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M. Récaraier, le dévot^, qu’on avait préféré à Magendie, le savant, pour la chaire de Laënnee. Il ne put faire son cours qui, après plusieurs charges de police et de gendarmerie, fut enfin suspendu. La même année, une émeute éclatait rue Saint-Denis. Auguste Blanqui, alors étudiant en droit, y fut blessé d’une balle au cou.

Vers la fin de 1829, plusieurs étudiants patriotes conçurent un plan d’association républicaine reposant sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’étudiant Morhéry, depuis docteur médecin à Loudéac et représentant des Côtes-du-Nord à la Constituante, un des hommes qui.contribuèrent le plus à la révolution de 1830, fit à ce sujet des ouvertures au général Lamarque et à Voyez d’Argenson, qui refusèrent de prendre part à une résistance armée, puis à Auguste Fabre, qui parvint à faire accepter le commandement supérieur de l’association au général La Fayette. Disons, en passant, que Morhéry avait déjà exposé dans la Tribune des départements le

Ïilan d’une caisse commune des écoles, dans e but de venir en aide aux jeunes gens privés des moyens d’entreprendre ou d achever leurs études. Uji tel projet demandait un temps plus calme ; il est regrettable que depuis lors ’on n’ait pas repris cette excellente idée. Ce fut le 19 janvier 1830 que se constitua définitivement la société, sous le nom d’Association de Janvier. Ilyentraquelques députés, des militaires de tout grade, des médecins, un grand nombre d’étudiants et jusqu’à des pompiers, qui livrèrent leurs armes à leurs coassociés au moment du combat. On avait embauché presque tous les cochers de nacre. En peu détemps, les affiliés dépassèrent le nombre de 15,000, outre le contingent des départements. La lutte devenait probable ; le

général La Fayette, chef suprême honorifique, entrevoyait lui-même la nécessité de s’y préparer. Il parut au banquet annuel des jeunes Bretons et ne cacha pas sa pensée. Des banquets.par provinces furent organisés. A celui du Berry figurait un jeune étudiant en droit dont le nom devait avoir plus tard un grand retentissement dans les lettres et dans la politique, Félix Pyat ; il se signala en portant un toast à la Convention.

Le 26 juillet, au moment où l’on s’attendait le moins à l’action, parurent les ordonnances. Les écoles étaient dégarnies, car c’était à la veillé des vacances ; La Fayette se trouvait à sa campagne, de sorte que l’association, livrée à elle-même, était privée de son chef principal et d’une partie de ses membres les plus dévoués. Ceux qui étaient présents à Paris se réunirent chez Armand Marrast, où il fut décida qu’on appellerait aux armes. Chez Alexandre de Laborde, un étudiant proposait en même temps, au nom de ses camarades, de mettre les Bourbons hors la loi. Ce soir-la, au bal de la Chaumière, les quadrilles s’arrêtent à la nouvelle des ordonnances. Une grande et sainte colère enivre tous les cœurs. L’orchestre exécute la Marseillaise, que tout le monde répète en choeur. Les mains se cherchent, on s’embrasse et tous jurent de vaincre ou de mourir pour la liberté. Le lendemain, nouveaux Camille Desmoulins, des jeunesgens commentent les ordonnances dans les rues et au Palais-Royal ; ils appellent le peuple aux armes. Les élèves de l’École polytechnique passent la nuit à s’improviser des armes, et, l’intrépide Vanneau se mettant à leur tète ; ils escaladent la muraille et courent aux barricades, où se tenaient les étudiants mêlés au peuple. Plusieurs avaient’déjà perdu la vie. Un étudiant en médecine, nommé Papu, voyant sa colonne, composée d’ouvriers et déjeunes gens, se débander devant un feu de peloton meurtrier, s’était élancé en s’écriant : « Eh bien, je vais vous apprendre à mourir ! • et il était tombé foudroyé. « Dites à mes amis les Bretons de continuer la lutte, » dit-il avant d’expirer. Rennes, sa ville natale, lui a érigé un monument. À l’attaque de 1 Hôtel de ville, un autre élève en médecine, Labarbe, eut les deux jambes fracassées ; il mourut quelques jours après des suites de l’amputation, qu’il supporta la pipe à la bouche- Dès le 29 juillet, la prise d’armes fut générale au quartier Latin. On sait le reste : les étudiants en droit et en médecine rivalisèrent d’héroïsme avec les élèves de l’École polytechnique, qui partout bravèrent la mort avec intrépidité. On sait aussi combien ils furent trompés, eux et le peuple, dans leurs communes espérances. Au lieu de la république, on donna à la France un replâtrage monarchique. La Fayette dit, en embrassant Louis-Philippe : • Voilà !a meilleure république. » Amère dérision I l’année n’était pas expirée qu’une machination de police, organisée par M. Odilon Barrot, alors préfet de la Seine, vint briser en partie les liens qui unissaient si étroitement après la victoire les grandes écoles et le peuple de Paris.

