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long du Rhin pendant les années 1794-1795, parvint à séduire Pichegru par de brillantes promesses, passa tour à tour à la solde de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Russie (1797), suivit Souwarow en Italie (1799), partagea ses revers en Suisse, puis ceux des Autrichiens à Hohenlinden (1800), et dut, peu après, présider lui-même à la dissolution de son corps d’armée (1801). Il se rendit en Angleterre, où il vécut obscur, avec la princesse douairière de Monaco, qu’il épousa en secondes noces. Rentré en France l’année suivante, il reprit sa charge de grand maître de la maison du roi, à laquelle Louis XVIII joignit le titre de colonel général de l’infanterie française. On l’a inhumé à Saint-Denis, dans le caveau des rois de France et son oraison funèbre a été prononcée par l’évêque d’Hermopolis.


CONDÉ (Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon, prince de), le dernier des Condés, né en 1756. Sa fin mystérieuse et tragique a été l’un des grands événements des premiers jours du règne de Louis-Philippe et a donné lieu, comme on le sait, aux plus étranges accusations. Il avait épousé en 1770 Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, sœur du duc de Chartres (depuis Philippe-Égalité), ce qui le rendit oncle du prince qui devait monter sur le trône en 1830. De ce mariage naquit l’infortuné duc d’Enghien, qui périt fusillé dans les fossés de Vincennes. En 1778, à propos d’une insulte faite à sa femme par le comte d’Artois au bal de l’Opéra, le prince de Condé (alors duc de Bourbon) eut avec son cousin un duel qui fit beaucoup de bruit en son temps, mais qui eut une issue presque ridicule. Après avoir croisé le fer pour la forme, les deux princes, séparés par leurs témoins, d’après un ordre du roi, se réconcilièrent publiquement. Toutefois, en 1780, une séparation définitive eut lieu entre le duc et la duchesse de Bourbon. Deux ans plus tard, le prince assista au siège de Gibraltar, mais ne joua qu’un rôle d’apparat. Lors de la convocation de l’Assemblée des notables, il signa avec son père la fameuse protestation des princes contre les idées nouvelles et le suivit dans l’émigration. Il servit sous ses ordres dans les bandes connues sous le nom d’armée de Condé, qui combattirent contre la France dans les rangs de la coalition, et se retira en Angleterre après le licenciement de cette armée. C’est là qu’il reçut en 1801 la douloureuse nouvelle de l’exécution de son fils unique, le duc d’Enghien. En 1814, il rentra en France avec Louis XVIII, fit de vaines tentatives, lors du retour de l’île d’Elbe, pour soulever les départements de l’Ouest, et se vit contraint d’accéder à une capitulation et de s’embarquer pour l’Espagne. C’était d’ailleurs un homme absolument nul sous tous les rapports, et qui même était dépourvu de bravoure personnelle.

Pendant la Restauration, il vécut écarté des affaires, dont l’éloignait son incapacité aussi bien que sa paresse. La mort de son père l’avait fait prince de Condé. Dernier rejeton d’une famille illustre, mais également étranger aux soucis de la politique et à ses périls, il semblait vouloir accoutumer à l’ombre ce nom qui allait s’éteindre, et qui avait brillé d’un si vif éclat dans les derniers siècles de le monarchie. Confiné dans sa petite cour de Saint-Leu ou de Chantilly, il faisait de la chasse son unique occupation. Lors de la révolution de 1830, il fut profondément troublé par les nouveaux malheurs de sa famille, mais il ne jugea pas à propos de la suivre dans l’exil, et il reconnut sans difficulté son neveu comme roi des Français.

