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ÉTIOLER v. a. on tr. (é-ti-o-lé — rad éteule, qui a donné le normand s’étieuler pousser ses tiges, en parlant des céréales) Décolorer en soustrayant à la lumière : Etioler des céleris, des cardons, en les enterrant. || Rendre pâle, chétif, maladif par le défaut d’air ou de lumière : L’air des villes ÉTIOLE les enfants. On étiole à dessein, dans de cages étroites et sous l’obscurité, les oies blanches, afin de leur donner ce foie gras dont on fait des pâtés. (Virey.)

— Fig. Affaiblir, énerver La souffrance AVAIT ETIOLÉ mes facultés actives. (G. Sand. La misère des villes étiole le corps et l’esprit (Nadaud.)

S’étioler v. pr. Etre étiolé, se décolorer : Les plantes S’ÉTIOLENT dans l’obscurité. || Pâtir, devenir chétif : Les enfants s’étiolent dans l’atmosphère de l’atelier. Un enfant languit sans air comme la plante qui en est privée ; il pâlit et S’ÉTIOLE comme elle dans une chambre fermée. (B. de St-P.)

— Fig. S’énerver, perdre de sa vigueur de son énergie : Tel est le destin des grands des princes et des rois, qu’ils s’étiolent au fond de leurs palais, entre ces lits et ces coussins, d’une obscure indolence. (Virey.) Il existe de jeunes talents qui s’étiolent confinés dam une mansarde. (Balz.) Ni les distinctions ni les dignités ne viennent trouver le talent qui s’étiole dans une petite ville. (Balz.) En Orient, les femmes s’étiolent à l’ombre des harems, (G. Sand.)

ÉTIOLLES, village et commune de France (Seine-et-Oise), cant., arrond. et à 3 kilom. de Corbeil, sur un petit ruisseau, entre la Seine et la forèt de Sénart 385 hab. On y voit, entre autres maisons de plaisance, deux châteaux, dont l’un a appartenu à M. Lenormand, mari de Mme de Pompadour ; l’autre a été habité par Colardeau, qui y a compose une partie de ses poésies.

ÉTIOLOGIE s. f. (é-ti-o-lo-jî du gr. aitia, cause ; logos, discours). Méd. Partie de la médecine où l’on traite des causes des maladies Si la médecine est encore si conjecturale, c’est sans doute parce qu’elle donne beaucoup trop à l’étiologie, et pas assez à la thérapeutique. (Proudh.)

— Philos. Science des causes Les ÉTIOLOGIES des dogmatiques peuvent se réfuter de huit manières. (Dider.)

— Encycl. Méd. V. CAUSE.

ÉTIOLOGIQUE adj. (é-ti-o-lo-ji-ke rad. étiologie). Méd. Qui a rapport à l’étiologie : Etudes ÉTIOLOGIQUES.

ÉTIOLOGUE s. m. (é-ti-o-lo-ghe rad. étiologie). Méd. Celui qui s’occupe d’étiologie, qui est versé dans cette science.

ÉTIQUE adj. (é-ti-ke - Ce mot est le même que hectique, l’ancienne prononciation effaçant le c). Pathol. Qui est affecté d’étisie : Devenir, mourir ÉTIQUE. En Angleterre, les femmes du peuple sont amaigries, ÉTIQUES, les yeux caves, le nez effilé, la peau rayée de marbrures rouges ; elles ont trop pâli, elles ont ’eu trop d’enfants. (H. Taine.)

Là, sur des tas poudreux de sacs et de pratique,
Hurle tous les matins une sibylle étigue :
On l’appelle Chicane, et ce monstre odieux
Jamais pour l’équité n’eut d’oreilles ni d’yeux.

BOILEAU.

|| Fièvre etique, Fièvre habituelle, qui cause un grand amaigrissement ; les médecins disent FIÈVRE HECTIQUE.

— Par ext. Qui est d’une maigreur extrême : Corps, visage ÉTIQUE. Cheval ÉTIQUE. Poulet ÉTIQUE.

Je riais de le voir, avec sa mine étique,
Son rabat jadis blanc et sa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers.

BOILEAU.

Sur un lièvre flanqué de six poulets étiques,
S’élevaient trois lapins, animaux domestiques,
Qui, dés leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentaient encor le chou dont ils furent nourris.

BOILEAU.

|| Qui est petit, maigre, sans ampleur : Un alphabet en petites capitales ÉTIQUES, obèses ou bancroches, d’une riante difformité. (Ch. Nod.)

