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Dans un premier fragment intercalé au chapitre vi, du verset 5 au verset 8, il est dit que Jéhovah, voyant que la malice des hommes était devenue grande sur la terre, et que tomes les directions de leur cœur tendaient constamment vers le mal, se repentit d’avoir fait l’homme, et prit alors la résolution d’exterminer toutes tes créatures ; Noé seul (en hébreu Noaeh) trouva grâce à ses yeux.

Dans un second fragment inséré à, la suite, et qui va du verset y au verset 22, on rapporte que Noé engendra trois fils, Sem (Schan), Oham et Japhet, généalogie déjà donnée au chap. v, verset 31. Fuis on raconte, ainsi qu’on Ta déjà fait dans le premier fragment, que la terre était corrompue devant Dieu et pleine do violence. Ici ce n’est plus le nom de Jiiiiovau qui figure, mais celui d’ELOHiM, qui appartient à la religion que professaient anciennement des tribus israelites, a l’époque où elles adoraient les forces de la nature personnifiées (V, Elohim). Elohim regarda la terre, et voyant qu’elle était ainsi corrompue, il dit à Noé : à La fin de toutes les créatures est venue devant moi, car la terre est remplie de violences à cause d’elles. Je veux donc les détruire avec la terre. Fais-toi une arche de bois dégrossi ; tu y feras des eases ; enduis-la de bitume en dedans et en dehors. Voici comment tu la construiras : elle aura 300 coudées de long, 50 de large et 30 de haut ; tu feras une fenêtre à l’arche et tu la réduiras au faîte à une coudée. Tu placeras la porte de l’arche sur le côté ; tu y pratiqueras des compartiments sur trois étages. Je ferai venir sur la terre une confusion d’eau pour détruire toute créature ayant un souffle de vie soua le ciel ; tout ce qui est sur la terre périra. J’établirai un pacte avec toi, tes fils, ta femme et les femmes de tes fils, et tu feras venir dans l’arche de tout ce qui vit, de toute chair, deux de chaque espèce pour être conservés ; qu’ils soient mâle et femelle ; des volatiles selon leur espèce ; des quadrupèdes selon leur espèce ; do tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Ils entreront avec toi par couples afin qu’ils puissent vivre. Tu prendras avec toi de tous les comestibles dont on se nourrit, afin qu’ils te servent d’aîiment à toi et à eux. « Ce fragment, que nous reproduisons, cornn » tous ceux qui vont suivre, d’après la traduction qui en a été faite sur le texto hébreu par M. Cahon, un des juifs les plus savants de notre siècle, se termine en disant que Noé fit tout ce qu’Elohim lui avait ordonne.

Au chapitre vu reprend le fragment interrompu par celui qu’on vient de lire, et les même3 détails sont reproduits en termes différents. Ce n’est plus un couple de chaquo espèce qu’on prescrit à Noé de faire entrer dans l’arche, ce sont sept couples de chaque espèce pure et deux de chaque espèce impure. Puis Jéhovah prononce ces paroles : ■ Car sept jours encore, et je ferai pleuvoirsur la terre pendant quarante jours et quarante nuits ; je détruirai toute substance que j’ai faite sur la terre… Ce fragment se termine en disant qua Noé, avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils, entra dans l’arche, à cause des eaux du déluge.

