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fionst écarta la camisole, découvrit jusqu’à, la ceinture le dos de la femme, saisit le fer dans le réchaud, et l’appliqua en appuyant profondément sur l’épaule nue. Le fer et le poing du bourreau disparurent dans une fumée blanche. J’ai encore dans l’oreille, et j’aurai toujours dans l’âme l’épouvantable cri de la suppliciée. Pour moi, c était une voleuse ; ce fut une martyre. ■

Telle fut la première impression que ressentit notre auteur devant 1 échafaud, et dès ce jour, il l’a dit lui-même, il se jura de combattre les mauvaises actions de la loi. Mais ii n’avait encore que seize ans, il était trop faible pour la lutte. Suivons-le, en notant une a une les circonstances qui — providentiellement— sont venuesjusqu’au jour où il apu le tenir, lui rappeler son serment.

« V. Hugo — les lignes suivantes sont extraites du livre anonyme dont nous avons plus haut donné le titre — V. Hugo s’était trouvé, en 1820, sur le passage de Louvel allant à l’échafaud. L’assassin du duc de Berry n’avait rien qui éveillât la sympathie ; il était gros et trapu, avait un nez cartilagineux sur des lèvres minces, et des yeux d’unbleu vitreux. L’auteur de l’ode sur la Mort du duc de Berry le haïssait de tout son ultraroyalisme d’entant ; et cependant, a voir cet homme qui était vivant et bien portant qu’on allait tuer, il n’avait pu s’empêcher de le plaindre, et il avait senti sa haine pour l’assassin se changer en pitié pour le patient... . » Une autre fois, c’était vers la fin de l’été de 1825, une après-midi, comme il allait à la bibliothèque du Louvre, il rencontraM. Jules Lefèvre qui lui prit le bras et l’entraîna sur le quai de la Ferraille. lia foule affluait des rues, se dirigeant vers la place de Grève.

« Qu’est-ce donc qui se passe ? demanda-t-il.

— Use passe qu’on va couper le poing et la tête à un nommé Jean Martin qui a tué son

« père. Je suis en train de faire un poème où « il y a un parricide qu’on exécute : je viens

« voir exécuter celui-là ; mais j’aime autant n’y

« pas être tout seul. » L’horreur qu’éprouva V. Hugo à la pensée de voir une exécution était une raison de plus de s’y contraindre. I/affreux spectacle. 1 exciterait a sa guerre projetée contre la peine de mort...

Une autre fois encore, il vit la charrette

d’un détrousseur de grands chemins nommé Delaporte. Celui-là était un vieillard ; les bras liés derrière le dos, son crâne chauve éclatait au soleil...

■ 11 semblait que la peine de mort ne voulût pas que mire grand poète l’oubliât. Use croisa avec une lutre charrette ; cette fois, la guillotine faisait coup double : on exécutait les deux assassins du changeur Joseph, MalaÇutti et Ratta. V. Hugo fut frappé de la différence d’aspect des deux condamnés : Ratta, blond, pâle, consterné, tremblait et vacillait ; Malagutti, brun, robuste, tête haute, regard insouciant, allait mourir comme il serait allé dîner...

> V. Hugo revit la guillotine un jour qu’il traversait, vers deux heures, la place de l’Hôtel-de-Ville. Le bourreau répétait la représentation du soir. Le couperet n’allait pas bien ; il graissa les rainures et puis il essaya encore. Cette fois il fut content. Cet homme qui s’apprêtait à en tuer un autre, qui faisait cela en public, en plein jour, en causant avec les curieux, fut pour V. Hugo une figure hideuse, et la répétition de la chose lui parut aussi odieuse que la chose même... »

C’est alors que V. Hugo rentra chez lui, s’enferma, prit- la plume ; et, tandis que le malheureux dont il venait de voir préparer le supplice râlait, agonisait — de parla loi,comme s’il l’entendait, notre poëte traduisit ses pleurs, son râle, son agonie ; comme s’il le voyait, il le suivit dans ses mouvements convulsifs pour briser’la chaîne de ses pieds, ’ la corde de ses mains ; comme s’il le devinait, il écrivit ses pensées, les pensées tristes, ■ effrayantes, horribles, qui doivent se succéder, se presser en l’esprit d’un condamné à mort au dernier jour, à la dernière heure, a la dernière minute de sa vie.

