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loppement’des caractères, qui sont tons parfaitement soutenus, dans la simplicité de l’ac■■ tion, et surtout dans le tableau progressif des remords de Hugues, et dans leur effet vraiment effrayant. Il y a aussi une morale trafique et profonde dans l’influence qu’exerce le crime de Hugues sur tout ce qui lui ap. partient. Personne ne peut être heureux auprès de lui : ni sa femme, qui se reproche d’avoir eu pour lui un penchant criminel, et qui le voit toujours en proie à la plus sombre mélancolie ; ni la bonne Jerta, qui l’adore, et s’aperçoit trop bien qu’il n’est pas heureux j ni le jeun3 Otto, qui semble pressentir en lui le meurtrier de son père ; enfin Valeros lui-même ne peut retrouver son second fils dans Hugues, sans reconnaître en lui l’assassin de son fils aîné. Tant de personnages rendus malheureux, par un seul crime inspirent cette terreur et cette pitié tragiques qui doivent purifier les passions. Très-favorablement accueillie par les critiques romantiques, la tragédie de Milllner peut être revendiquée par les classiques. La règle des unités y est assez exactement observée. Il n’y a jamais en scène qu’un petit nombre de personnages. Pour 1 exécution, le drame appartient à l’école romantique. Les mœurs en sont toutes modernes et les caractères sont d’une vérité individuelle plutôt qu’idéale. M. de Saint-Aulaire, dans la Collection des chefs-d’œuvre du Théâtre étranger, a fait paraître, en 1823, une traduction du drame de Milllner, sous le titre : l’Expiation.

Crime poursuivi par la Justice et la Vengeance (lb), chef-d’œuvre de Prudhon. V. justice (lu).

CRIMÉE ou KItIHÉB (Krim ou Krym), autrefois Ckersonêse Taurique, presqu’île de ■ki Russie d’Europe, formant la partie méridionale du gouvernement de Tauride, unie au continent par l’isthme de Pérékop, et située entre 44» 28’ et 46° de latitude N., par 30" 15’ et 34° io’ de longitude E. En jetant les yeux sur une carte de l’empire russe, . on voit la Crimée former un quadrilatère qui paraît suspendu nans la mer Noire par sa pointe septentrionale, de telle sorte que chacun de ses autres angles correspond aussi à un des points cardinaux j l’angle oriental, baigné au N. par le golte Putride ou mer d’Azof, est séparé de la presqu’île de l’aman par le détroit de Kertch ou d’Iénikalèh. Longueur de l’E. À l’O., formée par la plus grande diagonale, 287 kilom. ; largeur du N. au S., 176 kilom. ; superficie, 23,200 kilom. carrés. Capitale, Simphéropol. 400,000 hab.

Les côtes de la Crimée, tantôt basses, tantôt élevées, quelquefois unies, souvent très-dentelées, offrent les aspects les plus yariéset les plus pittoresques. Elles présentent un développement de 103 myriamètres.

Des deux régions qui divisent la Crimée : la région des steppes et celle des montagnes, la première, qui occupe la partie N. et s’étend vers le S. et l’E., forme environ les deux tiers de la presqu’île. Le sol, bas, plat, dépourvu d’arbres et de rochers, est parsemé de nombreux hameaux et arrosé par quelques cours d’eau assez importants, notamment par le Salghir, le Kara-Sou, l’Indal et le Tchuruk-Sou. Cette région nourrit de nombreux troupeaux de moutons, de bœufs, de chameaux et de dromadaires. Le climat y est variable à ce point, « que la même saison, dans différentes années, amène de longues sécheresses et quelquefois des pluies interminables, • et qu’à une température sénégalienue suceède un froid des plus intenses. Les vents dominants sont ceux d’E. et de N.-O., et les émanations, de la mer Putride engendrent fréquemment des fièvres sur les côtes.

