, elle n’esi plus une grisette.

Vous voyez bien que c’est ici le cas de faire de l’histoire. Donc, au commencement du règne de Louis XIV, le roi-soleil, ainsi nommé parce qu’il était spirituel comme un brouillard de Hollande, le Pré aux Clercs avait presque perdu toute sa clientèle d’écoliers. Moins tapageuse qu’aux époques précédentes, la population des écoles accourait aux heures de loisir sous les ombrages du jardin du Luxembourg, où l’on n’était pas encore exposé, comme aujourd’hui, à rencontrer tout à coup des sénateurs. Vers le même temps, l’architecte Mar.sard avait commencé l’œuvre d’assainissement de la capitale, en transformant en petites chambrettes saines et bien aérées le dernier étage ou plutôt le faîte des maisons, qui, auparavant, étaient d’affreux réduits. De nombreuses filles du peuple, trouvant leur existence dans un travail journalier, que les magasins de couture et de fantaisie et quelques ateliers d’industrie leur procuraient, vivaient alors, suivant l’usage des pauvres gens, hors du logis de famille ; émancipées, elles faisaient chambre à part. Elles s’élancèrent avec joie vers les nouvelles demeures, auxquelles on donna le nom de mansardes ; elles prirent plaisir à respirer l’air pur qui régnait au-dessus de l’épaisse atmosphère de la ville et à embellir leur étroite fenêtre de fleurs et de verdure. Par une matinée de printemps, une bande à’étudiants qui se rendaient aux cours levèrent la tête et aperçurent ces petits nids aériens, où, de distance en distance, apparaissaient une mignonne figure et des yeux dans lesquels la jeunesse et la gaieté resplendissaient. Les relations du voisinage furent vite établies ; il se forma par la suite un lien sympathique dont la force rendit inséparables, non pas les individualités, mais les deux classes, qui se regardèrent comme fiancées l’une à l’autre... devant la nature.

Les jeunes filles, locataires des mansardes, dit Maurice Alhoy, à qui nous empruntons une partie de ces détails, portaient la plupart pour vêtement une simple robe d’étoffe grise alors en usage, et, par allusion à leur mise, elles reçurent le surnom de grisettes, dont elles firent parade, plus tard, en restant à l’état de médiocrité, en justifiant par le travail l’amour excessif de l’indépendance, en cachant leurs caprices à l’abri d’une profession. • Dans les premières années dusiècle où nous vivons, le type grisette s’était conservé sans que le temps eût altéré son empreinte, La grisette ne connaissait de la topographie parisienne que l’espace qui séparait son logis du jardin de la Chaumière ; elle ne savait que la route de Fontçnuy, la patrie des roses, où le dimanche elle allait moissonner ; elle entendait bien parfois parler des Tuileries, du Palais-Royal, de l’Opéra, mais sa curiosité ne s’éveillait pas. Que lui faisait la pompe de la promenade de Longchamps ? Un modeste coucou la menait le dimanche au parc de Sceaux-Penthièvre, où l’aristocratie luisait cercle, par exception, autour des quadrilles populaires. La rive droite de la Seine n’existait pas pour la grisette. Les ponts Neuf et Saint-Michel bornaient son horizon ; ses affections, son travail, ses joies, les douces agitations de sa vie étaient concentrés dans l’étroit espace du quartier Latin. Mais le moment arriva où la grisette devait subiruuie

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transformation, où son type allait perdre de son relief original ; ce changement commença

; t se produire le jour où toutes les extrémités

de Paris se rapprochèrent du centre, à l’aide des voitures économiques qu’on nomme omnibus. Cette facilité, cette rapidité de transport éveillèrent-dans la grisette sédentaire ce désir de déplacement qu’elle n’avait jamais ressenti. Elle s’élança, pour quelques centimes, vers des quartiers inconnus, elle lit l’apprentissage d’un monde nouveau. Elle prit goût à son éclat, à ses chances de vie aventureuse, à ses tombolas de fortune, à ses misères, qui s’étourdissent par le son de l’or et le bruit du Champagne. La grisette se demanda pourquoi elle aurait moins de chances que les favorites de la destinée. Elle revint pensive à sa mansarde, elle regarda tristement sa robe grise, qui avait inspiré à plusieurs un sourire moqueur... Deux mois après, elle était demoiselle de comptoir dans un des plus brillants cafés, elle portait une robe de 18 mètres d’envergure. Ce fait isolé s’est multiplié à l’infini, avec des destinées diverses pour les grisettes. Le mouvement d’émigration a commencé en 182S, il a continué longtemps après. »

Aujourd’hui l’espèce grisette est à peu près disparue ; elle ne se reproduit plus : on ne trouve son spécimen que dans les feuilletons et les vaudevilles ; la lithographie a beau s’évertuer à en fourrer partout, en cherchant à la ressusciter, elle ne fait que commettre des anachronismes dont la province n’est même plus la dupe.