En ces dix lignes nous venons de résumer l’œuvre du grand poète, disons mieux, du grand philosophe. Nous n’insisterons pas : suivre page a page ce livre, c’est-à-dire en refaire un autre à côté, est chose impossible. Celui-là seul qui a fait un rêve, qui a eu une vision, dont le sommeil a été en proie à un cauchemar peut raconter ce rêve, cette vision, ce cauchemar. Or, le Dernier jour d’un condamné est un cauchemar, et d’autant plus affreux qu’il semble vrai, qu’il est vrai.

longtemps après qu’on a fermé le livre, le misérable dont V. Hugo a dévoilé les dernières pensées, compté les derniers battements, vous poursuit, vous obsède. On a beau fermer les yeux, on voit sa tête pâle et l’on songe que le couperet va bientôt sé Îiarer cette tête du tronc ; on a beau fermer es oreilles, on entend les cris de rage de l’agonisant ; et la nuit, tout à coup, un spectre mutilé, plein de sang, horrible, vous apparaît : c’est le supplicié.

Que celui qui est avec Beccaria, Turgot, Montesquieu, V. Hugo, Lamartine, ne lise pas le Dernier jour d’un condamné ; que celui qui pense comme J. de Maistre le lise, le médite et le relise encore, s’il en a le courage.

Encore une fois n’insistons pas davantage ; mais complétons notre critique par celles que publièrent la Quotidienne et les Débats, les

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deux journaux de l’époque les plus importants, surtout au point de vue littéraire, et les seuls où ne soient pas trop exagérés le blâme ni l’éloge.

Voici ce que disait la Quotidienne, sous la signature de J. Janin : à C’est à en devenir fou. Ce livre, tout étincelant d’une atroce et horrible vérité, doit mettre à bout le peu d’émotions qui nous restent^ Or, ici, le succès ne peut pas justifier un écrivain, le talent ne peut pas le rendre excusable, rien ne peut lui faire pardonner son acharnement à flétrir une âme d’homme, à effleurer la paix d’une nation qui certainement, après ce quelle a vu, devait se croire habituée à l’échafaud, et qui.en lisant le Dernier jour d’un condamné, reculera épouvantée. Figurez-vous une agonie de trois cents pages ; figurez-vous un homme de style, d’imagination et de courage, un poëte habitué ajouter avec les plus grandes difficultés de la langue et des passions, se plongeant par plaisir dans ces longues tortures, interrogeant le pouls de ce misérable, comptant les battements de ses artères, prêtant l’oreille à ce cœur qui se gonfle dans cette poitrine, et ne se retirant de l’échafaud que lorsque la tête a roulé. Tout ceci n’est-il pas de l’atroce ? Et puis ne s’agit-il pas d’un homme de sang ? Que si par hasard vous avez essayé un plaidoyer contre la peine de mort, je vous répondrai qu’un drame ne prouve rien. De grâce, vous nous faites trop peur. Trêve à ces tristes efforts I Préservez-nous d’une vérité si dure I Permettez-nous encore de nous sentir hommes quelquefois, c’est-à-dire d’être assez bien organisés pour être émus par des beautés simples et naturelles, intéressés par une fable riante et jeune, attendris par des récits animés et vivement passionnés... »

Nous avons dit ne vouloir nous occuper du livre de V. Hugo qu’au seul point de vue littéraire, et nous n’extrayons du journal des Débats que les lignes suivantes : « Si je juge, écrivait le critique, ce roman du peu d’utilité comme plaidoyer pour les condamnés à mort, comme morceau littéraire j’en admire quelques pages, belles au plus haut degré, de poésie et d’éloquence... Ce sont d’admirables pages, à mon gré, que celles où le condamné pense au roi qui est seul comme lui dans le inonde et qui d’un mot peut lui faire grâce, et celles ou, promenant sa lampe autour du mur de son cachot, il lit à cette funèbre lueur les noms de ceux qui ont été là comme lui, sous les mêmes verrous, nourris et conservés pour l’échafaud, et celles où il demande pour l’assister dans ses angoisses un jeune prêtre qui ne s’est pas encore vu face à face avec un condamné à mort, et n’est pas réduit aux formules rèches et stériles que la religion murmure, jusque sous le couteau, aux oreilles de l’homicide... >

Nous avons raconté par quelles circonstances V. Hugo avait été amené à écrire la Dernier jour d un condamné. Notre article ne serait pas complet si nous ne disions ce que le poète a fait depuis pour la cause de l’inviolabilité humaine, si nous ne racontions ses efforts pour abattre la guillotine, sa lutte avec le bourreau. Pour cela, nous allons suivre le livre que nous avons mentionné plus haut et auquel on ne peut pas ne pas recourir sans cesse, quand il s’agit de V. Hugo.

