Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 5, part. 1, Contre-Coup.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dale, ce qui préoccupait surtout nos législateurs révolutionnaires, c’était la crainte de violer à leur insu les principes, et de prendre pour une opinion nationale ce qui pouvait n’être que le vœu d’une minorité mécontente. « Nous avons pour principe, disait Carnot à la tribune, que tout peuple, quelle que soit l’exiguïté du pays qu’il habite, est absolument maître chez lui ; qu’il est égal en droit au plus grand, et que nul autre ne peut légitimement attenter à son indépendance. »

Tels étaient les nobles principes de la démocratie révolutionnaire. Aussi toute réunion n’était-elle prononcée qu’après un sévère examen. Un décret du 15 décembre 1792 ordonnait aux généraux en pays étranger d’abolir le régime féodal et de convoquer partout les assemblées primaires pour établir une forme de gouvernement libre. Tout vœu de réunion à la République devait être exprimé librement et régulièrement.

Au milieu de ses grands travaux, la Convention eut à lutter contre un ennemi plus terrible que les hordes de la coalition, la faim, La récolte de 1792 avait été suffisante ; mais la crainte des invasions, l’avidité et la malveillance faisaient cacher les blés. L’accaparement, comme la fabrication des faux assignats, était une des manœuvres de guerre des royalistes et de l’étranger. Dès 1789, le parti du passé avait eu recours à cette vieille machine de guerre, s’imaginant qu’il prendrait la Révolution par la famine, comme une ville assiégée. La tactique, malgré l’insuccès, ne fut pas abandonnée, et le personnage sinistre de l’accapareur, nullement légendaire, comme quelques écrivains de parti ont affecté de le croire, continua ses opérations homicides à travers tous les événements. Il faut ajouter la cupidité de certains agriculteurs, la nécessité de mesures extraordinaires pour l’approvisionnement des armées qui défendaient pied à pied le territoire, les manœuvres du clergé réfractaire, et d’autres causes que nous n’avons pas à énumérer ici, et qui avaient contribué à entraver le jeu de cette machine délicate des transactions et du crédit. Dans la Seine-et-Oise, l’Aisne, le Loir-et-Cher, la Sarthe, l’Eure-et-Loir, des troubles éclatèrent à propos de la circulation des blés, que les populations empêchaient à main armée. L’Assemblée envoie partout des commissaires, discute sans relâche la question des subsistances, ordonne des achats considérables de grains à l’étranger, adopte diverses mesures commandées par les circonstances, mais se prononce en définitive pour la libre circulation des grains.

Bientôt, la grande question du procès de Louis XVI fut mise à l’ordre du jour. Depuis l’ouverture de la Convention, la mise en accusation du monarque déchu, sa mort même, étaient impérieusement réclamées par des adresses envoyées de tous les points de la France. Le 6 novembre, le girondin Valazé, au nom de la commission chargée d’examiner les papiers déposés au comité de surveillance, présenta son rapport, et le lendemain, Mailhe, au nom du comité de législation, vint faire l’exposé des questions relatives au jugement, en concluant : 1o que Louis XVI devait être jugé ; 2o qu’il devait l’être par la Convention nationale. L’Assemblée décrète que ce rapport sera traduit dans toutes les langues et envoyé aux départements, aux communes et aux armées. Malgré ses divisions profondes, elle était unanime sur la nécessité de punir les trahisons de l’ex-roi. Cette question tragique allait se résoudre, suivant toutes les apparences, avec une netteté terrible. Cela se nommait simplement l’affaire Capet.

Le jour même où Mailhe déposait son rapport, Dumouriez gagnait la bataille de Jemmapes. Cette victoire nous donnait la Belgique.

Le 13 novembre s’ouvrirent les débats sur le jugement, et quelques jours plus tard la découverte de l’armoire de fer vint augmenter les charges qui pesaient sur le malheureux captif. Enfin, après de longues et solennelles discussions, souvent interrompues par les grandes affaires journalières, la Convention décréta que Louis Capet serait jugé par elle, et arrêta la série de questions qui seraient posées au ci-devant roi. Le 11 décembre, Louis fut amené à la barre et interrogé au nom des représentants de la nation. Il nia à peu près tout, jusqu’aux faits les mieux démontrés, jusqu’à sa propre écriture, duplicité puérile qui ne pouvait qu’affaiblir l’intérêt que son infortune avait droit d’inspirer. L’Assemblée demeura jusqu’à la fin silencieuse et grave.

