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qui ne s’est pas épargné, se montrant & nous aussi laid que possibla.

II existe d’ailleurs un sérieux portrait de Dantan, peint par Pérignon, et qui est un vrai chef-d’œuvre : figure douée et sympathique, empreinte d’une Bonhomie railleuse, physionomie à la fois naïve et narquoise. Pérignon b’était engagé à faire le portrait de Dantan ; et, en retour, celui-ci devait faire la statuette de son ami : il était convenu que ni l’un ni l’autre ne poserait. Portrait et statuette furent exécutés dans ces conditions et sont tous les deux d’une ressemblance parfaite.

Impitoyable pour les binettes masculines, ce caricaturiste endiablé respecta toujours les visages de femmes. Une seule fois il céda a des instances réitérées.

Mme Malibran lui avait inutilement demandé sa charge pendant toute une année. Un jour cependant, c’était en 1831, vaincu par ses prières, Dantan promit, et le soir même, dans les coulisses des Italiens, Il présenta à la cantatrice l’œuvre si désirée. Mme Malibran remercia, regarda, chercha à sourire, et fondit en larmes. De ce jour Dantan se promit de ne jamais céder a pareille sollicitation. Quelque temps après il obtint de la Malibran ua billet ainsi conçu :

« M°»o Malibran a prié M. Dantan de vouloir bien lui faire sa charge et de la publier, afin que la masse vulgaire (sic) pût rire à ses dépens. ■

Quand, trois ans après, le 23 septembre 1835, Marie-Félicité Malibran mourut à Manchester, Dantan écrivit à Bériot, le mari de l’illustre cantatrice : «Devant la mort, le rire s’éteint. J’ai brisé le moule d’un coup de marteau.»

La popularité de Dantan jeune comme caricaturiste nuisit peut-être à sa réputation comme artiste sérieux, et c’est là une grande injustice. En effet, lorsque, désertant le domaine du laid, il chercha les formes belles ou gracieuses, il les rencontra sans peine. Il existe de lui une foule d’euvrages du style le plus élevé, tels que : la statue de Boieldieu, pour le cours de Rouen ; celle de Philibert Delorme, au Louvre ; les bustes de l’aetrico anglaise Adélaïde Kemblo ; de MmeRose Chéri, modèle d’élégance et de délicatesse ; du maréchal Canrobert, de Jean Bart, de Pleyel, de Rossini, de Velpeau, de Spontini, de Thalberg et de lord Bentinck. Les salons du faubourg Saint-Germain et du faubourg Saint-Honoré eurent recours au ciseau de Dantan, et, pour n’en citer que quelques exemples, il reproduisit les traits de M. le prince de Chimay, do M. le comte de Dampierre, de Mme la marquise de Turgot, de M, le duc d’Esclignac, de Mme la baronne Schickler, de M. le comte de Rocheguier, de M. le comte Demidoff et do cent autres. Il figura à presque toutes les expositions ; il reçut la croix en juin 18-11.

Dantan visita l’Angleterre et plus tard l’Égypte. En Angleterre il exécuta les figurines ou les charges, quelquefois les deux ensemble, des personnages les plus considérables de l’aristocratie britannique, de lord Wellington, entre autres, de lord Brougham, du comte d Orsay et de Samuel Rothschild. En Égypte, il lit le buste du vice-roi et celui du docteur Clot-Bey, qui empailla lui-même pour Dantan un magnifique crocodile tué dans le Nil sous les yeux de l’artiste, Le crocodile resta exposé dans l’atelier du sculpteur, non loin d’une bonne tuée aussi a son intention par Gérard, le célèbre chasseur, dont il avait exécuté la statuette. Au surplus, l’atelier de Dantan a été une des curiosités du monde artistique. C’était un vrai Panthéon où sont réunies toutes les célébrités contemporaines. L’artiste en faisait très - agréablement les honneurs ; et, quoiqu’il travaillât sans cesse, il savait accueillir cordialement les visiteurs. Dantan, outre la sculpture, avait deux passions : le domino et le calembour, qui est la charge de l’esprit. Il se disait musicien, et sous Louis-Philippe il figurait dans la musique de la première légion de la garde nationale : c’est lui qui tenait le triangle.

Tel était Dantan. Nature heureuse et sympathique, esprit railleur sans être agressif ou blessant, également habile à saisir le côté ridicule et le côté noble des objets, il sut créer un genre nouveau, où il déploya une étourdissante originalité. Le nombre d’anecdotes oui existent sur Dantan jeune est incalculable. Nous allons en citer trois, prises au hasard.