« En 1832, l’auteur du Dernier jour d’un condamné ajoutait à son œuvre une préface considérable, qui prenait par le raisonnement la question que le livre avait prise par l’émotion, et qui plaidait devant l’esprit ce qu’il avait plaidé devant le cœur. Nous n’avons pas à nous occuper de cette préface. En 1834, il faisait Claude Gueux. Nous avons déjà parlé de ces pages, simples, émues et bien tristes. Nous n y reviendrons pas. Seulement, transcrivons la lettre que M. Buloz reçut à propos de Claude Gueux, et qui d’abord parut dans sa Revue de Paris :

« Dunkerque, le 30 juillet 18.14.

Monsieur le directeur de la Revue de Paris, Claude Gueux, de Victor Hugo, par vous > inséré dans votre livraison du 6 courant, est une grande leçon ; aidez-moi à la faire « profiter.

Rendez-moi, je vous prie, le service de

« faire tirer autant d’exemplaires qu’il y a de députés en France, et de les leur adresser

« individuellement et bien exactement.

J’ai l’honneur de vous saluer.

Charles Carlier, négociant. »

Au mois de mai 1839, Barbes fut condamné à mort. Nous renvoyons le lecteur à la critique des Rayons et ombres. Dans ce volume se trouvent les quatre vers que le poète adressa à Louis-Philippe pour racheter la vie de l’insurgé républicain, et c’est en les citant que nous racontons ce bel épisode de. la vie de V. Hugo.

« V. Hugo —nous continuons à suivre l’auteur anonyme — V. Hugo, en sa qualité de pair de France, eut à se prononcer dans deux causes capitales. Il jugea, en. 1846, Joseph Henry, et, en 1847, Lecomte, qui avaient tous deux tiré sur le roi. Il vota la détention temporaire pour Joseph Henry, qui fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, et la détention perpétuelle pour Lecomte, qui fut condamné à mort et exécuté..

En 1848, la question de la peine de mort se présenta tout à coup à l’Assemblée constituante. V. Hugo monta à la tribune et termina son improvisation par ces mots : • Je vote

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l’abolition pure, simple et définitive de la ■ peine de mort. »

■ » En mars 1849, l’avocat de Daix, un des condamnés de l’affaire Bréa, vint demander à V. Hugo d’intervenir pour son client qui allait être exécuté. V. Hugo s’adressa au président de la République, qui n’accorda pas la grâce.

« En 1851, le fils aîné de V. Hugo fut traduit en cour d’assises, pour avoir protesté dans le journal XEvénement.contre une exécution qui s’était accomplie avec des détails horribles. V. Hugo se présenta à la barre et lui-même défendit son fils. On sait que M. Charles Hugo fut condamné à six mois de prison...

En 1854, .V.Hugo, habitant Jersey, apprit qu’on allait à Guernesey pendre un homme nommé Tapner. Aussitôt il adressa une proclamation aux habitants de Guernesey, qui demandèrent la grâce du condamné. Cette grâce, leur fut refusée, Tapner fut exécuté. Alors V. Hugo écrivit à lord Palmerston pour protester contre cette exécution. «

Nous n’avons pa3 besoin de rappeler ce que V. Hugo a fait pour sauver John Brown.

Au commencement de janvier 1862, un jury belge ayant prononce dans une seule affaire neuf condamnations à mort, quelqu’un, étonné sans doute que l’ennemi incessant de la peine de mort ne prît pas la parole, la prit en son nom, et les journaux belges publièrent des vers signés V. Hugo, qui demandaient au roi la grâce des neuf condamnés.

V. Hugo prit aussitôt la plume pour «remercier • le poëte inconnu qui avait usé de son nom pour un noble motif, et à son tour il cria grâce.

Deux des condamnés -furent exécutés ; la peine des sept autres fut commuée en celle des travaux forcés à perpétuité.

Ainsi que nous l’avons dit en commençant cet article, V. Hugo, sur la prière de M. Bost, ministre évangélique de Genève, a mêlé sa voix autorisée et puissante a celle des constituants dans la question de la peine de mort.

La lettre du poète arriva trop tard. La constitution genevoise avait terminé ses travaux et maintenu la peine de mort.