Nous n’entrerons pas ici dans les détails de ce procès mémorable. On les trouvera résumés, avec les appels nominaux, les votes de chacun des représentants et les principaux votes motivés, à la suite de l’article Louis XVI.

Rappelons seulement que les débats qui eurent lieu à ce sujet, jusqu’au terme fatal, furent, comme la plupart des questions d’ailleurs, l’occasion de nouveaux combats entre la Gironde et la Montagne. Les girondins, tout en proclamant le roi coupable de trahison et de complot contre la sûreté de l’État et la liberté publique, étaient secrètement animés du désir de lui épargner l’échafaud, mus par un sentiment de compassion généreuse et peut-être aussi parce que leurs adversaires concluaient à la mort, comme pour un criminel ordinaire. Ils imaginèrent le système de l’appel au peuple, qui fut repoussé après de vives discussions. Puis, avec leur inconséquence habituelle, ils votèrent pour la mort, du moins un grand nombre d’entre eux.

Le jour même de la condamnation du roi, le représentant Lepelletier Saint-Fargeau, qui avait voté la mort, fut assassiné, presque au sortir de la séance, par un ex-garde du corps nommé Pâris ou Deparis. La Convention décréta pour lui les honneurs du Panthéon et assista en corps à ses funérailles (24janv.). Cet événement produisit d’ailleurs une sensation plus profonde que le supplice de l’ex-roi. L’Assemblée reprit le cours de ses travaux, renouvela son comité de sûreté générale, où cette fois entrèrent beaucoup de montagnards, supprima le bureau d’esprit public institué par Roland, qui n’était en réalité qu’une officine de calomnies et de diatribes, et ordonna que ce ministre rendrait compte de sa gestion. C’était un premier coup porté aux girondins. Roland donna sa démission, qui fut acceptée purement et simplement.

Le 1er février, poussée à bout par les provocations et les intrigues du cabinet britannique, la Convention déclara la guerre au gouvernement anglais, qui venait de chasser notre ambassadeur Chauvelin, sous le prétexte du jugement de Louis XVI. En fait, la guerre existait déjà, et il était avéré que le cabinet de Londres était un des centres de la coalition européenne. Burke avait trahi la pensée de son pays sur la France, quand il avait osé écrire qu’il fallait la rayer du tableau du monde. Par sa Révolution, par les principes nouveaux qu’elle apportait dans le monde, non moins que par l’anéantissement de sa noblesse et l’audacieuse exécution de son monarque, la France se trouvait en guerre avec tous les rois. Environnée de périls et déchirée à l’intérieur par les complots et les factions, elle entra cependant résolument en campagne contre l’Europe entière, confiante dans la justice de sa cause et l’héroïsme de ses enfants. C’était le temps où Carnot s’écriait : « Qu’y a-t-il d’impossible à vingt-cinq millions d’hommes libres qui ont juré de ne plus redevenir esclaves ? »

La Convention décréta une levée de trois cent mille hommes, et envoya dans les départements quarante et une commissions de deux députés pour stimuler l’enthousiasme des citoyens et présider au recrutement. On ne saura jamais tous les services qui ont été rendus, soit aux armées, soit à l’intérieur, par ces vaillants commissaires conventionnels, que le parti militaire s’est attaché à dénigrer depuis, et qui ont tant contribué à sauver la patrie par leur énergie, leur constance et leur prodigieuse activité.

Cependant l’attitude prise depuis quelque temps par Dumouriez inspirait à la Convention de sérieuses alarmes. L’évacuation de Bruxelles, la défaite de Nerwinde redoublèrent contre lui les défiances. Mandé à la barre, il arrêta les commissaires de l’Assemblée, les livra aux Autrichiens, avec lesquels il était d’intelligence, comme on l’en avait justement soupçonné, essaya vainement d’entraîner son armée pour marcher sur Paris, et enfin, abandonné de tous, poursuivi, passa à l’ennemi, emportant à l’étranger le secret de nos moyens de défense (5 avril). Cette trahison coïncide avec d’autres événements malheureux, l’insurrection de la Vendée, les troubles de Corse, la défaite de Custine, la crise des subsistances, etc. Les périls, un moment conjurés, renaissaient plus menaçants encore qu’en septembre 1792. La France sembla un moment comme éperdue.

