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vais, une galerie conduisant du pont au ehâteau neuf de Saint-Germain en Laye, un perron dans la cour du Cheval-Blanc du palais de Fontainebleau, remplacé sous Louis XIII par l’escalier actuel en fer à cheval, et enfin je tombeau de François Ier à Saint-Denis dont il a donné les plans. De là l’opinion, propagée par Félibien, qu’il fut aussi l’architecte de ! a chapelle circulaire de Valois. Cette chapelle fut commencée après la mort de Henri III, époque à laquelle Delorme était tombé en disgrâce. D’ailleurs les comptes du monument ont été retrouvés et mentionnent comme les seuls architectes le Primatice, Jean Bullant et du Cerceau.

DELORME (Jean), architecte et frère du précédent. On a peu de renseignements sur sa vie. En 1552, il était « maistre général des œuvres de maçonnerie du roy. » Il fut ensuite envoyé en Italie, afin d’y « faire le service du fait des fortifications des places fortes. » Les comptes de 1552 énoncent : « Maistre Jehan de 1 Orme, escuyer, sieur de Saint-Germain, frère dudit abbé d’Ivry, ■ et lui attribuent 600 livres de gages par an. En 15G4, il figure dans les comptes relatifs a la démolition de l’hôtel des Toumelles avec son ancien titre de « maistre général des œuvres de maçonnerie du roy. »

DELORME (Jean), médecin français, né à Moulins en 1547, mort en 1637. Il était professeur à la Faculté de Montpellier lorsque sa . réputation le fit appeler à Paris, où il devint successivement médecin de Louise de Savoie, femme de Henri III, de Marie de Médicis, de Henri IV et de Louis XIII. — Son fils, Charles Delorme, né à Moulins en 1584, mort en 1678, se lit recevoir docteur en médecine (1607), puis voyagea en Italie, où la république de Venise lui conféra le titre de noble. En 1626, il succéda à son père comme premier médecin du roi. Il fit preuve d’une grande habileté par les guérisons qu’il obtint à Paris lors de la peste de 1619, et à La Rochelle, où la dyssenterie ravageait l’armée. Ce célèbre praticien, dont le désintéressement était tel que Henri IV avait dit un jour de lui qu’il « gentilhoinmoit la médecine, • n’a laissé que quelques opuscules insignifiants.

DELORME (Antoine), peintre hollandais, mort après1C67. C’est tout ce qu’on sait de la vie de ce maître qui peignit avec beaucoup d’habileté des intérieurs d’église dont le nom fût même resté ignoré s’il n’eût signé plusieurs de ses œuvres. Ses intérieurs ont sur ceux de Steenwick et de Peter Neef l’avantage d’être plus animés et pittoresques. Il ne peignait pas comme eux avec le tire-ligne de l’architecte, mais avec la palette du peintre. Sa touche est plus grasse, plus onctueuse, plus habile à détacher les uns sur les autres des plans divers d’une teinte uniforme.

Les toiles de Delorme sont très-rares. On n’en voit pas une seule aux musées du Louvre, de Madrid, ni des Pays-Bas. Mais nous en trouvons une à Munich : Intérieur d’église, signée et datée de 1642 ; deux à Francfort-surle-Mein, signées et datées de 1643 ; une Aix-la-Chapelle, chez M. Suormondt, et une autre à la galerie Six d’Amsterdam, datée de. 1657. La galerie Viardot contenait un grand Intérieur d’éijlise, signé A. Delorme, 1660. On trouve encore deux Delorme aux musées de Rennes et de Grenoble, ce dernier excellent et daté de 1G67. Le peintre aurait donc travaillé pendant une trentaine d’années. Il a quelquefois’employé pour ses figurines Palamède, Ochterveït et le jeune Adrien van de Velde. « Ses tableaux, ditThoré, rappellent beaucoup Emmanuel de Witte et presque Albert Cuyp. • C’est en faire assez reloge.

