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matelots ; son désintéressement était tel, qu’après ces courses fructueuses qu’il avait faites il mourut presque pauvre. Il était aussi d’une modestie extrême. Il a laissé des Mémoires qui, publiés une première fois sans son autorisation en 1730, parurent à Paris en 1740 ; depuis, il en a été publié un grand nombre d’éditions ; la plus récente date de 1853. La vie de Duguay-Trouin a été écrite plusieurs fois, entre autres par l’abbé Manet et Charles Cunat, tous deux de Saint-Malo, et par Ad. Bodin (Paris, 1866, in-18).

La statue de cet intrépide marin, œuvre de Molchneth, décore l’ancienne place d’Armes de Saint-Malo, qui porte aujourd’hui le nom de place Duguay-Trouin ; on voit, en outre, à la mairie de la même ville, son portrait en pied, et au musée de Versailles sa statue de marbre noir de Carrare exécutée par Dupasquier.

— Bibliogr. Duguay-Trouin, Mémoires depuis 1689 jusqu’à 1712, publiés par Pierre de Villepontoux (Paris, 1730, 2 vol. in-12) ; par Pierre-François Godard de Beauchamps (Paris, 1740, in-4o, ou 2 vol. in-12 ; Amsterdam, 1748, 2 vol. in-12) ; trad. en angl. (Londres, 1742, 2 vol. in-12) ; Thomas, Éloge de Duguay-Trouin, lieutenant général des armées navales (Paris, 1761, in-8o), couronné par l’Académie française ; trad. en allem. (Carlsruhe, 1764, in-8o) ; Guys, Éloge de R. Duguay-Trouin (Marseille, 1761, in-8o) ; Richer, Vie de R. Duguay-Trouin (Paris, 1784, in-18 ; 1802, in-12 ; 1812, in-12 ; 1816, in-12 ; 1835, in-12 ; Troyes, 1835, in-12) ; de la Landalle, Histoire de Duguay-Trouin (Paris, 1844, in-12).

Duguay-Trouin (statue de), par Dupasquier ; palais de Versailles. L’illustre marin est revêtu d’un riche costume militaire ; il est décoré de l’ordre du Saint-Esprit et porte sur son baudrier les armoiries qui lui furent données par Louis XIV : deux fleurs de lis et une ancre. Il tient un pistolet dans la main droite, qui est baissée, et saisit de la main gauche la poignée de son épée. Il est coiffé d’un chapeau orné de plumes et tourne la tête un peu en arrière, vers la gauche, comme pour inviter son équipage à le suivre.

Cette statue, qui est le meilleur ouvrage de Dupasquier, a plus de 3 mètres de hauteur ; primitivement, elle était destinée à décorer le pont Louis XVI (pont de la Concorde). Elle a été exposée, pour la première fois, au Salon de 1817, et réexposée en 1822. Réveil, qui en a donné une gravure au trait dans la Galerie des arts et de l’histoire (V. pl. 427), dit que Dupasquier a représenté Duguay-Trouin à l’attaque de Rio-Janeiro, en 1711.

La Bourse de Nantes est décorée d’une statue de Duguay-Trouin, sculptée par de Bay père vers 1810.

Le musée de Versailles a deux portraits à l’huile de Duguay-Trouin, l’un qui a été attribué, sans preuve, à Largillière ; l’autre qui est l’œuvre d’un artiste nommé Graincourt et qui décorait autrefois l’hôtel de la Marine, à Versailles. Le premier de ces portraits a été gravé, plus ou moins fidèlement, par Petit, par Bradel, par le pantographe de Gavard ; lithographie par Hesse, etc. Un des plus anciens portraits gravés que l’on ait de Duguay-Trouin est l’œuvre de Larmessin. Le célèbre marin a le visage jeune et animé ; il a une grande perruque et porte un habit par-dessus sa cuirasse. Au bas de l’ovale qui encadre ce portrait à mi-corps, on voit les armoiries données par Louis XIV, les fleurs de lis et l’ancre, avec cette devise : Dedit hœc insignia virtus. Il y a d’autres portraits de Duguay-Trouin gravés par A.-L. de Lalive, par V. Vangelisty (1776), par Pierron, par Couché, par Landon (au trait), par Mme  de Cernel (en couleur), etc.