L’aptitude caractéristique de Dantan jeune était la mémoire. Il lui suffisait de voir une personne une fois, à la dérobée, pour en éterniser les traits. Or, le mari d’une jeune Russe voulait avoir le buste de sa femme ; mais il no savait comment s’y prendre, car la dame en question, qui était dépourvue de patience et aimait peu les artistes, ne pouvait se résoudre à poser, fût-ce une minute 1 à Ecoutez, dit 1 époux au sculpteur, ma femme prend tous les jours l’omnibus de la Madeleine, à midi précis, pour se rendre chez sa sœur qui habite rue Montyon... ; montez dans la voiture, et... — Suffit, » dit Dantan. Un mois plus tard le buste était fait. Le mari est prévenu... il accourt. ■ Ça n’est pas ressemblant du tout, fit-il d’un air désolé. — Voyons, dit Dantan, c’est bien le nez de votre dame pourtant ? — Celui-ci est aquilin et le nez de ma femme est retroussé. — Comment 1 vous ne retrouvez pas dans ces yeux, dans cotte bouche, dans ce menton, la bouche et le menton du modèle ?—Vous en êtes il cent lieues,

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mon cher. — C’est singulier 1... Par exemple, vous ne nierez pas la fidélité de la coiffure, je vois encore les bandeaux gris de madame... —Les bandeaux gris 1 Mais ma femme a vingt ans, monsieur Dantan, et sa chevelure est d’un blond cendré ! — Patatras 1 s’écria l’artiste en jetant son ciseau à terre... je me suis trompé !... j’ai fait sa voisine. » Cette voisine était une vieille ouvreuse de loges du théâtre Beaumarchais.

Autre exemple non moins frappant de cette vivacité de la première impression qui fixait après un seul regard une image dans son cerveau. Ici ce n est pas le caricaturiste, c’est le statuaire qui est en scène. Le sculpteur voit entrer un jour chez lui un jeune homme qui lui dit : ■ J’ai une sœur atteinte d’une maladie mortelle ; nous n’avons pas de portrait qui lui ressemble ; je viens vous prier dé faire son buste. Mais lui demander de poser serait éveiller ses soupçons, la tuer peut-être. Nous avons compté sur vous pour reproduire ses traits de mémoire. • Le lendemain, le jeune homme annonçait à la malade qu’il voulait lui faire présent d’un bijou pour son prochain bal. « Un commis de Fossin est là qui apporte des écrins : voulez-vous qu’il entre et choisir ce qui vous plaira ?» Le commis de Fossin n’était autre que Dantan. Il regarda attentivement la jeune fille tandis qu’elle examinait les bijoux, et, rentré dans son atelier, il modelait un buste d’une ressemblance frappante. Un an plus tard, c’était un vieillard qui, à son tour, venait lui demander l’image de son fils mourant. Le jeune homme n’était autre que le frère de la jeune personne dont Dantan avait fait le buste l’année prfrcédente. Il fallait, pour ne pas porter un coup fatal au malade, agir de ruse comme avec sa sœur. Les mourants aiment le changement autour d’eux. On persuada au jeune nomme qu’il serait à propos de modifier l’arrangement de sa chambre. Un jour un garçon tapissier y entrait, lui soumettait quelques plans, déplaça adroitement une glacé de façon que le visage du malade ïy reflétât, puis sortit au bout d’un moment. À quelque temps de là, le buste de la jeune fille avait un pendant, et l’image du frère n’était pas moins ressemblante que celle de la sœur. Le garçon tapissier, on Va deviné, n’était autre que Dantan, qu’une perruque et une fausse barbe avaient rendu méconnaissable.

DANTE s. m. (dan-te). Mamm. Nom du zèbre dans quelques contrées de l’Afrique.

DANTE, Nom de plusieurs personnages italiens, plus connus sous celui do Danti. V. ce nom.