La chaîne Taurique, qui se divise en deux tronçons dont le point central atteints,200 mètres de hauteur, couvre la région montagneuse. L’aspect de cette partie de la Crimée varie à l’infini. Ce sont des vallées, tantôt sombres et sinueuses entre deux hautes murailles de rochers ; tantôt, au contraire, spacieuses, inondées de soleil et traversées par de larges courants d’eau, dont les plus importants sont : le Kourouandal, l’Andal ; l’Aima, la Kutcha, le Belbeck. Les masses énormes de rochers qui dominent les vallées, les abîmes profonds que renferment les montagnes volcaniques et les eaux bitumineuses et sulfureuses qui s’y trouvent sur plusieurs points prouvent l’action d’anciens volcans et celle de fréquents tremblements de terre, occasionnés par des feux souterrains. Sur le flanc de ces montagnes, bouleversées par les. révolutions et les cataclysmes, s’échelonnent à l’infini des villages tartares. Comme l’Italie, c’est le pays des contrastes ; la vie présente se mêle à chaque instant’ aux souvenirs de la vie passée ; l’aristocratie russe est venue, pour ainsi dire, semer ses maisons de plaisance, ses villas les plus coquettes au milieu des vieilles tours à moitié ruinées, et parmi les sévères et mâles débris des constructions-d’une époque lointaine. Abritée contre les vents du nord par les montagnes qui s’étendent parallèlement à la côte de la mer Noire, cette partie de la Crimée, que rafraîchissent les brises du midi, jouit d’un climat comparativement très-doux ; aussi est-elle devenue le séjour de prédilection des riches seigneurs russes, qui y ont fait construire de nombreuses et riantes villas.

Le sol de la Crimée est renommé à bon droit pour sa fertilité. Une culture plus intelligente quintuplerait facilement ses produc CRÎM

tions. Il produit des céréales, du millet, du tabac, des vins d’excellente qualité, des raisins délicieux, des pommes, des poires, des melons, des figues, -des pêches, des amandes, des grenades et jusqu’à des oranges. L’éducation des abeilles y donne d’excellents résultats, et l’élève du gros bétail est une source de richesse pour les habitants. On fait en Crimée un très-grand commerce de peaux d’agneau brutes, du plus beau noir et du plus beau gris, connues dans le commerce sous le nom de merluschki ou de baranks de Crimée. Les principales essences des forêts sont le hêtre, le platane, le frêne à manne, le chêne rouge, le peuplier, etc. Ces forêts sont peu- ; plées de loups, de renards, de chevreuils, de cerfs et de lièvres gris.

Les productions minérales de la Crimée sont loin de rivaliser avec ses productions agricoles. Les mines de houille sont peu abondantes, mais on y trouve du porphyre, des pierres calcaires et du marbre rouge assez estimé.

L’industrie, autrefois très-florissante, est aujourS’hui peu importante et se trouve entièrement entre les mains des Tartares ; elle consiste en coutellerie, maroquins, bonnets de peau d’agneau, armes, sellés, couvertures, tapis, sacs, cordes, etc. Le commerce, encore peu étendu, est le monopole des Grecs et des Juifs ; mais la position géographique de ce pays lui assigne dans l’avenir une haute valeur politique et commerciale. Le Danube lui apporte en effet tous les produits de l’Occident et de l’Europe centrale ; par les ports de Théodosie, de Balaclava et de Sébastopol, la Crimée se relie aux provinces les plus fécondes du centre de l’Asie ; elle touche à Constantinople par le Bosphore ; les Dardanelles lui ouvrent la Méditerranée et son littoral ; enfin la mer d’Azoff la met en Rapport direct avec les provinces septentrionales de l’Europe et de l’Asie.

— Histoire. En remontant à l’époque la plus reculée, les traditions historiques nous montrent la péninsule qui nous occupe habitée par les Cimnlériens ; mais l’histoire de cette contrée ne se présente à nous avec quelque apparence de certitude qu’à l’époque de l’établissement des premières colonies grecques, dans le courant du vue siècle av. J.-C Les Héraclides de Mégare fondèrent k cette époque, dans la péninsule du sud-ouest, la ville de Cherson, longtemps gouvernée en république sous la tutelle de la métropole, et qui acquit dans la suite une grande célébrité. Dans la presqu’île orientale, les Milésiens jetèrent les fondements de Panticapée, destinée à devenir un jour la capitale d’un empire florissant. Parmi les autres établissements formés par les Grecs dans la Tauride, nous mentionnerons Théodosie, Nyrnphœon, aujourd’hui Apouk, I Lampos, Phanagorie, Portus Sindicus, au-1 jourd’hui Soudjoukkalé, etc. Ce sont là les faits les plus saillants que nous puissions recueillir jusqu’au Ve siècle avant l’ère chrétienne, époque à laquelle fut fondé le royaume duBosphore Cimmérien, que quelques auteurs appellent Bospore Cimmérien. Vers 480 av. J.-C, les colonies grecques, étant devenues ■ assez puissantes pour maîtriser les Barbares, commencèrent h étendre leur domination dans l’intérieur des terres ; Cherson fut gouvernée par des archontes, appelés quelquefois du nom de rois, bien qu’ils relevassent de la métropole. Il n’en fut pas de même de Panticapée ; de l’union des Milésiens et des Scythes était sortie une population industrieuse qui, s’agglomérant dans l’intérieur des villes, éprouva bientôt te besoin de se soumettre à une volonté unique, capable de prendre les mesures nécessaires pour résister aux attaques incessantes des Barbares. Le premier de ces chefs fut Spartocus 1er, qui fut salué du nom de roi du Bosphore Cimmérien. Cet événement eut lieu l’an 439 avant notre ère. Le royaume du Bosphore ne fut cependant définitivement constitué que sous le règne de

