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un même médaillon ; dans les angles sont représentés, d’après les indications de la Divine comédie, le paradis, le purgatoire et l’enfer. Le portrait séparé de Dante, par Stradanus, a été gravé par d’autres artistes, notamment par Esme de Boulenois, Landon, etc. D’autres portraits de Dante, se rapprochant plus ou moins de ceux que nous venons de décrire, ont été gravés par ^Enea Vico, par Kugelchen (d après un tableau de la galerie du prince de Monaco), par Michel Heylbrouck {d’après une peinture de Bernardino India, qui se trouvait autrefois dans la collection du comte Lisca, à Vérone), par Fr. Allegrini (iVsi), Conquy, Littret (1767), A. Cardon, Raphaël Morghen, M™° G. Fournier, Fioroni, G. Benaglia, Jac. Zatta, etc.

Guido da Polenta, qui avait donné asile à Dante pendant les dernières années de sa vie, ayant été expulsé de Ravenne, le cadavre du poste, qui avait été inhumé dans l’église Saint-François, faillit être livré aux flammes par ordre du cardinal Beltram del Poggetto. Ce ne fut que cent soixante ans plus tard que Bernardo Bembo, podestat de Ravenne, fit élever un mausolée à Dante, dans une chapelle particulière. Ce tombeau, dont Pietro Lombardi fut l’architecte et le sculpteur, a été reconstruit en 1780, aux frais du cardinal Valentin Gonzague de Mantoue. C’est un édifice mesquin, orné d’un buste médiocre du grand homme. Une vue intérieure do cette chapelle sépulcrale a été gravée par G. Lapi.

À Florence, dans l’église de Sainte-Croix, on a érigé à la mémoire de Dante un monument qui ne vaut pas mieux que celui de Ravenne. C’est l’ouvrage de Stefano Ricci. Le sarcophage est surmon té du portrait du poète ; à droite est une figure de l’Italie triomphante, à gauche la Poésie en larme».

La grande et poétique figure de Dante a inspiré plusieurs artistes de notre époque. Pour ne parler que des ouvrages exécutés en France, nous citerons : Dante et Virgile aux enfers, d’Eugène Delacroix : Dante et Béatrix, d’Ary Schell’er ; Dante et Virgile voyant les ombres de Françoise de Jïimini et de Paolo, autre peinture d’A. Scheffer ; Dante écrivant son poème sous l’inspiration de Béatrix et de Virgile, tableau d’A. Glaize (Salon de 1847) ; Dante à la Verna, tableau de M. Henri Delaborde (Salon de 1847) ; Dante pensant d Béatrix morte, tableau de M. Albert Barre (Salon de 1847} ; Dante aux champs Élysées, bas-relief en pierre, par M. H. de ï’riqueti (Salon de 1847) ; Dante et Virgile sur le rivage du purgatoire, tableau de M. de Curzon (musée du Luxembourg) ; Dante à Bavenne, tableau de M. E. Hamman (gravé par Allan) : Dante reçu par Béatrix dans la première sphère du paradis, tableau de M. Morani (Salon de 1801) ; Dante, statue de M. Alfred Chéron (Salon de 1850) ; la Jeunesse de Dante, statue de marbre de M. René de Saint-Marceaux (Salon de 1869), etc. Le peintre allemand Cornélius avait pour l’œuvre de Dante une prédilection particulière ; il en faisait sa lecture journalière et l’appelait le Manuel du peintre. Étant à Rome, il lit, pour la décoration de la villa du marquis Massimi, un carton représentant Dante amené par Béatrix devant saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, qui personnifient les trois vertus théologales. Ce carton a été gravé. Plus tard, Cornélius, dans sa grande fresque du Jugement dernier, à Munich, a introduit son ooete favori parmi les élus :

Dante e* la philosophie catholique nu xuie siècle, par A.-J. Ozanam ; nouvelle édition corrigée et augmentée, suivie de Recherches nouvelles sur les sources poétiques de la Divine comédie (Paris, 1845, 1 vol. in-8°). C’est l’édition définitive de l’œuvre présentée d’abord comme thèse pour le doctorat à la Faculté des lettres de Paris. Il n’y a plus à en faire l’éloge ; elle restera comme un monument des lettres françaises au xrxe siècle. Elle est aujourd’hui traduite en anglais, en allemand et en plusieurs autres langues ; il y en a quatre traductions italiennes.

