médecine opératoire. Sa chaire fut mise au concours. Dupuytren entra en lice et eut Marjolin et Roux pour compétiteurs. Pendant près de quarante jours, les concurrents furent tenus en haleine et eurent à traiter, en face d’un public et d’un jury plein de lumières, les plus hautes questions de la chirurgie. Après les épreuves orales et écrites en latin et en français, vinrent les opérations sur le cadavre. Il y en eut trois, particulièrement l’amputation du bras dans l’articulation supérieure. Dupuytren mit tant de prestesse à. la faire que les yeux cherchaient encore le bras à sa place naturelle alors que ce bras était déjà aux pieds de l’opérateur. Merveille alors, mais qui ne l’est plus depuis le procédé de Lisfranc. Il eut pour sujet de thèse l’opération de la taille. Ce travail, vrai modèle du genre, surprit les juges par la description du périnée, qui est burinée de main de maître. Ce fut la dernière épreuve, et Dupuytren en sortit vainqueur le 8 février 1812. En 1815, Pelletan ayant pris sa retraite prématurément, Dupuytren devint chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, et abandonna la chaire de médecine opératoire pour enseigner ta clinique chirurgicale. Son premier soin, au début de ses- nouvelles fonctions, fut de tout voir par ses yeux, de tout étudier, de tout connaître. Il fit entrer partout, et jusque dans les moindres détails du service, 1 ordre le plus parfait et le plus rigoureux. Aucune autre voix que la sienne n’interrogeait les malades, aucune autre main ne les touchait. Pour suffire à tout, pour exclure tout secours étranger, toute coopération équivoque, il se rend chaque jour à l’Iiôtel-Dieu de bonne heure. À la tète de ses auxiliaires et de ses disciples, il parcourt les salles, s’arrête à chaque lit, s’assure de l’état du malade, ordonne, exécute, va, suivi partout.du silence, du recueillement, du respect. Cependant, au milieu de cette grande variété d’objets, et par cette variété même, ses idées se rassemblent, s’arrangent, s’élaborent, s’éclairent l’une par l’autre ; et, la moment venu de prendre la parole, il ouvre la bouche, et de cette bouche sortent des leçons que ses auditeurs, élèves, maîtres, nationaux et étrangers, reçoivent religieusement, et que la presse a recueillies. Ce n’est pas tout ; pour mettre le sceau à l’instruction des élèves et préparer les matériaux d’un grand enseignement futur, il faisait.écrire par les cinq internes de son service l’histoire des maladies les plus graves et les plus singulières. Ces observations, Dupuytren les revoyait toutes ; et ce qui en garantit l’excellence, c’est qu’il les a toutes corrigées de sa main. Elles forment aujourd’hui un recueil de plus de 100 volumes in-folio. Les matières y’ sont rangées par ordre dans des.tables alphabétiques ; et si quelque cas rare venait à
s’offrir, Dupuytren pouvait, à la faveur de ces tables, retrouver dans le passé des cas analogues et en prendre conseil pour le cas présent. Ces volumes étaient déposés dans une grande salle de l’Hôtel-Dieu.
En 18U, Dupuytren alla sous le feu de l’ennemi traiter les blessés. En 1830, nos discordes lui ayant envoyé un grand nombre de blessés dans son hôpital, il s’opposa ônergiquement à ce que la police pénétrât auprès d’eux pour les reconnaître, et sauva ainsi plusieurs insurgés dont il avait d’ailleurs’secouru les familles avec empressement.
En 1823, il avait obtenu le titre de premier chirurgien consultant de Louis XVIII. Charles X, à son avènement, l’avait nommé son premier chirurgien et il n’avait jamais cessé de lui témoigner une bonté particulière. Aussi, lorsqu’en 1830 ce prince prenait le chemin de l’exil, lui témoigna-t-il sa reconnaissance par cette belle lettre : « Sire, grâce en partie a vos bienfaits, je possède trois millions : je vous en offre un ; je destine le second à ma fille, et je réserve le troisième pour mes vieux jours. » Sous Louis-Philippe, il prit UDe attitude visiblement hostile et posa même sa candidature à Saint-Yrieix ; le gouvernement la fit échouer.