— Fig. Qui est mesquin, pauvre, insuffisant : Toutes jouissances ne sont pas unes ; il y a des jouissances ÉTIQUES et languissantes. (Montaigne.) Parmi tant de styles, il peut y eu avoir de trop enflés aussi bien que de trop bas, de trop bouffis comme de trop maigres et de trop ÉTIQUES. (Costar.)

Chamfort polit des vers étiques,
Lemierre en forge d’helvétiques.

LEBRUN.

Je ris de ce rimeur étique
Qui croit, inimitable auteur,
Fermer la bouche à la critique
En faisant dîner le censeur.

CAPELLE.

Substantiv. Personne atteinte d’étisie ou extrêmement maigre : Un ÉTIQUE. Une ÉTIQUE.

— Homonyme. Ethique.

— Antonymes. Gras, obèse, potelé, rebondi, dodu.

ÉTIQUET s. m. (é-ti-kè v. l’étym. d’étiquette). Techn. Petit bâton fixe Pressoir à ETIQUET.

— Pêche. Espèce de filet. V. étiquette.


ÉTIQUETÉ, ÉE (é-ti-ke-té) part. passé du , v. Etiqueter. Muni d’une étiquette Sac étiqueté. Fiole ÉTIQUETÉE. Casier ÉTIQUETÉ. Fig. Classé avec soin ou précision Tous les événements de sa vie sont rangés et ÉTIQUETTES dans sa mémoire.

ÉTIQUETER v. a. ou tr. (é-ti-ke-té rad. étiquette. Change e en è devant une syllabe muette J’étiquète, tu étiquèteras). Mettre une étiquette sur ETIQUETER des liasses de papiers, des sacs, des fioles, des marchandises.

— Fig. Indiquer, noter, dénommer : Il faudroit des montagnes d’in-folio, des caractères numériques inconnus pour ÉTIQUETER toutes les saveurs. (Brill.-Sav.) On se contente, dans la conversation, de signaler, d’ÉTIQUETER les choses par leur nom, sans se donner le temps d’en avoir l’idée. (J. Joubert.) || Ranger, classer avec soin ou précision : C’est un homme d’un tel ordre, qu’il étiquete dans son esprit toutes les impressions qu’il éprouve.

S’étiqueter v. pr. Etre étiqueté Tous ces dossiers doivent S’ÉTIQUETER avec soin.

ÉTIQUETEUR, EUSE s. m. (é-ti-ke-teur, eu-ze rad. étiqueter). Personne qui pose des étiquettes sur certains objets.

ÉTIQUETTE s. f. (é-ti-kè-te du germanique flamand stikke, tige pointue, qui a donné l’italien stecco, piquant ; le hainaut stique, épée ; le champenois stiquer et le wallon stichi, piquer. On pourrait aussi recourir au celtique, où l’on trouve le gaélique stic, bâton. En tout cas, le mot étiquette a le sens d’objet piqué, fiché, fixé. On a donné cependant à ce mot une autre origine, qui a au moins le mérite d’être curieuse. Dans le temps, a-t-on dit, où la langue latine était en usage au barreau, les avocats et les procureurs écrivaient sur le sac de leurs parties : Est hic questio, c’est ici l’état de la cause. Par abréviation, on est arrivé à mettre Est hic quest., que l’on traduisit par étiquette. Malheureusement pour cette explication ingénieuse, les plus anciens textes donnent au mot estiquete le sens de fiche, pieu fixé en terre). Petit écriteau que l’on met sur un objet pour en indiquer la nature, le prix ou le contenu Mettre des ÉTIQUETTES sur des liasses, des cases, des marchandises, des flacons, des sacs d’argent. Coller des étiquettes. Le prix de la marchandise est indiqué en chiffres connus sur l’ÉTIQUETTE. (Acad.) Les ÉTIQUETTES d’apothicaires sont moins longues que leurs mémoires. (Sallentin.)

— Fig. Désignation, indication, mot servant à dénommer : Tout homme dont le nom devient, à tort ou à bon droit, l’étiquette d’un système, cesse de s’appartenir, et sa biographie indique bien plus les fortunes diverses du système avec lequel on l’a identifié que sa propre individualité. (Renan.) || L’étiquette du sac, Nom, apparences avantages extérieurs : Juger sur l’étiquette, par l’étiquette DU SAC. Un mot vaut une idée dans un pays où l’on est plus séduit par l’ÉTIQUETTE DU SAC que par le contenu. (Balz.) Vous épousez l’ÉTIQUETTE DU SAC, n’est-ce pas ? Eh bien ! que vous importe ? Mieux vaut alors sur cette ÉTIQUETTE un blason de moins et un zéro de plus. (Alex. Dum.) Les hommes en général, et les Français en particulier, tiennent beaucoup à l’étiquette DU SAC. (T. Delord.)