DELORME ou DE LORME (Marion), célèbre courtisane française, née en 1612 à Châlons, en Champagne, disent certains biographes ; à Blois, écrivent quelques autres. On ignore aussi la date exacte et même le lieu de sa mort. Desbarreaux lui apprit, dit-on, à lire dans le livre de l’amour ; il lui enseigna aussi à n’avoir d’autre croyance que le plaisir ; il en fit une courtisane, mais une vraie courtisane, une courtisane de l’antiquité, une hétaïre. Elle

Èrofita même si bien des leçons du sceptique » esbarreaux, qu’un beau jour, après quelques mois de liaison, elle le quitta pour jeter ses beaux yeux sur l’homme le plus élégant, le plus haut placé, le plus séduisant de la France d’alors, une sorte d’Alcibiade, Cinq-Mars enfin. M. le Grand, séduit, fasciné, vient tomber aux genoux de la belle Marion. Bientôt leurs amours sont si peu cachées, que la maîtresse porte le nom de son amant : on l’appelle Madame la Grande. La maréchale d’Effiat, mère de Cinq-Mars, intervient dans un pareil scandale ; elle sollicite un arrêt qui défende aux deux jeunes gens de se voir, et l’obtient. Mais les amoureux, loin d’obéir à cet arrêt, le bravent et resserrent leur union par un de ces mariages que l’on appelait alors mariages de conscience, et qui, un peu plus tard, devinrent si fort à la mode : ainsi se livra à Mme de Maintenon Louis XIV ; à M> « e Choin son fils, le grand dauphin. Mais alors un roi n’en avait pas encore donné l’exemple, et l’union de Ma ■ rion Delorme avec Cinq-Mars donna lieu, dit-on, à l’ordonnance du 26 novembre 1639, relative aux mariages clandestins.

Dès lors, Marion fut célèbre : ses salons furent envahis par tous les grands seigneurs et tous les beaux esprits de répoque ; comme Ninon de Lenclos, elle eut une cour non

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moins brillante et plus galante que celle des Tuileries.

L’auteur des Mémoires du comte de Grammont a fait entre notre héroïne et sa rivale, qui fut aussi son amie, un parallèle peut-être un peu forcé, un peu étudié, trop fini, mais, au demeurant fort joli et fort curieux ; il doit avoir sa place ici : « Ces deux courtisanes, dit-il, partagèrent tous les suffrages de la cour ; cependant il s’en fallut de beaucoup que Marion de Lorme eût le mérite de Ninon. Le génie de Ninon était ferme, étendu, élevé, noble, celui d’un vrai philosophe. Marion n’était que vive, spirituelle et amusante. L’une s’était fait un système de ses plaisirs, et" raisonnait jusque dans les bras de la volupté j l’autre donnait tout au tempérament. L’esprit de Ninon guidait le sentiment ; le sentiment de Marion était le guide de l’esprit. On était séduit par les charmes de— Marion, mais on pouvait s’en dégager par la réflexion ; plus on réfléchissait sur le mérite de Ninon, moin3 on était disposé à la quitter. Les infidélités de Marion chagrinaient ses amants et les écartaient ; Ninon était infidèle avec tant de raisonnement, qu’on se voulait du mal de l’en blâmer. On ne se fût point attaché à Marion, si elle n’eût pas été belle, c’était son premier mérite ; ce n’était que le second de Ninon ; et, sans beauté, elle se fût fait une cour et des adorateurs. On oubliait presque ses charmes en faveur de son esprit, de son caractère et de ses entretiens ; mais avec Marion, on ne voyait qu’une créature toute charmante, qui avait de l’esprit et de l’enjouement, parce qu’elle était belle. Un homme sage, sans passion, pouvait aimer Ninon ; il suffisait de passer auprès d’elle pour lui rendre hommage ; mais on n’aimait Marion que parce qu’on était jeune, et qu’on oubliait sagesse et philosophie avec elle. La nature semblait s’être épuisée pour la figure de Marion, ce n’était que la moitié des dons qu’elle avait accordés à Ninon ; les plus précieux étaient ceux du caractère et de l’esprit. Ajoutons, pour dernier coup de pinceau à leur portrait, que l’une était, à la conduite près qu’on exige du sexe, telle qu’on voudrait que fussent toutes les femmes, et l’autre ce qu’elles sont ordinairement, lorsqu’elles sont aimables et coquettes… »

Eh bien ! à Ninon de Lenclos, malgré tout son esprit et à cause de son égoïsme, nous préférons Marion Delorme, franche et vive, et qui ne savait être égoïste qu’à deux. Ce n’est point cette dernière qui se serait écriée ; Ah 1 le bon billet qu’a La Châtre ! ■

J.-J. Rousseau a fait une verte sortie contre le manque de cœur de Ninon de Lenclos ; certainement il eût aimé Marion Delorme. Qui, au reste, ne l’aima pas ? Parmi les heureux nous avons compté Desbarreaux et Cinq-Mars ; nommons encore et en courant : Saint-Evremond, Buckinghara, Grammont, le grand Condé, le cardinal de Richelieu, le surintendant Emery, Louis XIII lui-même.