Membre du conseil de salubrité, inspecteur général de l’enseignement supérieur, membre de l’Académie royale de médecine, dés sa création, membre de l’Institut, créé baron, décoré de plusieurs ordres, recherché dans la plus brillante société, honoré des élèves, célèbre dans toute l’Europe, comblé d’honneurs, de gloire et de richesses, Dupuytren n’était pas heureux. Des chagrins domestiques minaient son existence, et en 1833 sa santé reçut un échec. Il fit, au printemps de 1834, un voyage en Italie, et ce voyage fut pour lui comme un long triomphe que sa renommée lui avait préparé. Il revint à. Paris à la fin de 1834 avec un mieux apparent ; mais les accidents ne tardèrent pas a reparaître ; ils s’aggravèrent par degrés, et malgré les soins éclairés de Broussais, de Cruveilhier et de Bouillaud, après de longues souffrances, et conservant jusqu’à, la fin la netteté de ses idées, la fermeté de son courage, et ce calme sévère que respirait sa physionomie, il mourut le 8 février 1835. Après (ju’il eut expiré, et selon son propre vœu, on fit l’autopsie de son cadavre et l’on reconnut qu’il ne s’était point trompé, lorsque de son vivant il avait dit lui-même la nature de la maladie dont il était atteint. Ses obsèques furent solennelles. On y vit un concours prodigieux d’hommes de toutes les class.es et de toutes les professions : des pairs de France,
DUQU
des médecins, des savants, des gens de lettres, des artistes, et jusqu’à de simples ouvriers qui avaient été soignés par lui à l’hôpital.
Dupuytren a laissé une fortune de quatre millions environ. De ce produit de ses épargnes il avait distrait par son testament une somme de 200,000 francs pour l’érection, à la Faculté, d’une chaire d’anatomie pathologique. C’était clore sa carrière comme il l’avait commencée. Sur les avis d’Orflla, et par décision ministérielle, ce bienfait en a produit un second et a pris lui-même une autre destination. La chaire fut créée par l’autorité, et le legs fut affecté il la construction du musée qui porte le nom de Dupuytren et qui est situé dans l’ancien bâtiment des Cordeliers. Ce musée, construit en moins de cinquante-cinq jours, contient, rangés dans des armoires élégantes, les objets d’anatomie pathologique les plus curieux et les plus variés, tous préparés avec recherche et disposés pour les yeux avec une merveilleuse industrie.
L’illustre chirurgien avait un caractère impérieux et entier, un excessif amour de la gloire et des richesses. Comme tous les grands hommes, il a eu des amis enthousiastes et des ennemis acharnés. Cependant tous s’accordent à blâmer en lui ses lâches ménagements pour le rang, le crédit ou l’autorité.
Enumérer d’une manière complète tout ce dont la chirurgie est redevable à Dupuytren nous paraît impossible. Bornons-nous à citer les principales découvertes et les procédés opératoires les plus remarquables dont il a doté cette science ; tels sont : les procédés pour l’opération de la fistule lacrymale ; l’extraction des polypes utérins ; ses opérations sur le goitre ; le traitement des hernies étranglées ; la résection du maxillaire, du coude ; la taille bilatérale, l’anus artificiel, etc., etc.
Dupuytren n’a pas beaucoup écrit ; cependant voici la liste complète de ses diverses publications : Propositions sur quelques points d’anatomie, de physiologie et d’anatomie pathologique (Paris, 1804, in-8o) ; Rapport sur un fœtus humain trouvé dans le mésentère d’un jeune homme de quatorze ans (Paris, 1806, in-4o) ; Lithotomie (Paris, 1812, in-4o) ; Mémoire sur la fracture de l’extrémité inférieure du péroné, les luxations et les accidents qui en sont la suite (Paris, 1819, in-4<>) ; Déposition faite te 15 mars à la Chambre des pairs sur l’assassinat du duc de lierry (Paris, 1820, in-S<>) ; Notice sur Pinel (Paris, 1826, in-4") ; Mémoire sur une méthode nouvelle pour traiter les anus accidentels (Paris, 1828, in-4o) ; Leçons cliniques sur le choléra (Paris, 1832, in-S°) ; Sur les étranglements des hernies (Paris, 1832, in-8o) ; Leçons orales de clinique chirurgicale, faites à l’Iiôtel-Dieu, recueillies et publiées par MM. Brierre de Boismont et Buet (Paris, 1S32, 4 vol. in-8o) ; Traité des btessures par armes de guerre, rédigé d’après les leçons de Dupuytren et publié par MM. Marx et Paillard (Paris, 1834, 2 vol. iii-S°) ; Mémoire sur une nouvelle manière de pratiquer l’opération de la pierre (Paris, 1836, in-8<>).