DUGUÉ (Ferdinand), littérateur et écrivain dramatique, né à Paris en 1812. Il a composé des romans, des poésies et des pièces de théâtre, dont quelques-unes ont obtenu un assez grand succès. Nous citerons entre autres : la Semaine de Pâques (1835) ; Geoffroy Rudel (1838), romans ; Horizons de la poésie (1836) ; le Vol des heures (1839) ; les Gouttes de rosée (1840) ; l’Oasis (1850), etc., recueils poétiques. Quant à ses œuvres dramatiques, elles sont assez nombreuses. Nous mentionnerons : Castille et Léon (1833) ; Gaiffer (1839) ; les Pharaons (1848), drames en vers représentés sur la scène de l’Odéon ; le Béarnais, comédie en trois actes et en vers ; Mathurin Régnier, drame en vers (1843) ; la Misère (1850) ; Salvator Rosa (1851), Monsieur Pinchard (1851) ; Roquelaure ; la Prière des naufragés, drame en collaboration avec M. Dennery et qui eut un grand nombre de représentations ; le Paradis perdu (1853) ; France de Simiers, drame en vers, représenté à l’Odéon (1857) ; les Pirates de la Savane (1858), avec M. Anicet-Bourgeois ; Cartouche (1858), avec M. Dennery ; la Fille du Tintoret (1859), avec Jaime fils ; le Marchand de coco (1860), avec Dennery ; le Cheval fantôme (1860), avec Anicet-Bourgeois ; les Trente deux duels de Jean Gigon (1861) ; la Fille du chiffonnier (1861), avec A. Bourgeois ; la Bouquetière des Innocents (1862), avec A. Bourgeois ; Marie de Mancini (1864), avec Dennery, etc. Les drames de M. Dugué sont, en général, habilement charpentés, souvent intéressants, mais remplis de situations forcées et d’une médiocre valeur littéraire.


DUGUÉ (Charles-Oscar), publiciste et avocat américain, né à la Nouvelle-Orléans (États-Unis) en 1821. Il fut envoyé à Paris pour y faire ses études, puis retourna dans sa ville natale et s’y fit connaître à la fois comme avocat et comme écrivain. Il a publié des Essais poétiques (1847) ; Mila ou la Mort de La Salle, et le Cygne ou Mingo (1852), drames tirés de légendes populaires, et prit, en 1852, la rédaction en chef du journal l’Orléanais.


DUGUÉ DE BAGNOLS (François), administrateur français, né vers 1615, mort en 1685. Il fut intendant de justice dans diverses provinces de la France, et se montra partout protecteur généreux des gens de lettres. Un de ceux qui eurent le plus souvent recours à ses services fut Chorier, l’auteur des Dialogues sotadiques de Louise de Sigée, qui n’échappa aux poursuites des gens de justice que grâce à la protection de Dugué, alors intendant des provinces du Dauphiné, du Lyonnais, du Forez et du Beaujolais. Mais si le nom de Dugué est parvenu jusqu’à nous, il le doit surtout aux chansons de son gendre, le marquis de Coulanges, et aux lettres de Mme  de Sévigné.


DUGUÉ DE LA FAUCONNERIE (Henri), administrateur et homme politique, né à Paris en 1835. Il suivit les cours de l’École de droit, se fit recevoir licencié et entra dans l’administration. D’abord chef de cabinet du préfet de l’Orne, il devint successivement conseiller de préfecture dans la Mayenne et le Pas-de-Calais, sous-préfet à Saint-Jean-d’Angély et à Mamers, et donna sa démission en 1866. Vers cette époque, M. Dugué fut appelé à faire partie du conseil général de l’Orne, et le comice agricole de Mortagne le choisit pour son président. Lors des élections pour le Corps législatif, en 1860, M. Dugué de La Fauconnerie se porta candidat, avec l’appui du gouvernement, dans la deuxième circonscription de l’Orne, où il fut élu par 16,000 voix sur 22,000 votants. Il alla siéger à la Chambre parmi les membres de l’extrême droite, et choisit pour chefs de file MM. Grailler de Cassagnac, Pinard et Jérôme David, son parent. Il fut, par conséquent, non-seulement étranger, mais hostile au mouvement libéral, qui produisit dans la Chambre la fameuse interpellation des 116, et se fit remarquer par ses bruyantes et fréquentes interruptions. Lorsque, le 23 février 1870, le gouvernement fut interpellé par la gauche sur la question de savoir s’il maintiendrait ou non le système des candidatures officielles, M. Dugué de La Fauconnerie crut devoir intervenir dans le débat et prononça son premier discours. Il fit l’historique de la candidature gouvernementale de 1816 à 1852, à l’aide de citations rétrospectives et de phrases d’une rhétorique ampoulée, laborieusement apprises par cœur, et se prononça pour le maintien des candidatures officielles, abandonnées par le ministère. Depuis lors, M. Dugué de La Fauconnerie s’est reposé sur ses lauriers et s’est borné à continuer son rôle d’interrupteur. « Grand, robuste, large d’épaules, le visage bien en point, une abondante chevelure noire qui tombe assez bas sur le front, une longue moustache descendant à la chinoise, voilà, dit X. Feyrnet, M. Dugué de La Fauconnerie. » Il a publié, entre autres écrits : le Tribunal de la rote (1853. in-8o) ; la Bretagne et l’empire (1861, in-8o). Ces ouvrages ne valent pas mieux que ses opinions politiques.