Au verset 8 du chapitre vu reprend la relation placée en quelque sorte sous la rubrique d’Elohim : « Des animaux purs, de ceux qui n’étaient pas purs, des oiseaux et de tout reptile sur la terre vinrent deux h deux à l’arche, le mille et la femelle, comme Elohim t’avait ordonné à Noé, et sept jours après les eaux du déluge couvrirent la terre. > Mais ce fragment, qui ne va que jusqu’au verset 10, ne semble être qu’une redite de la tradition liée à la croyance aux Elohim, qui n’est réellement développée qu’à partir du verset II : « Dans la six-centièmo année de la vie de Noé, au secondjnois, le dix-septième jour du mois, en ce jour toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses du ciel s’ouvrirent ; la pluie tomba sur la terre quarante jours et quarante nuits ; ce même jour, Noé entra dans l’arche, Sem, Cham et Japhet, ses fils, sa femme et les trois femmes de ses fils avec lui. Eux et tout animal selon son espèce, tout bétail, tout reptile qui rampe sur la terre, toutes sortes de volatiles, tout oiseau ailé, chacun selon son espèce, vinrent auprès da Noé dans l’arche, un couple de toute chair ayant souffle de vie, comme Elohim l’avait ordonné ; ensuite Elohim l’enferma du dehors. Le déluge était depuis quarante jours sur la terre ; les eaux s accrurent et soulevèrent l’arche, de sorte qu’elle fut élevée à une grande hauteur. Les eaux se renforçaient et s’augmentaient beaucoup sur la terre, l’arche se mouvait sur les eaux ; les eaux se renforcèrent infiniment sur la terre ; toutes les hautes montagnes sous les cioux furent couvertes. Les eaux s’élevèrent a 15 coudées au-dessus des montagnes. Et ainsi périt toute chair qui se meut sur la terre, en oiseaux, bétail, animaux et reptiles rampant sur la terre, ainsi que tout lo genre humain : tout ce qui avait en ses narines un souffle de vie, tout ce qui se trouvait sur le sol mourut. Ainsi périt tout être qui se trouvait sur la terre ; depuis l’homme jusqu’aux animaux, aux reptiles et aux oiseaux sous lo ciel, tout fut détruit sur la terre ; il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche. Leseauxrestêrentsur la terre pendant cent cinquante jours. Mais Elohim se ressouvint de Noé, de tous les animaux et de toutes les bêtes qui étaient avec lai dans l’arche ; il fit passer un vent sur la

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terre, et les eaux diminuèrent. Les sources de l’abîme et les écluses du ciel se refermèrent et la pluie ne tomba plus du ciel. Les eaux se retirèrent de dessus la terre, allant et venant, et les eaux diminuèrent au bout de cent cinquante jours, et l’arche reposa sur les montagnes d Ararat le septième mois, au dix — septième jour du mois. Les eaux allèrent en diminuant jusqu’au dixième mois ; le premier jour du dixième mois, les sommets des montagnes furent visibles. Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait faite, et il mit dehors le corbeau, qui sortit, allant et rentrant, jusqu’à l’entier dessèchement du sol. Noé envoya ensuite la colombe afin de voir si les eaux avaient baissé sur la terre ; mais la colombe no trouva pas d’appui pour son pied ; elle revint à l’arche, car il y avait encore de l’eau sur toute la terre ; Noeétendit sa main, la prit et la ramena dans l’arche. Il attendit encore sept autres jours, et lâcha da nouveau la colombe ; la colombe revint auprès do lui vers le soir ; voila qu’une feuille arrachée d’un olivier était dans son bec ; alors Noé comprit que les eaux avaient diminué sur la terre. Il attendit encore sept autres jours et il lâcha la colombe, qui alors ne revint plus auprès de lui. Dans la six-cent-unième année do Noé, le premier jour du premier mois, les eaux avaient disparu de dessus la terre ; Noé ôta la toiture de l’arche, et il vit que la surface de la terre était séchée. Le vingt-septième jour du second mois, la terre était tout à fait séchée. Elohim parla alors à Noé et dit : « Sors de l’arche, toi, ta femme,

« tes fils et les femmes de tes fils avec toi ; toute espèce d’animal étant avec toi, en oiseaux, bêtes et reptiles rampant sur la terre, fais-les sortir avec toi ; qu’ils se fécondent et se multiplient sur la terre. » Et Noé sortit avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils. Tout animal, tout reptile, tout oiseau, tout ce qui rampe sur la terre sortit de l’arche, selon son espèce. »

Du verset 20 du chapitre vm au verset 22, est intercalé un court fragment de la tradition que l’on peut appeler jéhoaiste ; intercalation si maladroite qu’elle frappe à première vue par la manière tranchée dont elle coupe le récit élahiste : « Noé construisit un autel à Jéhovah ; il prit de toute espèce d’animaux purs et de toute espèce d’oiseaux purs, et les offrit en holocauste sur l’autel ; Jénovah sentit l’odeur agréable et dit en son ccaur : <Jena maudirai plus la terre, à cause de l’homme, car l’instinct du cœur de l’homme est mau ■ vais dès sa jeunesse ; jo ne frapperai plus toutee qui vit comme j’ai fait ; pendant toute la durée de la terre les semailles, la moisson, le froid, le chaud, l’été, l’hiver, le jour et la nuit ne s’arrêteront plus. »

D’ailleurs la promesse faite par Jéhovah dans ce court passage interpolé estrépétée avec plus de détails et en son lieu, mais comme émanant d’Elohim. Elohim dit à Noé et à ses fils : n Moi, je fais une transaction avec vous et avec vos