Le livre d’Ozanam se compose de quatre parties et d’une série de documents relatifs à l’histoire de la philosophie au xih° siècle. Dans un discours préliminaire assez étendu, l’auteur trace à grands traits une étude de la tradition littéraire en Italie depuis la décadence latine jusqu’à Dante. C était là une question neuve, que personne n’avait encore abordée, mais qui étaitdestinéeàne plus sortir du domaine de l’histoire littéraire. « Les recherches modernes, dit Ozanam, ont commencé à renouer dans l’histoire la succession des époques. D’un côté, les langues, les fables, les doctrines de l’antiquité classique qu’on croyait jusque-là originaires des lieux mêmes où elles fleurirent ont été rattachées aux civilisations de l’Orient. Les prétentions d’autochthonie ont disparu devant les preuves d’une commune et lointaine descendance. D’un autre côté, dans les profondeurs ignorées du moyen âge, dans les systèmes de ses écoles et les ouvrages de ses grands maîtres, il a fallu reconnaître les origines légitimes de la science et de l’art modernes. On a renoncé à faire dater de Luther le réveil de la raison. Ainsi s’est rétablie d’une part l’unité des siècles antiques, de l’autre celle des siècles chrétiens. Il reste à étudier plus attentivement l’intervalle qui sé Ïiare ces deux époques du monde. Pendant es terribles années remplies par la chute de l’empire romain et par 1 avènement des bar DANT

bares, il faut voir si les lettres ont péri. S’é- > teignirent-elles alors pour renaître plus tard du concours de quelques circonstances fécondes, ou bien auraient-elles subi une transformation qui devait les sauver et conserver ainsi la perpétuité de l’enseignement ? »

Les lettres ont été transformées ; elles n’ont pas péri, au dire d’Ozanam. L’Église les a confisquées à son profit autant qu elle a pu, dans 1 impossibilité de les détruire. Des souvenirs de la littérature classique sont restés Ïiartout en Europe, dans les monastères, dans e clergé, chez quelques adeptes secrets de l’art polythéiste. En Italie, centre de la vieille civilisation, les épaves de la littérature classique ont ensemencé le sol et disposé les esprits à une nouvelle culture intellectuelle. Ce tut dans l’Italie du moyen âge que l’œuf du monde moderne a été couvé et qu’il a commencé à éclore. Cette phase mémorable a duré onze cents ans, depuis la chute de la langue latine comme langue vulgaire jusqu’à l’avènement des idiomes barbares à la dignité de langues écrites. Dans ce long intervalle, une révolution immense s’était accomplie dans les idées et dans les mœurs. Dante est la première formule, une synthèse, pour ainsi dire, du nouvel état de choses. Aussi Dante demeure-t-il en Italie le symbole de la civilisation du moyen âge, le père de la langue, et le peintre des mœurs de cette époque. Son image se confond aux yeux du peuple italien avec l’idée même de la patrie. « Les peintres des environs d’Aquilée montrent encore aujourd’hui, aux bords du Zolmino, un rocher

qu’ils appellent le siège de Dante, ou souvent il vint méditer les pensées de l’exil. Les habitants de Vérone aiment à faire voir l’église de Sainte-Hélène, où, voyageur, il s’arrêta pour soutenir une thèse publique. À l’ombre des sauvages montagnes du Gubbio, dans un monastère de camaldules, son buste fidèlement conservé rappelle qu’il y trouva quelques mois de solitude et de repos. Ravenne, saintement jalouse, garde ses cendres. Mais Florence surtout a entouré d’un culte expiatoire tout ce qui reste de lui : le toit qui abritait sa tète, la pierre même où il avait coutume de s’asseoir. Elle lui a décerné une sorte d’apothéose en le faisant représenter par la main de Giotto « vêtu d’une robe triomphale et le front couronné, sous l’un des portiques de l’église métropolitaine et presque entre les saints patrons de la cité. « On a fait mieux : dès le xive siècle, à Florence, à Pise, à Plaisance, à Venise, à Bologne, on a fondé des chaires consacrées à 1 interprétation de la Divine comédie. Dante est l’Homère de l’Italie du moyen âge, un génie encyclopédique dans lequel toute une nation se voit personnifiée :

