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servante, l’autre, une jeune fille de seize ans, qui, a l’arrivée de Potard. jette un cri de ioie, et lui saute au cou en rappelant : Mon bon ami. Mais Potard ne répond qu’à demi aux câlineries de Jenny, et lance à la dérobée des regards interrogateurs à la vieille Marguerite. C’est qu’au moment d’entrer dans la maison, il a vu un jeune homme, Édouard Beaupertuis, en sortir à la hâte, et des soupçons lui sont venus. De quelle nature ? C’est ce que nous allons expliquer en quelques mots. Potard a eu vingt ans tout comme un autre, et même plus longtemps que beaucoup d’autres. Pendant le cours de ses pérégrinations à travers la France, il a presque aussi souvent trouvé à placer son cœur que le poivre de sa maison de commerce. Autant d’étapes, autant de passions. Mais un jour il s’est trouvé amoureux pour tout de bon, et le malheur a voulu que ce fût d’une jeune femme mariée à un vieux militaire qui aurait, haut la main, rendu des points à Othello pour la jalousie. Marguerite devint mère ; il fallut fuir la maison conjugale, et Potard s’en alla cacher son bonheur illégitime au fond d’une province. Marguerite mourut en donnant le jour à Jenny, et le troubadour, en homme de cœur qu’il était, jura de ne jamais abandonner sa fille, mais de ne lui révêler la nature des liens qui l’attachaient à elle, que lorsqu’elle serait en âge de recevoir une pareille confidence. On comprend quels soupçons avaient dû entrer dans son esprit à la vue d’un jeune homme s’esquivant de chez Jenny. Après bien des enquêtes, bien des investigations, Potard finit par découvrir que Beaupertuis est épris de sa fille ; il va le trouver, et le somme, après lui avoir raconté son histoire, d’épouser Jenny ou de ne jamais la revoir. Beaupertuis promet tout ce qu’on veut ; mais, le soir même, il juge plus commode d’enlever Jenny, et le pauvre commis voyageur ne trouve, en rentrant chez lui, qu’un fover vide et désolé. Longtemps il ignore ce qu’est devenue sa fille ; enfin il apprend que son ravisseur l’a emmenée en Amérique, Potard s’embarque, et, après bien des péripéties, qu’il serait trop long pour nous de raconter, il arrive à New-York où il retrouve Jenny et Beaupertuis. Ce dernier revient à des sentiments plus honnêtes, cdnsent à donner son nom à celle qu’il a séduite, et Potard, retrouvant sa bonne humeur et sa gaieté, s’établit en Amérique dans l’espoir de faire luire sur le nouveau monde l’étoile du commis voyageur, qui menace de s’éteindre en Europe. À peine avons-nous pu donner une idée des détails charmants que contient ce volume. Le Dernier des commis voyageurs ne se peut comparer en aucune façon, -du moins quant au fond, à Jérôme Paturot, du même auteur. Mais nous n’hésitons pas à le dire, malgré !e bruit immense qui s’est fait autour de ce dernier livre, et l’obscurité relative dans laquelle est resté celui que nous venons d’analyser, notre préférence est pour celui-ci. Ce qu’il y a’de gaieté, de verve, d’esprit naturel et de bon aloi dans le Dernier des commis voyageurs, ce qu’il contient de pages véritablement émues et. touchantes, le style simple et facile dans lequel il est écrit, suffisent, à nos yeux, pour le placer bien au-dessus des déclamations froides et de l’esprit banal qui forment l’élément principal de Jérôme Paturot.


Dernière consolation (LA), nouvelle, par Fernan Caballeros. On sait que le délicat écrivain espagnol qui s’abrite sous ce pseudonyme est une dame d’honneur de la duchesse de Montpensier. Une assez nombreuse série d’études, de romans et de nouvelles, qui décèlent un moraliste et un conteur, ont acquis à Fernan Caballero, non-seulement en Espagne, mais en Europe, une légitime réputation. RI ultimo consuelo est une des meilleures œuvres, quoique ce ne soit, à proprement parler, qu une page ; mais Fernan Caballero a précisément le talent de produire l’émotion avec de très-courts récits. L’auteur a pris pour épigraphe ces vers de Charles Reynaud :