— Bibliogr. Auguste Vidal, Essai historique sur Dupuytren, suivi des discours prononcés par MM. Orfita, Larrey, Bouillaud, il. Jloyer-Collard, ■ Teissier, et du procèsverbal de l’ouverture de son corps (Paris,
1535, in-so, portrait) ; Étienne Pariset, Éloge historique du baron G. Dupuytren (Paris,
1536, in-8o, traduit en anglais par John James Skin, Londres, 1837, in-8«) ; Jean Cruveilhier, G. Dupuytren, né à Pierre-Bufficrc (Haute-Vienne), etc. (Paris, 1840, in-8») ;
Vie de G. Dupuytren (Paris, 1840, in-8o) ; François Buisson, Parallèle de Jacques-Mathieu Delpech et de Dupuytren (Montpellier, 1811, in-so) ; Louis de Loménie, M. Dupuytren, par un homme de rien (Paris, 1844, in-12). V. aussi un article de A. Donné, dans la lievue des Deux-Mondes du 15 juin 1836.
Dupuytren (statue de), de bronze, par M. G. Cranck, h Pierre-Buffière. Dupuytren est représenté dans son costume de professeur de la Faculté de médecine ; il tient de la main gauche un papier ; l’autre main touche des instruments de chirurgie posés sur un petit piédestal. » Cette statue, très-correcte, sagement conduite, est certainement l’oeuvre d’un homme de talent, a dit M. Ch. Clément, mais elle est froide : c’est une de ces figures où manque l’invention et où la critique n’a rien à reprendre ni rien à louer.» La statue du célèbre chirurgien, exécutée pour sa ville natale, a été exposée au Salon de 1869.
Dupuytren (pilules de). Pilules antisyphilitiques, qui jouissent d’une réputation méritée dans le traitement des accidents secondaires de la syphilis. Extrait de gaïac, 0,80 ; extrait d’opium, 0,40 ; sublimé corrosif, 0,20 : faites 20 pilules dont chacune contient 0,01 de sublimé. Dose : 1 à 3 par jour (Codex). V. SYPHILIS.
DUQUEL pron. rel. (du-kèl — de du et quel). V. lequel.
DUQUERIE (Jean-Baptiste Callard de la), médecin français. V. Callard de la Duquerie.
DUQUESNE (Abraham, marquis), lieutenant général des armées navales et l’un des plus grands hommes de mer que la France ait produits, né à Dieppe en 1610, mort à Paris le 2 février 1688. Destiné, dès sa plus tendre jeunesse, à la carrière maritime,
Duquesne s’embarqua, fort jeune encore,
comme capitaine à bord d’un bâtiment
de guerre de 200 tonneaux, le Neptune, qui
devait faire partie de l’armée navale que
l’archevêque de Bordeaux rassembla dans
l’Océan en 1635. La première occasion que le
jeune capitaine trouva de faire remarquer sa
valeur et son habileté fut la reprise des îles
de Lérins, Sainte-Marguerite et Saint-Honorat,
sur les Espagnols. L’archevêque de Bordeaux,
qui commandait cette expédition avec
le comte d’Harcourt, distingua tout particulièrement
Duquesne et le signala tout de suite
à Richelieu comme l’un de ses meilleurs capitaines.
Pendant le siège de Sainte-Marguerite,
notre héros apprit la mort de son père,
qui avait reçu, dans un combat contre les
Espagnols, des blessures mortelles : il voua,
dès ce jour, à cette nation une haine implacable.
L’année suivante, 1638, le capitaine Duquesne
fut chargé, avec le chevalier Paul,
d’aller relever et sauver plusieurs bâtiments
français échoués sous le canon de Saint-Sébastien,
et qu’on était sur le point d’incendier
pour ne pas les abandonner à l’ennemi. Duquesne
et le chevalier Paul se tirèrent avec le
plus grand honneur de cette mission difficile et
ramenèrent les bâtiments français. Peu après,
le 22 août 1638, à la bataille navale de Gattari,
Duquesne décida la victoire en allant
incendier avec un brûlot le vaisseau amiral
espagnol. En 1639, il seconda activement les
nouvelles opérations de l’archevêque de Bordeaux
sur les côtes de Biscaye et eut une
part glorieuse à la prise de Laredo et de
Santona. À cette dernière affaire, il eut la
mâchoire broyée par une mousquetade en allant
attaquer un gros galion avec quelques
chaloupes armées. Il était à peine rétabli de
cette cruelle blessure qu’il passait, en 1641,
avec l’archevêque de Bordeaux, dans la Méditerranée.
Détaché avec quatre autres capitaines,
il alla enlever de haute lutte, sous le
canon de Rosas, cinq vaisseaux espagnols,
qu’il ramena prisonniers. Au blocus de Tarragone,
il reçut une nouvelle blessure et se
signala surtout dans la retraite qui suivit le
blocus. En 1643, Duquesne accompagna le nouveau
grand maître de la navigation, Armand
de Maillé-Brézé, dans ses expéditions navales sur les côtes d’Espagne, et se couvrit de
gloire dans les combats livrés sur les parages
du cap de Gata et à la hauteur de Carthagène ;
il fut encore blessé dans le premier.