Theolùgus Hantes., nulliuç dogmatis expert. Si la poésie moderne réclame Dante comme un de ses pères les plus illustres, la philosophie lui doit les mômes égards. Brucker, l’historien de la philosophie, le reconnaît comme « le premier d’entre les modernes auprès duquel les muses platoniciennes, depuis 700 ans exilées, aient trouvé un asile, un penseur égal aux plus renommés de ses contemporains, un sage qui méritait d’être compté au nombre des réformateurs de la philosophie. » Dante, dont tout le monde dit du bien, est estimé sur parole ou sur la foi de la tradition. Il n’a pas d’empire sur les esprits en un temps où on ne tient compte ni de la valeur logique de la pensée ni de la portée morale de la parole. Pour la plupart des contemporains, suivant Ozanam, qui cherche à

expliquer le phénomène, « l’art n’est qu’une jouissance sans but ultérieur, parce que la vie est un spectacle sans signification sérieuse ; ils demeurent captifs dans le monde visible dont le sensualisme et le scepticisme leur ferment les issues. Leurs traditions sont celles de quelques poètes de l’antiquité et des temps modernes, qui ne célébrèrent que des sensations et des passions, et dont le triomphe était de produire dans ceux qui les écoutaient la terreur et la pitié, c’est-à-dire deux affections stériles. »

Pour lire Dante avec fruit et pouvoir s’y intéresser, toujours suivant Ozanam, il faut vivre dans le monde idéal, dans les régions que fréquentait Platon, dans lesquelles vivent les postes, par l’imagination sinon par la pensée. Dante a un ciel à ouvrir au petit nombre de ceux qui comprennent ces choseslà. Les autres sont condamnés à ne voir en lui qu’un mythe incompréhensible, et, dans ses aspirations, qu’une fantaisie d’halluciné, à moins qu’ils ne se contentent de quelques détails de mœurs ou de la langue qu’il pnrt», ce qui réduit leur goût à celui des simples ofcilologues.

Ozanam fait de Dante un portrait moral qui est une satire violente des mœurs littéraires et artistiques de nos jours : « Voici, dit-il, un poète qui parut dans un siècle tumultueux, qui marcha comme enveloppé d’orages. Cependant derrière les ombres mouvantes de la vie il a pressenti des réalités immuables. Alors, conduit par la raison et la foi, il devance le temps, il pénètre dans le monde invisible, il s’en met en possession, il s’y établit comme dans sa patrie, lui qui n a plus de patrie icibas. De ces hauteurs, s’il laisse encore tomber ses regards sur les choses humaines, il en découvre à la fois le principe et la fin ; par conséquent il les mesure et il les juge. Ses discours sont des enseignements qui subjuguent les convictions etuui inclinent les consciences,

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en même temps que par le rhythmo ils se fixent dans toutes les mémoires. C’est comme une prédication qui se fait parmi les multitudes, ne se taisant jamais ; qui les captive en s’emparant de ce qu’il y a de plus fort en elles, l’intelligence et l’amour. C’est donc une poésie qui aux trois harmonies dont la beauté résulte en joint deux autres, l’harmonie de la

fensée avec ce qui est, c’est-à-dire la vérité ; harmonie de la parole avec ce qui doit être, c’est-à-dire la moralité. Ainsi elle porte en soi une double valeur logique et morale, par où elle répond aux besoins les plus chers du plus grand nombre des hommes ; elle se fait comprendre de ceux qu’elle a compris ; elle est efficace, elle est, comme on dit, sociale. II y a’ encore là un phénomène qui mérite sans contredit une place dans l’histoire de l’art ; c’est plus qu’un phénomène, c’est un exemple, et l’exemple, quand il est excellent, entraîne avec soi la réfutation des théories contraires.

Enfin l’union de deux choses si rares, une philosophie poétique et populaire, une poésie philosophique et vraiment sociale, constitue un événement mémorable qui indique un des plus hauts degrés de puissance où l’esprit Humain soit jamais parvenu. Que si toute puissance a sa raison d’être dans les circonstances contemporaines, l’événement que nous signalons nous donnera lieu d’apprécier la culture intellectuelle de l’époque où il se rencontra. »