— Particulièrem. Cérémonial en usage dans les cours, chez les princes et les hauts fonctionnaires Les lois de l’étiquette. Manquer à l’ÉTIQUETTE. Observer l’étiquette. Il n’y a point dans les couvents d’austérités pareilles à celles auxquelles l’étiquette de la cour assujettit les grands. (Mme de Maint.) Le code de l’étiquette impériale est le document le plus remarquable de la bassesse à laquelle on petit réduire l’espèce humaine. (Mme de Staël.) L’étiquette rend les rois esclaves de la cour. (P--L. Courier.) L’étiquette est une ligne de circonvallation dans laquelle les courtisans tiennent leur roi prisonnier et hors de toute communication avec le peuple et avec la vérité. (Lemontey.) || Formes cérémonieuses usitées entre particuliers : Les formules, les compliments et tout ce qui tient à l’ÉTIQUETTE sont pour moi des choses insupportables. (J.-J. Rouss.) L’étiquette est une maîtresse exigeante, inséparable d’une pompe ruineuse. (Lemontey.) La pauvreté délivre de l’ÉTIQUETTE. (G. Sand.)

L’étiquette est l’esprit de ceux qui n’en ont pas.

VOLTAIRE.

Moquons-nous de l’étiquette
Et du sot qui l’inventa.

Marmontel.

L’amour, l’amitié, le vin
Vont égayer ce festin ;
Nargue de toute étiquette !

BÉRANGER.

— Anc. pratiq. Petit écriteau que l’on plaçait sur les sacs à procès, et qui donnait des indications sommaires relatives à l’affaire. || Placet remis à l’huissier, au commencement de l’audience, pour l’appel d’une affaire. || Affiche apposée par le sergent des criées à la porte des maisons que l’on avait saisies réellement.

— Pêche. Filet carré fixé aux extrémités de deux perches croisées, attachées elles-mêmes au bout d’une longue perche. On dit aussi étiquet s. m. || Couteau à lame barbelée, dont on se sert pour détacher les coquilles des rochers ou tirer les vers du sable.


— Encycl. Mœurs et coût. On distingue deux sortes d’étiquettes, celle des cours et celle de la société ou des salons. La première détermine les relations du souverain avec ceux qui l’approchent et prescrit certaines formes, certaines paroles, certains protocoles ; elle règle, d’après un cérémonial écrit ou traditionnel, les devoirs extérieurs à l’égard de la naissance, des emplois, des dignités. La seconde a son code écrit dans tous les manuels de civilité puérile et honnête, à côté de la politesse courante et du simple savoir-vivre. Celle-ci existe plus ou moins dans tous les salons, mais à des degrés différents ; elle est, dans beaucoup de cas, laissée un peu de côté, oubliée, dédaignée même, et le soleil n’en continue pas moins sa carrière ; quant à celle-là, elle est inexorable, et les princes, qui commandent à tout, obéissent à ses exigences souvent tyranniques et absurdes. Le philosophe sourit de cet étrange esclavage, et quand il voit princes et empereurs enchaînés eux-mêmes dans les entraves d’un vain cérémonial, il reconnaît l’égalité des conditions ces fiers mortels qui disposent de la liberté d’autrui n’ont plus de liberté. Il faut vivre pour la représentation, et la cour est un théâtre où, dans la coulisse même, il n’est pas permis au comédien de reprendre son attitude naturelle. Les princes eux-mêmes ne doivent- ils pas être étonnés de suivre avec tant de ponctualité les ordres d’un être fantastique ? On en a vu, au milieu de gens faits pour les servir, attendre quelquefois patiemment que leurs souliers fussent mis, parce que l’officier qui, par sa charge, avait.le droit de chausser le pied du souverain, ne se trouvait pas présent.