Leucon, ce qui fit donner k sa dynastie le nom de Leuconienne. Cette forme de gouvernement ne dura pas moins de huit siècles, car les Romains, ’ qui remplacèrent les Grecs dans la droit de suzeraineté nominale sur ce royaume, comprirent qu’il leur était plus avantageux de protéger ces rois, derniers boulevards du monde civilisé, que de gouverner eux-mêmes ces contrées éloignées. À la mort de Leucon (352 av. J.-C), qui avait été honoré du titre de citoyen d’Athènes, son fils Spartocus III régna pendant quatre ans seulement. Après lui ses trois frères Pœrisades, Satyrus et Gorgipus le se partagèrent le royaume et régnèrent simultanément de 349 k 311. Ces princes ayant envoyé iLu blé aux Athéniens en un temps de disette, ceux-ci, sur la proposition de Démostliène, leur érigèrent des statues d’airain ; Pœrisades même, k sa mort, fut mis, au rang des dieux. Les trois fils de ce dernier, Satyrus III, Prytanis et Eumelus recueillirent la succession de leur père et de leurs oncles ; mais Eumelus fit la guerre à ses frères, les tua, et conserva pendant trois ans le pouvoir suprême. Son fils Spartocus IV lui succéda en 310 et régna jusqu’en 288. Diodore, qui nous fournit ces quelques détails sur l’histoire du royaume du Bosphore, présente en cet endroit de son récit une lacune qu’il est difficile de combler, même.en faisant appel à tous les secours des inscriptions et de la numismatique. De 288 à 118, six princes se succédèrent sur le trône du Bosphore : Leucanor, que l’on suppose fils de Spartocus IV ;

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Eubiolus, fils naturel du précédent : Satyrus IV ; Gorgipus II ; Spartocus V, dont les Scythes envahirent les États, et Pœrisades II, qui, environné d’ennemis et craignant de tomber entre les mains des Barbares, abdiqua en faveur du roi de Pont, le grand Mithridate, l’implacable ennemi des Romains. En US av. J.-C., Mithrîdate ne se contenta pas de refouler les Barbares au delà du Borysthène, il soumit les Chersonites eux-mêmes à sa domination et régna ainsi sur toute la péninsule. Quand le roi de Pont eut été vaincu et dépossédé de ses États de l’Asie (60 av, J.-C), il se retira à Panticapée, où, allié avec les Scythes, ses anciens ennemis, il rêva la destruction de l’empire romain. Longtemps son habileté et son courage tinrent en échec les légions romaines ; mais la trahison fit ce que la force n’avait pu opérer, elle brisa le glaive du héros. Pharnaee, son fils, pour prix de son ingratitude et de son indigne trahison, reçut le titre d’ami et d’allié du peuple romain et l’investiture du royaume du Bosphore. Mais peu satisfait de ces concessions, il entra en hostilité avec Rome et donna bientôt k César l’occasion d’envoyer au sénat sa fameuse et laconique missive : ■ Veni, vidi, vici.’ (Je suis venu, j’ai "vu, j’ai vaincu.) Pharnaee éprouva le sort qu’il avait indignement fait subir k Son père ; il trouva la mort dans un combat livré kAsander, son lieutenant et son gendre, qui s’était emparé de la couronne. Cet Asander, soumis k la domination de Rome, régna paisiblement pendant plusieurs années ; on ignore quel motif le porta k se laisser mourir de faim. Un aventurier, Scribonius, monta sur, le trône : mais, privé du protectorat romain, il fut mis a mort par le peuple insurgé. Polémon 1er, roi de Pont, recueillit la succession du Bosphore Cimmérien, et fut tué peu après dans une expédition contre les Sarmates asiatiques. Comme il ne laissait que des enfants en bas âge, une révolution appela sur le trône les rejetons de l’ancienne dynastie Leuconienne, et, dans les premières années de l’ère chrétienne, on voit figurer successivement sur le trône du Bosphore quatre souverains de cette famille. Toutefois, ces princes n’avaient pas les sympathies des empereurs romains, qui ne souffrirent pas longtemps cette usurpation des descendants de Leucon. L’empereur Caligula rendit la couronne k Polémon II, fils du dernier roi pontique, l’an 32 apr. J.-C À partir de cette époque, l’histoire nous transmet une série de vingt-deux souverains, dont les noms seuls nous ont été laissés par la numismatique. Ces princes, qui se disaient amis de César et du peuple romain, ne brillèrent de quelque éclat que dans leurs contestations avec les Scythes ou leurs voisins’ les Chersonites. Leurs querelles avec ces derniers les affaiblirent considérablement, au moment où ils avaient besoin de toutes leurs force3 pour repousser loin de la péninsule le fléau des invasions qui devaient renverser l’empire romain.