Cette culture en Italie a dû être très-élevée. Il faut apprendre dans l’œuvre de Dante à respecter une civilisation relativement peu connue de nos jours, parce qu’on ne réfléchit pas assez à la grandeur du milieu où a pu se produire un poème comme la Divine comédie. C’est d’ailleurs un bonheur rare que celui d’être interprété et commenté, comme le grand poète italien, par un homme tel qu’Ozanam. Les grands hommes ne sont compris que par leurs pairs. Et puis, quand ils sont oubliés et qu’un esprit de cette trempe prend à tâche de réhabiliter leur mémoire, c’est pour ainsi dire une seconde vie qu’il leur donne et une sorte de résurrection pour leur pensée. L’amour-propre des écrivains modernes a quelque peu à souffrir de ces exhumations inattendues. Ozanam a forcé la critique à modifier ses jugements et l’opinion à réformer ses préjuges. Le commentateur de Dante démontre en effet péremptoirement qu’il faut avancer la Renaissance d’au moins deux siècles. Suivant lui, la vieille critique suppose d’une manière calomnieuse l’abrutissement de dix générations antérieures. Il appelle le siècle de Dante un âge héroïque, l’adolescence de l’humanité chrétienne. A notre époque de virilité orageuse, nous croyons volontiers avoir été seuls au monde. Nous ne faisons qu’une étape sur le grand chemin de l’histoire, et, de ce que les siècles se taisent, il ne faut pas conclure qu’ils n’ont pas vécu.

Bref, l’auteur a jeté sur cette période, qui semble plus loin de nous que l’antiquité classique, un coup d’œil qui en a éclairé les profondeurs. Il n’est pas impossible, d’après Ozanam, que dans un avenir difficile à préciser, mais non impossible à prévoir, notre civilisation, vieillie ou transformée, tourne ses regards vers son berceau et ne fasse du moyen âge chrétien une époque classique, comme sont devenues pour nous la civilisation grecque et la civilisation romaine.

Quoi qu’il en soit de cette prévision, Ozanam déclare, dans son étude sur Dante et les caractères littéraires du xmo siècle, ne pouvoir qu’effleurer un sujet trop vaste : « Nous ne chercherons pas, dit-il, à embrasser le cadre immense, à découvrir tous les mystérieux labyrinthes de la Divine comédie : nous savons que les souvenirs du passé et les scènes du présent, les passions politiques et d’autres passions plus tendres, les traditions nationales et les croyances religieuses, et le ciel et la terre, ont pris part à cette admirable création : Poema sacro

Al ouate haJioslo mano cielo e terra.

(Par., caot. xxv.)

Nous y reconnaissons des parties épiques, élégiaques, satiriques, didactiques, rassemblées dans un tout harmonieux. »

Dans le côté didactique, il y a de plus deux objets à distinguer : une théologie et une philosophie. Mais la Divine comédie ressemble à un de ces vastes héritages tombés dans les mains d’une postérité débile et appauvrie : il faut la morceler pour la cultiver. . Peut-être le sujet entraîne-t-il Ozanam un peu loin. Dante est un géant, et son poème un monument ; et, en face de ces deux choses, il est nécessaire de passer un peu d’exagération à un homme épris de son idole. Les critiques les plus compétents de l’Europe, de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France ont du reste reconnu «Tun commun accord la valeur historique et littéraire du livre d’Ozanam.

Dante hérétique, révolutionnaire et socialiste, par E. Aroux (1853). M. Aroux, dans ce curieux ouvrage, a voulu faire de Dante « un affilié à des doctrines mystérieuses, un membre de sociétés secrètes, le poète d’une langue franc-maçonnique, une espèce de carbonaro de génie. » Ce livre a la prétention d’être, comme l’intitule ambitieusement l’auteur, la Révélation d’un catholique sur le moyen âge. t Le redressement historique que j’entreprends tend à faire envisager sous une face entièrement nouvelle toute une période no DANT

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table du moyen âge et do la Renaissance. 11 s’agit de toute une révolution dans l’histoire du christianisme, de la philosophie et de la littérature, je ne l’ignore pas. » Quelle responsabilité ! Mais voyons ce qui va sortir. D’abord, selon M. Aroux, Dante parle un langage symbolique ; ainsi l’enfer des vivants, c’est le monde corrompu par les papes : Laure, Siametta sont des personnifications de l’empire et de ses vertus ; Babylone, c’est la papauté ; Lucifer, c’est le pape ; la, panthère aux. deux couleurs, c’est Florence divisée en deux partis ; le lion, c’est la France, o Quant aux harpies, elles m’ont bien l’air d’être la figure de quelque ordre religieux, et il n’y aurait rien d’étonnant à y reconnaître les dominicains et les moines mendiants. » Virgile, le guide du poète de Florence, « c’est la philosophie antique et l’opinion monarchique. C’est, de plus, la figure de l’initiation aux anciens mystères et a la langue qu’on y parlait, langue dans laquelle est écrit tout le sixième livre de l’Enéide, quireproduitlacélébration des mystères d’Eleusis. » Tout le livre de M. Aroux repose sur cette hypothèse, ingénieuse sans doute, mais qui n’est qu’une hypothèse. C’est en se fondant sur une pareille interprétation que M. Aroux déclare Dante hérétique et demande sa condamnation au pape.