Dans l’antiquité, la cour de Byzance fut célèbre par l’étiquette que les empereurs y établirent, et qui se manifestait non-seulement par les actes les plus serviles, mais par un langage révérencieux jusqu’à l’exagération la plus outrée. Constantin, le premier, avait imaginé une hiérarchie nobiliaire et créé les titres d’illustris, de spectabilis, d’egregius, de perfectissimus et de nobilissimus. Ce titre fut affecté aux fils de l’empereur qui n’avaient pas encore celui de César. La vanité des titres et le ridicule de toutes ces formules et démonstrations d’anéantissement devant ses supérieurs, que les peuples libres ne connaissaient point, ne s’introduisirent dans les contrées septentrionales de l’Europe que quand les Romains eurent fait connaissance avec la sublimité asiatique. La plupart des rois de l’Asie étaient et sont encore cousins germains du soleil et de la lune ou fils du ciel ; leurs sujets n’osent jamais prétendre à cette parenté, et tel gouverneur de province qui s’intitule Muscade de consolation et Rose de plaisir, serait empalé s’il se disait parent le moins du monde de la lune et du soleil ou simplement l’ami des étoiles. On disait à Scipion : « Scipion, » et à César « César » mais dans la suite des temps on a trouvé cela par trop familier : Votre Sérénité, Votre Grâce, Votre Majesté et même Votre Sacrée Majesté impériale suffirent à peine à établir la supériorité des uns et l’infériorité des autres. Les titres de saint Pierre et de saint Paul étaient Pierre et Paul. Leurs successeurs se donnèrent réciproquement le titre ie Votre Sainteté, que l’on ne voit jamais dans les Actes des apôtres ni dans les récits les disciples, mais qui montrent bien que les gens d’Eglise n’attachent aucun prix aux vanités de ce monde. Cela est si vrai que tel abbé se fait appeler monseigneur par ses moines, et qu’un bon prêtre de Holstein, sur la foi des formules, ayant écrit un jour au pape Pie IV : A Pie IV, serviteur des serviteurs de Dieu, et étant allé ensuite à Rome solliciter pour son affaire, l’Inquisition le fit mettre en prison pour lui apprendre à écrire.

Ainsi que nous l’avons dit au mot CÉRÉMONIAL, l’étiquette établie à la cour des rois de France date du xve siècle. Les rois barbares l’étaient que des soldats, accessibles à toute heure à tous leurs compagnons d’armes. Sous la seconde race, l’étiquette byzantine, dont nous parlerons plus loin, s’introduisit penlant quelque temps à la cour des rois francs. On se prosterna devant les empereurs, suivant l’usage oriental. En abordant le souverain, on lui baisait le pied, ou du moins le genou ; mais ces usages disparurent à l’époque où triompha la féodalité. Les capétiens furent d’abord gens fort abordables. On voit le roi Robert entouré de pauvres, et saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes. Ceux mêmes qui se dérobaient aux regards, comme Louis XI, étaient bien loin d’observer avec les seigneurs qu’ils adnettaient dans leur intimité les formalités minutieuses de l’étiquette. C’est surtout au règne de François 1er qu’il faut rapporter l’origine du cérémonial observé à la cour de France. Un mémoire intitulé Avis donnés par Catherine de Médicis à Charles IV, pour la police de sa cour et pour le gouvernenent de son Etat, fournit la preuve de ce fait. Catherine dit à son petit-fils : Je désirerois que vous prissiez une heure certaine de vous lever, et, pour contenter votre noblesse, faire comme faisoit le feu roi votre père car, quand il prenoit la chemise et que les habillements entroient, tous les princes, seigneurs, capitaines, chevaliers de l’ordre, gentilshommes de la chambre, maistres d’hôtel, gentilshommes servants entroient lors, et il parloit à eux, et ils le voyoient, ce qui


les contentoit beaucoup. Cela fait, s’en alloit à ses affaires, et tous sortoient, hormis ceux qui en étoient et les quatre secrétaires. Si faisiez de même, cela les contenteroit fort pour être chose accoutumée de tout temps aux rois vos père et grand-père. Que tous les princes et seigneurs vous accompagnassent, et, au sortir de la messe, dîner, s’il est tard, ou sinon vous promener pour votre santé, et ne pas passer onze heures que vous ne dîniez, et, après dîner, pour le moins deux fois la semaine, donner audience, qui est une chose qui contente infiniment vos sujets, et après vous retirer et venir chez moi ou chez la reine, afin que l’on connoisse une façon de cour, qui est chose qui plaît infiniment aux François pour l’avoir accoutumé, et ayant demeuré demi-heure ou une heure en. public, vous retirer à votre étude ou en privé où bon vous semblera, et, sur les trois heures après midi, aller vous promener à pied ou à cheval, afin de vous montrer et contenter la noblesse, et passer votre temps avec cette jeunesse à quelque exercice honnête, sinon tous les jours, au moins deux ou trois fois la semaine ; cela les contentera tous beaucoup, l’ayant ainsi accoutumé du temps du roi votre père, qui les aimoit infiniment, et après cela souper avec votre famille ; et, après souper, deux fois par semaine tenir la salle du bal ; car j’ai ouï dire au roi votre grand-père François 1er qu’il falloit deux choses pour vivre en repos avec les François et qu ils aimassent leur roi les tenir joyeux et les occuper à quelque exercice. »