Alors V. Hugo s’adressa au peuple de Genève, qui avait à admettre ou à rejeter la constitution. Le peuple la rejeta.

« Nous avons triomphé, écrivait au poète M. Gayet ; nous avons triomphé : la constitution des conservateurs est rejetée. Votre lettre a produit un immense effet ; tous les journaux l’ont publiée... Je ne suis qu’un homme bien obscur, monsieur, mais je suis heureux. Je vous félicite, je nous félicite. L’immense effet de votre lettre nous honore. La patrie de M. Sellon ne pouvait être insensible à la voix de V. Hugo... ■

C’est ainsi que l’enfant de seize ans a tenu la promesse qu’il s’était faite, lorsque, pour la première fois, il avait vu un instrument de supplice.

Depuis, c’est-à-dire depuis bien tôt cinquante ans, chaque fois que ce mot terrible : Mort I chaque fois que cette sentence qu’à Dieu seul il devrait être permis de prononcer a.retenti dans une salle de cour d’assises, il a élevé la voix afin que cette sentence, que ce mot, ne fût point entendu, ne fût point écouté ; chaque fois que le hideux échafaud de planches rouges s est dressé sur la place publique, il a pris sa cognée et a tenté de l’abattre. Depuis cinquante ans, il a lutté corps à corps avec le bourreau, comme Thésée avec le Minotaure, pour lui arracher ses victimes. Depuis cinquante ans, il a discuté {surtout dans la préface du livre qui nous a occupé), il a discuté, disons-nous ; il a fait plus, il a pleuré, il s’est arraché les entrailles, il s’est arraché le cœur lambeau à lambeau, pour convaincre d’impiété la loi du talion.

Nous n’avons pas, nous le répétons, à rechercher à cette place si la vérité est du côté des partisans de la peine de mort ou du côté de ceux qui la combattent • mais nous pouvons bien dire, sans craindre d être contredit, que la guillotine est une chose abominable, nideuse. Sans être contredit davantage, nous pouvons affirmer que chercher à abattre cette guillotine est une entreprise grande et noble ; nous avons bien le droit d’écrire, enfin, que, devant celui qui depuis si longtemps et si vaiP lamment poursuit cette entreprise, on ne peut pas ne pas être saisi d’admiration et de respect.

V. Hugo a écrit d’admirables poèmes, il a écrit d’admirables romans et d’admirables drames ; mais, pour nous, son œuvre capitale — quand le bourreau aura été chassé, — ce sera d’avoir aidé à chasser le bourreau.

Il y a quelque chose de plus grand qu’un grand poète ou un grand romancier, c’est un sage. Il y a quelque chose de plus beau, de plus enviable que l’imagination, c’est le cœur.


Dernière Aldini (LA), roman par G. Sand ; Paris, 1837. — Nello, fils d’un pauvre pécheur de Chioggia, s’était fait gondolier à Venise, et stationnait d’ordinaire au pied du palais Aidini, où il supportait patiemment les heures brûlantes de l’été, grâce k une délicieuse voix de femme dont les sons, accompagnés de la harpe, arrivaient jusqu’à lui. Longtemps Nello se contenta ’de la seule jouissance d’entendre et de rêver aux formes fantastiques que devait avoir une harpe. Il lutta tant qu’il put contre la curiosité qui le dévorait ; puis, un jour, il finit par céder à