— V, Sous le gouvernement de Juillet, nous voyons les étudiants faire face aux réactions aveugles. Excepté dans les premières années, cependant, ils firent peu de manifestations publiques. Une Société de l’ordre et du progrès, formée par l’étudiant Sambuc, et dont chaque membre était tenu d’avoir un fusil et des cartouches ; une autre société dirigée par MM. Marc Dut’raisse et Eugène L’Héritier, dont le but était l’abolition de l’Université, l’éducation libre, gratuite, obligatoire et purement laïque, eurent peu de durée. Quant à ia Société des Amis du peuple, qui comptait

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beaucoup de jeunes gens des écoles, elle disparut après les journées de juin 1832. Les étudiants républicains passèrent alors dans la Société des droits de l’homme, dispersée à son tour par le procès d’avril, et qui se reforma plus tard avec Blanqui, Barbes et Martin-Bernard, sous le nom de Société des familles, puis sous celui des Saisons. Barbes, étudiant en droit des premières années de Louis-Philippe et mêlé à tous les complots, commanda la dernière prise d’armes contre le gouvernement de Juillet (12 mai 1839). Relevé sanglant dans la rue, il fut, après la défaite, condamné à mort, ainsi que Blanqui.

Pendant quelque temps le silence se fit ou sembla se faire au pays Latin. Les chaires de Miekiewicz, de Quinet et de Michelet ayant été successivement frappées d’interdit, l’esprit de la jeunesse se réveilla. Ce fut le journal la Lanterne du quartier Latin, dirigé par Antonio Watripon, à partir de 1847, qui donna le signal ; bientôt parut Y Avant-garde, journal des écoles, ayant pour rédacteur en chef M. Hippolyte Bosselet. Ce3 deux organes, unis dans le même but, agitèrent les questions politiques et littéraires du moment ; ils prirent l’initiative (3 février 1848) de la plus belle manifestation qui ait-encore été faite au quartier Latin depuis-1830. Dirigés par les rédacteurs, ’les étudiants, au nombre de trois mille, groupés trois par trois, allèrent porter à la Chambre des députés la pétition que les écoles avaient signée pour demander justice au nom de la liberté de pensée, violée dans les personnes de Mickiewicz, Quinet et Michelet. Ensuite, ils serendirent successivement au National, à la Réforme, au Courrier français, à la Démocratie pacifique, pour prier les rédacteurs de ces journaux d’être leur organe auprès de l’opinion publique, et d’affirmer au pays qu’ils conservaient intactes « les traditions des écoles de 1830 et de toutes les grandes époques. » Quelques jours plus tard devait avoir lieu le banquet du douzième arrondissement. Les mêmes jeunes gens voulurent donner leur concours à cette protestation solennelle organisée en faveur du.droit de réunion, nié par le pouvoir. Us publièrent une note dans laquelle il était dit : « Les écoles sont décidées à apporter dans cette manifestation le calme, l’esprit d’ordre et la fermeté si nécessaires à l’accomplissement d’un si grand acte politique, La réunion aura lieu mardi, place du Panthéon, à l’heure indiquée par les journaux. La colonne à’étudiants prendra place entre deux haies formées par les gardes nationaux de la douzième légion, dont le concours-est accepté avec reconnaissance. Il a été décidé par le comité organisateur que les écoles auraient dans le cortège une place officielle. » Le banquet ayant été ajourné par la commission, a cause de la reculade des députés de l’opposition, les étudiants, au nombre de plus de deux mille, n’en furent pas moins fidèles au rendez-vous. Leur colonne, grossie des ouvriers qu’elle rencontre, s© dirige vers la Madeleine. On veut l’arrêter sur le pont de la Concorde. Des municipaux font mine de tirer. Quelques jeunes gens découvrent leur poitrine et s’écrient : « Tirez si vous.voulez sur vos frères ! > La colonne se jette sur le palais Bourbon, alors à peu près désert, dans le but d’y déposer une pétition pour demander la mise en accusation du ministère. Ceci se passait le 22 : le 24, la France était en république.