DU GUERNIER (Louis), peintre français, né en 1550, mort vers 1620. Il excella dans le genre de la miniature, peignit sur vélin les portraits des principaux personnages de son temps, orna des livres d’heures et des bréviaires de peintures extrêmement remarquables. On cite notamment de lui un livre de prières pour le duc de Guise, dans lequel il représenta, avec les attributs donnés aux saints, les plus jolies femmes de la cour. — Du Guernier (Alexandre), fils du précédent. Il fut un des fondateurs de l’Académie de peinture. — Du Guernier (Pierre), fils du précédent, né en 1614, mort en 1657. Il devint le meilleur peintre en émail de son temps. Ses portraits, dont le coloris est des plus brillants, sont fort estimés.


DU GUESCLIN. Ancienne famille de Bretagne, connue depuis le XIe siècle. Elle avait pour chef, en 1380, Guillaume Du Guesclin, seigneur de Broon, qui laissa deux fils. Le cadet, Bertrand Du Guesclin, fut l’auteur d’une branche qui s’est perpétuée jusqu’au dernier siècle, et qui a fourni un rameau latéral existant également à la même époque. L’aîné, Renault Du Guesclin, mort en 1353, fut père de Bertrand Du Guesclin, le connétable, qui ne laissa pas d’enfants légitimes, d’Olivier Du Guesclin, qui accompagna son frère dans la plupart de ses expéditions et ne laissa pas non plus d’héritiers, et de deux autres fils qui moururent sans avoir été mariés.


DU GUESCLIN (Bertrand), connétable de France, un des plus grands hommes de guerre de notre pays. Il naquit, à ce que l’on croit, vers l’an 1314, au château de la Motte-Broon, près de Rennes (Ille-et-Vilaine), et mourut en 1380, sous les murs de Châteauneuf-Randon, près du Puy-en-Velay.

Froissart l’appelle Du Guesclin, et ce nom a prévalu ; mais les documents le nomment Glacquin, Gléaquin, Glayaquin, Glesquin, Gleyquin, Claikin. Dans tous les cas, il est d’origine bretonne et personnellement il croyait descendre d’un roi maure nommé Hakin, qui aurait jadis conquis la Bretagne et que Charlemagne aurait chassé du pays — Charlemagne n’alla jamais en Bretagne — vers l’an 775. Il est plus probable que la famille de Du Guesclin était une branche de celle de Dinan. Quoi qu’il en soit, par ses alliances avec les Rohan, les Craon et autres maisons illustres de la province, elle était dès longtemps tenue en haute estime dans le monde féodal du XIVXe siècle. D’après Froissart et d’Argentré, deux chevaliers de la famille Du Guesclin, Olivier et Bertrand, avaient suivi Godefroy de Bouillon en Palestine lors de la première croisade.

Du Guesclin était l’aîné de dix enfants : la nature ne l’avait pas avantagé sous le rapport physique. On lit dans un manuscrit en vers de la Bibliothèque impériale (n° 7224) :

Mais l’enfant dont je dis et dont je vois parlant,
Je crois qu’il not si lait de Resnes à Disnant,
Camus estoit et noir, malotru et massant ( ?)
Li père et la mère si le héoient tant…

La légende lui donne d’ailleurs une stature moyenne, le teint brun, le nez camus, des yeux verts, de larges épaules, de longs bras et de petites mains. Ses manières étaient à l’avenant : il était « rude, malicieux et divers en couraige. » Dans son enfance, il divisait les compagnons de son âge en petites troupes, puis les battait et les blessait les uns après les autres. Son père fut même obligé de l’enfermer à cause de ses méfaits. Pourtant une demoiselle Tiphaine, dont il devait faire sa femme, prédit dès lors qu’il deviendrait un grand chevalier.