DANTE (Durante AtiGmERi, dit), par une abréviation familière aux Italiens, et non le Dante, comme on dit trop souvent en français, les Italiens ne plaçant l’article que devant le nom propre et non devant les prénoms. Ce poète, le plus grand qu’ait produit l’Italie, naquit à Florence le 8 mai 12G5 et mourut à Ravenne le H septembre 1321. Il appartenait à une famille noble, et était l’arrière-petit-fils de Cacciaguida Elizei, qui avait épousé une jeune fille de la maison des Alighieri ou Aldighieri de Ferrure, dont ses enfants prirent les armes et le nom. Cacciaguida suivit l’empereur Conrad III à la croisade et fut tué dans une bataille en Syrie en 1U7. (Dans les chants XV, XVI et XVII du Paradis, Cacciaguida est censé raconter ses aventures.à Dante et lui fait en même temps un tableau intéressant de l’état de Florence et des mœurs de ses citoyens, avant que la grande querelle des guelfes et des gibelins eut désolé cette ville.) e père de Dante, Aldighiero Alighieri, mourut alors que son fils était encore enfant ; mais sa mère, Bella, dont on ne connaît pas la famille, prit le plus grand soin de son éducation et le confia au célèbre Brunetto Latini, homme d’État aussi illustre que savant et poète renommé. C’est à peu prés vers cette époque que commença entre Dante et Gnido Cavalcanti cette étroite amitié qui, malgré les discordes civiles, nédevait être interrom Eue que par la mort de ce dernier. Guido, eaucoup plus âgé que son ami, semble avoir eu une certaine part à son éducation. On a dit que Dante avait étudié à Bologne ; rien n’est venu confirmer ou démentir cette assertion ; et ses œuvres montrent qu’il avait dû faire des études fort étendues et qu’aucune branche des connaissances de son-époque ne lui était étrangère. D’après ce qu’il nous dit lui-même, il semble avoir mené une vie assez déréglée, jusqu’au jour où il ren- ■ contra Béatrix Portinari, d’une des plus illustres familles de Florence. Il l’aima tout aussitôt d’un amour profond, mais qui parait avoir été purement platonique et avoir eu surtout pour influence de ramener Dante à une vie meilleure. L’a grand nombre de biographes affirment que cet amour datait des premières années de l’enfance du poète, et que ce serait dès l’âge de neuf ans qu’il aurait commencé à en ressentir les premières atteintes. C’est là un fait que Dante lui-même semble contredire dans son pofime de la Vila nuova, écrit vers 1290, ’ à l’époque ou un peu avant l’époque de la mort de sa bien-aimée, qui avait épousé, vers 1287, Simone Bardi, sans que ce mariage ait semblé porter aucune atteinte à l’amour purement religieux du poste. Dans la Vita nuova, il parle de cet amour comme d’une chose idéale et il insiste surtout sur le changement qu’il produisit en lui. Du reste, il

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devait chérir lamémoire de Bêatrixjusqu’àla fin de ses jours et l’immortaliser par ses vers.

À l’époque où Dante atteignit l’âge viril, le parti guelfe dominait à Florence, d’où il avait, quelques années auparavant, chassé les gibelins, avec l’aide du pape et de Charles d’Anjou, roi de Naples ; à Arezzo, au contraire, les gibelins, ayant pour chef l’evêque de cette villé, en avaient exilé les guelfes. Ces derniers implorèrent le secours de leurs alliés de Florence, et la guerre éclata entre cette dernière etArezzo. Elle se termina, en juin 1289, par la bataille de Campoldino, où les gibelins d’Arezzo furent défaits et où leur évêque, qui marchait à leur tête, fut tué. Dante y paya bravement de sa personne et contribua même au succès de ses compatriotes. Ce fut peu de temps après son retour à Florence que, se rendant enfin aux instances de ses parents, il épousa Gemma Donati, d’une puissante famille guelfe. Ce fut aussi à la même époque qu’il commença à rechercher les honneurs et les emplois «vils. Les citoyens de Florence étaient alors divisés en trois classes : 10 les grandi, ou anciennes familles, dont ua grand nombre possédaient encore des manoirs seigneuriaux aux alentours de Florence, avec tous les droits de la féodalité, quoique les lois ne leur accordassent à l’intérieur de la cité aucun privilège particulier ; 2° lespopolani grossi, on riches citoyens, qui devaient pour la plupart leur élévation au commerce, et dont beaucoup étaient plus riches que les nobles ; 3° enfin les piccioli, ou plébéiens, ouvriers, artisans, etc. Ces deux dernières classes étaient fatiguées des troubles causés par les factions, et avaient à leur tête des hommes de sens, au nombre desquels se trouvait l’historien Dino Compagni, le meilleur guide que l’on puisse choisir pour se diriger a travers le chaos de l’histoire florentine pendant cette période. Elles avaient rendu, en 1282, une loi oui partageait les citoyens en un certain nombre de corporations, d’après le métier que chacun exerçait. Il y eut d’abord quatorze de ces corporations, et un peu plus tard le nombre en fut porté à vingt et une. Les corporations supérieures ou arti maygiori élisaient six prieurs ou échevins, qu’on appelait aussi t signori, et qui étaient renouvelés tous les six mois. Nul ne pouvait aspirer aux fonctions de prieur s’il n’était inscrit sur l’un des registres des corporations. Dante, ambitieux de cette magistrature, à laquelle lui donnaient droit sa naissance et son savoir, déjà universellement reconnu, se fit inscrire sur les registres des médecins et des apothicaires, qui formaient la sixième classe ; mais il n’exerça jamais aucune de ces deux professions.