L’année suivante, voyant la marine négligée
en France depuis la mort de Richelieu, arrivée
à la fin de l’année 1642, Duquesne obtint
d’aller prendre momentanément du service
en Suède, alors en guerre navale avec le Danemark.
Il fut parfaitement accueilli par la
reine Christine, qui le nomma successivement
major général, puis vice-amiral ; il assista en
cette qualité à la bataille navale livrée par
Nicolas Flemming et Torstenson, en 1644,
contre le vieux roi Christian IV de Danemark.
Il prit aussi une part des plus glorieuses
à la bataille livrée à la hauteur de l’île de
Fremeren, le 24 octobre suivant, par l’amiral
Wrangel contre l’amiral danois Prosmond.
La paix s’étant conclue peu après entre la
Suède et le Danemark, Duquesne revint en
France. En 1645, il contribua à un nouveau
blocus de Tarragone et à la reddition de Rosas.
En 1646, il fit partie de l’armée navale
envoyée contre les côtes d’Italie, et fut blessé
à la bataille de Télamone, où mourut glorieusement
Brézé. En 1647, Duquesne fut envoyé
avec deux frégates en Suède pour y acheter
quatre vaisseaux. La même année, notre marin,
capitaine de vaisseau dès 1643, fut nommé
chef d’escadre de Dunkerque ou de la Flandre
française. En 1653, la marine était tombée
si bas en France que, lorsqu’on eut besoin
de bloquer la Gironde pour empêcher les
communications entre les Bordelais soulevés
par le parti de Condé et les Espagnols qui se
mêlaient aux guerres civiles de la Fronde,
on ne put réunir qu’une vingtaine de petits
bâtiments, sous les ordres du duc de Vendôme,
grand maître de la navigation, et l’on
fut obligé de s’adresser à Duquesne pour
venir renforcer cette flottille avec quelques
navires armés à ses frais. Chemin faisant
pour aller se joindre au duc de Vendôme, il
fut rencontré par une escadre anglaise, dont
le commandant le somma insolemment de
baisser son pavillon devant le sien. « Le pavillon
français, répondit fièrement Duquesne,
ne sera pas déshonoré tant que je l’aurai à
ma garde : le canon en décidera. » Le canon
en décida, et, après un combat meurtrier, les
Anglais, bien que supérieurs en forces, durent
prendre la fuite. Duquesne alla se rétablir
à Brest, puis il reprit sa route pour Bordeaux.
En arrivant à l’embouchure de la
Gironde, il rencontra une escadre espagnole,
composée de trois frégates et de quelques
autres petits bâtiments, qui venait prêter appui
aux insurgés : il entra dans le fleuve en
dépit d’elle, opéra sa jonction avec le duc de
Vendôme, et contribua beaucoup ainsi à la
soumission de Bordeaux et de la Guyenne.
Anne d’Autriche, à la suite de cette campagne,
donna à Duquesne l’île et le château d’Indret, en Bretagne, en attendant qu’on pût le rembourser des dépenses qu’il avait
faites en équipant à ses propres frais sa petite escadre. La paix des Pyrénées, signée le 7 novembre 1659, vint suspendre le cours
des exploits de Duquesne. Colbert ayant profité
de cette paix pour reprendre les traditions
de Richelieu et rendre une marine h la
France, celle-ci put mettre en ligne une armée
navale capable de lutter contre la marine hollandaise,
lorsque la guerre vint à éclater entre
les deux puissances. Le 7 juin 1672, à la bataille
navale de Southwood, Duquesne faisait
partie de l’escadre blanche du vice-amiral Jean
d’Estrées et prenait part au combat qu’elle
soutint contre l’avant-garde hollandaise,
commandée par Bankaërt. Il assista encore,
cette même année 1672, aux deux batailles
navales livrées dans les parages des Provinces-Unies
par les Anglais et les Français,
placés sous les ordres du prince Rupert,
de l’amiral Spragg et de Jean d’Estrées, aux
Hollandais commandés par Ruyter, Corneille
Tromp et Bankaërt. L’Angleterre avant fait
sa paix particulière avec la Hollande, la
France resta seule en présence de sa redoutable
ennemie, fortifiée de l’alliance de l’Allemagne,
de l’Espagne et des Deux-Siciles.
Sur ces entrefaites, Messine s’étant insurgée
contre les Espagnols avec une partie de la
Sicile, Louis XIV résolut de soutenir l’insurrection.
