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une assez grande incertitude dans les esprits. Les hommes de ce temps étaient pénétrés plus ou moins profondément, et même avec quelque confusion, des doctrines générales du siècle, mais sans qu’on puisse toujours distinguer bien nettement ce qui prédominait en eux. Il y avait des disciples de Rousseau parmi les girondins ; il y avait des disciples de Voltaire parmi les montagnards ; et ainsi de tous les groupes et de toutes les doctrines. Tous cherchaient dans les voies les plus diverses la solution du grand problème de l’affranchissement populaire, et leurs tâtonnements, leurs contradictions, font, après tout, l’éloge de leur sincérité. Robespierre et Saint-Just, malgré leur roideur dogmatique, ont flotté comme les autres et sur bien des questions, chose très-explicable par l’invasion soudaine d’une foule d’idées nouvelles qui n’avaient pas eu le temps de mûrir.

Quoi qu’il en soit, qu’ils se rattachassent ou non aux grandes écoles en question, les révolutionnaires étaient divisés en partis, et la Montagne en comptait trois bien distincts, auxquels nous conserverons leurs noms consacrés : les dantonistes, qui songeaient à enrayer, la Terreur ; les robespierristes, qui prétendaient se tenir à égale distance du modérantisme et de l’exagération ; enfin les hébertistes, auxquels leurs adversaires ont imposé le nom du journaliste du Père Duchêne, et qui seraient mieux nommés le parti de la Montagne. La crête de la Montagne était avec eux : c’étaient les ultra. Quelques-uns d’ailleurs connaissaient à peine Hébert, et notamment le montagnard Anacharsis Cloots. Les deux premiers de ces partis renfermaient, pour employer une expression de M. Michelet, les classiques de la Révolution. Les autres en étaient les romantiques, les échevelés. Cette comparaison pittoresque ne manque pas de justesse. D’ailleurs, comme les écoles philosophiques de l’antiquité, chacune de ces fractions avait son originalité propre et représentait une des faces du problème de la Révolution : les dantonistes, le noble désir de mettre un terme aux mesures violentes, aux terribles représailles de guerre, ainsi qu’une certaine lassitude de l’action ; les robespierristes, l’impérieuse nécessité de vaincre avant de désarmer, en même temps qu’une tendance à la domination qu’il serait puéril de nier ; les hébertistes, toutes les audaces révolutionnaires et philosophiques, toutes les ardeurs de la grande Commune, ainsi que l’intuition confuse des problèmes sociaux agités de nos jours. Quand des partis sont en présence, ils ne se tiennent pas dans la sphère des idées pures ; ils se combattent, ils cherchent à s’éliminer, parce qu’aux différences d’opinions viennent s’ajouter des questions personnelles, et souvent des compétitions de pouvoir. C’est l’histoire éternelle des époques de lutte. Unis contre les girondins, contre les royalistes et l’étranger, ces éléments du parti montagnard commencèrent à se diviser lorsque le terrain fut un peu déblayé.

Autour de Danton, athlète un peu énervé, se groupaient l’étincelant Camille Desmoulins, Hérault-Séchelles, Lacroix, Legendre, Tallien, Fréron, Philippeaux, Lecointre, Thuriot, Merlin (de Thionville), Fabre d’Églantine, Westermann, d’anciens cordeliers, etc.

Robespierre formait au comité de Salut public, avec Saint-Just et Couthon, un triumvirat d’amitié {et d’ambition, suivant leurs adversaires) qui s’appuyait sur la puissante société des jacobins et pesait d’un grand poids dans la direction des affaires. On les nommait dans le comité gens de la haute main. Autorisés à organiser un bureau de police, espèce de ministère qui empiéta sur les attributions du comité de Sûreté générale, ils étaient en outre chargés de préparer les exposés législatifs. À tort ou à raison, quelques-uns voyaient en eux les régulateurs, les maîtres de l’avenir.

Les hébertistes formaient un parti très-sérieux et très-puissant. Ils dominaient à la Commune de Paris, dont Chaumette était procureur général et Hébert substitut ; ils dominaient dans les bureaux de la guerre, où ils étaient entrés en masse sous Pache et sous Bouchotte. Ils avaient placé un des leurs, Ronsin, à la tête de l’armée révolutionnaire. Par le Père Duchêne, répandu à profusion dans les armées, ils avaient une grande influence parmi les soldats. Des commissaires de la Convention, des généraux correspondaient avec eux, entre autres Fouché, Jourdan, Hoche, Augereau, Rossignol. Ils avaient pied dans le tribunal révolutionnaire, dans le comité de Salut public, par Billaud-Varennes et Collot-d’Herbois ; dans le comité de Sûreté générale, par Vouland, Jagot et plusieurs autres. Le club des cordeliers était alors entièrement à eux ; et la majorité des sections de Paris les appuyait. Leur centre était le conseil de la Commune.