Votre indulgence à vous ne se lasse jamais. Mères ; vous n’avez pas d’enfer pour les mauvais, Et rien ne peut tarir ces sources éternelles : L’amour dans votre cœur, le lait dans vos mamelles. Ce simple récit, terminé par une catastrophe qui tait frissonner, est celui de la douleur d’une pauvre mère, dont le fils, d’un naturel indomptable, après avoir fait son tourment pendant son enfance, s’est fait envoyer aux présides de Melilla pour un coup de couteau donné dans une querelle. Au moment où la mère, qui n’a cessé de veiller sur lui, a fait changer son lieu de détention, afin de le voir, et est sur le point même d obtenir sa grâce, il s’évade pendant la nuit. Puerto Real, où il a été transféré, est entouré de marais salants (rabizas), couverts à la surface de maigres végétations, et où l’imprudent qui s’aventure doit perdre infailliblement la vie, englouti par les boues et les sables. Un lanchero, batelier pécheur, à qui la pauvre mère demande de lui faire traverser le canal du Trocadero, lui raconte que, pendant la nuit, il a été tenu éveillé par des cris effrayants. « Je ne pouvais, dit-il, savoir ce que c’était ’ que ce bruit, si c’étaient les aboiements d’un chien, le cri de quelque oiseau de nuit, la plainte d’une créature vivante ou le gémissement d’une âme en peine, parce que la distance qui m’en séparait était grande et que, si je l’entendais, c’est que la nuit était plus

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silencieuse que la mort. Peu à peu j’en vins à me persuader que c’était bien la voix d’une créature humaine, qui d’abord appelait et finissait par une plainte désespérée. Au matin, comme je n’avais pas perdu l’endroit de vue, je sautai à terre et je m’acheminai comme je pus de ce côté ; car je connais les marais et les albinas comme les doigts de ma main. C’était bien ce que j’avais soupçonné. Un malheureux, ignorant le danger, ou plus téméraire que le vin, était venu tomber dans une rabiza et s’y était enterré petit à petit, mais sans cesser d’enfoncer. Pendant toute la nuit avait duré cet enterrement d’un vivant, et le marais, en le dévorant, n’avait laissé dehors qu’un bras, que le pauvre diable tenait élevé au-dessus de sa tête comme pourmarquer son tombeau 1 » C’était le fils de la pauvre veuve 1 Un commissaire des présides vient lui apprendre qu’il s’est échappé et qu’on est à sa recherche. Le lanchero ajoute alors que certainement il est mort en chrétien, et que c’est ce cjue signifiaient ses doigts, avec lesquels il s était efforcé de faire une croix et qui étaient restés croisés après sa mort. La mère remercie le ciel de ce que la dernière pensée de son fils ait été pour son salut ; c’est là sa Dernière consolation.

Cette nouvelle est une des pages les plus émouvantes de Fernan Caballero, le peintre par excellence des paysages et des mœurs andalous. h’Ultimo consuelo n’a pas été traduit eu français. M. Antoine de Latourenadonné des extraits dans ses Études sur l’Espagne, la Baie de Cadix (I vol. in-18, 1858).


Derniers montagnards (LES), par M. Jules Claretie (1867). Il était à craindre, en voyant un romancier aborder l’histoire sérieuse, qu’il ne se perdît et que son style ne se ressentît de la liberté des allures du roman feuilleton. On est agréablement surpris, en lisant l’ouvrage de M. Claretie, de reconnaître que ces craintes n’étaient pas fondées. Pour son début, il s’est attaché à une grande époque et s’est proposé de mettre en relief les derniers montagnards et les suprêmes convulsions du régime de la Terreur. C’est toute l’histoire de l’insurrection de prairial an III, racontée d’après des documents nouveaux et inédits. L’auteur reprend, dans tous les détails où peut entrer une monographie, « un terrible drame, navrant chapitre de l’histoire de la réaction thermidorienne. » Dans quelques hommes, qui méritaient d’être plus connus, il nous montre la protestation la plus ferme contre ces excès tyranniques que les réactions amènent si facilement, sans avoir, comme les excès révolutionnaires, l’excuse des dangers de la patrie : « Honnêtes dans un temps où l’immoralité était remise à l’ordre du jour, convaincus à ces heures d’abjurations et de défaillances, dévoués à la cause de tous, quand personne ne s’occupait plus que de ses intérêts privés, ils sont tombés à leur poste, soldats du droit, mourant sans phrases et vraiment sublimes dans leur héroïsme bourgeois. » Ces quelques lignes donnent la note du récit de M. Claretie. Avec le ferme désir de rester impartial, il se livre à la sympathie, à l’admiration, en plaignant un martyre aussi inutile qu’héroïque. « Le peuple, dit-il, désintéressé dans la lutte, replié sur lui-même, regarda passer, sans bouger, sans gémir, les cadavres qu’on emportait au cimetière de la Madeleine et les condamnés qu’on emmenait place de la Révolution. » M. Claretie s’applique surtout à démontrer comment l’abdication du peuple vient en aide à l’audace de la réaction. La Révolution devait dévorer tous ses enfants ; les thermidoriens tout-puissants n’eurent plus d’ennemis qu’eux-mêmes, et leur lâcheté, leur aveuglement, leurs intrigues livrèrent la France révolutionnaire au sabre d’un audacieux officier de fortune qui les dévora. « Une figure bien peu connue jusqu’ici, fait remarquer M. Vapereau, se détache en relief du groupe des derniers montagnards : c’est celle du Picard Brutus Magnier, l’un des types complets et originaux de l’esprit révolutionnaire, constant et fidèle à lui-même. Son nom n’est pas même prononcé dans l’Histoire de la Révolution de M. Thiers. M. Claretie le tire de l’oubli et le venge par une monographie des dédains de l’histoire générale. »