> descendants après vous ; avec toute créature

  • » vivante qui se trouve avec vous, les oi

« seaux, les bêtes, les animaux de la terre qui sont sortis avec vous de l’arche et qui vivent sur la terre. Je ferai une transaction avec vous : le déluge ne détruira plus tout être ; il n’y aura plus de déluge pour détraire la terre… Voici le signe de fa transaction que j’établis entre moi, vous et toutes les créatures vivantes qui sont avec

> vous, à perpétuité. J’ai placé mon arc dans le nuage ; qu’il soit le signe entre moi et

« vous, il adviendra qu’en tonnant un nuage au-dessus de la terre, l’arc étant apparent dans le nuage, jo me rappellerai alors cette

> transaction entre moi, vous et toute créa > ture douée de vie ; les eaux ne formeront

■ plus un déluge pour tout détruire ; cet arc

« sera dans le nuage, et je le regarderai pour me rappeler l’alliance perpétuelle entre Elohim ot toute créature vivant sur la terre. »

Toutefois, au verset 17, on remarque encore une redite des versets il et suivants : à Elohim adresse à Noé ces paroles : ■ Voici le signe de l’alliance que j ai établie entre moi

« et toute créature sur la terre. >

Toutes ces répétitions annoncent assez le travail de compilation d’où est sortie cette partie importante de la Genèse.

Dans les idées de quelques Israélites, les enfants de Noé ne sont pas les seuls qui aient échappé au grand cataclysme, et d’autres personnages auraient joui du même bienfait. D’après le texte des Septante, Mathusala ou Mathusalem, fils d’Hénoch, aurait encore vécu quatorze ans après le déluge. Le texte hébreu dit bien que ce patriarche mourut l’année même de cet événement ; mais la traduction grecque constate que, chez les juifs alexandrins, l’opinion que Mathusalem avait échappé à l’inondation était accréditée. Cette opinion s’est propagée longtemps parmi les israelites, et bon nombre de chrétiens l’avaient mémo adoptée ; du temps de saint Jérôme, cette question était encore l’objet de nombreuses coatroverses.

Los traditions chaldéennes ne s’écartent pas sensiblement du récit biblique, comme on le voit par ce passage d’Alexandre Polyhistor : t Xisuthrus fut le dixième roi : sous lui arriva le déluge… Cronos iSaturne), lui ayant apparu en songe, l’avertit que le 15 du mois Dasius les hommes périraient par un déluge. En conséquence, il lui ordonna de prendre les

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écrits qui traitaient du commencement, du milieu et de la fin de toutes choses, de les enfouir en terre dans la ville du soleil, appelée Sisparis, de se construire un navire, d’y embarquer ses parents, ses amis, et de s’abandonner à la mer. Xisuthrus obéit : il prépare toutes les provisions, rassemble les animaux, quadrupèdes et volatiles, puis il demande où il doit naviguer : Vers les dieux, dit Saturne, et il souhaite aux hommes toutes sortes de bénédictions. Xisuthrus fabriqua donc un navire long de cinq stades et large de deux ; il y fit entrer sa femme, ses enfants, ses amis et tout ce qu’il avait préparé. Le déluge vint ; puis, quand il crut proche le moment où ce grand cataclysme devait prendre fin, Xisuthrus lâcha quelques oiseaux qui, faute de trouver où se reposer, revinrent nu vaisseau. Quelques jours après, il les envoya encore a la découverte ; cette fois les oiseaux revinrent ayant de la boue aux pieds ; lâchés une troisième fois, ils ne revinrent plus. Xisuthrus, jugeant que la terre se dégageait, fit une ouverture a son vaisseau, et, comme il se vit près d’une montagne, il y descendit avec sa femme, sa fille et le pilote. Il adora la Terre, éleva un autel, fit un sacrifice, puis il disparut et ne fut plus vu sur la terre, non plus que les trois personnes sorties avec lui… Ceux qui étaient restés dans le vaisseau, na les voyant pas revenir, les appelèrent à grands cris ; une voix leur répondit en leur recommandant la piété…., et en ajoutant qu’ils devaient retourner à Babylone, selon 1 ordre du destin, retirer de terre les lettres enfouies à Sisparis, pour les communiquer aux hommes ; que du reste le lieu où ils se trouvaient était l’Arménie. Ayant ouï ces paroles, ils se réunirent de toutes parts et se rendirent à Babylone. Les débris de leur vaisseau, poussés en Arménie, sont restés jusqu’à ce jour sur le mont Korkoura, et les dévots en prennent de petits morceaux pour leur servir de talismans contre les maléfices. Les lettres ayant été retirées do terre à Sisparis, les hommes bâtirent de3 villes, élevèrent des temples et réparèrent Babylone elle-même. »