Ils remportèrent une première victoire par le renversement du culte catholique. Ce mouvement antireligieux était dans la nature des choses, et il eût été bien extraordinaire qu’il ne se produisît point parmi des générations nourries de la philosophie du XVIIIe siècle. Il fut d’ailleurs singulièrement activé par l’intolérance factieuse des prêtres réfractaires, par le sang qu’ils avaient fait couler dans les guerres civiles. Depuis longtemps déjà beaucoup de prêtres et d’évêques constitutionnels s’étaient mariés. Cela était alors considéré comme un acte de civisme, comme un gage donné à la Révolution. En outre, beaucoup de prêtres patriotes, laissant la théologie, ne prêchaient plus guère que la morale, la fraternité entre les hommes, le dévouement à la patrie et à la République. À Bourges, dans le diocèse de l’évêque Torné, tout le chapitre de la cathédrale était marié. La messe se célébrait là en bonnet rouge et en cocarde, à la grande édification des fidèles.

Dans le courant d’octobre 1793, après l’établissement du calendrier français, la réaction philosophique s’accentua davantage. En outre, après tant de sacrifices pour subvenir aux énormes dépenses de la guerre, le peuple songea tout à coup que les églises renfermaient des richesses appartenant à la nation et qui demeuraient improductives, fastueux ornements qui n’ajoutaient rien à la dignité du culte. Les défenseurs de la patrie manquent de pain et de souliers, disait-on ; c’est encore honorer Dieu que de sacrifier les magnificences de nos églises à soulager la détresse publique. Et les vases d’or et d’argent, les candélabres et autres riches ornements prenaient le chemin de la Monnaie. De jour en jour la Convention recevait de nouveaux envois. La Nièvre avait commencé, sous l’influence de Fouché, alors en mission ; les autres départements suivirent. Mais ce mouvement contenait autre chose qu’un retour à la simplicité primitive du culte. Il fut le signal, ou plutôt il coïncida avec une immense réaction contre le catholicisme et même contre toutes les religions. De tous côtés les églises se fermaient, et les prêtres abjuraient ce qu’ils nommaient eux-mêmes leurs erreurs. Bon nombre même s’accusaient de n’avoir été jusqu’alors que des charlatans. Nous n’apprécions pas, nous racontons ; ce sont là des faits bien connus. La langue en fut enrichie d’un mot : la déprêtrisation.

Cette fois, l’impulsion venait des départements. Paris, préparé et bien au delà, en reçut comme une secousse électrique. Les hébertistes prirent nécessairement la tête du mouvement. Un mot court les sections : plus de religion dominante ; que les communes soient libres de rejeter ou d’admettre le culte. Le 16 brumaire (6 novembre 1793), la Convention délibérait sur la réunion de plusieurs paroisses en une seule ; Thuriot (un dantoniste) demande que l’Assemblée n’ait plus à s’occuper des affaires du culte, que les citoyens et leurs administrations soient autorisés à statuer définitivement sur la réunion ou la suppression des cures. En adoptant cette motion, la Convention semblait bien autoriser toutes les initiatives. Le soir même, la Commune, les jacobins, les sections, les sociétés populaires et les principaux membres du comité d’instruction publique préparent une pétition pour la suppression du salaire des ministres du culte. Dans la nuit, Anacharsis Cloots, à la tête d’une députation, se présente chez Gobel, évêque de Paris, et l’engage à abdiquer ses fonctions épiscopales. Le prélat consulte son chapitre, qui, à la majorité de quatorze voix contre trois, se prononce pour la démission demandée. Le lendemain, Gobel, précédé du maire de Paris, Pache, de Chaumette et autres fonctionnaires, suivi de ses vicaires, coiffés comme lui du bonnet rouge, se présente à la barre de la Convention non pour abjurer sa foi, comme on l’a répété, mais pour abdiquer ses fonctions. Son clergé l’imite. Les ecclésiastiques de la Convention subissent l’entraînement. Coupé, curé de Sermaise ; Thomas Lindet, évêque de l’Eure ; Gay-Vernon, évêque de la Haute-Vienne ; l’évêque de la Meurthe, le curé Villars, Sieyes, Julien (de Toulouse), ministre protestant, déposent également leur démission ou leur renonciation. Et à chaque moment arrivaient de tous les points de la France des voitures d’ornements sacerdotaux, de reliquaires précieux, de saints d’or et d’argent, etc. Les prêtres abjuraient par milliers, librement, d’ailleurs, car aucune foi ne fut rendue à cet égard. Invité à imiter l’exemple de Gobel, à la fameuse séance, Grégoire, évêque de Blois, ardent montagnard et catholique sincère, refuse énergiquement. Et l’Assemblée, d’une voix unanime s’écrie : « Personne n’est contraint. »