Les mauvais traitements que son humeur lui faisait encourir le rendirent encore plus farouche. Quand on essayait de l’humilier, il se mettait en fureur, prenait un bâton et frappait sans regarder. Cela ne l’empêcha pas de devenir bon enfant et prodigue, mais néanmoins il ne fut endurant à aucune époque de sa vie. Il ne fut pas possible de lui apprendre à lire ; de guerre lasse, son précepteur l’abandonna. Le maître d’armes eut plus de succès. À seize ans, il se rend à Rennes et terrasse un athlète vainqueur de douze compétiteurs. Un tournoi donné en 1338, à l’occasion du mariage de Jeanne de Penthièvre héritière du duché de Bretagne, avec Charles de Châtillon, comte de Blois, fournit au jeune Du Guesclin un moyen de se faire connaître au loin. Toute la noblesse de France et d’Angleterre y fut convoquée. Renault Du Guesclin, père de Bertrand, s’y était rendu et avait laissé son fils au château. L’enfant, âgé de seize ans, fut contraint, pour y venir, de monter sur une jument de haras, son père ayant emmené tous ses chevaux. Dans ce piètre équipage, il alla se mêler à la fête, honteux de son rôle et jaloux de se distinguer à la vue des chevaliers les plus illustres du temps. Un gentilhomme vaincu sortait de la lice. Bertrand le suit jusqu’à sa maison, lui expose son désir de combattre et finit par le persuader de lui prêter son cheval, ses armes et son équipement. Du Guesclin arrive sur la lice, se fait ouvrir la barrière et demande à combattre. Son début fut magnifique. Il renversa son adversaire ; qui tomba évanoui sur le terrain. Renault Du Guesclin se présente pour venger le chevalier mis à terre ; mais son fils, qui le reconnaît à sa cotte d’armes et à son écu, refuse le combat. Néanmoins, il fournit douze courses dans lesquelles il fut constamment vainqueur. Dans la dernière rencontre, un coup de lance lui ayant enlevé la visière de son casque, son père le reconnut et l’emporta en triomphe. Il reçut le prix de la lutte, qu’il alla offrir généreusement au chevalier qui lui avait prêté son cheval et ses armes.

Il n’en fallait pas plus pour illustrer un homme de guerre au XIVe siècle. Bertrand Du Guesclin devint en un moment le lion du jour. Il avait pris pour devise : Notre-Dame-Guesclin, et cette devise, inscrite sur son écu, devint la terreur des chevaliers sur le champ de bataille comme dans les fêtes de la noblesse.

La fameuse querelle de Jean de Montfort et de Charles de Blois, aspirant tous deux au duché de Bretagne, ne tarda pas à donner à Bertrand Du Guesclin l’occasion qu’il cherchait de se faire une renommée qui ne fût pas appuyée sur des succès de tournois. Il prit parti pour le comte de Blois et assista au siège de Vannes parmi les partisans de son nouveau maître. On l’avait mis à la tête de vingt hommes d’armes, avec lesquels il résista toute une nuit aux efforts d’un détachement de troupes anglaises fort de 3,000 hommes. Charles de Blois, que les Anglais avaient pris, ayant été mis en liberté à charge de payer une caution, Bertrand Du Guesclin fut au nombre des gentilshommes, parmi lesquels était aussi le sire de Beaumanoir, qui se rendirent à Londres afin de remettre entre les mains d’Édouard III les deux fils du comte de Blois, envoyés en otages au roi d’Angleterre. On cite la fière réponse qu’il fit à Édouard III : « Nous observerons la trêve si vous l’observez vous-même, et nous la romprons si vous la rompez. »

De retour en France, il rendit des services dans la guerre d’escarmouches qui suivit la mise en liberté du comte de Blois. C’était l’année de la funeste bataille de Poitiers. Bertrand Du Guesclin, assisté de trois compagnons d’armes, tandis que le gros de ses forces était caché à quelque distance, s’engage sur le pont de Fougerai, en costume de bûcheron, ayant sur le dos une charge de bois ; la porte s’ouvre ; il assomme la garde avec l’aide de ses acolytes et force la place à se rendre. La même année, il accomplit à Rennes un fait d’armes encore plus surprenant. Une armée anglaise assiégeait la ville. Du Guesclin, escorté de cent hommes d’armes, pénètre à la pointe du jour dans le camp ennemi, frappe à tort et à travers sur les Anglais à demi éveillés, enlève un convoi de deux cents chariots chargés de provisions et parvient à entrer dans Rennes avec cette riche proie. Le général ennemi, qui était le duc de Lancastre, voulut le voir et lui envoya un de ses fidèles, du nom de Bembro. Celui-ci dit à Du Guesclin : « Vous avez pris Fougerai ; vous avez tué Bembro, mon parent, qui en était gouverneur ; je désire venger sa mort et demande à faire trois coups d’épée contre vous. — Six, répondit Du Guesclin en serrant la main de son adversaire, et plus si vous voulez. » Bembro fut tué ; mais les Anglais, témoins de sa mort et furieux de la perte d’un homme qui avait dans leurs rangs la même réputation que Du Guesclin parmi les chevaliers français, sommèrent le duc de Lancastre de donner l’assaut à la ville de Rennes. L’assaut eut lieu ; mais Du Guesclin, à la tête de 500 hommes, réussit à incendier une énorme tour de bois construite par le duc de Lancastre sous les murs de la ville, enfonça les troupes de Pembroke et du duc de Lancastre lui-même, qui dut lever le siège immédiatement.

