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réglé par : Au désir de la loi, de l’ordonnance.

Antonymes. Apathie, inappétence, indifférence. — Crainte.

Encycl. Philos. Le désir est une inclination de l’âme vers un but déterminé. Il est difficile d’en fournir une analyse exacte.

La destination de tous les êtres de la nature n’est pas la même ; de la différence de leurs désirs procède la différence de leur orfanisme. La Providence a assigné à chaque tre organisé un rôle distinct. Le désir, qui dérive de la raison, sans quoi il ne serait qu’un mode de l’instinct, a chez l’hbmrae un caractère particulier. C’est chez lui un penchant impérieux, et continuel qui le dispose à se rapprocher des objets en harmonie avec la fin de ses facultés, et dont il considère la possession comme le bonheur, la privation comme une source d’inquiétude, de malaise et d’abattement.

Cette inclination secrète de l’âme vers certains objets est commune à tous les hommes. Elle est le ressort de notre être et la cause immédiate de nos actions.

La plupart des psychologues avaient l’habitude de la considérer comme un fait purement affectif, c’est-à-dire comme un acte ou une manière d’être de la sensibilité. On en rapporte maintenant une part au principe actif ouàla volonté. Jouffroy, dont le talent comme psychologue jouit d’une si grande autorité, ne distingue pas encore dans le désir le côté actif. « La sensibilité, dit-il, étant agréablement affectée, commence par s’épanouir, pour ainsi dire, sous la sensation ; elle se dilate et se met au large, comme pour absorber plus aisément et plus complètement l’action bienfaisante qu’elle éprouve ; c’est la le premier degré de son développement. Bientôt ce premier mouvement se détermine davantage et prend une direction ; la sensibilité se porte hors d’elle et se répand vers la cause qui l’affecte agréablement : c’est le second degré. Enfin à ce mouvement expansif finit tôt ou tard par en succéder un troisième, qui en est comme la suite et le complément : non-seulement la sensibilité se porte vers l’objet, mais elle l’aspire à elle ; elle tend à le ramener à elle, à se l’assimiler, pour ainsi dire. Le mouvement précèdent était purement expansif, celui-ci est attractif ; par le premier, la sensibilité allait à l’objet agréable ; par le second, elle y va encore, mais pour 1 attirer et le rapporter à elle : c’est le troisième et dernier degré de son développement. »

Jouffroy nomme lui-même ces trois degrés : joie, amour et désir. Pour démontrer que le désir n’est point du ressort exclusif de la sensibilité, il suffit de remarquer que la sensibilité est, en général, la faculté d’éprouver du plaisir et de la douleur, et que dans le désir il y a autre chose que du plaisir et de la douleur. Cet élément distinct de la sensibilité est le mouvement attractif indiqué par Jouffroy. 11 signale la présence d’une faculté différente du sens affectif, qui est la volonté.

De même que, dans le phénomène de l’attention, il ny a pas seulement de l’intelligence, mais un acte de la volonté dirigeant l’entendement vers un objet particulier, de même ici la volonté intervient pour diriger non plus l’entendement, mais le sens affectif vers un but qui n’est point une connaissance, mais un sentiment. D’où l’on peut conclure que le désir est au sentiment ce que l’attention est à la connaissance.

Le langage lui-même consacre cette observation, car désirer, dans le sens ordinaire, équivaut à vouloir. On dit indifféremment : Je désire aller à tel endroit, ou Je veux aller à tel endroit. Le désir diffère cependant de la volonté, en ce qu’il est spontané ; un acte volontaire est toujours un acte de réflexion, de sorte qu’entre un désir et un acte volontaire il n’y a de différence que la réflexion ; en d’autres termes, la part affective du désir est dans l’homme l’œuvre de l’instinct, et la part volontaire, le fruit de la liberté et de la réflexion. Il y a donc toujours un côté affectif dans le désir, Quand il commence au degré de Jouffroy, l’âme s’ouvre à un sentiment de plaisir ; si ce sentiment n’est pas satisfait, un sentiment contraire, appelé tristesse, lui succède. Son effet est le besoin. Le besoin est suivi d’une aspiration de l’âme à le satisfaire, et c’est là proprement le désir. Les termes souvenir et espérance servent encore à qualifier le désir. Le souvenir a trait à un désir satisfait et qui n’existe plus ; l’espérance, à un désir non satisfait, mais pour lequel il y a des motifs pour qu’il le soit. C’est pourquoi Malebranche définit le désir « l’idée d’un bien que l’on ne possède pas, mais que l’on espère de posséder. » Il participe donc de la raison. Les minéraux ont des affinités, les animaux des instincts : l’homme seul a des désirs, parce qu’il pense.