Les trahisons d’un certain nombre d’officiers, les revers de nos armées, les complots incessants des royalistes, des ex-nobles et des prêtres réfractaires, le massacre des patriotes dans l’Ouest et dans le Midi, le danger suprême dans lequel se trouvait alors la France, appelaient évidemment les mesures les plus promptes et les plus énergiques. Déjà, le 10 mars, l’Assemblée, à une immense majorité, avait institué le tribunal révolutionnaire (v. ce mot), pour juger sans appel les contre-révolutionnaires et les conspirateurs. À des périls excessifs la Révolution opposait des moyens de défense excessifs. Nous n’avons pas ici à nous occuper du terrible tribunal. Cependant, tout en déplorant des violences à jamais funestes, il serait injuste de ne pas faire la part des circonstances. Nous citerons à ce sujet les paroles d’un royaliste dont l’appréciation ne saurait être suspecte : « Séparez une institution politique des temps qui l’ont vue naître, et vous ne pouvez plus en porter un jugement ni sain ni équitable. » (Lally-Tollendal.)

En outre, les royalistes avaient donné l’exemple de ces répressions implacables. Après avoir inauguré dans l’Ouest leurs premiers triomphes par d’épouvantables tueries, ils avaient institué, suivant l’expression de M. Michelet, « un comité d’honnêtes gens qui fit périr en six semaines 542 patriotes. »

Que ceux qui déclament sans cesse contre les « excès de la Révolution » veuillent bien se souvenir qu’à la même époque les sauvages de la Vendée, poussés à la frénésie par les ministres du Dieu de paix, égorgeaient, fusillaient, brûlaient vifs, enterraient vivants tous les patriotes qui tombaient entre leurs mains. Le curé constitutionnel de Machecoul avait été déchiré par les femmes. Joubert, président du district, avait eu les poings sciés avant d’être égorgé, etc.

À ce moment terrible fut rendu le décret de mort contre les émigrés qui rentreraient sur le territoire français ; ils étaient en outre frappés de mort civile, et la République entrait en possession de leurs biens. On créa des comités de surveillance, lesquels deviendront, sous la terreur, les fameux comités révolutionnaires et se multiplieront dans toutes les communes. Ces mesures de guerre furent complétées par la création du comité de Salut public, destiné à donner au pouvoir exécutif plus de force et plus d’action, et surtout à établir entre lui et la Convention des rapports plus directs et plus intimes. Enfin on décréta l’arrestation de tous les membres de la famille des Bourbons qui se trouvaient encore en France. Égalité fut envoyé prisonnier à Marseille. Les montagnards, au milieu desquels il siégeait, l’avaient longtemps défendu contre les girondins ; mais son fils ayant suivi Dumouriez, ils finirent par l’abandonner. Cependant les discordes continuaient au sein de l’Assemblée. Les éternelles et irritantes questions de la garde départementale, des prétendus projets de dictature, etc., revenaient périodiquement passionner les débats. Les deux partis se renvoyaient l’accusation injuste et fausse de complicité avec Dumouriez. Nous avons dit que Danton avait à plusieurs reprises tenté une conciliation. Repoussé avec dédain par le côté droit, journellement diffamé, le véhément tribun éclata enfin dans la séance du 1er avril, à la suite de longues attaques des girondins, et d’accusations calomnieuses sur sa mission en Belgique et sur ses rapports avec Dumouriez. Sa colère, longtemps contenue, déborda avec une puissance terrible en un discours qui fut un véritable cri de guerre et qui remua l’Assemblée jusque dans ses entrailles. « Il n’est plus de trêve, disait-il, entre la Montagne, entre les patriotes qui ont voulu la mort du tyran et les lâches qui, voulant le sauver, nous ont calomniés devant la France….. Les projets criminels qu’on m’impute, les épithètes de scélérats, tout a été prodigué contre nous ; et l’on espère maintenant nous effrayer ! Oh ! non !… Ralliez-vous, criait-il à la Montagne, serrez-vous ; appelez le peuple à se réunir contre l’ennemi du dehors et à écraser l’ennemi du dedans. Confondez, par la vigueur et l’immobilité de votre caractère, tous les scélérats, tous les aristocrates, tous les modérés, tous ceux qui vous ont calomniés dans les départements ! (Et il désignait la droite.) Plus de composition avec eux ! Vous n’avez jamais su tirer de votre position populaire tout l’avantage qu’elle pouvait vous donner. Qu’enfin justice vous soit rendue… » Et de sa voix tonnante il parla ainsi pendant une heure. La Gironde était pétrifiée par cette explosion qu’elle avait provoquée. Les montagnards, debout, criaient dans un transport inexprimable : « Nous sauverons la patrie  »

