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Ce caractère de bonhomie se trouve parfaitement marqué dans l’estampe qui est à la têtedu volume de la première édition. C’est une vieille femme dont la physionomie peint la persuasion avec un certain air de finesse. Elle raconte, dans une chambre éclairée par une lampe, k trois petits enfanta de taille et d’âge différents, ce qu’elle croit qu’il faut leur apprendre pour leur amusement et leur instruction. Au-dessus de la vieille sont tracés dans un petit cadre en forme d’écriteau ces mots : Contes de ma mère l’Oie. L’air des ■ trois enfants exprime, suivant l’âge et la faculté de concevoir de chacun d’eux, le plaisir que leur cause un récit qui les étonne. Le plus petit, comme léplus étonné, paraît plongé dans une sorte de stupéfaction.

Il nous reste à expliquer ce qu’on entend par Contes de ma mère l’Oie. Cette expression est empruntée à un ancien fabliau, dans lequel on représente une mère qie, ou vieille oie, instruisant de petits oisons, en leur contant des histoires dignes d’elle et d’eux, qu’ils écoutent avec une attention si grande, qu’ils semblent absorbés dans la situation • qu’on leur peint, et bridés par l’intérêt qu’elle leur inspire.

Perrault avait d’abord essayé de mettre ses Contes en vers, mais, fort heureusement, il se ravisa, et para les anciennes légendes du merveilleux coloris de son style si naïf et si pur. Sous sa plume, les anciens récits prennent non-seulement une forme nouvelle, mais le cadre s’élargit. Ce n’est plus seulement un conte pour les petits enfants ; c’est une leçon pour les contemporains, c’est pour la postérité une mine féconde qui révélera les mœurs, les coutumes, les usages du temps. Tous ses personnages, en effet, sont habillés k la mode du jour : les sœurs aînées de Cendrillon mettent leur habit de velours rouge et leur garniture d’Angleterre ; elles envoient quérir la bonne coiffeuse pour dresser leurs cornettes à deux rangs et font acheter des mouches. Des deux frères qui délivrent la femme de Barbe-Bleue, l’un est dragon et l’autre mousquetaire. Quand l’ogresse de la Belle au bois dormant veut manger ses petits-fils, elle songe à les accommoder à la sauce Robert, qui venait d’être inventée. M. Ch. Giraud dit dans sa lettre critique sur les Contes de Perrault : « En lisant le Chat botté, on croit entendre M. de Coulanges causer avec Mme de Sévigné, le 30 octobre 1694, relativement k la famille Louvois : «Quand la curiosité nous porte à demander le nom de ce village : À qui est-il ? on nous répond : C’est à madame (Mrae de Louvois). « — À qui est celui qui est plus.éloigné ?-C’est k madame. — Mais là-bas, un autre que > je vois ? — C’est k madame. — Et ces forets7

— C’est a madame, etc., etc. « En faisant le recensement de la fortune du marquis de Carabas, Perrault a presque employé la phrase de Coulanges. »

Le rusé conteur ne se contente pas de nous peindre les costumes et les mœurs du jour, il ne laissera pas échapper une si bonne occasion de parler des personnes. On se souvient de cette jeune tille qui doit épouser Riquet à la Houppe et qui ne dit que des choses sensées : ■ Le roi se conduisait par ses avis, il allait même quelquefois tenir le conseil dans son appartement. » Le souvenir de Mme de Jlaintenon vient aussitôt à la mé■ moire, et c’est par ces analogies que le conte rentre dans l’histoire intime c !u xvue siècle.

M. Sainte-Beuve juge ainsi l’œuvre de Perrault :

« Ses Contes {on le reconnaît tout d’abord) ne sont pas de ceux qui sentent en rien l’œuvre individuelle. Ils sont d’une tout autre étoffe, d’une tout autre provenance que tant de contes imaginés et fabriqués depuis, a l’usage des petits êtres qu’on veut former, instruire, éduquer, édifier même ou amuser de propos délibéré : contes moraux, contes philanthropiques et chrétiens, contes humoristiques, etc. Mme Guizot, Bouilly, le chanoine Schmid, Tôptfer, tous ces noms, dont quelques-uns sont si estimables, jurent et détonnent, prononcés à côté du sien ; car ses Contes à lui, ce sont des contes de tout le monde : Perrault n’a été que le secrétaire.

« Mais, en même temps, il n’a pas été un secrétaire comme tout autre l’eût été. Dans sa rédaction juste et sobre, encore naïve et ingénue, il a atteint à la perfection du conte pour la race française.