On a vu plus haut que le désir a une liaison intime avec la volonté. Condillac et La Romiguière l’avaient considéré comme le principe générateur de la volonté. Dans leur théorie, je désire signifie toujours je veux. Il est constant que le désir sollicite la volonté, provoque l’action, et, en un grand nombre de cas, la détermine ; mais il en est de même de toutes les facultés de l’âme : toutes ont la volonté pour ministre. C’est même ce qui les fait libres, car si elles ne pouvaient traduire la pensée en acte, elles seraient entièrement passives et soumises au


joug de la nécessité pure. On a voulu voir dans le désir l’essence et la nature même de l’âme. Il fait partie de cette nature, mais ne la constitue pas. « Si la nature de l’âme consistait primitivement à désirer, dit M. Charles Jourdain ; si, envisagée dans son fond, dans son essence, elle n’était autre chose qu’un désir non interrompu poursuivant sans relâche une fin indéterminée, le désir devrait suffire pour rendre compte de tout ce qu’elle est et de tout ce qui se passe en elle, de ses facultés et de ses modifications… Il y a chez l’homme un sentiment non moins énergique et non moins profond que celui du pouvoir volontaire, je veux dire le sentiment de son unité et de son identité. Chacun de nous sait clairement que le principe de son être est un, simple, indivisible, qu’il ne change pas, ne se renouvelle pas, mais qu’il reste aujourd’hui ce qu’il était hier et ce qu’il sera demain. » Nos désirs si multiples, si changeants, si opposés ne sont donc pas la cause de cette unité.

Le désir se distingue de l’appétit par deux caractères essentiels ; 1o  il ne vient pas du corps ; 2o  il n’agit pas périodiquement comme, par exemple, la faim. Quant à ses espèces, Dugald-Stewart en a dressé une classification assez généralement admise. Il les divise en cinq classes : 1o  le désir de connaissance ou principe de curiosité ; 2o  le désir de société ; 3o  le désir d’estime ; 4o  le désir du pouvoir ou principe d’ambition ; 5o  le désir de supériorité ou principe d’émulation. Le désir de connaissance ou principe de curiosité est le premier qui se développe dans l’enfance. Les propriétés des choses et les lois matérielles de la nature en sont d’abord l’objet. En ce moment, il est uniforme ; plus tard il varie d’un individu à un autre suivant le milieu qu’on habite, l’éducation qu’on reçoit ou la constitution héréditaire. De là la variété des carrières poursuivies, variété nécessaire dans l’économie de la civilisation. Le désir de connaissance n’est pas intéressé. De même que la faim n’a pas pour objet le bonheur, mais la nourriture, de même 1 objet de la curiosité est de savoir et non d’être heureux.

Le désir de la société n’est peut-être que le fruit » d’une longue élaboration historique. Dans tous les cas, il est devenu une loi de la nature humaine. Abstraction faite des affections bienveillantes qui nous disposent à vouloir le bonheur des autres, et des avantages que procure l’état social, le désir de la société est un des ressorts de la vie. Il intéresse au suprême degré notre bonheur personnel. On a prétendu qu’il n’était que le fruit d’une habitude:soit ; mais, en l’état actuel, la solitude absolue est un supplice qu’on n’ose même pas infliger aux criminels.

Le désir d’estime est également un de ceux qui se développent de bonne heure chez l’enfant. Avant d’avoir pu mesurer l’utilité d’inspirer à autrui une bonne opinion de nous-mêmes, le mépris nous incommode et les égards nous sont agréables. Quelques moralistes rigides blâment cette tendance primitive de notre nature. Salomon est d’avis que la science est une vanité ; l’ascétisme considère l’amour de la société comme une faiblesse ; pour Pascal, le désir d’être estimé d’autrui prouve qu’on ne l’est pas de soi-même, et qu’on cherche ailleurs des compensations. Ce sont là des sentiments individuels auxquels répugne la presque unanimité de l’espèce.