Ce mythe est évidemment, ainsi que l’a fait remarquer Buttmann, un mélange des deux légendes hébraïques de Noé et d’Hénoch. Xisuthrus échappe au déluge comme le premier, et il est enlevé au ciel comme le second. Peut-être a-t-on aussi confondu Mathusala avec Noé ; car, d’après une tradition consignée dans George le Syncelle et dont nous avons déjà parle, ce patriarche avait été sauvé du cataclysme et enlevé aux cieux. Le théâtre du déluge chaldéen est le même que celui du déluge mosaïque ; c’est l’Arménie, où est placé lo mont Korkoura, sur la cime duquel s’arrête le vaisseau de Xisuthrus. Les chrétiens reconnurent eux-mêmes leur Noé dans le roi chaldéen, car saint Jean Chrysostome prétend que les débris de l’arche existaient de son temps ou sommet de l’Ararat, et il montre ainsi qu’il adopte la légende chaldéenne, dont il transporto un détail dans la légende hébraïque.

La tradition diluvienne, ainsi que le remarque M. Alf. Maury, était certainement très-répandue dans toute l’Asie occidentale. Ainsi une médaille de la ville d’Apamée, du temps de Septime-Sévère et de Caracalla, nous montre cette tradition en Phrygie. Cette médaille porte d’un côté un personnage barbu, au-dessus duquel est écrit le nom de Noé, accompagné d’une femme voilée. Ces personnages sont tous deux placés à mi-corps dans une espèce de cofiïe flottant sur les eaux. Ce coffre, appelé en grec kibôios} ce qui fait allusion au nom que portait anciennement Apamée, a tout k fait la forme que les premiers chrétiens ont donnée à l’arche dans les peintures des catacombes, par exemple dans la seconde chambre du cimetière de Calixte et sur divers sarcophages des premiers siècles, ainsi que sur des feuilles de métal. Dans le champ de la médaille, les deux mêmes personnages sont debout dans une attitude d’invocation ; une colombe est perchée sur le couvercle de l’arche, et une autre vole avec un rameau. De même, dans les peintures des catacombes, on voit quelquefois Noé entre deux colombes. Le livre apocryphe des premiers siècles, connu sous la nom à’oracles sibyllins, place en Phrygie, au sommet de l’Ararat, mentionné dans le texte comme situé dans cette province, le Heu où s’arrêta l’arche. C’est, y est-il dit, de cette montagne que s’échappent les eaux du Marsyas. Or cette rivière coule précisément prés d’Apamée. C’est aussi par le nom da kibâtos que l’arche est désignée dans ces prophéties.

M. Pictet, dans son excellent travail des Origines indo-européennes, a résumé ce que les traditions des peuples aryens nous apprennent sur le même cataclysme, ot il essaye de rechercher par quels points elles se rapprochent ou s’éloignent du récit de la Genèse. Nous allons mettre a profit sa vaste érudition.

C’est dans l’Inde que l’on a trouvé les récits du déluge les plus développés après ceux do la Bible ; mais il en existe plusieurs versions d’époques différentes et qui no s’accordent pas quant à certains détails. Celle qui a lixô en premier lieu l’attention appartient à la grande épopée du Mahâbhârata. En voici les traits principaux.

Un saint richi, Manu, fils da Vivasvat, accomplit ses austérités sur les bords de la

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Tchlrini, une rivière probablement du nord de l’Inde. Un petit poisson invoque son secours contre les dangers que lui font courir les gros poissons. Manu, ému de pitié, le met à l’abri dans un vase où le poisson croit rapidement. Bientôt, à sa demande, Manu le porto dans un lac, puis dans le Gange, puis enfin dans l’Océan, le poisson continuant à croîtra de plus en plus. Alors, plein de reconnaissance, celui-ci annonce au saint homme que le moment approche où le monde terrestre doit subir une dissolution totale et une purification par l’eau. Il lui conseille, pour son salut, do construire un vaisseau solide muni d’un câble et d’y entrer avec les sept richis, après y avoir mis bien à couvert toutes les semences anciennement décrites par les brahmanes. Manu s’empresse d’obéir a ce conseil. Bientôt les grandes eaux se déchaînent, le monde est submergé ; on ne distingue plus ni la terre ni le ciel, et le vaisseau danse et tourbillonne sur les flots mugissant comme uni femme ivre. Le gigantesque poisson se montra alors, la tête armée d’une corne à laquello Manu attache le vaisseau, préservé désormais de tout désastre. Durant plusieurs années il vogue ainsi sur les eaux, après quoi le poisson le conduit vers l’un des pieds do l’Hisnavat, où il lui ordonne d’attacher son vaisseau, et dés lors ce pic a reçu lo nom de Nâubmi- rfAana, qui a le sens de nuuts ligatio. Le poisson sauveur se fait connaître ensuite comme uno incarnation de Brahma, le dieu suprême, et il confère à Manu le pouvoir de créer à nouveau tous les êtres qui ont disparu dans le cataclysme. Telle est, ajoute le narrateur épique, cette antique légende, connue sous le nom de Matsyaka, le poisson.