Quand vint la Fronde, Marion Delorme voulut, comme toutes les nobles et hautes dames, comme Mme de Montbazon, la duchesse de Chevreuse, comme la reine elle-même, se mêler un peu à ce qui ne la regardait pas : elle se fit frondeuse. On le dit à Mazarin ; on lui dit que la belle courtisane recevait —chez elle, en secret, les mécontents. Le ministre voulut la faire enlever. Les exécuteurs de l’ordre du cardinal arrivèrent trop taid. Marion venait d’expirer. C’était en 1650, et cette même année on publia ces vers :

La pauvre Marion Delorme, De si rare et plaisante forme, A laissé ravir au tombeau Son corps si charmant et si beau.

Voilà une version.

D’après d’autres biographes, cette mort n’était qu’apparente.

Instruite de l’ordre du cardinal, mais n’ayant pas le temps de fuir, Marion simula une maladie grave, supercherie à laquelle prêtèrent la main quelques amants puissants, qui organisèrent une comédie en règle ; ils la firent même passer pour morte, en sorte que, dans un livre intitulé : les Confessions de Marion Delorme, M. de Mirecourt a pu nous montrer la belle et folle courtisane prenant part elle-même à la cérémonie. Au milieu d’une orgie, dans un des grands salons de la place Royale, elle n’eut qu’à entr’ouvrir légèrement les rideaux d’une fenêtre pour assister au défilé de son convoi ; ce qui explique ces trois vers passablement libertins qu’on lui attribue :

J’ai vu mon enterrement ; Le prêtre était mon amant. Ah ! j’en ai ri joliment.

C’était en 1650.

La nuit qui suivit cette étrange cérémonie, Marion Delorme partit pour l’Angleterre, où elle épousa un lord fort riche, qui, au bout de quelques années, la laissa veuve et héritière de grands biens. Elle ne songea plus qu’à revenir en France-, dans le pays où elle avait régné. Elle y touchait déjà, elle se trouvait entre Dunkerque et Paris, lorsqu’elle fut attaquée et dévalisée. Mais elle n’y.perdit rien : elle épousa le voleur. Redevenue veuve, elle épousa en troisièmes noces un procureur fiscal, qui, après vingt-deux ans de mariage, la laissa veuve.

Alors, seule, oubliée, délaissée, vieillie, elle est livrée à la merci de domestiques, qui, une

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belle nuit, s’enfuient de chez leur maitresse après lui avoir tout volé, argent, bijoux, vaisselle, jusqu’à son contrat de vente.

Elle se souvient alors de sa vieille amie, de Ninon de Lenclos, et part pour Versailles. La première personne qu’elle rencontre dans la galerie, c’est elle, c est Ninon ; mais il y avait trente années que les deux rivales ne s’étaient vues et Ninon ne la reconnaît pas, ne veut pas la reconnaître. Désolée, Marion revient chez elle, se met au lit et veut se laisser mourir… Un voisin, surpris de ne point l’avoir vue depuis deux jours, va frapper à sa porte, entre, et la voyant ainsi abandonnée, s’informe si elle a des parents, des amis. « Des parents ! je n’en ai pas connu, mais l’autre jour j’avais encore une amie ; elle vient de me renier… » Le voisin court rue des Tournelles, où demeurait Ninon de Lenclos : Ninon était morte la veille (1706).

Combien de temps Marion, la belle et adorée A’autrefois, comme disait Sapho en pensant à Athis l’infidèle, traîna-t-elle cette* vie triste, misérable ? Nous avons dit qu’on l’ignorait. En 1741, mourut à Paris une femme qui avait cent trente-sept ans. On a prétendu que c’était Marion Delorme, mais rien n’est moins prouvé.

Delorme (Marion), drame en cinq actes et en vers, de Victor Hugo, représenté sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, le il août 1831. Cette œuvre dramatique, qui s’appela d’abord Un duel sous IticUelieu, fut écrite par V. Hugo en juin 1829. Un soir de juillet, l’auteur en fit la lecture à de nombreux amis : Balzac, A. de Musset, A. Dumas, Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Villemain, Mérimée, Soumet, Frédéric Souliô… et le lendemain, l’un d’eux, M. Taylor, alors directeur des Français, se présenta chez le poète et la lui demnnda. « Il est inutile d’aller aux voix, dit M. Taylor au comité de lecture, M. Hugo ne présente pas sa pièce, c’est nous qui la lui demandons. ■