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la tentation, escalada le balcon du palais, pénétra dans les appartements de la signora, et put contempler à son aise l’instrument dont chaque jour il entendait sortir des flots d’harmonie. Son extase dura même si longtemps, qu’il se laissa surprendre par les domestiques, et il aurait été battu sans l’intervention de la signora Aidini, qui prit sous sa protection et fit entrer à son service le jeune dilettante caché sous les habits grossiers d’un barcarolle. À partir de ce jour, Nello étudie la musique, développe sa voix déjà pleine de charme et de justesse, et en peu de temps c’est lui qui, à son tour, charme les loisirs et les ennuis de sa maîtresse, jeune veuve mélancolique et sensible qui, depuis la mort de son mari, vit retirée du monde avec sa fille Alezia, âgée de six ans à peine. Nello a seize ans ; il porte en lui toutes les séductions de la jeunesse, et doué, comme il est, d’une nature d’artiste et de toutes lès qualités du cœur, que rehausse encore l’humilité de sa naissance, il finit par s’apercevoir un jour qu’il est aimé de la signora, se rend compte lui-même du fms’.n^ement qui parcourt tout son être lorsqu’elle s’appuie sur son épaule pour descendre de sa gondole. Tous deux enfin s’avouent leur mutuelle passion ; mais Nello n’arrive pas à vaincre les résistances de la mère d’Alezia, et, après avoir lutté longtemps pour se soustraire à une passion qu’il désespère de pouvoir jamais légitimer aux yeux du monde, il se décide au sacrifice et part, n’emportant pour tout gage de son amour partagé qu’une boucle de cheveux et un baiser. Dix ans plus tard, Nello est devenu un grand artiste sous le nom de Lélio ; il rencontre une. jeune fille qui sa prend de passion pour lui et dont il partago bientôt l’amour, et lorsque, pendant un rendez-vous nocturne, égaré par l’ivresse dessens, il va toucher au suprême bonheur, il apprend que celle qu’il tient dans ses bras et qu’il couvre de caresses est Alezia Aidini. Lélio, en homme do cœur, écrit à la signora Aidini, qui est à Venise ; celle-ci accourt, et son ancien barcarolle Nello lui rend sa fille, vierge de toute souillure, et qu’il no saurait plus aimer désormais sans commettre un inceste idéal.

On a souvent reproché à G. Sand d’avoir fait des livres immoraux. Le sujet de la Dernière Aidini était, certes, des plus scabreux qu’on pût imaginer, et nous ne croyons pas qu’il eut été possible d’en tirer une plus haute moralité. La satisfaction du devoir accompli au prix des sacrifices qui coûtent le plus à l’homme, ceux qu’il se résigne à imposer à ses sens, et la douce sérénité que procure une vie irréprochable : telles sont les aspirations que l’on sent se réveiller en soi quand on a écouté le récit de Lélio. La Dernière Aidini est un des rares ouvrages dans lesquels l’auteur cède la parole, pondant toute —la durée du récit, au personnage principal. Cette forme, on l’a dit et répété avec raison, offre beaucoup d’inconvénients et seulement quelques avantages. Avec son habileté ordinaire, Georges Sand a évité les uns et amplement profite des autres.


Dernier des commis voyageurs (LE), roman par M. Louis Reybaud ; Paris, 1845. « Le voyageur de commerce est une création de notre époque ; non que d’autres temps en aient ignoré les éléments, témoin le joaillier Chardin, qui enfonça, dans le xvti° siècle de notre ère, le grand empereur de Perse pour une partie d’émeraudes ; témoin encore le marchand d’orviétan Marco Polo, qui refit au xme siècle le farouche kan des Tartares, dans une affaire de thériaque. Mais, si l’on retrouve le voyageur de commerce dans ces temps éloignés de nous, on peut dire que c’est comme exception, comme théorie, presque comme mythe. Le voyageur de commerce appartient au xixe siècle, comme la navigation aérienne, comme les pompes intimes en caoutchouc, comme les phalanstères et autres inventions destinées au soulagement do l’humanité. ■ Ainsi parle le biographe de Potard, Potard le troubudour, Potard le gai, le jovial, l’habile, le rusé, l’incomparable Potard, le dernier des commis voyageurs ! Dernier, non : car depuis Potard le commis voyafeur n’a fait que croître et se multiplier, en épit des chemins de fer, des bateaux à vapeur, des télégraphes et de tous les autres moyens de locomotion rapide ou de relation instantanée découverts ou perfectionnés depuis trente ans. Potard s était trompé en croyant que toutes ces inventions amèneraient la disparition du commis voyageur, en procurant à chaque bourgeois le moyen économique et rapide d’aller acheter son beurre à Isigny, ses rillettes à Tours, sou’ saucisson à Arles, son miel à Narbonne, ses

flieds de cochon à Sainte-Menehould. si’ ? îaricots à Soissons, ses fromages au mont Dore, ses pâtés de foie à Strasbourg, ses poulardes au Mans, ses huîtres à Cancale, etc. Quoi qu’il en soit, et bien que Potard n’ait aucun droit à s’intituler le dernier des commis voyageurs, son histoire n’en est ni moins bien contée ni moins émouvante. Ce brave troubadour n’a pas loin de la cinquantaine quand nous faisons sa connaissance ; il descend de voiture, et, quittant son allure cavalière pour un’maintien plus grave et plus sévère, il se rend place Saint-Nizier, dans un appartement de peu d’apparence, mais coquet et soigné, où t’attendent deux femmes. L’une est une