Charles de Blois, ayant pu rentrer dans la ville de Rennes, fit don à Du Guesclin du domaine de la Roche-de-Rieu et l’arma chevalier de sa propre main. La vogue était aux équipées individuelles, où les Français étaient toujours vainqueurs, tandis que les Anglais gagnaient les grandes batailles. Il n’importe, l’honneur était sauf, et Du Guesclin soutenait la gloire de la patrie dans des combats qui, aujourd’hui, n’auraient aucune importance militaire. Il en livra un en 1359, durant le siège de Dinan, bloqué par le duc de Lancastre, dont le souvenir a été conservé par l’histoire. Une trêve avait été convenue entra les deux partis. Durant la trêve, un frère de Du Guesclin, surpris presque sans armes par un chevalier anglais, Thomas de Canterbury, fut retenu prisonnier. Thomas de Canterbury était un fier-à-bras jaloux de la réputation de Du Guesclin. Sa violence n’avait d’égale que son orgueil, et ses crimes l’avaient rendu redoutable aux yeux de tous. « Il a voulu vous insulter et avoir l’occasion de se battre avec vous, dit-on à Du Guesclin. — Il l’a trouvée, répondit-il, et je le ferai repentir de l’avoir cherchée. » Là-dessus il va trouver le duc de Lancastre et lui expose le fait. On fit venir Thomas de Canterbury, qui prétendit avoir eu le droit d’arrêter le frère de Du Guesclin et provoqua celui-ci. « Vous voulez vous battre, lui dit-il, je le veux bien aussi, et je vous ferai connaître pour un méchant et un traître. » Le duel eut lieu en présence des principaux officiers des deux camps et Thomas de Canterbury éprouva un échec si honteux qu’il fallut le chasser des rangs de l’armée anglaise. Du reste, le siège de Dinan fut bientôt levé.

La France était dans un triste état : les provinces étaient au pouvoir de l’ennemi ou ruinées et rançonnées par des compagnies de malandrins. Le roi Jean, n’ayant pu payer sa rançon, était retourné en captivité. Le pis était que le moral du pays était encore plus bas que sa situation matérielle. L’anarchie était au comble et la misère publique indicible.

Du Guesclin offrit cependant son épée au régent, qui devait être Charles V. On lui accorda une compagnie de cent hommes d’armes et le gouvernement de Pontorson. Il se mit à guerroyer en Normandie. Ce fut pendant cette guerre de partisans qu’il épousa Tiphaine Raguenel, femme avisée, d’une haute naissance et une des plus riches héritières de Bretagne. Le jour même où on célébra ses noces à Pontorson, Du Guesclin livrait aux Anglais un combat opiniâtre. Peu de temps après, Charles de Blois, sur le point de rompre une trêve conclue avec les partisans de Montfort, consulta Du Guesclin : « Quel indigne conseiller, lui dit celui-ci, a pu vous suggérer ce dessein ? Je vous conjure de ne rien commander qui puisse ternir votre gloire. Vous avez le droit pour vous ; vous avez une armée : ce sont des avantages qui suffisent pour vaincre vos ennemis. » Les hostilités recommencèrent, malgré les conseils de Du Guesclin, qui reprit sa vie aventureuse et fut bientôt choisi pour général en chef par Charles de Blois. Le siège de Bécherel, une défaite partielle de Montfort, qui vint attaquer Du Guesclin dans ses lignes, signalèrent son début dans le commandement en chef. Il se disposait à livrer une grande bataille dans la lande d’Evran, quand l’intervention des évêques mit fin à la lutte. Il fut convenu que la Bretagne serait partagée entre les deux prétendants. Du Guesclin fut donné en otage à Montfort ; puis, la guerre ayant recommencé, comme on ne rendait pas au héros sa liberté, il s’enfuit auprès du régent, qui lui donna le commandement d’une armée envoyée en