Non-seulement l’auteur a rendu à chacun ce qui lui était dû, mais il a su tirer de l’étude de cette révolution, dans les sphères du pouvoir républicain, tous les enseignements qui s’y trouvaient compris. Les études sérieuses lui ont porté bonheur, car ce livre est bien mieux écrit que ses meilleurs romans et ses plus fins articles.


Dernier duel de l’Espagne (LE) (El postrer duelo de Espana], drame en trois journées, en vers, de Calderon. Le grand poëte espagnol s’est ici inspiré d’un fait historique, longuement raconté par Sandoval dans son

Histoire de Charles-Quint ; une sorte de duel juridique, comme celui de Jarnac et de La Châteigneraie sous Henri II, auquel assista toute la cour de l’empereur, sur la Plaza Mayor de Valladolid. Calderon, avec la lucidité ordinaire de ses expositions et l’enchaînement profondément dramatique des scènes, ■va nous faire connaître la série d’événements qui amena ce Dernier duel de l’Espagne.

Deux gentilshommes, don Pedro et don Geronimo, se rencontrent, après s’être perdus de vue pendant longtemps. Entre deux vieux amis, les femmes arrivent promptement à

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faire le sujet de la conversation ; mais, de toutes les confidences ennuyeuses auxquelles on est exposé, la plus désagréable à coup sûr est de s’entendre raconter par son ami qu’il est l’amant ou l’amoureux de votre maîtresse. C’est précisément ce que Geronimo est en train d’expliquer à don Pedro. Il lui confie même que doîia Violante, la femme dont il est épris, a un amant, et le supplie, au nom de l’amitié, de l’aider a se débarrasser de ce rival. Don Pedro, qui sait bien à quoi s’en tenir sur ce rival heureux, a juré à Violante de ne jamais révéler le secret de leur amour ; il fait la grimace à cette inopportune confidence, mais ne souffle mot, lié qu’il est par son serment. À Violante, il reproche d’encourager les galanteries de Geronimo, et, perdant patience un soir, à propos d’une sérénade, il va tout net déclarer a son ami qu’il ait à cesser ses poursuites, qu’il est l’amant de la dame et ne veut plus entendre de musique sous ses fenêtres. L’autre s’emporte ; pourquoi ne l’avoir pas prévenu ? Du moment que Geronimo n’agit pas en ami, il lui répondra en rival. Un duel est décidé pour le lendemain. En arrivant au lieu du rendez-vous, don Pedro, renversé par son cheval, blessé au bras dans sa chute, n’a même pas la force de tenir son épée. On croise le fer pourtant ; mais Geronimo ne veut pas user de l’avantage qu’il a sur son adversaire ; il lui tend les bras, une réconciliation sincère a lieu entre les deux amis. Seulement don Pedro lui fait jurer de ne jamais révéler à qui que ce soit l’issue de ce duel, humiliant pour lui. C’est là un point d’honneur qui nous semblerait aujourd hui assez mal placé ; mais il est conforme à l’esprit du temps. Geronimo fait le serment solennel de se taire.