Une seconde version de ce curieux récit se trouve dans la Bhûgavala Purûna, poïma d’une date beaucoup plus récente que la grande épopée, et l’on y remarque des différences notables. Ainsi 1 événemen t raconté ne se passe plus du vivant de Manu Vâivasvata, et ce n’est pas lui qui est sauvé des eaux, mais un prince nommé Satyavrata, roi do Drawida, dans le sud do l’Inde, et destiné à devenir, après le déluge, la Manu du monde actuel. L’histoire ne débute pas aux bords do la Tchîrini, m : iis sur ceux de la Kramâlà. Enfin ce n’est pas Brahina qui intervient comme dieu suprême, mais bien Vichnou, dont le culte a prévalu plus tard, et qui est censé s’être incarné en poisson pour recouvrer les Védas, dérobés pendant le sommeil de Brahma par un chef des Dânavaa, ennemis des dieux. Ce n’est pas Satyavrata qui construit le vaisseau ; c’est Vichnou qui l’envoie au moment du déluge. Satyavrata y entre avec les sept richis et une collection de tous les êtres, de toutes les plantes, de toutes les semences grandes et petites. L’Océan sort alors de ses rives et recouvre la totalité de la terre, en se joignant à l’eau des pluies que versent d’immenses nuages. Le poisson paraît armé de sa corne ; mais, au lieu d’un câble, c’est le serpent mythologique Vàsuki qui sert à y attacher le vaisseau. Le pic 1 Himalaya, ou Nàubandhana, est passé sous silence, et il n’est rien dit du renouvellement des êtres après le cataclysme.

Une troisième version ne nous est connue jusqu’à présent que par un court ex trait que Wilson a donné du Matsya Purâna, poème auquel l’histoire du déluge sert do cadre. Elle ne renferme rien d’essentiellement nouveau et semble tirée des doux premières, non sans quelque confusion dans les rôlo8 attribués h Brahma et à Vichnou. Nous arriverons bientôt à une quatrième version, qui est la plus importante.

Dans la savante préface du second volumo du Bhâgaoata, Burnouf a comparé avec soin ces trois récits pour éclairer la question do l’origine de cette tradition indienne du déluge. Il montre, par une discussion pleine de sagacité, qu’elle a dû être primitivement étrangère au système tout indien des manvantarus, ou destructions périodiques du monde, et que les Purânas l’ont modifiée pour l’y faire rentrer. 11 en conclut qu’elle doit avoir été importée dans l’Inde postérieurement à l’adoption do ce système, très-ancien d’ailleurs, puisqu’il est commun au brahmanisme et au bouddhisme. Il incline dès lors à y voir une importation sémitique opérée dans les temps déjà historiques, non pas directement de la Genèse, mais plus probablement de la tradition babylonienne du déluge de Xisuthru3, d’autant plus que l’incarnation du poisson rappelle le dieu-poisson Oannès des Assyriens. Cette conclusion, toutefois, se fonde sur la supposition que la tradition du déluge ne se trouverait pas dans les Védas, auquel cas la question changerait entièrement do face. Or c’est précisément ce qui est advenu depuis qu’un texte védique du CalapathaDrâhmana nous a fourni uno quatrième version beaucoup plus ancienne que les autres, et que Burnouf no connaissait pas encore. C’est Weber qui lo premier a signalé l’existence de ce récit védique du délvye, beaucoup plus simple que les précédents, et qui paraît leur avoir servi de type commun, bien qu’il en diffère par une circonstance essentielle. Pictet le donne d’après la traduction de Max Muller.

o Au matin, on apporta à Manu do l’eau pour se laver ; et, quand il se fut lavé, un poisson lui resta dans les mains. Et il lui adressa ces mots : « Protége-moi, et je te « sauverai. — De quoi me sauvoras-tuî 48