Eh ! non, non, non,

Vous n’êtes plus Lisette.

Eh ! non, non, non,

Ne portez plus ce nom.

— II. Deuxième question : La grisette al-elle été fidèle ? 11 y a longtemps que les poètes, ces mauvaises langues, ont dit que non, mais sans colère. Témoin Béranger :

Lisette, ma Lisette,

Tu m’as trompé toujours ;

Mais vive la grisette !

Il y a deux siècles que le bon La Fontaine disait déjà :

Une grisette est un trésor,

Et, sans se donner de la peine, Et sans qu’au bal on la promène, On en vient aisément à bout.

On lui dit ce qu’on veut.bjen souvent rien du tout : La peine est d’en trouver une qui soit fidèle.

«Facile à prendre, impossible à garder ! ■ teile pourrait être la-devise de la grisette, singulier mélange des qualités les plus opposées. « L’homme n’est pas né parfait, « disait un gendarme ; la grisette non plus n’est pas née parfaite. Bonne, gentille, amusante et dévouée, les bonnes qualités l’emportent néanmoins sur tout le reste. C’était donc une hrave et belle fille qui, en amour, adoptait la moitié du célèbre aphorisme de Chamfort : « L’amour est l’échange de deux fantaisies. « " Aussi, jamais ses liaisons n’étaient précédées d’un de ces honteux marchés qui déshonorent la galanterie moderne. Comme elle le disait elle-même, elle jouait franc jeu et exigeait qu’on lui rendit la monnaie de sa pièce..Mais si ses fantaisies étaient vives et spontanées,

— elles n’étaient jamais assez durables pour arriver à la hauteur d’une passion, et la mobilité excessive de ses caprices, le peu de soin qu’elle mettait à regarder la bourse et les bottes des aimables jouvenceaux qui lui en voulaient conter apportaient une grande mobilité dans son existence. La Musette de Henry Mùrger est une des dernières grisettes ; ce n’était plus, il est vrai, la simple grisette d’autrefois, mais ce n’était pas encore l’étudiante tapageuse et triviale d’aujourd’hui. Quand de temps à autre elle s’envolait vers les hauteurs cythéréennes du quartier Bréda, elle avait toujours soin de laisser son cceur en gage au quartier Latin. Dans cette perpétuelle alternative de coupés bleus et d omnibus, d’entre-sol et de cinquième étage, de robes de soie et de robes d indienne, de fins repas et de jours sans pain, qui fut sa vie, tout ce qui’caractérise la grisette dominait assurément. Fille charmante et détestable ! poëme vivant ’de jeunesse et de folie, au rire sonore, au chant joyeux ! cœur pitoyable, battant pour tout le monde sous la guimpe entrebâillée. O mademoiselle Musette ! sœur de ■ Bernerette et de Mimi Pinson, comment raconter votre insouciante et vagabonde course dans les sentiers fleuris du caprice ? Laissons parler Mùrger :

« Musette avait ce jour-là une ravissante toilette ; jamais reliure plus séductrice n’avait enveloppé le poëme de sa jeunesse et de sa beauté. Au reste, Musette possédait instinctivement le génie de l’élégance. En arrivant au monde, la première chose qu’elle avait cherchée du regard avait dû être un miroir pour s’arranger dans ses langes ; et, avant d’aller au baptême, elle avait déjà commis le péché de coquetterie. Au temps où sa position avait été des plus humbles, quand elle était encore réduite aux robes d’indienne imprimée, aux petits bonnets à pompons et aux souliers de peau de chèvre, elle portait à ravir ce pauvre et simple uniforme des grisettes. Ces jolies filles, moitié abeilles, moitié cigales, qui travaillaient en chantant toute la semaine, ne demandaient à Dieu qu’un peu de soleil le dimanche, faisaient vulgairement l’amour avec le cœur, et se jetaient quelque ETUD

fois par la-fenêtre. Race disparue maintenant, grâce à la génération actuelle des jeunes gens : génération corrompue et corruptrice, mais par-dessus tout vaniteuse, sotte et brutale ; pour le plaisir de faire de méchants paradoxes, ils ont raillé ces pauvres filles à propos de leurs mains mutilées par les saintes cicatrices du travail, et elles n’ont bientôt plus gagné assez pour s’acheter de la pâte d’amandes. Peu à peu, ils sont parvenus à leur inoculer leur vanité et leur sottise, et c’est alors que la grisette a disparu. C’est alors que naquit la lorette, race hybride, créature impertinente, beauté médiocre, demi-chair, demi-onguents, dont le boudoir est un comptoir où elles débitent des morceaux de leur cceur, comme on ferait des tranches de rosbif. » •