En effet, dans l’esprit des plus ardents, la réforme se résumait ainsi : suppression du salaire ; pensions viagères aux déprêtrisés, pour parler le langage du temps ; faculté laissée aux communes d’affecter les églises, édifices nationaux, à tel usage public qui serait jugé convenable ; de supprimer ou de conserver le culte, à la charge, dans ce dernier cas, de pourvoir aux frais non par voie de contribution, mais par des souscriptions volontaires. Partout, d’ailleurs, quelles que fussent les décisions de la majorité, les citoyens conservaient le droit de s’associer et de louer des locaux pour exercer tel culte qu’il leur plairait de choisir (sauf, bien entendu, à ne point faire usage de prêtres réfractaires, non reconnus par la loi). V. constitution civile du clergé.

La suppression du salaire des prêtres, ministres, etc., avait été proposée déjà par Cambon le 16 novembre 1792. Mais Robespierre, Danton et la plupart des jacobins jugèrent alors cette réforme prématurée et impolitique, et la Convention ne l’avait point adoptée.

Cependant l’agitation contre le culte prenait au dehors des proportions formidables. Le lendemain de l’abdication de Gobel (17 brumaire), un registre était ouvert à la Commune pour recevoir les renonciations ou abjurations des prêtres et ministres. Enfin, sous la direction de la Commune, le 20 brumaire (10 novembre), Paris inaugura à Notre-Dame ces fêtes de la Raison qui se célébrèrent successivement dans toute la République. Les autorités constituées, les sociétés populaires, la Convention, assistèrent à cette solennité, et l’Assemblée consacra par décret la ci-devant cathédrale à la Raison et à la Liberté. Pour plus de détails, v. Raison (fête de la).

Les représentants en mission secondaient partout lélan populaire. De tous côtés les églises étaient converties en ateliers d’armes ou de salpêtre, en magasins, en lieux d’assemblée ; les cloches en canons ou en monnaie de billon, les objets précieux en pièces d’or ou d’argent. Les reliques sont jetées au vent, les images miraculeuses brûlées. Le 4 frimaire (24 novembre), sur le réquisitoire de Chaumette, la Commune décrète la fermeture de toutes les églises et temples de Paris. Déjà plusieurs sections avaient pris cette initiative. Un bal-restaurant était installé à Saint-Eustache. D’autres églises étaient converties en bazars, d’autres en ateliers.

La Convention d’ailleurs ne supprima point le traitement des ecclésiastiques (réduits la plupart à l’inaction), et, par son décret du 2 frimaire, elle accorda une pension aux évêques, aux curés et aux prêtres démissionnaires.

La majorité de l’Assemblée applaudissait à ce mouvement. Mais il était un homme qui ne le voyait qu’avec un profond sentiment de dépit : Robespierre. Disciple de Rousseau, déiste ardent, intolérant et dogmatique, il s’irrita de ce triomphe du panthéisme et de la philosophie naturaliste, et bien plus encore de l’importance du parti de la Commune, qui échappait à son action. Le jour même de l’abdication de Gobel, il avait accueilli Cloots par des paroles hautaines et dures. On pouvait pressentir déjà que l’arme à deux tranchants de la l’erreur allait se tourner contre les révolutionnaires. Et en effet nous allons voir bientôt ces formidables tribuns, ces vainqueurs des rois, engagés en des luttes meurtrières, s’éliminer successivement et

flasser tous en «’éteignant sous le souffle de a mort.