De plus, Dante est révolutionnaire : deuxième titre aux foudres de Rome ; mais M. Aroux, qui nous semble un ultramontain, parait confondre les opinions et les croyances, la politique et la religion, et déclarer révolutionnaire

— quel crime 1 — quiconque n’est pas ultramontain. Bien mieux, Dante est socialiste I— Quel crime encore I Mais quand même il le serait, faut-il brûler son livre ? Monsieur Aroux, soyez plus indulgent pour ceux qui ne partagent pas vos croyances et vos convictions. Vous avez fait œuvre d’homme d’esprit en cherchant dans le poème de Dante, à l’aide d’un système ingénieux d’interprétation, ce à quoi peut-être Dante n’avait jamais songé ; ne soyez pas plus sévèro que les inquisiteurs du moyen âge, qui ne brûlèrent pas le chantre de la Divine comédie.

— Dame et GœtiiOjdinJogues par Daniel Stem (Paris, 1806, 1 vol. in-8°, chez Didier). Ce volume, qui renferme cinq dialogues, est une remarquable étude critique de Dante et de Goethe. Dans un langage toujours plein de charme, d’élégance et de noblesse, vraiment digne de ce grand sujet, l’auteur rapproche ces deux génies que la nature, aussi bien que le temps, semblent séparer, et montre leurs nombreux points de contact et de ressemblance. Selon la méthode adoptée de nos

jours, il ne néglige pas le milieu où a vécu l’écrivain et qui explique en quelque mesure son oeuvre. Aussi n avons-nous pas seulement ici des appréciations littéraires sur la Divine comédie et le Faust, mais encore l’histoire du Dante et de Goethe et aussi l’histoire de leur temps. Le moyen âge est évoqué devant nos yeux avec une grande puissance, comme aussi nous vivons de la vie de l’Allemagne au commencement de ce siècle.

En général, on ne se figure pas de génies

S lus opposés, plus dissemblables que l’auteur e la Divine comédie et celui de Faust. Quel rapport peutril y avoir entre l’Italien du xm° siôele et le Germain du xix°, entre le poète qui chanta l’orthodoxie de saint Thomas et les catégories d’Aristote, et le païen panthéiste qui cache sous la robe et le nom réprouvé du docteur Faust les témérités do Spinoza et les théories suspectes de Geoli’roy Saint-IIilaire ; •entre le citoyen héroïque qui meurt bien avant l’âge, dépouillé et proscrit, et le conseiller auliquede Gœthe, anobli, décoré, vivant comblé d’admiration, de richesses et d’honneurs ? Et cependant, quelles que soient ce3 dissemblances, l’auteur ne doute pas qu’en pénétrant dans les profondeurs de la vie idéale on ne finisse par découvrir, non plus les dissonances, mais les harmonies des choses. La première ’.analogie qu’il aperçoit entre le poème de Dante et celui de Gœthe, « c’est que tous deux ils embrassent, ils élèvent à son expression la plus haute l’idée la plus vaste qu’il soit donné à l’homme de concevoir : la notion de sa propre destinée dans le monde terrestre et dans le monde céleste ; le mystère, l’intérêt suprême de son existence en deçà do la tombe et au’ delà ; le salut de son âme immortelle. Le sujet de ia Comédie, de même que le sujet de Faust, ce n’est plus, comme dans l’épopée antique, une expédition guerrière et nationale, la fondation de la cité ou de l’État : c’est la représentation des rapports de l’homme avec Dieu dans le fini et dans l’infini ; c’est le grand problème du bien et du mal, tel qu’il s’est agité de tout temps dans la conscience humaine, avec la réponse qu’y donnent, selon la différence des âges, « la religion, la philosophie, la science, la politique. » Mais les deux poèmes ne sont pas seulement l’expression d’une préoccupation permanente et universelle de l’esprit numain ; ils sont encore l’expression particulière des préoccupations d’une époque et d’une nation. Dans la Divine comédie, vous retrouvez les croyances, les passions, les terreurs du moyen âge. Faust, a son tour, résume les conflits, les angoisses, les défaillances, l’espoir de la génération qui, venue à la (in du xviTie siècle, assistaà la chute du vieux monde et à l’enfantement du monde nouveau. « Mais cette représentation, cette image d’un siècle, elle va prendre, selon le génie qui l’a conçue,