Le faible vieillard était alors entièrement dirigé par une femme dont le nom a souvent retenti dans la polémique des journaux et dans le prétoire des tribunaux. C’était une Anglaise, Sophie Dawes, née Clarke, dont le passé était assez équivoque, et que le prince avait mariée à un gentilhomme de sa maison, le baron de Feuchères, loyal soldat, dont la bonne foi trompée servit à couvrir pendant quelque temps le scandale d’amours adultères. Douée d’un grand esprit d’intrigue, spirituelle et gracieuse, avide, impérieuse, insinuante, le baronne de Feuchères avait obtenu par son ascendant le don testamentaire des domaines de Saint-Leu et de Boissy, en 1824, et plus tard diverses donations s’élevant au chiffre de 1 million, ainsi que le produit de la forêt d’Enghien. Mais poursuivie par une secrète inquiétude, craignant que la mort du prince ne la laissât exposée aux attaques d’héritiers dépouillés par elle et aux procès que provoque la captation, elle s’attacha de longue main à lier ses intérêts à ceux d’une famille puissante, afin de se ménager un patronage efficace. On ne saura jamais sans doute la vérité entière sur les relations de cette femme avec la famille d’Or1éans. Ce qui est certain, c’est qu’en 1827 la pieuse duchesse Marie-Amélie (depuis reine) lui écrivait des lettres gracieuses, l’encourageait dans son projet de faire adopter par le prince le duc d’Aumale comme héritier et lui promettait chaleureusement son appui, au nom de sa reconnaissance de mère. Il est pénible, sans doute, de voir une femme aussi vertueuse que la duchesse d’Orléans associer sa tendresse maternelle à des sollicitations au moins équivoques ; mais c’est là un fait avéré. De son côté, le duc suivit cette affaire avec la sollicitude passionnée que les d’Orléans ont toujours apportée à leurs affaires d’intérêt. Sollicité, harcelé de toutes parts, le prince de Condé, après de longues hésitations, finit par céder de guerre lasse, mais non sans de cruelles anxiétés, tant l’idée de laisser l’héritage des Condés à une famille de régicide lui paraissait une forfaiture et une impiété. Toutefois, il se contenta d’abord de promettre. Le duc d’Orléans fit préparer par un de ses hommes d’affaires, M. Dupin, un projet de testament en faveur du duc d’Aumale, qu’on se proposait de soumettre à la signature du prince. Celui-ci, malgré les promesses qui lui avaient été arrachées, éludait toujours, et projetait même de s’arracher par la fuite aux obsessions et au despotisme de la baronne. Il était assailli de craintes de toute nature, jusqu’à s’oublier à dire devant des témoins :« Une fois qu’i1s auront obtenu ce qu’ils désirent, mes jours peuvent courir des risques. » Enfin, après une nouvelle scène extrêmement violente entre lui et Mme de Feuchères, il se décida à rédiger et à signer un testament par lequel il instituait le duc d’Aumule son légataire universel et assurait à la baronne, soit en terre, soit en argent, un legs d’environ 10 millions (30 août 1829). Cette action décisive ne lui rendit pas la tranquillité, et il s’abandonna de plus en plus à ses puériles terreurs de vieillard et à sa mélancolie. La révolution de Juillet, arrivée sur ces entrefaites, augmenta les tourments et les chagrins du malheureux prince. Il avait repris ses projets de fuite, et il fixa définitivement son départ pour le 31 août 1830. Les préparatifs se poursuivaient en secret ; mais il semble impossible que la baronne n’en fût pas instruite. Le 26 août au soir, le prince se coucha tranquillement comme à l’ordinaire ; aucun bruit, aucun mouvement inaccoutumé ne troubla cette nuit. Le lendemain matin, quand le valet de chambre Lecomte vint frapper à la porte de son maître, il ne reçut aucune réponse ; la porte était fermée en dedans au verrou. On dut l’enfoncer. Un affreux spectacle s’offrit alors à la vue des assistants. Le prince était pendu, ou plutôt accroché à l’espagnolette de la fenêtre, par deux mouchoirs passés l’un dans l’autre, les genoux ployés, les pieds traînant sur les tapis, en sorte que, dans les dernières convulsions de la vie, il n’eût eu qu’à se dresser sur ses pieds pour échapper à la mort. Cette circonstance écartait l’hypothèse du suicide et frappa tous les assistants ; cependant les divers procès-verbaux rédigés dans cette journée conclurent tous, à travers beaucoup d’inexactitudes que devait relever une enquête ultérieure, au suicide par strangulation. L’opinion publique s’émut profondément de cet événement tragique et mystérieux, et, en rapprochant une série de circonstances caractéristiques, beaucoup de personnes en arrivèrent à émettre l’opinion que le prince ne s’était pas donné la mort, qu’il n’aurait pu se la donner dans de telles conditions, et qu’il avait été victime d’un assassinat. Les princes de Rohan, héritiers collatéraux, intentèrent à Mme de Feuchères un procès en captation, que d’ailleurs ils perdirent. Cette dame, il est à peine nécessaire de le dire, était sous le coup des plus terribles soupçons, et elle n’en fut pas moins accueillie à la cour, à la grande stupéfaction de l’opinion publique, qui réclamait hautement une enquête. Une instruction fut commencée à Pontoise dans le mois de septembre, mais rien ne fut négligé pour assoupir l’affaire, et le conseiller rapporteur, M. de la Huproie, se montrant résolu à trouver la vérité, on le mit soudainement à la retraite. Une série de procès accessoires fatiguèrent l’attention sans lui donner satisfaction complète sur le point principal. Jamais le redoutable problème ne fut éclairci. Des raisons de convenance, on le conçoit, nous font une loi de ne pas descendre dans les détails de cette ténébreuse affaire. Il convient de rappeler cependant que des soupçons de complicité osèrent remonter jusqu’à Louis-Philippe. Accusation injuste, sans aucun doute, mais que le nouveau roi eût noblement repoussée en répudiant une succession entachée de pareils soupçons, ce qu’il ne fit point. Au surplus, si la baronne de Feuchères fut coupable d’un crime, ce qui, après tout, est encore un problème, on ne saurait en inférer que la famille d’Orléans ait trempé d’une manière quelconque dans une aussi abominable action ; mais la grande faute du gouvernement d’alors est de n’avoir pas fait tout ce qui était nécessaire pour qu’une enquête loyale et sévère apportât la lumière dans ce drame mystérieux. Quoi qu’il en soit, nous n’entendons incriminer en rien la mémoire du roi Louis-Philippe et de cette noble et digne famille, qu’en France tous les esprits patriotiques estiment à bon droit.