Le désir du pouvoir est certainement l’œuvre de l’état social et ne saurait être envisagé comme une faculté primitive de notre nature. Toutes les fois que l’homme peut se considérer comme l’auteur d’un effet, un mouvement de joie et d’orgueil se manifeste en lui. Ce mouvement est proportionnel à la grandeur de l’effet produit. On remarque aussi cette disposition chez les enfants dès leur bas âge. Dans l’adolescence, elle se fait jour de tous les côtés, principalement dans les exercices gymnastiques, par l’étalage de leur force physique ; puis vient le désir de la force intellectuelle et les luttes de l’école, auxquelles succèdent celles de la vie publi âue, politique ou privée. « Nous cherchons, it Dugald-Stewart, dans la supériorité de la fortune et du rang, ou dans celle plus flatteuse encore de nos talents intellectuels, les moyens d’étendre notre influence sur les autres : la force de l’entendement, l’étendue des connaissances, les artifices de la persuasion et les finesses de l’habileté sont mises en œuvre pour ce but. Quelle autre idée que celle du pouvoir réjouit l’orateur dans le sentiment de son éloquence, quand il fait taire par l’ascendant de son génie la raison des autres, qu’il tourne à ses desseins leurs désirs et leurs passions, et que, sans le secours de la force ou la splendeur du rang, il devient l’arbitre des nations ? »

Le désir du pouvoir entre dans le goût qu’on a pour la propriété, par conséquent dans l’avarice, dans l’amour de la liberté, car on veut avoir la faculté de suivre ses inclinations et de briguer la possession des choses que l’absence de la liberté met dans les mains d’un seul ou de quelques-uns. Cieéron voit surtout dans le désir du pouvoir l’amour du bien-être, ou, mieux encore, l’envie de vivre à sa guise, à Ceux qui le recherchent, dit-il, se proposent le même but que les princes, vivre à leur fantaisie. Ils trouvent une satisfaction à ce but, en ce qu’ils


ne manquent de rien, n’obéissent à rien, jouissent d’une liberté entière. »

Le désir de la supériorité semble au premier abord se confondre avec le précédent : il est beaucoup plus large néanmoins. Dugald-Stewart le regarde comme le véritable principe actif ; il est la cause de l’émulation. Quand l’émulation est accompagnée de malveillance, elle s’appelle l’envie. « L’émulation, dit le docteur Butler, est proprement le désir de devenir supérieur à ceux avec qui nous nous comparons ; vouloir y parvenir en abaissant les autres au-dessous de notre niveau, telle est la nature de l’envie. Ainsi la passion naturelle de l’émulation et la passion dépravée de l’envie ont exactement le même but ; faire le mal n’est donc pas la fin de l’envie, mais le moyen dont elle use pour arriver à sa fin. » L’émulation existe à divers degrés chez les animaux.

Outre les cinq espèces de désirs précédents, l’homme en a d’autres qui sont artificiels ; tels sont le désir des richesses pour elles-mêmes, du luxe, des meubles, des objets d’art, des collections, etc. Cette classification de nos désirs ne s’applique d’ailleurs qu’à leurs objets. Par rapport à leur origine, on les divise en désirs naturels et en désirs acquis. On apporte les premiers en naissant, et on acquiert les autres par les habitudes particulières que l’on contracte. Les désirs naturels dépendent de notre constitution et se retrouvent chez tout le monde ; les désirs artificiels n’existent que chez quelques-uns. Une qualité commune aux désirs naturels et artificiels est, au surplus, de n’être jamais satisfaits que pour un instant. La nature a voulu qu’ils se renouvelassent sans cesse, afin de ne point nous laisser inactifs ; car, il ne faut pas s’y tromper, avoir des désirs et travailler à les satisfaire, c’est vivre, et l’on vit d’autant plus que ces désirs sont plus grands et nos moyens de les satisfaire plus puissants.

— Bibliogr. V. Th. Meid, Essai sur les facultés actives de l’homme (Londres, 1812, 3 vol, in-8<>, liv. III) ; Dugald-Stewart, Esquisses de philosophie morale, traduit par Jouffroy (Paris, 1S26, 1 vol. in-8<>, 2e part., sect. 3) ; Dugald-Stewart, Philosophie des facultés actives et morales de l’homme (liv. I) ; Ad. Garnier, Traité des facultés de l’âme, passim ; dictionnaire de la conversation au mot désir ; Ch. Jourdain, au mot désir, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques.