Cependant Marion Delorme ne devait être représentée que deux ans après. La censure ayant cru reconnaître Charles X dans le portrait que le poëte a tracé de Louis XIII gouverné par un prêtre et grand chasseur, mit son veto sur Marion Delorme, et ce veto fut maintenu malgré les démarches de l’auteur auprès do M. de Martignac, de M. de Polignac, ensuite auprès de Charles X lui-même. V. Hugo a raconté sa conversation avec te roi ; efie a pour titre : Le 7 aoiîi 1829, et se trouve dans les Rayons et les ombres : C’était le sept août, 6 sombre destinée ! C’était le premier jour de leur dernière année… … Seuls, dan » un Heu royal, côte à cite marchant Deux hommes, par endroits du coude se touchant,

Causaient

Le premier avait l’air fatigué, triste et grave… … C’était un roi, vieillard à la tête blanchie, Penché du poids des ans et de la monarchie. L’autre était un jeune homme, étranger chez les rois,

Un poste

… Or entre le poëte et le vieux roi courbé

De quoi s’agissait-il î D’un pauvre ange tombé

Dont l’amour refaisait l’ame avec son haleine,

De Marion, lavée ainsi que Madeleine

Qui boitait et traînait son pas estropié,

La censure, serpent, l’ayant mordue au pied…

Un an après éclatait la révolution de 1830, et l’inquisition littéraire étant abolie, c’est dans les in paee de cette inquisition que les directeurs allèrent chercher des pièces pour leur théâtre. Mlle Mars pensa au Duel sous Richelieu, au beau rôle de la Marion transfigurée qu’elle aurait à interpréter, et elle alla supplier le poète d’ajouter à ses succès un succès de plus. Mais V. Hugo ne céda point aux prières de la grande actrice, il ne céda à aucune sollicitation. En esquissant au quatrième acte de son drame la physionomie mesquine, petite, ridicule de Louis XIII, il avait, disait-on, ou plutôt avait dit la censure, voulu faire le portrait non pas de l’aïeul de Charles X, mais de Charles X lui-même. Or, dans ce moment d’effervescence révolutionnaire, il n’appartenait point au poëte de livrer à la risée d’un parterre ce roi déchu, cette royauté évanouie, et qu’il se souvenait, du reste, d’avoir aimée. Les succès de scandale et d’argent répugnaient à son cœur ; voilà pourquoi il attendit.

Cependant, un an après, lorsque fut apaisée un peu la tourmente politique, lorsque Charles jC fut oubliéj l’auteur n’eut plus à craindre qu’on reconnut dans sa pièce les allusions dénoncées par la censure et auxquelles lui, simple historien, n’avait point songé. Il donna donc au théâtre de la Porte-Saint-Martin le Duel sous Richelieu, qui dès lors, pour complaire à Mme Dorval, s’appela Marion Delorme. Les rôles furent distribués au lendemain à’Antony, les répétitions commencèrent, et le H août, enfin, la toile se leva devant la nouvelle œuvre dramatique de notre grand poëte…

La Marion Delorme, l’héroïne du drame que nous allons essayer de raconter, ce n est point, ou plutôt ce n’est plus cette Marion dont les historiens du xvn<* siècle et du nôtre ont à l’envi écrit l’histoire et à laquelle ils ont à nos yeux si complaisamment délié la ceinture ; ce n’est plus cette courtisane ayant jeté sa pudeur par-dessus les moulins et émiettant ses charmes à tout ce qui a un rang à la cour, un nom à la ville ; allant de Richelieu 6. Cinq-Mars, c’est-à-dire du bourreau

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à la victime, et du marquis de X… au comte de Z… ; ce n’est plus la vierge folle, la maltresse à la mode, la rivale heureuse de Ninon de Lenclos ; ce n’est plus, en un mot, cette Marion Delorme à la fois belle, spirituelle et dévergondée qui rappelle les hétaïres d’Athènes…

La Marion du, poste a été lavée de ses fautes comme Madeleine, l’autre courtisane aux cheveux’dorés ; c’est une Marion purifiée, transfigurée, redevenue Marie. Elle a fui ses adorateurs, elle a fermé son boudoir bleu, elle a quitté Paris, et maintenant, retirée, cachée, ensevelie dans une petite ville de province, à Blois, elle ne vit que pour celui et par celui dont l’amour lui a fait une seconde virginité, pour Didier.