C ; est alors, peut-on ajouter, que naquit IVtûdiante, où reste à peine quelques traces de cette fleur idéale qu on appelait la grisette, fille intelligente, aimante et spirituelle, rebelle à toute chose imposée, n’ayant jamais pu ni su résister à un caprice, quelles que dussent en être les conséquences. L’étudiante, hélas ! se multiplie àvuéd’œil ; comme toutes les espèces de second ordre, elle tend au croisement et à la banalité. Pauvre créature, prise indistinctement parmi les servantes, les blanchisseuses, les culottières, les brocheuses, les modistes, les fleuristes, les brunisseuses, quo l’oisiveté entraîne et qui n’a pas toujours 1 intelligence des bêtes dont elle porte les plumes sur son chapeau. Impossible de lui dire comme Rodolphe à Mimi :

Nous étions bien heureux dans ta petite chambre Quand ruisselait la pluie et que soufilait le vent ; Assis dans le fauteuil, près de l’âtre, en décembre. Aux lueurs de tes yeux j’ai rêvé bien souvent. Feuilletant un roman, paresseuse et frileuse. Tandis que tu fermais tes yeux ensommeillés, Moi je rajeunissais ma jeunesse amoureuse, Mes lèvres sur tes mains et mon cœur a. tes pieds.

Impossible de lui chanter cola, vous dis-jo ; elle s’écrierait aussitôt de sa v’oix enrouée et avec un geste canaille : « Oh ! qu’ t’es sciant ! « car l’étudiante est enrouée et elle a le geste de la voie publique où elle est née sans que l’on voulut d’elle, ni son père, un chiffonnier ni sa mère, une traînée de la rue Moulfetard. Lâchée de bonne heure dans les rues, son domaine, elle est partie du tas d’ordures et elle y reviendra ; mais c’est une femme, allez I et pas une mijaurée comme Lisette. Quant à l’amour, des navets ! Et maintenant mesurez la distance qui sépare l’étudiante de la grisette, de cette grisette qu’un dictionnaire pittoresque et fantaisiste de 1S33 définissait ainsi : > Jeune iille qui n’est ni galante ni vertueuse ; qui sait à la fois accorder le travail et le plaisir ; qui le matin va à l’église avec sa mère, et le soir au bal avec son amant. •

— III. Troisième question : Existe-t-il encore des grisettes ?

Type charmant, grisette sémillante.

Au frais minois, sous un pimpant bonnet.

Où donc es-tu, gentille étudiante, ’ '

Reine sans fard de nos bals sans apprêt ?...

Du feu du punch infidèle vestale,

Tu t’envolas vers la cité d’Antin...

Ah ! qu’un flohu l’ail ai llik-li mieux qu’un chile,

Quand tu régnais au vieux quartier Latin !

C’est ainsi que s’exprime la chanson. À qui la faute si la grisette s’est envolée vers Bréda-street dans le dessein d’y perdre la seule chose qui lui restât encore a perdre : son désintéressement ? On a vu, par les citations précédentes, que les auteurs sont partagés sur cette grave question. Les uns, comme on l’a dit, accusent les omnibus ; les autres prétendent que tout le mal est venu de MM. les étudiants eux-mêmes. M. Théodore de Banville n’est pas loin de partager l’avis de Henry Mùrger : * Décidés a subir courageusement leur destinée un peu âpre et rude, et à étudier en vivant presque de rien, comme des pauvres, pour ne pas obérer leurs familles, les étudiants acceptaient leur honnête misère avec un parti pris de gaieté et d’ardente folie, aimant mieux effaroucher les Béotiens que de les attendrir ou de leur faire pitié, et jetant sur leur pauvreté le seul manteau qui jamais cacha bien le manque d’argent : la fantaisie insouciante de l’artiste. Bien plus sages au fond qu’ils n’en avaient l’air, ils portaient des bérets basques pour économiser les 16 fr. d’un chapeau de soie ; et, ne pouvant pas non plus acheter à leurs compagnes des chapeaux de la bonne faiseuse, ils les promenaient ostensiblement en petits bonnets fous et en robes légères peintes de fleurettes. Ne possédant aucun moyen de leur donner le luxe et d’en faire do tristes et fausses grandes dames, du moins ils ne leur refusaient pas leur bras ; ils les avouaient avec une sincère affection et les montraient avec orgueil en plein midi ! Mince courage, d’ailleurs, car, n’étant pas forcés de se montrer riches, ces fillettes se donnaient la peine d’être jeunes, parées ne la grâce enfantine et fraîches comme des roses, à une époque où l’on n’abusait pas encore de cette farine improprement appelée poudre de riz.’ Elles ont été mille et mille fois célébrées, ces amoureuses du premier printemps et de la vingtième année, qui aimaient les chansons, et dont la toilette entière ne valait pas 2 louis I Elles ne l’ont pas été assez encore ; car, sorties du peuple, elles travail-