11 faut, même en chansons, du bon sens et de 1, ’art. ■ Perrault, àsamanière, observe le précepte ; il est de l’école de Boileau (sans que ni l’un ni l’autre s’en doute) dans le genre du conte. » La vérité avec lui se continue, même dans le merveilleux. Il a de ces menus détails qui rendent tout d’un coup vraisemblable une chose impossible. Ainsi, les souris qui sont changées en chevaux, dans Cendrillon, gardent à leur robe, sous leur forme nouvelle, « un beau gris de souris pommelé. » Le cocher, qui était précédemment un gros rat, garde sa moustache, « une des plus belles « moustaches qu’on ait jamais vues. »

11 est aujourd’hui certain que, sauf pour Riquet k la Houppe, dont on ne connaît pas encore l’analogue, Perrault, dans tous ses autres contes, a recueilli avec plus ou moins d’exactitude des traditions orales qui se retrouvent, non-seulement chez nos voisins les Italiens et le Allemands, mais en Scandinavie et dans les montagnes d’Écosse. Il y a plus : les Contes, bien moins populaires en appa CONT

renée, de Mm" d’Aulnoy et de Mme de Beaumont, figurent aussi dans les traditions des autres peuples, surtout dans le Pentamerone, recueil de contes publié et réimprimé plusieurs fois en Italie au xvnc siècle, mais dans un dialecte (le dialecte napolitain) que certainement ces dames n’auraient pas compris. Et il n’est guère probable que Perrault lui-même connût ce recueil. »

Nous ne pouvons guère terminer que par cette ravissante fantaisie d’un maître (Théophile Gautier) sur le naïf et charmant conteur :

« Si l’enfance aime Perrault, l’âge mûr l’admire, et plus d’une barbe grise dirait comme La Fontaine, qui s’y connaissait : Si Peait-d’Ane m’était conté. J’y prendrais un plaisir extrême.

Perrault est peut-être encore plus conté qu’il n’est lu, et cela par la bonne raison que la plus grande partie de son public ne sait pas encore bien ses lettres. Si l’on veut qu’il produise tout son effet, il faut qu’il ait pour rapsode une vieille femme, grand’mère ou nourrice, portant lunettes sur le nez, assise dans un fauteuil à oreilles, au coin d’une cheminée de cuisine, par un long soir d’hiver, quand la neige tombe silencieuse et qu’on entend au loin hurler le loup qui mangea le petit Chaperon rouge. Aux endroits effrayants, le cercle de marmots se rétrécit aux pieds de la narratrice ; les bouches sont ouvertes, les yeux écarquillés, les respirations haletantes. La docile imagination de l’enfance, accepte tout comme paroles d’Évangile. Sûre de son auditoire, l’aïeule prend des temps, fait des poses, interrompt par une prise 3e tabac, lentement humée, les situations à la péripétie la plus palpitante d’intérêt, laisse tomber avec une gravité fatidique, au milieu d’un silence profond, les formules sacramentelles. On dirait, à l’intimité qu’elle met à son récit, qu’elle a vécu avec les fées. Peut-être est-elle une fée elle-même. Le vieux chat, accroupi sur son derrière, la regarde d’un air d’intelligence, comme s’il savait, lui aussi, beaucoup de choses qu’il ne veut pas dire ; le coucou sort inopinément de sa boîte coloriée, pousse son cri et applaudit en battant des ailes ; une langue de gaz jaillit en sifflant de la bûche, un marron éclate sous la cendre à quelque passage terrible, et les pauvres enfants, bleus de peur, se cachent la tête dans la jupe de la mère-grand, pour ne pas voir apparaître l’Ogre ou la Barbe-Bleue. »


Contes des fées, par Mme  d’Aulnoy (4 vol.). Ces contes, une des meilleures productions de ce genre, offrent un mélange de naïveté et de finesse, qui en rend la lecture agréable, même à une autre classe de lecteurs que celle à laquelle ils semblent particulièrement destinés. La Harpe n’hésite pas à les mettre au-dessus de ceux de Perrault. « On peut, dit-il, mettre de l’art et du goût jusque dans les frivolités. Mme d’Aulnoy est celle qui paraît y avoir le mieux réussi : elle y a mis l’espèce d’intérêt dont ce genre est susceptible, et qui dépend, comme dans toute fiction, d’un deyré de vraisemblance conservé dans le merveilleux et

d’une simplicité de style convenable à la petitesse du sujet. » Les plus remarquables de ces contes sont la Belle aux cheveux d’or, Fortunée, le Dauphin.