Didier croit Marie pure autant que belle ; son amour est ardent, passionné, mais respectueux, et il n’oserait effleurer des lèvres les boucles blondes de son amie. Lit-haut, dans sa vertu, dans sa beauté" première, Veille, sans tache encore, un ange do lumière, Un être chaste et doux, a qui sur les chemins Les passants à genoux devraient baiser les mains. Et moi, qui suis-je, hélas ! qui rampe avec la foute ? Pourquoi troubler cette eau si belle qui s’écoule ? Pourquoi cueillir ce lis ? pourquoi d’un souffle impur De cette Ame sereine aller ternir l’aiurî

Ainsi se parle Didier au moment où il va franchir le balcon de sa maîtresse, et quand il fait part à Marie de ses scrupules, Mario souffre cruellement, car elle a à la fois trop d’amour pour tromper celui qu’ejlo aime et trop d’amour pour le détromper. C’est le marquis Gaspard de Saverny qui dénouera ou plutôt tranchera le nœud de cette situation équivoque.

Gaspard de Saverny est un jeune débauché insoucieux et élégant. Il a été l’amant do Marion Delorme, et venu à Blois, il ne sait plus comment il a rencontré la courtisane et a suivi ses pas, la regardant d’une façon un peu galante… trop galante même de l’avis de Didier.

Didier est bâtard, et depuis cette nuit où, tout enfant encore, il fut déposé nu sur le seuil d’une église, il a beaucoup vu, beaucoup senti, beaucoup souffert ; repoussé, méprisé, haï, à son tour, il hait les hommes, il les méprise, il est fier et triste,’il est âpre, il est sauvage ; il ne croit plus à rien… Si, il croit en Marie, en son amour, en sa pureté. Du jour où je vous vis, ma vie encor bien sombre Se dora. Vos regards m’éclairèrent dans l’ombre.

Dès lors tout a changé

Car jusqu’à vous, hélas ! seul, errant, opprimé. J’ai lutté, j’ai souffert… je n’avais point aimé.

Bien imprudent, vous le voyez, a été Gaspard de Saverny, le jeune fat.

Sous le plus frivole des prétextes, Didier ; le lendemain, propose un duel à celui qui lui a déplu, et sans plus d’hésitation — cela se pratiquait ainsi en l’an de grâce 1038 — les deux jeunes gens se mettent à ferrailler sous un réverbère, en pleine rue.

Mais en ce temps régnait le cardinal de Richelieu. Or, l’Eminence rouge avait défendu les duels sous peine de mort, et ce jour-là il avait précisément donné l’ordre au guet de redoubler de surveillance. On sait ce que valaient les ordres du cardinal.-Le capitaine quartenier était donc aux.écoutes. Tout à coup il entend le cliquetis des épées, et, suivi des archers à la longue rapière, il survient au milieu des combattants. Le marquis, au fait des roueries des jeunes seigneurs débauchés et coureurs d’aventures de cette époque, est peu intimidé par cette soudaine apparition, et, se laissant tout doucement glisser à terre, il fait le mort. Didier seul est désarmé et emmené par la garde.

Nous sommes au troisième acte et la toile se lève devant le château de Nangis. C’est un vieux château déjà avec son donjon à ogives et ses tourelles, "c’est un dernier vestige de cette féodalité qui depuis Louis XI a essayé de renaître de ses cendres et qu’à cette heure Richelieu brise et finalement anéantit pour préparer le règne souverain de Louis XIV. Mais ce n’est point aujourd’hui sur le donjon du vieux château, non plus que sur ses tourelles ou son grand parc à la Henri IV, que se portent les regards ; c’est sur l’entrée principale de la demeure seigneuriale tendue de noir avec l’écusson des Nangis et des Saverny au milieu.

Le marquis Gaspard de Savernv a fait le mort, il vous en souvient ; mais il ne suffit point d’être mort, il faut aussi être enterré. Sous le déguisement d’un officier au régiment d’Anjou, avec un emplâtre sur l’œil, par surcroît de précaution, le jeune fou, accompagné de son ami Brichanteau, s’est donc mis gravement à traîner son cercueil en carrosse jusqu’au château de Nangis, chez son onelo. Tout est muet, triste, grave ; tous sont en

fdeurs dans la maison, et le vieux marquis ui-même, le vieil oncle de Gaspard, reste, les bras croisés et immobile, accablé sous sa douleur. On ne lui a rien dit en effet de la supercherie, car il faut que ses larmes soient vraies, son désespoir sincère, réel à tous les yeux ; il faut qu’il joue son rôle à la façon de Probus, cet acteur de l’antiquité, qui, ayant à interpréter la douleur d’un père qui a perdu son enfant, fit apporter sur la scène l’urne renfermant les cendres de son propre fils.

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