Voici Basire, Chabot, Julien (de Toulouse) et Delaunay (d’Angers) arrêtés sous l’inculpation de falsification d’un décret de finances et de manœuvres d’agiotage. Un peu plus tard, en janvier, Fabre d’Eglantine sera compris dans la même poursuite. Cependant, il est de toute évidence que lui et Basire étaient innocents ; mais la haine de Robespierre et de son parti les poussa vers l’échafaud.

Suivant des histoires écrites dans un esprit robespierriste étroit et déjà bien suranné, le chef du fameux triumvirat aurait eu le noble projet dé mettre fin au régime de la l’erreur aussitôt que les circonstances l’eussent permis. Mats il fallait auparavant écraser les intrigants, les conspirateurs, les ultra-révolutionnaires aussi bien que les hypocrites de modération. En d’autres termes, après avoir été le grand épurateur de la République, il se réservait d’être le régulateur suprême, le modérateur, le Jupiter Sauveur de la Révolution. Notre cadre ne nous permet pas de discuter ici cette thèse, à laquelle le talent de plusieurs écrivains adonné beaucoup d’éclat. À l’article Robespierre, nous en pourrons examiner la valeur. Nous nous bornerons pour le moment à faire remarquer qu’à cette époque et jusqu’à sa chute, ce Cal vin révolutionnaire, après a voir rendu d’incontestables services, a bien réellement joué le rôle de prescripteur, et nous ne pensons pas qu’il suffise pour l’en justifier de noircir systématiquement ses adversaires, comme il la fait lui-même en les frappant, comme tous les pamphlétaires royalistes l’ont fait après lui. Qu’il tendit à la dictature, ou tout au moins à une haute domination, à une influence prépondérante, c’est ce qui nous paraît de la dernière évidence. Sa puissance était déjà énorme. Sa vie austère, la gravité de son caractère et de ses moeurs, ses longues luttes, les attaques injustes dont il avait été l’objet, ses défauts mêmes, son esprit soupçonneux et porté aux accusations, son orgueil, ses continuelles homélies sur lui-même, ses élégies personnelles (à la Rousseau), tout avait contribué à augmenter sa popularité. Il régnait aux Jacobins. Par son bureau de police (qui donnait le droit redoutable de lancer des mandats d’arrestation), il avait la main un peu partout, au tribunal révolutionnaire et dans les administrations. Son parti, composé de sectaires graves et convaincus, comme Saint-Just, Couthon, Lebas, hommes de valeur et d’énergie, pesait, comme nous l’avons dit, d’un grand poids, dans les comités et à la Convention.

Il commença la guerre contre les hébertistes à sa manière accoutumée, c’est-à-dire par des allusions meurtrières dans ses discours, par des ricanements sinistres contre le philosophisme, par’ des accusations vagues dénuées de toute base. Ce qu’on peut dégager de son fatras solennel, c’est que ceux qui avaient contribué à la ruine du catholicisme étaient des émissaires des tyrans étrangers, des contre-révolutionnaires déguisés. L’habitude d’accuser sans preuves lui avait rendu familières toutes les énormités. Chose singulière, c’était au nom de la liberté des cultes qu’il plaidait la conservation d’une Église officielle. « Robespierre, dit M. Michelet, fut pris du mal des rois, la haine de l’idée. • Il taut

CONV

ajouter la haine des personnes, des renommées rivales de la sienne. En marquant ses ennemis de ce nom terrible : la faction de l’étranger, il avait ramené sous sa discipliné les jacobins,

Sui d’abord avaient applaudi au mouvement, lanton, qu’il ménageait encore, Danton, entatné d’ailleurs, dont la lassitude était notoire, et qui peut-être craignait pour lui-même, suivit misérablement Robespierre dans cette voie, malgré ses idées bien connues, et s’éleva contre les mascarades antireligieuses. Camille Desmoulins fut lancé contre la faction. Dans le deuxième numéro de son Vieux cordelier- (20 frimaire — 10 décembre), soumis à la censure préalable de Robespierre, il déchira, il traîna dans la boue les héoertistes et les municipaux. Quelques jours plus tard, une des victimes de ses cruautés satiriques, Anacharsis Cloots, fut soumis au scrutin épuratoire des jacobins, qui récemment l’avaient nommé président. Cette mesure avait été demandée par Robespierre. On sait combien elle était redoutée. Le généreux philosophe, le magnanime rêveur, qui avait sacrifié sa fortune et sa personne à la Révolution, fut exclu, après un discours aussi haineux qu’absurde de 1 impérieux triumvir. L’exclusion des Jacobins, c’était alors le chemin de l’échafaud, . Le 5 nivôse (25 décembre), dans un rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire, Robespierre lança de nouvelles attaques venimeuses contre Cloots, qui le lendemain fut exclu de la Convention comme étranger, lui qui avait été naturalisé par décret et nommé député par deux départements. Le 7, il était arrêté, en même temps que Thomas Paync, par ordre du comité de Sûreté générale. La Convention était en coupe réglée.