Cependant, don Pedro se trouvant un jour chez sa maîtresse, dona Violante, qui lui appartient maintenant sans conteste, une certaine Serafina, amante autrefois dédaignée par lui, entre et raconte toute l’aventure du duel. Violante, indignée d’avoir un amant qui ne peut même pas se battre pour elle, le congédie, lui interdisant le seuil de sa porte tant qu’il n’aura pas lavé cette souillure. Chez lui, à la campagne, Pedro entend les paysans chanter une complainte burlesque sur sa culbute et sur son duel. C’en est trop ; il faut qu’il se venge de Geronimo, traître a son serment d’une façon aussi déloyale, et, comme son ridicule a été rendu public, c’est un duel public, devant la cour assemblée, qu’il va demander à l’empereur Charles-Quint. L’empereur lui accorde cette satisfaction, et l’on voit au dernier tableau toute la cour, sur la grande place de Valladolid, assistant à ce duel à mort comme à un tournoi. Geronimo n’a cessé de protester de son innocence. Les deux champions combattent avec un tel courage, que 1 empereur descend lui-même dans l’arène et s’interpose, déclarant qu’ils sont tous deux dignes d’honneur. La Serafina, l’amante délaissée, toute confuse, vient alors avouer que, cachée derrière un buisson pendant le premier duel, elle a tout vu, tout entendu, et que c’est elle qui en a fait le récit, par vengeance contre don Pedro. Cette confidence soulage tout le monde ; les deux amis s’embrassent ; dona Violante tend la main à don Pedro, et, comme il ne serait pas convenable de le laisser se marier tout seul, don Geronimo épouse Serafina.

El -postrer duelo de Espana a été traduit par La Beaumelle, dans le douzième volume de ses Chefs-d’œuvre des théâtres étrangers. M. Damas-Hinard ne l’a pas fait figurer dans son choix de Calderon. On trouve la pièce originale dans le tome IV des Comedias de Calderon, collection Rivadeneyra (Madrid, 1850, 4 vol. in-4<>).


Dernier Goth d’Espagne (LE). Lope de Vega

a fait sur ce sujet une pièce imprimée deux fois, et, chose bizarre, sous deux titres différents, dans les premières éditions. Quelques critiques, M. Antoine de Latour entre autres, dans ses Eludes sur l’Espagne, ont conclu de là qu’il y avait deux pièces distinctes, El postrer Godo de Espana, et El ultimo Goao ; mais c’est bien la même pièce. Ce dernier Goth, c’est le roi don Rodrigue, si celèbré dans le Romancero. Rien de plus connu en Espagne, dans l’histoire, dans la légende, dans les chansons, sur le théâtre, que l’amour du roi Rodrigue pour la belle Florinde, la fille du comte Julien, que les narrateurs arabes ont baptisée du surnom ignominieux de la Cava (la prostituée). Les historiens proprement dits, Antonio Conde, Rossew Saint-Hilaire, La Fuente, ne disent pas un mot de" cette fille du comte Julien, et il nous est impossible, à propos du drame de Lope, de raconter toute cette émouvante légende. La Cava, surprise au bain par Rodrigue, à Tolède, où Ion montre encore la tour en ruine du haut de laquelle il la regardait, la passion insensée du roi, la faute de la jeune fille, ses plaintes à son père, la trahison du comte qui livre Ceuta aux Arabes ; enfin, cette immense bataille de Guadalète, qui dure huit jours pour la légende, trois pour les historiens, et où, suivant l’énergique expression de l’un d’eux, « le four du combat demeura allumé depuis l’aurore jusqu’à la nuit ; » il faudrait, pour dire cela, reprendre tout le romancero de Rodrigue.

Une légende si dramatique est toute préparée pour la scène, et il semble qu’un grand poëte comme Lope de Vega va en tirer do

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puissants effets. Il n’en est rien ; le phénix Se l’Espagne, comme l’appellent les anciennes éditions de ses œuvres, si étincelant de verve, si riche en combinaisons dramatiques tant qu’il reste dans le domaine de la fantaisie, semble frappé de stérilité dès qu’il touche à l’histoire. À part quelques jolies scènes, pour ainsi dire imposées à l’auteur par la tradition, son Dernier Goth est un ouvrage faible ; aussi ne le trouve-t-on dans aucun des recueils de ses pièces choisies, mais seulement dans les vieilles éditions contemporaines du poëte.