Une courte digression historique est ici nécessaire pour que le lecteur se rende bien compte des opinions politiques de Dante et des causes qui amenèrent son exil et le forcèrent à errer loin de la ville qui devait un jour se glorifier de l’avoir vu naître.

L’établissement des prieurs n’avait pu em Ïlécher Florence d’être agitée de nouveau par es factions, car ces magistrats subissaient eux-mêmes l’influence de leurs amitiés particulières, ainsi que la pression des plus puissants d’entre les nobles. Pour remédier à cet état de choses, le parti populaire, inspiré par son chef, Giano délia Bella, élut en 1293 un nouveau magistrat, appelé gonfaloniere di giustizza, qui fut chargé de rétablir l’ordre, de rendre a tous une égale justice, et qui reçut une garde de 1,000 soldats ; le même parti exclut en même temps trente-trois familles des grandi ou nobles de toute fonction publique. Mais, dès l’année suivante, une conspiration de ces derniers ayant renversé Giano délia Bella et se3 partisans, les troubles civils recommencèrent. Deux familles puissantes, les Donati et les Cerehi, étaient à la tête des deux factions principales, et chaque jour leurs lattes ensanglantaient les rues de Florence. Ces deux familles appartenaient cependant, l’une et l’autre, au parti des guelfes, mais les Cerehi étaient soupçonnés de pencher du côté desgibelins, car ils se raontraientmoins acharnés dans leurs persécutions contre ces derniers, et plusieurs d’entre eux étaient les amis de l’exilé Giano délia Bella. Les Donati étaient soutenus par le pape Boniface VIII, qui voyait en eux les chefs les plus décidés du parti guelfe. À la même époque, la ville de Pistoie se trouvait également partagée en deux factions, les blancs et les noirs, qui prirent Florence pour arbitre ; quelques-uns des membres les plus fougueux des deux partis, exilés de Pistoie, vinrent se réfugier à Florence, où ils s’unirent, les blancs avec les Cerehi, les noirs avec les Donati^ et bientôt le nom de blancs et de noirs servit à désigner tes deux factions florentines. Toutes les deux, avons-nous dit, appartenaient au grand parti des guelfes, mais bientôt après les blancs s’unirent aux gibelins, avec lesquels ils ont été presque toujours confondus par les historiens postérieurs.

Dante, devenu par son mariage le parent des Donati, était guelfe ; mais ses liaisons personnelles, et probablement aussi un sentiment d’équité, l’unissaient aux gibelins, qui semblent s’être montrés au début moins tyranniques et moins violents que leurs adversaires, et qui furent, de fait, le parti opprimé. Appelé aux fonctions du priorat au mois de juin 1300, Dante proposa et fit rendre une loi qui exilait, pour un certain temps, hors du territoire de la république, les chefs des deux partis : les blancs furent envoyés à Sarzana, et les noirs à Castello délia Piave.