D’autres arrestations eurent lieu au dehors parmi les révolutionnaires ardents. Hoche et Jourdan, qui se rattachaient à ce parti, sont suspendus, malgré leurs victoires. Les hébertistes s’agitent ; au club des Cordeliers, ils voilent d un crêpe noir la Déclaration des droits ; enfin, le 14 ventôse an II (4 mars 1794), dans une séance orageuse, le mot à’insurrection est prononcé, mais désavoué ou du moins interprété dans un sens conditionnel quelques jours plus tard. L’agitation n’en continua pas moins. À ce moment un officier d’artillerie qui s’était distingué au siège de Toulon, Bonaparte, reçoit l’offre de remplacer dans le commandement des sections armées Hanriot, qui paraissait suivre le parti de la Commune, mais qui devint, comme on le sait, un ardent robespierriste. Le 23 ventôse (13 mars), Saint-Just vint lire à la tribune un rapport incohérent, plein de généralités sonores sur la vertu, le crime, l’ambition, etc., et qui se terminait par un projet de décret déclarant traître à la patrie tous ceux qui, de quelque manière que ce fût, auraient favorisé le plan de corruption des citoyens, de subversion des pouvoirs et de l’esprit public, etc. Rien de plus effroyablement vague et quintessencié. La Convention vota. Dans la nuit, Hanriot, à la tête d’une force imposante triée dans les sections, procéda à l’arrestation d’Hébert, de Vincent, de Ronsin, de Momoro et autres chefs du parti. On répandit le bruit d’une conspiration, d’un projet de massacre de la Convention, etc., et autres fables qui ne manquent jamais leur effet dans les temps de révolution. Chaumette et un grand nombre d’autres furent arrêtés les jours suivants. Livrés, ainsi que Cloots, au tribunal révolutionnaire, qui n’était déjà plus que le bras séculier de Robespierre et des comités, ils furent condamnés à mort et exécutés le 4 germinal (24 mars). Cette victoire sur la prétendue faction de l’étranger fut suivie du licenciement de l’armée révolutionnaire et de ('épuration complète de la Commune. Le procureur général syndic, magistrat élu par le peuple, fut remplacé par un simple agent national, fonctionnaire public. On donna ce poste à Payan, ami de Robespierre. Un autre robespierriste ardent, Fleuriot-Lescot, fut nommé maire de Paris, en remplacement de Pache, qu’on n’avait osé tuer.

Cependant, Camille Desmoulins, dans son Vieux cordelier, avait fait, sous le prétexte d’une traduction de Tacite, un tableau effrayant du régime de la l’erreur et demandé la création d’un comité de clémence. Les dantonistes croyaient avoir donné des gages suffisants au parti dominant en contribuant à l’immolation des exagérés : ils n’avaient fait qu’ouvrir la voie et creuser leur fosse. Dans la nuit du 9 au 10 germinal (29-30 mars), Danton, Camille, Lacroix et Philippeaux sont arrêtés comme indulgents.

Le 16 germinal (5 avril) ils montaient sur l’échafaud, amalgamés avec Hérault-Séchelles, Westermann, Basire et autres. Aux articles Danton, Robespierre, etc., nous examinerons la part qu’eut à cette nouvelle

proscription l’Incorruptible, qu’on a tenté bien vainement de disculper, et qui agit surtout par Saint-Just, dont il annota de sa main le meurtrier rupport (l’original existe aux Archives).

La Convention et les comités étaient dès lors dominés par une faction, dont la puissance grandissait tous les jours. La Commune et le tribunal révolutionnaire, par les remaniements qui avaient été opérés, n étaient plus que des agences robespierristes, comme les jacobins, tamisés par de sévères épurations. Par une conséquence en quelque sorte fatale, la Terreur moissonnait maintenant les pères de la Révolution. Mais les tragédies ne sont pas terminées encore.

Pendant ces terribles événements, la Repu-