Le duc d’Aumale, suivant l’une des clauses du testament, avait donné le nom de Condé à l’aîné de ses fils, qui est mort en 1866. Il a écrit, en outre, une histoire de la famille de Condé, dont la publication n’a pas été autorisée en France.


CONDÉ (Louis-Antoine-Henri de Bourbon1), fils du précédent, connu surtout sous le nom de duc d’Enghien. V. Enghien.

Condé (LES TROIS DERNIERS PRINCES DE LA MAISON DE), par Crétineau-Joly (Paris, 1867, 2 vol.), titre fort attrayant d’un livre fort curieux. Le sujet était délicat. C’était une belle, mais difficile entreprise, que de nous raconter, en 1867, des existences très-chevaleresques sans doute, mais totalement en dehors des conditions de la société moderne, et consacrées à la défense d’un régime justement condamné aujourd’hui. L’auteur avait à évoquer les souvenirs sinistres du fossé de Vincennes et de l’espagnolette de Saint-Leu. Est-ce tout ? Il avait souvent à nous citer des lettres où l’on voyait à chaque ligne des princes français traiter leurs concitoyens d’ennemis, se désoler des victoires de la France et se réjouir de ses échecs. Au XIXe siècle, pour que l’histoire de pareils hommes et de pareilles choses fût supportable, il fallait qu’elle fût tout à fait impartiale. Il fallait que l’écrivain, tout en rendant justice à la sincérité, à la bravoure, à l’héroïsme de ses personnages, n’essayât point cependant de prendre leur parti et de plaider leur cause auprès de la postérité. La cause est jugée ; la cause est perdue : tout ce que pouvait faire l’avocat des princes de Condé, c’était de plaider les circonstances atténuantes. M. Crétineau-Joly a voulu faire absoudre ses héros : il a eu l’audace inconcevable de nier leur crime. C’est trop de partialité : disons-le-lui, c’est trop de maladresse.

Nous ne sommes pas seul à le lui dire. Il est curieux d’entendre M. de Pontmartin, qui n’est pourtant pas un bien chaud démocrate, reprocher à M. Crétineau-Joly ses velléités réactionnaires et sa maladroite apologie de la trahison. « Si vous voulez, dit-il à l’historien de la maison de Condé, que je ne regarde pas de trop près à vos enthousiasmes, ne soyez pas trop implacable dans vos haines ; si vous voulez tresser ou faire refleurir des couronnes, ne rouvrez pas des blessures. » Et le spirituel auteur des Samedis se plaît à donner la leçon à son confrère ; il refait son livre en quelques pages, et lui montre de quelle façon il fallait s’y prendre. Mais la leçon est-elle bonne ? Si le livre de M. Crétineau-Joly est partial et faux, celui que M. de Pontmartin propose serait-il plus vrai et plus historique ? Suivant lui, pour faire accepter la tragique histoire des Condés avec les pieux commentaires de l’auteur, il suffisait d’un changement d’optique ; il fallait reculer la perspective, exagérer le lointain, faire des légendes, entourer la figure du prince de Condé, du duc de Bourbon, du duc d’Enghien d’un nimbe lumineux ; les représenter dans une espèce de brume vaporeuse, qui efface tous les traits saillants, tous les tons criards ; en faire une sorte de trinité mystérieuse, qu’on entreverrait à peine et qu’on admirerait de confiance. Singulière conception ! étrange méthode historique ! Décidément, nous aimons encore mieux les procédés de M. Crétineau-Joly. Ils sont plus francs, s’ils sont moins habiles. Quand on juge des personnages si connus, presque des contemporains, on ne fait pas une œuvre d’artiste ; et ces portraits vagues et indécis que voulait nous peindre M. de Pontmartin seraient une pure fiction, qui pourrait trahir beaucoup de talent, mais qui n’aurait aucune valeur historique. Le premier mérite d’un portrait, c’est d’être ressemblant ; tant pis pour le modèle s’il a des imperfections. Qu’on nous permette de mettre dos à dos l’auteur et le critique, M. Crétineau-Joly et M. de Pontmartin, et de leur dire à tous deux qu’ils ne sont pas de vrais historiens, l’un parce qu’il n’est pas assez impartial, l’autre parce qu’il l’est trop. Encore un mot ; si l’un ne sait pas l’art des nuances, l’autre, au contraire, le possède si bien, qu’il n’a plus de couleur ; il y a un milieu à tenir entre ces deux excès.