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Cependant quelques-uns des blancs, et parmi eux Guido Cavalcanti, ne tardèrent pas à revenir à Florence, et Dante fut accusé d’avoir favorisé leur retour, surtout à cause de l’étroite amitié qui l’unissait à Guido, dont la santé avait beaucoup souffert du climat malsain de Sarzana et qui mourut, du reste, peu de jours après son retour à Florence. Les noirs, qui jouissaient à Rome d’une faveur exceptionnelle, firent représenter par leurs agents à Boniface VIII que les blancs étaient en rapport avec les gibelins d’Arezzo, de Pise et d’autres villes d’Italie, et que, s’ils parvenaient à obtenir la prééminence à Florence, ils feraient cause commune avec les Colonna, ennemis personnels du pontife. Co dernier, cédant aux suggestions de la faction guelfe et à celles do son entourage, gagné en outre par les présents des noirs, envoya à Florence Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, sous le prétexte d’y rétablir la concorde. Ce prince fit son entrée dans la ville la 2 novembre 1301, h la tête de 1,200 hommes d’armes. Affectant d’abord l’impartialité, il laissa les noirs rentrer en compagnie d» tous les partisans qu’ils avaient pu recruter aux environs de Florence. On nomma de nouveaux prieurs, tous favorables aux noirs, et bientôt les blancs furent ouvertement attaqués dans les rues. Les Mêdicis, qui déjà jouissaient d’une grande influence parmi les plébéiçns, tuèrent même l’un des chefs des blancs ; mais nulle poursuite ne fut exercée pour ce meurtre. Bientôt, au contraire, commença la proscription générale des blancs, proscription favorisée par Charles de Valois. « Des citoyens étaient massacrés dans les rues ; d’autres étaient entraînés dans les maisons de leurs ennemis, où on les mettait à la tortura pour en tirer de l’argent ; on pillait, on incendiait leurs maisons, on violentait leurs filles ; et si Charles de Valois, apercevant par hasard les flammes qui consumaient quelque riche édifice, demandait : < Qu’est-ce « que cet incendie ? » on lui répondait qu’il s’agissait de quelque misérable chaumière, tandis que le plus souvent c’était quelque riche palais. • (Chronique de Dino Compagni, liv. II.) La maison de Dante fut au nombre de celles que l’incendie dévora ; le poète était alors à Rome, où son parti l’avait envoyé pour combattre les menées des noirs auprès du pape. À la nouvelle de la proscription qui atteignait les siens, il quitta Rome au plus vite et rejoignit à Arezzo ses amis fugitifs dont il devait bientôt partager le sort. En janvier 1302, il fut rendu contre lui une sentence qui le condamnait à deux ans d’exil, à une amende de 8,000 florins et, en cas de non-payement de cette amende, à voir ses biens confisqués. Ce n’était pas encore assez : une seconde sentence, rendue en mars de la même année, le condamna, ainsi que plusieurs autres, à être brûlé vif, comme coupable de malversation, de péculat et d’usure. La sentence, écrite dans un latin barbare (relate qu’il a été condamné sur le bruit public, fuma publica, de son crime ; or dans cette fama publica il ne faut voir quo le rapport de ses ennemis. Co curieux document a été retrouvé, pendant le cours du siècle dernier, dans les archives de Florence, et inséré par Tiraboschi dans son Histoire de la littérature (t. V, 2« part., chap. n).

Alors commencèrent pour Dunte les douloureuses pérégrinations de l’exil. Il so sépara complètement des guelfes et chercha a pousser les gibelins d’Italie contre ses ennemis et contre les oppresseurs de sa patrie. Peu de temps après nous le retrouvons à Vérone, qui était alors gouvernée par la famille délia Scala, une des plus puissantes du parti gibelin ; mais il quitta bientôt cette ville pour revenir dans la Toscane, où les blancs et les gibelins, unis pour une vengeance commune, rassemblaient leurs forces dans le voisinage d’Arezzo.

La mort de Boniface VIII, au mois de septembre 1303, apporta au poète de nouvelles espérances qui ne devaient pas se réaliser. Benoit XI, le nouveau pontife, envoya à Florence le cardinal de Prato, avec mission d’apaiser les troubles de la Toscane ; mais il ne put vaincre l’opposition du parti des noirs et se vit même forcé de quitter la ville, qui devint alors la proie d’une anarchie plus terrible que jamais, et pendant laquelle le feu dévora 1,800 maisons. Les blancs et les gibelins voulurent en profiter pour la prendre par surprise ; quelques-uns d’entre eux parvinrent même à s’y introduire, mais ils furent mal soutenus par ceux qui étaient restés hors des murs, et leur tentative échoua complètement. Dante, dans son Purgatoire (chant XV), reproche amèrement aux chefs de cette entreprise leur manque d’entente et de concorde. Son découragement fut tel qu’il renonça à cette époque à appartenir a aucun parti, et il prit la résolution de ne plus se laisser guider que par son propre jugement.

En 1306, Dante se rendit à Padoue, et on le retrouve l’année suivante à la cour des Malas Ïiina, seigneurs de Lunigiana ; peu après on e voit errant dans les vallées de Casentino et dans les montagnes voisines d’Arezzo. On veut aussi que ce soit vers la même époque qu’il ait fait un voyage à Paris ; mais il est plus probable qu’il n’accomplit ce voyage, s’il l’a jamais fait, qu’après la mort de l’empereur Henri VII, arrivée en 1313. Plusieurs auteurs doutent qu’il ait jamais visité la capitale de la France, bien qu’il parle avec éloge (Par

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