Corne du tounenu (le), en anglais Taie of a tub, satire allégorique par J. Swift. Ce fut dans la maison de sir W. Temple que Swift écrivit, vers 1704, ce conte célèbre où il se moque si cruellement des dévots et des faux savants de son temps. Pour bien faire comprendre l’esprit de cette satire, qui n’attaque pas seulement le pape, Luther et Calvin, mais qui ose dresser un réquisitoire contre la religion elle-même, il suffit de citer les lignes suivantes de M. Taine, qui en résument admirablement l’esprit :

«Ce conte est, dit-il, la satire de toute science et de toute vérité ; de la religion d’abord. Il semble y défendre l’Église d’Angleterre ; mais quelle Église et quel symbole ne sont pas enveloppés dans son attaque ? Pour égayer son sujet, i ! le profane et réduit les questions de dogme à une question d’habits... La religion noyée, il se tourne contre la science : car les digressions dont il coupe son conte pour contrefaire et railler les savants modernes, sont attachées à ce conte par le tien le plus étroit. Le livre s’ouvre par des introductions, préfaces, dédicaces et autres appendices ordinairement employés pour grossir les livres, caricatures violentes accumulées contre la vanité et le bavardage des auteurs. Il se dit de leur compagnie, et annonce leurs découvertes. Admirablesdécouve, rtes !... Les sanglants sarcasmes arrivent alors par multitude. Swift a le génie de l’insulte : il est inventeur dans l’ironie, comme Shakspeare dans la poésie, et, ce qui est le propre de l’extrême force, il va jusqu’à, l’extrémité de sa pensée et de son art. Il flagelle la raison après la science, .et ne laisse rien subsister de tout l’esprit humain. Avec une gravité médicale, il établit que de tout le corps s’exhalent des vapeurs, lesquelles, arrivant au cerveau, le laissent Sain si elles sont peu abondantes, mais l’exaltent si elles regorgent ; que, dans le premier cas, elles font des particuliers paisibles, et dans le second de grands politiques, des fondateurs de religion et de profonds philosophes, c’est-à-dire des fous, en sorte que la folie est la source de tout le génie humain et de toutes les institutions de l’univers... »