CONDÉ (Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon, princesse de), plus connue sous le nom de duchesse de Bourbon, sœur de Philippe-Égalité, tante, par conséquent, du dernier roi des Français, Louis-Philippe, femme du dernier duc de Bourbon, prince de Condé, dont la mort mystérieuse a étonné le monde en 1830, mère du duc d’Enghien, fusillé dans les fossés de Vincennes le 21 mars 1804, et l’une des figures les plus originales des deux branches des derniers Bourbons issus des capétiens, née à Saint-Cloud le 9 juillet 1750, et morte à Paris le 10 janvier 1822. Elle était fille de Louis-Philippe, duc d’Orléans, petit-fils du régent, et de Louise-Henriette de Bourbon-Conti. Sa beauté fit, en 1770, une vive impression sur le duc de Bourbon-Condé, à peine sorti de l’enfance, et moins âgé qu’elle de quatre ans. L’amour du jeune duc pour cette princesse éclata avec une extrême violence. Les soins qu’il lui rendit ouvertement, l’impatience qu’il témoigne de l’épouser, décidèrent les deux familles à consentir au mariage, et le contrat fut signé le 23 avril 1770. Cet événement a inspiré à Laujon le sujet d’un opéra-comique intitulé : l’Amoureux de quinze ans, qui fut joué sur le théâtre de Chantilly, pendant les fêtes du mariage, et l’année d’après (le 19 août 1771) sur le théâtre de la Comédie-Italienne. On avait résolu de faire voyager le duc de Bourbon une année ou deux avant de le réunir à sa femme ; mais il trompa la vigilance de ses surveillants, et enleva la princesse du couvent où on l’avait reléguée. De ce mariage naquit, le 2 août 1772, à Chantilly, un fils, qui fut le duc d’Enghien. Un accident signala la naissance de cet enfant, lequel fut d’ailleurs le seul fruit de cette union : il vint au monde noirâtre, sans mouvement, presque asphyxié, et après avoir causé à sa mère d’atroces souffrances pendant près de quarante-huit heures. On l’enveloppa de linges trempés dans l’esprit-de-vin, pour ranimer chez lui la chaleur vitale. Une étincelle vola sur ces langes inflammables ; le feu y prit, et ne fut arrêté que par la prompte intervention de l’accoucheur et du médecin.