Vers l’an 400 de l’ère chrétienne, les Goths, qui depuis plusieurs années frappaient nux portes de l’empire, poussés par les hordes impliques, se jetèrent (fans la Crimée, le Caucase et l’Asie Mineure. Une de leurs tribus, celle des Goths Tétraxites, se fixa sur le littoral de la mer Noire, dans le royaume du Bosphore même. D’autres conquérants arrivèrent bientôt sur la trace des premiers. Partout où ces Barbares posèrent leur pied fatal, ils ne laissèrent que ruines et désolation. Une de ces tribus, les Khnzars, refoulèrent les Goths dans les montagnes et fondèrent un empire éphémère assez puissant, qui fit donner^ cette époque, le nom de Khazarie à toute la Crimée. Les Petchénègues, les Conians pénétrèrent aussi en Crimée. Ce fut vers 1226 de notre ère qu’apparurent les Tatars Mongols, ’dont les bandes victorieuses sillonnèrent la Russie, la Pologne et la Hongrie. Mais ce n’était pas la dévastation qu’elles apportaient avec elles, et la Tauride commença a se relever de ses ruines, sous l’administration pacifique des khans de Crimée. Bientôt les Génois, peuple intelligent, actif et aventureux, dont les galères côtoyaient tous les rivages pour y jeter les fondations de quelque nouveau comptoir, créèrent en 1280 la célèbre Caffa, qui leur assurait l’empire de la mer Noire. Pendant près de deux siècles, les colonies génoises ouvrirent de tous côtés des. sources merveilleuses de grandeur et de prospérité ; mais au commencement de la dynastie des Ghéraï, sous le règne de Menghely-Ghéraï 1er, le plus illustre des khans de Crimée, l’étendard de Mahomet mit un terme k l’accroissement de la puissance génoise et rompit les relations de la Crimée avec la Méditerranée. La division des partis déchira cette contrée, naguère si paisible et si prospère, et les Turcs, profitant de cette division, se rendirent successivement maîtres de tous les pojnts occupés par les Génois (1473). Après l’abandon des colonies génoises, les grandes lignes de communication furent rompues. Mais peu k peu les khans tributaires de la Porte puisèrent dans la fertilité du.sol même d’abondantes ressources. Vallées et coteaux se couvrirent de villages ; les moissons’jaunissaient dans les plaines laborieusement cultivées, et un nombreux bétail paissait çà et là dans les steppes. Il en fut ainsi pendant les règnes successifs des quarante et un khans de la dynastie des Ghéraï, jusqu’à Chohyn, le dernier d’entre eux, qui abdiqua en faveur de la Russie.