La salle croulait sous les acclamations des tribunes publiques. Enthousiasme tragique qui ne faisait que trop pressentir la catastrophe prochaine !

Quelques jours après, la Gironde obtint cependant encore un triomphe, la mise en accusation de Marat, qu’elle poursuivait depuis si longtemps, et qui avait signé une adresse des jacobins où il était dit que la Convention renfermait la contre-révolution dans son sein. L’absence d’un grand nombre de montagnards, qui étaient en mission, lui permit d’enlever ce vote. Danton, un peu calmé, avait jeté inutilement ce cri désespéré : « N’entamez pas la Convention ! » Comme cela était prévu, Marat, acquitté à l’unanimité par le tribunal révolutionnaire, fut ramené en triomphe dans la Convention, sur les bras de cent mille hommes (28 avril).

Le lendemain même du jour où l’Assemblée avait rendu le décret d’accusation (15 avril), une députation des sections, ayant à sa tête Pache, maire de Paris, vint présenter une adresse approuvée par la Commune et concluant à l’expulsion de 22 des principaux girondins. C’était un avertissement à ceux qui avaient entamé la Convention, et qui si souvent avaient demandé la proscription de leurs collègues ; c’était le prélude d’un coup d’État populaire, d’une révolution.

Pendant tout le mois de mai, le funèbre combat continua sans relâche. Des deux côtés d’ailleurs on poursuivait une solution violente. Le 18, Guadet demanda la cassation des autorités de Paris et la réunion des suppléants de la Convention à Bourges. Au milieu de l’agitation produite par cette proposition, la Gironde obtient la formation de cette fameuse commission des douze, chargée d’examiner les actes de la Commune, et dont les mesures arbitraires soulevèrent l’indignation de toute la ville. Le 24, cette commission lança divers mandats d’amener et fit emprisonner à l’Abbaye le substitut du procureur de la Commune, Hébert, le fameux Père Duchesne. Le lendemain, une députation de la Commune était à la barre, réclamant la liberté ou au moins le prompt jugement du magistrat municipal. On connaît la réponse insensée d’Isnard, qui présidait : « Si jamais la Convention était avilie je vous le déclare au nom de la France, Paris serait anéanti… Bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. » Ces hyperboles ridicules, applaudies par la droite, étaient, en un tel moment, une véritable provocation. Elles mirent tout Paris en combustion.

Enfin, le 31, toute la ville était debout ; au bruit du tocsin, de la générale et du canon d’alarme, les sections, la garde nationale, le conseil de la Commune, toutes les autorités constituées réclamèrent par des députations la mise en accusation des douze et la suspension des vingt-deux. Après d’orageux débats, la Convention prononça seulement la suppression de la fameuse commission et la saisie de ses papiers. Le soir Paris fut illuminé. Ce résultat était un grave échec pour la Gironde, mais qui ne suffisait plus pour conjurer tes périls de la situation. Cependant la séance du 1er juin fut assez calme ; mais le soir, l’agitation reprit, le tocsin sonna de nouveau et une députation de la Commune parut à la barre ; le chimiste Hassenfratz lut, au nom des sections, une adresse plus impérieuse et présenta encore une fois la liste des députés dont le peuple demandait la suspension. Le lendemain, la séance s’ouvrit par des nouvelles funèbres : désastres en Vendée, massacres des patriotes dans la Lozère ; à Lyon, le parti girondin avait saisi le pouvoir, égorgé huit cents patriotes, et tenait la ville sous la terreur. C’est sous l’impression de ces nouvelles tragiques que les débats commencèrent. Bientôt la Convention est investie par les sections armées placées sous le commandement d’Hanriot. Sous cette pression formidable de cent mille hommes armés et d’un peuple immense, l’Assemblée, épuisée, obsédée d’ailleurs par tant de luttes, finit par rendre un décret en vertu duquel Guadet, Gensonné, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salles, Barbaroux, Chambon, Buzot, Biroteau, Lidon, Rabaut Saint-Étienne, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Valazé, Kervélégan, Gardien, Boileau, Bertrand, Vigée, Mollevaut, Larivière, Gomaire, Bergoing, ainsi que les ministres Clavière et Lebrun, étaient mis en arrestation chez eux, sous la sauvegarde du peuple français, de la Convention nationale et de la loyauté des citoyens de Paris. Comme on le voit, il n’y avait pas de décret d’accusation. Les députés suspendus, gardés chez eux, eurent la faculté de circuler dans Paris, accompagnés d’un gendarme, et on leur continua l’indemnité de 18 francs par jour allouée à chaque membre de la Convention. Toutefois, aucune illusion n’était plus possible, le parti de la Gironde était à jamais brisé.