En conséquence, Duquesne, qui venait
d’être nommé lieutenant général des armées
navales, appareilla de Toulon, le 29 janvier
1675, avec une escadre de huit vaisseaux
de guerre, pour se rendre en Sicile ; il avait
à bord le duc de Vivonne, général des galères
de France, nommé vice-roi de Sicile ; un
convoi de blé suivait l’escadre. Le 11 février,
en vue des côtes siciliennes, Duquesne et Vivonne
furent attaqués par une flotte espagnole
de vingt vaisseaux de guerre et dix-sept
galères, commandée par Melchior de la
Cueva. Duquesne soutint avec la plus grande
vigueur l’attaque de son redoutable adversaire,
donna le temps au chevalier de Valbelle
d’arriver de Messine avec un renfort
important, puis, prenant l’offensive à son
tour, il mit en fuite la flotte espagnole,
la poursuivit jusque dans le golfe de Naples,
et entra triomphalement dans le port
de Messine avec le convoi. Peu après, Duquesne
partit avec Vivonne pour aller attaquer
par mer la ville d’Agosta, qui se rendit
au bout de quelques jours. Ensuite Duquesne,
avec la majeure partie de la flotte
de la Méditerranée, fut envoyé en France
par le vice-roi pour en ramener des vivres,
qui manquaient à Messine, des munitions
et des renforts. À Toulon, Duquesne
apprit que Ruyter, le grand Ruyter, venait
d’entrer dans la Méditerranée pour y opérer
de concert avec l’année navale espagnole :
il reçut peu après le commandement en chef
d’une flotte considérable pour aller se mesurer
avec le redoutable amiral hollandais, le
vainqueur de Black, de Monk et des plus fameux
amiraux anglais : Duquesne avait alors
soixante-quatre ans. Il appareilla de Toulon
le 17 décembre 1675, avec sa flotte composée
de vingt vaisseaux et de six brûlots, et cingla
vers Messine. Ruyter n’eut pas plus tôt
appris son départ qu’il vint à toutes voiles au-devant
de lui. Quelques jours auparavant, un
capitaine de commerce anglais ayant rencontré,
du côté de Melazzo, à 8 lieues de Messine,
l’illustre amiral général des Provinces-Unies,
lui avait demandé ce qu’il faisait dans
ces parages : à quoi Ruyter avait répondu :
« J’attends le brave Duquesne. » Les deux
flottes se rencontrèrent le 7 janvier 1676, à
la hauteur des îles Lipari, entre l’île de Salino et celle de Stromboli. Elles passèrent
toute la journée à s’observer et à manœuvrer ;
la nuit qui suivit, elles cherchèrent à
se gagner le vent. Le lendemain, 8 janvier,
dès le point du jour, Duquesne, qui avait su
se ménager l’avantage du vent, força de
voiles pour se rapprocher de Ruyter, qui
était à deux lieues de lui. L’armée française
était divisée en trois escadres : l’avant-garde,
commandée par Preuilly d’Humières ; l’arrière-garde,
commandée par Gabaret l’aîné, et le corps de bataille, commandé par Duquesne lui-même. Duquesne montait le vaisseau
le Saint-Esprit et avait pour matelots
le chevalier de Valbelle, montant le Pompeux, et Tourville, montant le Sceptre. L’armée
hollandaise, forte de vingt-quatre vaisseaux
de guerre, de deux flûtes et de quatre
brûlots, était également divisée en trois
escadres : l’avant-garde, commandée par
Verschoor ; l’arrière-garde, par de Haan, et
le corps de bataille, par Ruyter lui-même.
La flotte française arriva sur l’ennemi avec
un ordre merveilleux, auquel Ruyter rendit
lui-même plus tard justice. À neuf heures
du matin, l’avant-garde française engagea
le feu, qui ne tarda pas à s’étendre aux
deux flottes tout entières. Le combat dura
jusqu’à quatre heures et demie avec des
chances diverses. Chacun des deux amiraux
s’attribua la victoire, qui doit être accordée,
en somme, à Duquesne, car l’armée hollandaise,
qui était venue lui barrer le passage,
était si maltraitée qu’elle ne put l’empêcher
d’arriver à Messine, où il fit son entrée triomphale
le lendemain matin. Dans le courant
de la bataille, la Concorde, que montait Ruyter,
et le Saint-Esprit, le vaisseau de Duquesne,
s’étaient trouvés en présence, et Ruyter,
après une mêlée si meurtrière que plus
tard il avoua ne s’être jamais trouvé à si
chaude affaire, Ruyter avait cédé devant
Duquesne. Mais la bataille des Iles Lipari ou