La république fit bientôt place à l’empire. La jeunesse des écoles subit une phase de découragement ; on eût dit que la vie politique s’était retirée d’elle. Elle n’avait filus l’indignation des âmes ardentes et viries. Depuis quelques années il nous a été donné de la voir plus digne des dates mémorables de 1830 et de 1848. Comme leurs

aînées, les écoles du second empire ont eu leurs manifestations, dont l’importance mérite d’être signalée. L’esprit des écoles a été de tout temps indépendant et hardi ; en s’associant toujours à la marche des idées, les étudiants ont préparé l’avènement de la démocratie. Depuis le coup d’État, la jeunesse, dont le rôle a été amoindri, poussée par désœuvrement vers les plaisirs, a semblé devenir plus indifférente à la vie politique. Il ne faudrait plus se figurer les étudiants, sur la foi de vieilles physiologies datant de 1827, coiffés de bérets, armés de longues pipes et ne connaissant de Paris que la (Grande chaumière. La Grande chaumière est démolie, le béret n’est plus et la pipe est généralement remplacée parle cigare. L’étudiant ’de Gavarni et de Louis Huart a disparu, comme la grisette ; c’est un être fossile qu’on ne pourrait retrouver que dans des terrains tout-à fait antédiluviens. Les journalistes, pour se distraire quelque peu, et même de fins et spirituels écrivains, ont peint sur le vif des étudiants qui n’en étaient pas et qu’ils savaient bien ne pas en être. L’étudiant digne de ce vieux et grand nom qu’ont porté presque tous nos hommes illustres, depuis Abailard, Luther, Calvin et Montesquieujusqu’à Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Michelet, Ledru-Rollin, Bichat, Sainte-Beuve, n’a rien de commun avec les créations plus oji moins excentriques du feuilleton et du théâtre. « S’il fallait en croire ces peintures de mœurs, disait en 1845 M. Théophile Gautier à propos du drame les Etudiants de Frédéric Souîié, nous aurions des légistes et des médecins d’une étrange espèce, et ceux

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qui leur confieraient leurs intérêts ou leur santé seraient en belles mains ! On oublie trop, dans ces scènes, burlesques, que leseïiidiants sont, après tout, la fleur de la France, les fils des plus honnêtes familles, qu’ils ont fait leurs humanités et se sont préparés par les belles-lettres et la poésie à l’étude des sciences austères. Ce sont de vifs esprits, d’excellents cœurs qui aiment tout ce qui, est bon, et chez qui les difficultés de la vie, les désenchantements de l’expérience n’ont pas encore émoussé le sens supérieur. De tels jeunes gens peuvent-ils ressembler à ces étudiants de convention ? — Sans doute ce ne sont pas de petits Catons ; ils mettent peu à la caisse d’épargne et vont quelquefois se promener avec insouciance à ce beau soleil de la bohème qui éclaire tous les artistes et leur donne plus de rayons qu’il ne leur fait perdre d’heures. Ils font bien. Rien n’est horrible comme la jeunesse terne, froide, rangée, sobre, économe, prudente, avec toutes les pauvres vertus de l’âge mûr ; on peut jeter là le code pour le volume de vers d’Alfred de Musset, canonner le plafond de la mansarde avec des bouchons de vin de Champagne, et n’en pas moins être plus tard un bon avocat, un excellent député. Mats il faut, à travers tout cela, une distinction naturelle, une fermeté honnête, qui fasse comprendre tout de suite que ce sont des jeunes gens en gaieté et non des viveurs en débauche. »

Sans doute il existe bien encore quelques pauvres hères, étudiants vieillis, mais non dans l’étude, contemporains des Enfants du Prado, du Boeuf furieux et autres bouges, hôtes assidus des comptoirs de liquoristes et qui prétendent continuer la tradition, en vivant dans le désordre, l’ivresse et les habits débraillés ; ils n’ont rien de commun avec les étudiants, avec, ces jeunes hommes pleins de généreuses aspirations, âpres au travail, parce qu’ils savent quelle valeur immense l’étude donne à l’homme, et pour qui les heures de folie ne sont que les épisodes d’une vie ordinairement sédentaire et laborieuse.