DÉSIR (SAINT-), bourg et commune de France (Calvados), cant., arrond. et à l kilora. de Lisieux ; pop. aggl. 1, 966 hab. — pop. tôt. 2, 858 hab. Blanchisseries ; fabriques de noir animal ; poterie.

DÉSIRABLE adj. (dé-zi-ra-ble — rad. désirer). Qui est digne d’inspirer le désir : Position désirable. Lequel est plus désirable à l’homme, ou de vivre jusqu’à l’extrême vieillesse, ou d’être promptement délivré des misères de cette vie ? (Boss.) Il n’est pas permis à une nation d’acheter le bien le plus désirable par le sang de l’innocence (J.-J. Rouss.) Les quatre choses les plus désirables, selon Alphonse le Sage, sont : du vieux bois, du vieux vin, de vieux amis et de vieux livres. (Rigault.) il Qui inspire ; qui fait naître des désirs, en parlant d’une personne : Une fille si désirable pouvait-elle ignorer à ce point l’émotion que devaient produire ses charmes  ? (G. Sand.) Oh ! c’est la femme la plus intel.ligente et la plus désirable que j’aie vue. (Balz.)

— s. m. Digne objet de nos désirs : Aristote définissait Dieu la cause finale du monde, le suprême désirable, le centre de l’aspiration universelle des choses. (E. Saisset.)

DÉSIRADE (la), île française, l’une des petites Antilles, à 9 kilom. N.-E. de la Guadeloupe, du gouvernement de laquelle elle dépend, par 16° 20’de lat. N., et 53° 22’de long. O. Superficie, 4 kilom. carrés ; pop., 1, 870 hab. La Désirade fut la première terre que Colomb découvrit à son second voyage, le 3 novembre 1493, et c’est même ce qui lui a valu son nom. Cette île est un groupe de mornes qui, d’un côté, semblent taillés à pic du sommet a la base, et qui, de l’autre, s’abaissent jusqu’à la mer par une pente allongée. Le plus grand de ces mornes occupe toute la largeur de l’Ile, et présente des sites agréables et sains. On reconnaît dans ces montafnes la trace d’un volcan éteint : tout y est rûlé, couvert de pierres calcinées, et l’on y trouve plusieurs cavernes, produites sans doute par une ancienne éruption. L’Ile possède quelques sources d’eau assez abondantes. Elle fut comprise, ep 16-49, dans la vente des îles cédées à M. de Boisseret, et a fait, depuis lors, partie des dépendances de la Guadeloupe, dont elle a toujours partagé le sort. Son sol, sablonneux et aride, ne produit que du coton, dont on cultive plusieurs espèces. Celui qu’on récolte à la Désirade est réputé le meilleur des îles. On y trouve aussi, mais en petite quantité, les plantes et les fruits des Antilles. L’île possède deux salines, qui pourraient devenir importantes si les habitants savaient ou voulaient en tirer parti ; mais ils se contentent pour vivre du produit de leur pêche ; leur indolence, excusée en quelque sorte par la stérilité du sol, ne leur permet guère de se livrer à d’autres travaux. L’air salubre de la Désirade, sa position et ses belles eaux, qui, coulant à travers des racines de gaïac, s’imprègnent de leur suc et deviennent une tisane sudorifique naturelle des plus salutaires, avaient fait choisir cette lie pour y déposer les individus attaqués de maladies qui exigeaient une séquestration absolue, telles que la lèpre. En outre, la Désirade a, jusqu’à la Révolution, servi de lieu de dépôt pour les mauvais sujets, qu’on appelait en France fils de famille. Elle fut prise par les Anglais en avril 1794 ; mais ils en furent chassés au mois de décembre de la même année, par Victor Hugues, le terrible commissaire de la Convention à la Guadeloupe. Ils s’en emparèrent de nouveau en mai 1803, et elle ne revint à la France qu’en 1815.

DÉSIRÉ, ÉE (dé-zi-ré) part, passé du v. Désirer. Qui est l’objet d’un désir : Emploi désiré. On fait tout pour les faveurs désirées et bien peu pour tes faveurs obtenues. (Helvét.) Il Dont on désire la présence ou la naissance : Vous êtes bien désiré à Paris. Ce fils si longtemps désiré vient de naître.

DÉSIRÉ (saint), évêque de Cahors. V. Didier (saint).