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Voici l’allégorie qu’inventa Swift et qui lui sert k déguiser ses attaques. Un homme avait trois fils, Pierre, Martinet Jacques ; Martin représente l’Église gallicane, Jacques est le typé" des Églises dissidentes. Il leur légua en mourant, à chacun un habit (la vérité chrétienne), les avertissant de le tenir propre et de le brosser souvent. Les trois fils obéirent quelque temps et voyagèrent honnêtement, « tuant un nombre raisonnable de géants et de dragons. » Malheureusement, étant venus à la ville, ils en prirent les mœurs, devinrent amoureux de plusieurs grandes dames à la mode, la duchesse de la Fortune, milady des Grands-Titres, la comtesse de la Vanité, et, pour gagner leurs faveurs, se mirent à vivre en galants gentilshommes. Une secte venait de s’établir, posant en principe que le monde est une garde-robe d’habits, * C’est l’habit qui fait l’homme, et lui donne la beauté, l’esprit, le maintien, l’éducation, l’importance. Si certains morceaux d’hermine et de fourrure sont placés en un certain endroit, nous les appelons un juge, etc. » C’est pourquoi nos trois frères, n’ayant que des habits fort simples, se trouvèrent très-embarrassés. Ainsi, la mode en ce moment était aux nœuds d’épaule (skoulder-knot), et le testament de leur père leur défendait expressément d’ajouter, de changer ou d’ôter rien à leurs habits. « Après beaucoup de réflexion, l’un des deux frères, qui se trouvait plus lettré que les deux autres, dit qu’il avait trouvé un expédient. Il est vrai, dit-il, qu’il n’y a rien ici dans ce testament qui fasse mention totidem verbis des nœuds d’épaule ; mais j’ose conjecturer que nous les y trouverons inclus totidem syllabis. » Cette distinction fut approuvée de tous ; mais, par malheur, la syllabe initiale ne se trouvait dans aucun endroit du testament. Alors ie frère si avisé leur dit : « Il y a encore de l’espoir, car, quoique nous ne puissions les trouver totidem verbis ni totidem syllabis, j’ose promettre que nous les découvrirons tertio modo, on totidem litteris. ’ Cette invention approuvée, ils se remirent à scruter le testament et trièrent le premier mot shoulder ; cette fois ce fut un k qui fut introuvable. C’était une véritable difficulté, mais le frère aux distinctions prouva par un très-bon argument que k était une lettre moderne, illégitime, inconnue aux âges savants, et qu’on ne rencontrait dans aucun manuscrit. Là-dessus toute-difficulté s’évanouit ; les nœuds d’épaules furent déclarés être d’institution paternelle, jure paterno. L’hiver suivant, un comédien, payé par la corporation des passementiers, joua son rôle dans une comédie nouvelle tout couvert de franges d’argent, ce qui mit cet ornement k la mode. Nos trois frères consultent le testament de leur père et, à leur grand étonnement, ils y trouvent ces mots : « Item, j’enjoins et j’ordonne à mesdits trois fils, de ne porter aucune espèce de frange d’argent autour de leurs susdits habits. » Pour le coup, le frère si souvent mentionné pour son érudition demeura interdit ; cependant il se remit au bout d’un moment et déclara avoir trouvé dans un certain auteur que le mot frange, écrit dans ce testament, signifie aussi manche à balai, et devait avoir ce sens dans le paragraphe. Un des frères goûta peu cette" glose à cause de cette épithète d’argent, qui, dans son humble opinion, ne pouvait pas, du moins en langage ordinaire, être raisonnablement appliquée à un manche à balai ; mais on lui répliqua que cette épithète devait être prise dans le sens mythologique et allégorique. Néanmoins il fit encore cette objection : pourquoi leur père leur aurait-il défendu de porter un manche à balai sur leurs habits, avertissement qui ne semblait pas naturel ni convenable ? Sur quoi il fut arrêté court, comme parlant irrévérencieusement d’un mystère, lequel certainement était très-utile et plein de sens, mais ne devait pas être trop curieusement sondé ni soumis à un raisonnement trop minutieux. À la fin le frère scolastique s’ennuie de chercher des distinctions, met le vieux testament dans une boîte bien fermée, invente par tradition les modes qui lui conviennent, puis, ayant attrapé un héritage, se fait appeler Mgr Pierre. Ses frères, traités en valets, finissent par s’enfuir ; ils rouvrent le testament, et recommencent k comprendre la volonté de leur père. Martin, l’anglican, pour réduire son habit à la simplicité primitive, découd point par point les galons ajoutés dans les temps d’erreur, et garde même quelques broderies par bon sens, plutôt que de déchirer l’étoffe. Jacques, le puritain, arrache tout par enthousiasme, et se trouve en loques, envieux de plus contre Martin, et à moitié ibu. Il entre alors dans la secte des éolistes ou inspirés, admirateurs du vent, lesquels prétendent que l’esprit, ou souffle du vent, est céleste et contient toute science. « Après.cette explication de la théologie, des querelles religieuses et de l’inspiration mystique, que reste-t-il, même à l’Église anglicane ? Elle est un manteau raisonnable, dit M. Taine, utile, politique, mais quoi d’autre ? Comme une brosse trop forte, la bouffonnerie a emporté l’étoffe avec la tache. Swift a éteint un incendie, je le veux, mais comme Gulliver à Lilliput : les gens sauvés par lui restent suffoqués de leur délivrance, et le critique a besoin de se boucher le nez pour admirer la juste application du liquide et l’énergie deyPinstrument libérateur. »

Swift jhii-même avertit qu’il va publier «une histoiré générale des oreilles, un panégyrique du no/mbre trois, une humble défense des pro /

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cédés de la canaille dans tous les siècles, un essai critique sur l’art de brailler oagotement, considéré au point de vue philosophique, physique et musical, » et il engage les lecteurs à lui arracher par leurs sollicitations ces inestimables traités qui vont changer la face du inonde ; puis, se tournant contre les savants et les éplucheurs de textes, il leur prouve à leur façon que les anciens ont parlé d’eux. d’euton voir, dit M. Taine, une plus Cruelle parodie des interprétations forcées ? Les anciens, dit-il, ont, à la vérité, déguisé leurs critiques en termes figurés et avec toutes sortes de précautions craintives ; mais ces symboles sont si transparents, qu’il est difficile de concevoir comment un lecteur de goût et de perspicacité moderne a pu les méconnaître. Ainsi Pausanias dit qu’il y eut une race d’hommes qui se plaisait à grignoter les superfluités et les excroissances des livres ; ce que les savants ayant enfin observé, ils prirent d’euxmêmes le soin de retrancher de leurs œuvres les branches mortes ou superflues. Seulement, Pausanias cache adroitement son idée sous l’allégorie suivante : que les Naupliens à Argos apprirent l’art d’émonder les vignes, en remarquant que lorsqu’un âne en avait brouté quelqu une, elle profitait mieux, et portait du plus beau fruit. »