Depuis quelques années, le souffle des générations de 1815, de 1830 et de 1848, souffle qui n’était pas éteint, mais seulement endormi, les agitéet les fait frissonner de nouveau. Leurs protestations contre M. Nisard et ses deux morales, contre Sainte-Beuve, qui depuis s’est fait pardonner, contre la fermeture des cours d’hébreu de M.Renan, ont rappelé les jours où leurs pères, eux aussi, protestaient contre le bâillon mis aux bouches éloquentes des Quinet et des Michelet. De sourdes agitations, à propos soit de la société secrète surprise au café de la Renaissance, soit des élections parisiennes, soit dos obsèques de Victor Noir, et enfin du cours de Tardieu, suspecté de complaisance devant la haute cour de Tours, ont attesté la persistance de ce réveil. L’héroïsme non plus n’est pas éteint, et, durant cette funeste guerre de 1871, aux ambulances ou le fusil a la main, la jeunesse des écoles a prouvé qu’elle n’avait pas dégénéré.

— VI. En relatant les grands souvenirs qui se rattachent à nos étudiants, nous ne devons point passer sous silence ces héroïques étudiants polonais qui combattirent d’une main si ferme pour leurs droits et pour leur nationalité. Les étudiants polonais n’ont pas seulement combattu leurs oppresseurs les armes à la main, ils ont aussi fait tout ce qui était en leur pouvoir pour maintenir la langue maternelle. La Société des amis des sciences, fondée à Varsovie en 1800 ; l’université jadis si célèbre de Wilna, ’ restaurée en 1803, et le lycée de Krzemieniec, fondé en 1805, propageaient, au milieu de tous les obstacles, ^éducation et l’instruction nationales. Le désir ardent que nourrissaient les Polonais de voir se reconstituer leur ancienne patrie, et la haine vigoureuse qu’ils avaient vouée au vainqueur moscovite, avaient leur principal foyer dans une société organisée sous le nom de Franc-maçonnerie nationale. Les affiliés, fort nombreux, prirent ensuite le nom do Faucheurs, et enfin ils se constituèrent en Société patriotique. Pendant que cette agrégation secrète se formait et se propageait dans les rangs du peuple et de l’armée, Thomas Zan, qui jouissait d’un grand ascendant sur les- étudiants, réunissait ceux de l’université de Wilna en une association philanthropique tendant’à établir, entre les élèves riches et pauvres, une étroite solidarité qui fît servir- les lumières des uns au profit des autres, et la fortune de ceux-lit au soulagement deceux-ei. Au fondde sa pensée, il y avaitautre chose ; aussi le gouvernement russe prit de l’ombrage, et la société reçut l’ordre de se dissoudre. Elle se constitua alors en société secrète, sous le nom de Société des philarèles ou amis de la vertu, et se proposa pour objet de conserver l’esprit de nationalité et la pureté de la langue polonaise. Ses progrès furent rapides, secondée qu’elle était par les sympathies de toute la jeunesse. Les autorités prirent l’alarme. Ceci se passait vers 1822 ; la politique du czar, ennemie de toute liberté, excitait contre toute-la race polonaise une persécution qui allait devenir de plus en plus sanguinaire. Toute l’administration entre la Prosna et le Dnieper, entre la Baltique et la Galicie, était montée comme un appareil de torture destiné à la Pologne, et dont la roue était attelée de deux monstres, le czurowitz Constantin et le sénateur Novosiltzoff. Le systématique Novosiltzoff voulut

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en faire d’abord l’essai sur les enfants et lu jeunesse des écoles, afin de détruire dans son germe l’espérance des générations futures. Il établit le quartier général de son inquisition à Wilna, capitale scientifique dos provinces russo-lithuaniennes, et n’attendit plus qu’une occasion favorable pour agir. Cette occasion lui fut bientôt fournie ; voici comment.