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En 1738, sous le règne de Menghely-Ghéraî H, la première apparition des Russes vint ébranler violemment l’existence politique de cette contrée. Le fetd-maréchal Munich, k la tête de 100,000 hommes, força l’isthme de Pérékop et porta le ravage jusqu’au pied de la chaîne Taurique. La paix de Belgrade arrêta cette invasion eu apparence, mais non de fst ; t. L’influence de la Russie devait peser sur cette contrée jusqu’au jour où elle l’asservirait k sa domination. Ce fut une œuvre occulte et laborieuse, dit M. de Bazancourt, qui jetait la discorde, minait les forces vitales, et, jour par jour, préparait le but gravé dans sa pensée. Ce système d’empiétement et d’agression, caché sous la forme de protectorat, aboutit k la domination complète de la Crimée qui, en 1783, tomba tout entière entre les mains de Catherine II ; mais l’ambitieuse impératrice ne recueillit qu’un pays déchiré par de sanglantes discordes, épuisé par l’émigration des habitants, anéanti dans sa prospérité et dans son commerce par le découragement et l’abandon. Soixante et dix années environ se sont écoulées depuis lors, et la domination russe, s’exerçant sans lutte et sans révolte, est restée.impuissante h faire sortir la Crimée de l’abaissement où l’ont jetée les événements du dernier siècle. Nous parlons des forces réellement vitales et productives ; car de tous côtés s’élèvent des châteaux, de brillantes et luxueuses habitations : la richesse auprès de la misère. La terre est riche, les vertes prairies de l’intérieur de la Crimée sont arrosées Par des eaux abondantes, les arbres se courbent sous le poids de leurs fruits, mais le commerce, cette vie réelle des peuples, n’a pu se relever, et la population décimée des Tatars végète misérablement au milieu des vastes concessions faites aux Russes.

Crimée (expédition de). Les motifs qui amenèrent la guerre de Crimée revêtirent k leur principe un caractère purementreligieux, et prirent naissance dans la question des lieux Saints, soulevée à différentes époques entre la France et la Turquie. Peu k peu les Grecs avaient empiété sur les droits des Latins, qui, de concessions en concessions, en étaient arrivés k se voir exclus des sanctuaires les plus vénérés de la Palestine, sur lesquels ils avaient cependant des droits proclamés par les traités. Les pères de la Terre saintéadressèrent leurs réclamations à la France, dont la garantie couvrait les titres invoqués par l’Église latine, et, en 1851, une commission, composée de Français et de Grecs, fut chargée d’examiner les prétentions et de préciser les droits de chacun. C’est alors qu’intervint la Russie, sous la secrète intimidation de laquelle la Turquie rendit un firman entièrement lavorable aux Grecs. Cette décision soulevait ainsi, sous la forme d’une rivalité religieuse, une question d’influence politique de la plus haute gravité. Toutefois notre ambassadeur, fidèle aux sentiments de conciliation que la France avait montrés jusqu’alors, consentait k fermer les yeux, pourvu que le firman fûtseulement enregistré, et qu’on n’en donnât, pas lecture solennelle devant les communautés réunies k Jérusalem. Le chargé d’affaires de la Russie en exigeait, au contraire, la lecture publique. La Russie entrait donc impérieusement dans le débat. Quant k la Turquie, placée entre deux nations également puissantes, pour la solution d’un différend tout personnel entre sectes chrétiennes, elle ne pouvait êtré qu’impartiale ; mais, dominée par la crainte, elle s effrayait de sa propre équité comme d’un germe de guerre, et se voyait menacée dans sa propre existence par une invasion soudaine. L Angleterre, complètement désintéressée dans ce débat, suggéra alors au cabinet français l’idée de traiter directement avec celui de Saint-Pétersbourg. Mais à peine cette nouvelle négociation était-elle entamée, que la Russie envoyait des troupes dans les provinces danubiennes et y concentrait un corps d’armée important ; enfin, dévoilant chaque jour de plus en plus les desseins que caressait secrètement son ambition, elle annonçait officiellement, le 4 février 1853, la mission du prince Menschikoff à Constantinople. C’est que, pour elle, le différend religieux n’avait été qu’un prétexte habilement et avidement saisi ; depuis longtemps l’aigle russe avait les regards tournés vers le Bosphore, et le moment lui semblait venu d’y déployer ses ailes. La Turquie, suivant l’expression ironique du czar Nicolas, était un malade qui allait rendre le dernier soupir, et il fallait se préparer k recueillir sa succession. Si la France et surtout l’Angleterre avaient pu conserver le moindre doute à cet égard, les manières hautaines, les mépris affectés, les insolences du prince Menschikoff auraient achevé de déchirer tous les voiles. L’ambassadeur russe demandait k la Porte la signature d’une convention particulière qui eût été l’abdication pure et simple de son indépendance et de sa dignité. La Porte refusa, et, le 21 mai, le prince quitta Constantinople. Ce départ significatif ouvrit enfin les yeux k l’Angleterre, endormie jusque-là par les protestations hypocrites de la Russie ; elle se réveilla profondément blessée, et se plaça dès lors exclusivement au point de vue français. Une conférence, tenue k Vienne entre les quatre grandes puissances européennes, cherchait encore k prévenir une guerre qui semblait imminente ; mais l’invasion des Principautés (3 juillet), en montrant que la Russie