« Regardez comme lui, dit ailleurs M. Taine, les détails physiques de la science, de la religion, de l’État, et réduisez comme lui la science, la religion et l’État à la bassesse des événements journaliers ; comme lui, vous verrez ici un Bedlam de rêveurs ratatinés, de cerveaux étroits et chimériques occupés k se contredire, à ramasser dans des bouquins moisis des phrases vides, à inventer des conjectures qu’ils crient comme des vérités ; là, une bande d’enthousiastes, marmottant des phrases qu’ils n’entendent pas, adorant des figures de style en guise de mystères, attachant la sainteté ou l’impiété k des manches d’habit ou à des postures, dépensant en persécutions et en génuflexions, le surcroît de folie moutonnière et féroce dont le hasard malfaisant a gorgé leurs cerveaux ; là-bas, des troupeaux d’idiots qui livrent leur sang et leurs biens aux caprices et aux calculs d’un monsieur en carrosse, par respect pour le car rosse qu’ils lui ont fourni. »

Swift a, nous l’avons déjà dit, le génie de l’insulte et de l’ironie. Son Conte du tonneau serait un chef-d’œuvre s’il ne manquait de plan et d’unité, et si certains passages n’étaient point entachés d’obscurité. Cependant l’auteur eut le temps de remanier son œuvre, puisque, de son aveu, il la garda huit ans en portefeuille. «Le Conte du tonneau, dit Drake dans ses Essais de biographie et de critique, est une œuvre d’un mérite supérieur, comme forme littéraire, k toutes les autres productions de l’auteur. Son style est plus nerveux, plus imagé, plus coloré. L’esprit et la gaieté éclatent d’un bout à l’autre, bien qu’entachés de licence et de grossièreté parfois. Les digressions attestent une immense érudition, et ses citations, prises dans sa vaste mémoire, n’ont elles-mêmes rien de vulgaire et de rebattu. •

« L’auteur, écrivait de son côté le judicieux Atterbury, a raison de se cacher, car les touches profanes de cet ouvrage nuiraient plus k sa réputation et à son intérêt dans le monde, que son esprit ne peut lui faire de bien. »

Le Conte du tonneau a été traduit en français par Van Ett’ers, qui a rendu le titre mot k mot. En réalité, par les mots Taie of a tub, les Anglais entendent ce que nous appelons Conte bleu, Conte de ma mère l’Oie.

Voltaire, on le sait, a surnommé Swift le Rabelais de l’Angleterre.

Corne» d’Hamilton. Ces Contes, dont la première édition est de 1730, et la meilleure de 1812, renferment : le Bélier, l’Histoire de Fleur-d’Epine, les Quatre Facardins, et la Suite des Facardins et de Zénéide. Pressé par les dames de la cour de faire des contes dans le goût des Mille et une nuits, qui étaient alors en grande faveur, Hamilton résolut de faire ce que Cervantes avait fait- pour les livres de chevalerie, c’est-à-dire de les tourner en ridicule, travail qui convenait k sou esprit original. Il affecta d’enchérir sur la bizarrerie des fictions et de la pousser jusqu’à la folie ; mais cette folie est si gaie, si piquante, si bien assaisonnée de plaisanteries, relevée par des saillies si heureuses et si imprévues, que l’on y reconnaît à tout moment un homme très-supérieur aux bagatelles dont il daigne s’amuser. Le Bélier, écrit en vers, et dont Voltaire se plaisait à citer le début comme un modèle de grâce, est un peu long peut-être, mais plein d’heureuses saillies, de descriptions charmantes et d’excellents traits de mœurs. Vient ensuite Fteur-d’Fpine, un vrai chef-d’œuvre. Il y a des traits d’une grande vérité et des situations remplies d’intérêt. Le but en est moral ; il consiste k prouver qu’avec beaucoup d’esprit, de courage et d’amour, un homme sans figure et sans fortune peut vaincre les plus grands obstacles, et que, dans les femmes, la grâce l’emporte sur la beauté, Hamilton devait, en effet, vanter la grâce, qui est le plus beau charme de son style. Zénéide et les Quatre Facardins ne sont pas achevés. Ce sont MM. de Lévis et Champagnac qui en ont donné les suites. Le premier de ces contes est un mélange de faits historiques et d’aventures fabuleuses qui dépasse la mesure, et n’a ni l’utilité de l’histoire