Les élèves de l’école supérieure de Wilna devaient ôter leur chapeau devant tous les officiers russes, les fonctionnaires publics, les espions déclarés, et même les maisons de leurs surveillants. En échange de leur salut, ils ne recevaient souvent qu’un regard de iriepris ou même un coup de coude. Une pareille insolence de la part du prince russe Obolenskoï, capitaine des gardes impériales, fut châtiée d’un soufflet. L’étudiant donnason adresse et déclara se nommer Dawidowski. La police fut mise à la poursuite du coupable, mais, à l’adresse indiquée, on ne trouva qu3 Dàwidowski le savetier, qui fut tout étonné de recevoir l’illustre visite dont il était l’objet. Le bruit se répandit que le prince russe avait reçu un coup de savate sur la joue ; alors l’auteur du soufflet anonyme voulut réclamer la paternité de son œuvre et proposer un duel à l’officier des gardes. Zan l’en détourna : il savait qu’au lieu de duel c’étaient les fers qui l’attendaient, vingt-cinq ans de boulet dans les casemates ou du service dans les régiments russes. Des perquisitions eurent lieu : l’officier des gardes eut le front de chercher parmi les étudiants assemblés celui qui l’avait couvert d’infamie ; mais, quoique tous connussent le nom du coupable, ce nom ne fut point révélé. « C’était, dit M. Ostrowski à qui nous empruntons ces détails, celui d’un brave et d’un insurgé, c’était celui de notre ami Jegota. » Désormais, la rupture était opérée entre les étudiants de Wilna et les autorités russes, qui nourrirent des pensées de vengeance contre l’université. Bientôt les persécutions commencèrent ; des listes furent trouvées chez Jankowski, étudiant de Swislocz, qui faiblit devant les bourreaux, devint délateur et couvrit son nom, jusque-là honoré, d’un opprobre éternel. Jankowski ne se vendit pourtant pas, on en a la preuve dans sa captivité et dans sa déportation commune avec les autres philarètes. Les prisons, les.couvents et les édifices publics de la ville se remplirent de pauvres enfants, dont tout le crime était d’avoir chanté quelques hymnes patriotiques (1er novembre 1823). On raconte que les prisonniers ainsi distribués communiquèrent entre eux ài’insu de leurs gardiens, par l’intermédiaire d’un de leurs camarades, le philarète Budrewiez, depuis réfugié en France, qui pénétrait à travers les égouts et les cloaques, et portait de l’un à l’autre les correspondances écrites ou verbales. Le farouche Novosiltzolf, délégué par le grand-duc Constantin, accourut de Varsovie ; sans perdre de temps, il improvisa sous sa direction immédiate des cours militaires. Muni de pouvoirs illimités, il se fit à la fois accusateur, juge et bourreau. Il supprima plusieurs écoles en Lithuanie, avec îa firescriptton aggravante de considérer tous es jeunes gens qui les avaient fréquentées comme frappés de mort civile ; de ne les admettre à aucune fonction, aucun emploi civil, et de les exclure de tous les établissements publics et particuliers où ils pourraient terminer leurs études. » Un tel ukase, empêchant les jeunes gens de s’instruire, dit Mickiewiez, est sans exemple dans l’histoire et n’a pu être fabriqué que par un czar moscovite. » Après" la suppression des écoles, les élèves furent condamnés par centaines aux mines de Sibérie, à la brouette, à l’incorporation dans les régiments asiatiques. Dans le nombre, il y avait des enfants appartenant aux meilleures familles lithuaniennes. Vingt et quelques étudiants et professeurs furent déportés en exil perpétuel au fond do la Russie, atteints et convaincus « d’avoir voulu propager l’insensée nationalité polonaise. » Parmi tant dé proscrits, un seul parvint il se soustraire à sa condamnation. Thomas Zan, au retour d’un voyage, courut se jeter de lui-même dans le cachot ; il déclara « que lui seul était le promoteur et le chef des associations ; que les étudiants, ses complices, n’avaient fait qu’obéir à ses conseils et céder à son influence ; que la plupart n’avaient signé qu’à contre-cœur l’acte d’association rédigé par lui ; qu’il réclamait enfin pour lui seul le châtiment que lui seul avait mérité, • On lui demanda cette déclaration par écrit, et il n’hésita pas à y apposersa signature. Un pareil héroïsme étonna jusqu’à ses bourreaux. Novosiltzoff essaya de le séduire par des offres brillantes ; mais Thomas Zan ne demanda quelaprompte exécution de son arrêt. Comme nous lavons vu, on ne se contenta pas d’une seule victime. Zan fut conduit dans les fers à Orenbourg, sur les confins de la Russie d’Asie ; mais il avait par son dévouement sauvé quantité de jeunes gens qui rentrèrent dans leurs familles, désormais frappées d’interdiction. Sa détention ne devait être que

temporaire ; mais les autorités russes, toujours effrayées de l’esprit d’agitation qui couvait dans les cœurs polonais, retinrent arbitrairement leur prisonnier. Il mourut sans

doute dans ces solitudes éloignées, car depuis cette époque on chercherait en vain quelque trace de lui ; toutefois, quoique absent, Zan fut un des héros du beau mouvement de 1830, au-