Pour les détails, v. mai (journées du 31) {et des 1er et 2 juin 1793. V. aussi girondins.

Cette révolution n’avait pas coûté une goutte de sang. La presque unanimité de Paris avait entraîné même la plupart des fédérés que les girondins avaient illégalement appelés pour écraser leurs adversaires. Circonstance caractéristique, il n’y eut pas de combat, pas l’ombre d’une résistance. Quelque tristesse qu’on éprouve en voyant la représentation nationale ainsi violée et mutilée, on est forcé de reconnaître et l’impuissance politique de ce parti de brillants parleurs, et l’impérieuse nécessité de mettre un terme à une situation aussi violente. Les historiens mêmes qui ont glorifié les girondins ont été amenés à cette conclusion. C’est M. de Lamartine qui déclare qu’entre les mains de ces hommes de parole la France, reconquise par la contre-révolution et dévorée par l’anarchie, eût bientôt cessé d’exister, et comme République et comme nation. C’est M. Thiers qui avoue que par eux la Révolution, la liberté et la France ont été compromises. Enfin, M. Michelet, après les avoir traités avec une grande indulgence, vaincu par l’étude des faits, finit par s’écrier : « Nous aurions voté contre eux… La politique girondine, aux premiers mois de 1793, était impuissante, aveugle, elle eût perdu la France. »

Quant à leurs idées fédéralistes, les accusations sur ce point n’étaient pas aussi vaines qu’on s’est plu à le répéter. S’il n’y eut point de projets arrêtés, il y eut au moins des tendances bien marquées. Mais c’est une question que nous examinerons à l’article girondins. Disons seulement ici que ces infortunés patriotes étaient malheureusement aveuglés par ce vieil esprit provincial que la Révolution avait répudié dès la première heure, et que la question de l’unité et de l’indivisibilité, qui passionnait alors la France, était une question suprême de salut public, une question de vie ou de mort, comme pour l’Italie de nos jours, et bien plus encore.

Un grand apaisement s’était opéré. Les députés captifs avaient Paris pour prison et étaient traités avec bienveillance. Couthon offrait de se rendre à Bordeaux en qualité d’otage. Marat fit plus : par un mouvement qui ne manquait pas de grandeur, lui que les girondins avaient si implacablement poursuivi, lui qui avait été un des instruments les plus actifs de leur chute, il se suspendit volontairement de ses fonctions de législateur jusqu’à leur jugement définitif. Mais ces hommes ardents n’acceptèrent point leur défaite, et, malgré la situation effrayante où se trouvait la France, ils ne songèrent qu’à la vengeance, quand il eût été si noble et si beau de sacrifier les ressentiments personnels au salut du pays. Soulever les départements contre Paris, mettre la France en feu, telle était leur unique préoccupation. Un certain nombre s’évadèrent et, suivis de quelques-uns de leurs collègues non suspendus, allèrent organiser la guerre civile sur divers points : Buzot, Gorsas, Barbaroux, dans le Calvados ; Meilhan et Duchâtel, en Bretagne ; Chasset à Lyon ; Rabaut Saint-Étienne à Nîmes ; Brissot à Moulins, etc.