Cette union, d’abord si heureuse, eut le sort des passions trop violentes pour durer longtemps ; mais il n’y eut pas de la faute de la duchesse de Bourbon si une séparation devint bientôt nécessaire, et tous les torts restent sur ce point à la charge du dernier des Condés. La complexion amoureuse du jeune duc ne tarde pas, en effet, à l’entraîner vers un grand nombre de femmes, de grande ou de petite condition, et on le vit bientôt se lancer dans cette carrière de galanterie et de libertinage, qui ne devait finir qu’avec sa vie, par sa liaison avec la baronne de Feuchères. Il n’y avait pas trois ans que Louis-Henri-Joseph de Bourbon-Condé était marié à Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, que déjà, dans son palais même, il avait recherché et obtenu les faveurs d’une des dames de compagnie de sa femme, Mme de Canillac, et ce fut cette liaison qui amena la séparation des deux époux. Voici comment le baron de Bezenval rapporte, dans ses Mémoires, les circonstances de la rupture : « Lorsqu’on maria Mlle d’Orléans à M. le duc de Bourbon, dit-il, on mit auprès d’elle, en qualité de dame de compagnie, Mlle de Roncherolles, qui venait d’épouser M. de Canillac… M. le duc de Bourbon en devint bientôt amoureux, et se conduisit en conséquence. Mme la duchesse de Bourbon s’en aperçut. Au lieu d’employer ou la retenue, rôle ordinaire des femmes délaissées, ou les moyens doux pour ramener son mari, elle se laissa aller à des démarches d’éclat, qui réduisirent les choses au point que Mme de Canillac fut obligée de se retirer d’auprès d’elle, et que cette dissension devint le sujet de l’entretien de tout Paris : à l’exception d’un petit nombre d’amis et de gens intéressés, tout le monde blâma Mme la duchesse de Bourbon, qui pouvait avoir raison dans le fond, mais qui avait tort dans la forme. » C’est-à-dire qu’elle avait eu le tort de ne pas cacher qu’elle avait raison, raison de voir que son mari en aimait une autre, mais tort de dire qu’elle le voyait. N’est-ce pas là ce qu’a voulu exprimer le baron de Bezenval ? Ce serait une singulière morale, celle qui consisterait, chez les femmes délaissées, comme il dit, à se résigner en présence de l’adultère de leur mari, et à supporter patiemment la présence d’une concubine dans le domicile conjugal.

Bezenval rapporte à cette date (1778) un événement dont Mme la duchesse de Bourbon fut la cause involontaire, événement qui émut la ville et la cour, et amena un duel entre le duc de Bourbon et M. le comte d’Artois, depuis Charles X. Il nous apprend d’abord que Mme de Canillac était entrée à la cour en qualité de dame d’honneur de Mme Élisabeth, sœur du roi ; puis il poursuit : « Mme de Canillac resta quelque temps à la cour sans faire parler d’e1le… Enfin M. le comte d’Artois parut s’occuper d’e1le, et abandonner quelques fantaisies qui avaient fait du bruit : tous les yeux se portèrent sur ce nouvel objet. Mme la duchesse de Bourbon ne fut pas la dernière à le remarquer. Elle joignait à une grande antipathie pour Mme de Canillac la mortification de la trouver encore sur son chemin ; car M. le comte d’Artois avait paru, à son début dans le monde, penser à elle ; de manière qu’elle éprouva la petite jalousie commune à toute femme, et la haine personnelle qu’elle avait contre Mme de Canillac fut poussée à son comble par ce nouvel avantage. Ce fut dans ces dispositions que, se trouvant au bal de l’Opéra du mardi gras de l’année 1778, elle reconnut M. le comte d’Artois qui donnait le bras à Mme de Canillac, tous les deux masqués jusqu’aux dents. Elle s’attacha sur leurs pas, et se permit tous les propos embarrassants et piquants que la liberté du bal et du déguisement autorisent. Mme de Canillac, aussi embarrassée qu’on le peut être, profita de la facilité de ne point répondre, pour ne se point compromettre, et quitta le bras de M. le comte d’Artois, qui chercha de même, mais inutilement, à se dérober dans la foule. Enfin, s’étant assis, Mme la duchesse de Bourbon se mit à côté de lui, et, poussant les choses à bout, elle prit la barbe du masque de M. le comte d’Artois. En le levant avec violence, les cordons qui l’attachaient se cassèrent. Hors de lui, furieux, il saisit de la main celui de Mme la duchesse de Bourbon, le lui écrasa sur le visage, et, profitant de la première surprise, il la quitta sans proférer un seul mot. Cet événement ne fit aucune sensation dans le premier moment. M. le duc de Chartres étant allé le lendemain chez sa sœur, elle lui raconta ce qui lui était arrivé, ne faisant qu’en rire, comme d’une de ces ridiculités dont le bal de l’Opéra abonde… On ne sait si ce fut de son propre mouvement, ou excitée par de mauvais conseils, que cette princesse, le jeudi au soir, ayant beaucoup de monde à souper chez elle, dit en pleine table que M. le comte d’Artois était le plus insolent des hommes, et qu’elle avait pensé appeler la garde du bal de l’Opéra pour le faire arrêter. Afin de colorer cette incartade qu’on lui a reprochée, elle a dit qu’elle ne s’était permis ce propos qu’après avoir été informée que M. le comte d’Artois avait raconté son aventure à souper, chez la comtesse Jules de Polignac, en la nommant, ce qui était faux. Le propos du souper de Mme la duchesse de Bourbon se répandit bientôt dans le monde, et y fit une grande sensation… Quoique Mme la