L’étiquette servit bientôt dans l’ancienne cour de loi étroite à tout ce qui entourait le roi et vivait autour de lui. Cette étiquette, d’une minutie déplorable, plongeait tout dans un ennui mortel. Marie-Antoinette s’en plaint dans sa correspondance. Plus tard, elle disait à ses intimes « J’ai gagné quelque chose à la Révolution au moins je suis débarrassée de l’étiquette. On peut juger par le fait suivant si la reine était fondée à parler ainsi. Un jour d’hiver, il arriva que Marie-Antoinette, déjà toute déshabillée, était au moment de passer sa chemise ; Mme Campan, femme de chambre de service, la tenait toute dépliée. La dame d’honneur entre, se hâte d’ôter ses gants et prend la chemise. On gratte à la porte ; elle s’ouvre c’est la duchesse d’Orléans. Ses gants sont ôtés ; elle s’avance et prend la chemise. Mais la dame d’honneur ne doit pas la lui présenter. Elle la rend à Mme Campan ; celle-ci la donne à la princesse. On gratte de nouveau (l’étiquette veut qu’on ne frappe pas) c’est la comtesse de Provence. La duchesse d’Orléans lui présente la chemise. Pendant tous ces ricochets, la reine, nue, dans l’attitude d’une Vénus, grelottait à la plus grande gloire de l’étiquette. Madame, voyant alors qu’il était temps d’en finir, et jugeant que le plus bel article du protocole de la toilette royale ne pouvait prévenir l’invasion d’un rhume, Madame, sans oter ses gants, passe précipitamment la chemise sur le satin, animé de Marie-Antoinette, non sans attenter gravement à l’intégrité de sa coiffure pyramidale. Ce dernier accident ramena le rire sur les lèvres de la reine ; mais l’étiquette avait bel et bien été violée en ce point qu’on doit ôter ses gants pour offrir quelque chose au roi ou à la reine.

Avant 1789, qui balaya toutes ces folies de l’orgueil et de la servilité, il n’y avait certes pas à rire avec l’étiquette, et l’on voit, par les anciens mémoires, que le fauteuil à bras, la chaise à dos, le tabouret, la main droite et la main gauche, le nombre de pas que l’on devait faire en saluant, l’ampleur des manteaux, les présentations, les entrées et mille choses non moins importantes ont été pendant des siècles de sérieux objets de politique et d’illustres sujets de querelles. Mademoiselle passa un quart de sa vie dans les angoisses mortelles des disputes pour des chaises à dos. Devait-on s’asseoir dans une certaine chambre sur une chaise ou sur un tabouret, ou même ne point s’asseoir ? Voilà ce qui troublait cette auguste princesse voilà ce qui divisait toute une cour. Lorsque le cardinal de Richelieu traita du mariage d’Henriette de France et de Charles 1er avec les ambassadeurs d’Angleterre, l’affaire fut sur le point d’être rompue pour deux ou trois pas de plus que les ambassadeurs exigeaient auprès d’une porte, et le cardinal se mit au lit pour trancher toute difficulté. L’histoire a soigneusement conservé cette précieuse circonstance. Il est à croire que si l’on avait proposé à Scipion de se mettre nu entre deux draps pour recevoir la visite d’Annibal, il aurait trouvé cette cérémonie fort réjouissante. C’est cependant couchées que les princesses recevaient aussi les ambassadeurs. La marche des carrosses et ce qu’on appelle le haut du pavé ont été encore des témoignages de grandeur, des sources de prétentions, de disputes et de combats, pendant un siècle entier. « On a regardé comme une signalée victoire, dit Voltaire, de faire passer un carrosse devant un autre carrosse Il semblait, à voir les ambassadeurs se promener dans les rues, qu’ils disputassent le prix dans des cirques et quand un ministre d’Espagne avait pu faire reculer un cocher portugais, il envoyait un courrier à Madrid informer le roi son maître de ce grand avantage. Nos histoires sont égayées de vingt combats à coups de poing pour la préséance le parlement contre les clercs de l’é-