DÉSIRE (Artus), écrivain français, né en Normandie vers 1500, mort vers 1579. Il entra dans les ordres et prit une part active aux controverses religieuses du temps. Dépourvu de science et de talent, mais rempli d’une haine ardente contre les réformateurs, il écrivit contre le protestantisme une trentaine d’ouvrages dans lesquels il attaqua ses adversaires j)ar des quolibets, des bouffonneries, des injures et d’odieuses ou ridicules déclamations. Mais là ne s’arrêta pas l’ardeur de son zèle d’énergumène. Il s’adressa au roi d’Espagne, Philippe II, lui demandant d’entrer en France avec une armée. Arrêté à Orléans, il fut condamné, pour crime de haute trahison, par le parlement de Paris, à une réclusion de cinq ans dans un couvent de chartreux ; mais il s’échappa bientôt et recommença à écrire. Dans quelques-uns de ses ouvrages, Désiré demande au roi défaire périr les protestants dans d’horribles supplices, dont il dresse complaisamment le programme. Parmi ces livres, dont plusieurs sont signés de l’anagramme Sutra Erised, nous nous bornerons à citer : les Grands jours du parlement de Dieu (1551) ; les Regrets et complaintes de Passe-partout (1557) ; la Singerie des huguenots, marmots et guenons de ta nouvelle dérision théodosienne (1574) ; le Ravage et déluge des chevaux de louage (1578), en vers ; Bataille et victoire du chevalier Céleste contre le chevalier Terrestre, également en vers, etc.

DÉSIRÉE (Eugénie-Bernardine), reine de Suède, née à Marseille le 8 novembre 1781, morte en 1860. Elle était fille du riche négociant Clary et nièce, par sa mère, du lieutenant général baron de Somis, un des plus fanatiques aristocrates du temps. Elle reçut une brillante éducation, et comme elle était d’ailleurs gracieuse et belle, elle fut entourée dès son entrée dans le monde d’admiration et d’hommages. Sa sœur aînée, Marie-Julie, ayant épousé Joseph Bonaparte, ce mariage introduisit Napoléon dans la maison Clary. Il y vit la jeune Désirée, en devint amoureux et demanda sa main. M. Clary, obligé déjà de pourvoir seul à l’entretien coûteux de Joseph et de sa femme, accueillit sa demande par un brusque refus. « C’est assez, dit-il, d’un Bonaparte dans ma famille. » Napoléon en fut vivement affecté, mais il n’en conserva pas moins pour Désirée une amitié et une estime qui ne se démentirent jamais.

Désirée Clary faisait de fréquents séjours auprès de son beau-frère, qui avait fixé sa résidence à Gênes ; elle s’établit même tout à fait dans sa maison après la mort de son père. Lorsque éclata l’insurrection du 12 vendémiaire an V, insurrection violemment réprimée par Napoléon, les instincts aristocratiques qu’elle tenait de sa mère et plus encore de son oncle maternel se trahirent énergiouement, et elle s’exprima en termes pleins a’amertume contre le défenseur de la Convention. Il en résulta une certaine froideur entre elle et le jeune général républicain, que son frère Joseph avait cru opportun d’avertir.

Cependant, jeune, belle, riche comme elle l’était, Désirée ne pouvait manquer d’être courtisée. Les prétendants affluaient. Parmi eux un opulent banquier de Stockholm, M. Charles Arfvedsson, parut un instant devoir triompher ; mais la famille lui préféra le général Duphot, et déjà l’on s’occupait des préparatifs du mariage, lorsque le général fut tué à Rome, dans une émeute, le 28 décembre 1797.

Les temps étaient changés ; la réaction se prononçait ; les mêmes sentiments aristocratiques dont les Bonaparte s’effarouchaient naguère, ils les flattaient maintenant. Bernadotte, convaincu de jacobinisme, était à cause de cela antipathique à Napoléon. Or, comme la popularité de ce général était grande et qu’à un moment donné elle pouvait faire échec aux desseins ambitieux du vainqueur d’Italie, il importait de le rallier. Joseph et Lucien s’en chargèrent, et ils spéculèrent dans ce but sur la beauté de Désirée, En efi’et, Bernadotte, attiré par eux, devint l’hôte assidu de leur maison ; à chaque visite il rencontrait la jeune fille, qui de son côté le voyait avec plaisir ; bientôt ils s’aimèrent, et grâce à l’intervention de Joseph