Lope de Vega a imaginé un mariage du roi Rodrigue avec une princesse maure faite prisonnière, la fille du roi d’Argel, qui reçoit le baptême et qu’il épouse le jour même. C’est un prétexte à cérémonies chrétiennes, dont on était friand en Espagne du temps de Lope. Cependant, de tristes présages déconcertent le roi et toute sa cour : la couronne lui est tombée de la tête pendant la cérémonie, le sceptre s’est échappé de ses mains. Le poëte montre le roi terrifié, comme dans la légende, en voyant sur les tapisseries du vieux château de Tolède les images de guerriers inconnus (les Arabes) qui, suivant les prédictions, doivent renverser l’empire des Goths. Ce n’est pas au bain, comme dans le Romancero, c’est à la messe même de mariage que Rodrigue s’enflamme pour Florinde, la hlle du comte Julien. « J’achevais de me marier quand je te vis, lui dit-il, et je commençai à brûler ; moins je voulais te voir^plus mes yeux et mes désirs s’élançaient vers toi. Je pensai, je souffris, je résistai, je fus vaincu ; je levai les yeux encore, puis encore ; je brûlai davantage, et, quoique tu fusses de glace, tu étais du feu pour moi. "Enfin, je me sentis consumé de désirs. Florinde, je suis marié, mais je suis roi, et je veux ; je demande, mais je puis ordonner. L’Espagne est à moi moins qu^. toi ; si tu veux, il n y aura pas un filon d’or dans les Indes, pas une perle au fond de la mer qui ne soit déposée à tes pieds ! » Dans Lope, contrairement à la tradition et au surnom arabe de la Cava, Florinde résiste à Rodrigue, et c’est de force qu’elle devient sa maîtresse. La Cava envoie à son père, en ambassade auprès du roi d’Argel, son collier d’émeraudes, avec des pierres brisées. L’émeraude était réputée la pierre chaste, et, en faisant dire au vieillard que l’épée du roi (estoque) a brisé le collier, elle lui apprend d’une façon détournée son déshonneur. À la cour de don Rodrigue, Florinde ne répond aux caresses du roi que par des pleurs ; mais sa fierté se révolte quand il lui annonce que, pour être plus libres tous deux, il va la marier à un courtisan. L’imprécation de la Cava est fort belle : « Goth cruel, le jour que tu naquis sous tes eieux glacés, tu reçus la vie et moi la mort ! Tu es comme le gardien d’un verger qui, les fruits mangés, délaisse l’arbre. Roi, qui suspends ton royaume à un cheveu de femme, tu n’es pas même un homme, puisque tu man- ■ ques à "ta parole : pour une femme, tu t’es abaissé au rang des femmes I Tyran infinie pour le bien comme pour le mal, tu es le Néron de l’Espagne, qui pour toi sera comme Rome livrée aux flammes. Traître, tu t’attaques aux cheveux blancs de mon père, d’un vieillard ; tu n’es fort qu’avec les faibles ; mais Dieu te châtiera de tes crimes énormes, et le châtiment égalera les crimes. Le comte sait mon déshonneur, il est en chemin, il arrive, les yeux en pleurs, mais l’épée haute. > En effet, voici le comte Julien et les Maures qui envahissent l’Espagne. Lope ne pouvait montrer sur le théâtre cette grande bataille du Guadalète ; mais on voit avec peine ces grands événements historiques transformés en quelques confuses escarmouches de Maures et de chrétiens, dans un coin de la scène. Nous ne citerons plus qu’un morceau, l’a mort de la Cava, qui se jette du haut d’une tour, en apprenant que, pour venger son déshonneur, son père a trahi l’Espagne. « Père déshonoré, qui as engendré une si mauvaise fille, quand j’ai vu que pour moi l’Espagne va se perdre, que le sang coule, que sur le sein des mères les petits enfants maudissent mon nom ; que partout on va m’appeler la Cava, parce que je suis une fille perdue et que mon nom signifiera la ruine de 1 Espagne, touchée de repentir, j’ai décidé d’en finiravec la vie. Appelez cette ville Malaca ou Malaga, et donnez quelques pieds de terre à la Cava homicide, homicide non pas d’elle seulement ni d’un homme, mais de tant d’hommes et de tant de gens, que d’un pôle à l’autre sera maudit le nom de la Cava. Mon corps fatal va se briser ; c’est un suaire que Rodrigue m’aura donné en dot I »

Si le drame de Lope était partout à la hauteur de ces fragments, ce serait un de ses chefs-d’œuvre ; mais l’ensemble est d’une confusion indescriptible. La littérature espagnole a heureusement pris sa revanche. Concha a fait sur le même sujet un beau drame, la Perle de l’Espagne ; Zorilta a écrit un acte énergique, le Poignard d’un Goth, et Louis de Léon une ode splendide restée classique, la Prophétie du Tage. L’histoire de la Cava ne pouvait manquer d’aller à la postérité.


Dernière conquête (UNE), petite comédie de M. Rosier, représentée aux Variétés en décembre 1847. Une jeune fille, Mlle Hélène, est aimée à la fois par M. le baron, homme à bonnes fortunes, qui veut en faire sa dernière conquête, et par M. le chevalier,