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sous la surveillance de la police les anciens nobles et les parents d’émigrés. Elle s’occupa ensuite de remédier à la pénurie du trésor, et comme aucune loi ne pouvait gêner son action dictatoriale, elle échappa facilement aux difficultés dans lesquelles s’était débattu le Directoire. L’emprunt forcé fut remplacé par une subvention de guerre, consistant en une addition de 25 centimes au principal des contributions foncière, mobilière et personnelle ; on obtint en outre des banquiers un prêt de 12 millions en numéraire, pour faire face aux dépenses courantes ; enfin, on revint hardiment, en matière de contributions, à certaines pratiques de l’ancien régime ; on adopta un ensemble de mesures financières qui ramenèrent un peu d’argent dans les caisses de l’État.

Parmi les premiers actes des consuls provisoires, il faut encore rappeler l’élargissement des prêtres réfractaires, des concessions au clergé, la fermeture de la plupart des sociétés politiques, la déportation prononcée contre les principaux chefs du parti républicain, parmi lesquels le général Jourdan ; la suppression de la liberté de la presse, etc. On revint d’ailleurs, quand la victoire fut assurée, sur les mesures de rigueur prises contre les républicains, et la déportation fut changée en surveillance.

En même temps Bonaparte, par l’entremise du général Hédouville, ouvrait avec les chefs royalistes des négociations qui aboutirent à une suspension d’armes dans l’Ouest, et distribuait à ses aides de camp des missions particulières auprès de certaines cours de l’Europe, comme un prince qui notifie son avènement. C’est ainsi qu’il envoya Duroc à Berlin, pour caresser le jeune souverain de la Prusse, et lui représenter que la dernière révolution était un retour à l’ordre et aux « saines traditions. »

D’ailleurs, tous les actes du nouveau gouvernement portaient un caractère manifeste de réaction antirépublicaine : les émigrés rentraient en foule ; les patriotes étaient partout persécutés ou tout au moins comprimés ; tous les emplois étaient envahis par cette espèce d’ambitieux sans caractère et sans convictions, mais non pas sans talent, qui pendant un demi-siècle ont tour à tour servi et trahi tous les pouvoirs.

Cependant, après les plus laborieux et les plus pénibles efforts, le nébuleux Sieyès avait enfanté son fameux projet de constitution, qui fut profondément modifié, suivant les convenances de Bonaparte, comme nous l’avons rapporté à l’article constitution de l’an VIII, auquel nous renvoyons le lecteur. Le général se montra particulièrement intraitable sur cette conception singulière du grand électeur, espèce de roi fainéant qu’il nommait, dans son langage soldatesque, un cochon à l’engrais, et dont il ne voulait à aucun prix accepter le rôle inactif et fastueux. Ce qu’il voulait impérieusement, c’était la réalité du pouvoir suprême, sous quelque nom que ce fût ; de plus, il n’entendait en aucune manière être absorbé par le Sénat, comme le pouvait être en certains cas le grand électeur. Après de longues discussions, cette haute comédie politique se termina suivant ses désirs, ou plutôt sa volonté. Il fut arrêté que le pouvoir exécutif se composerait d’un premier consul, véritable roi qui concentrait à peu près tout le pouvoir entre ses mains et dont l’autorité pouvait même devenir perpétuelle, car, il était nommé pour dix ans et de plus indéfiniment rééligible. Pour dissimuler un peu sa toute-puissance, on l’avait flanqué de deux autres consuls, nommés l’un et l’autre pour cinq ans, véritables satellites du premier, modestes assesseurs qui n’avaient que voix consultative, et qui, en réalité, n’étaient rien que de simples machines à représentation. La liste civile du premier consul fut fixée à 500, 000 fr., et celle de chacun des deux autres à 150, 000 fr. Le palais des Tuileries leur était assigné pour résidence, et il leur était accordé une garde consulaire.

On voit que, malgré les vaines dénégations du parti dominant, c’était là une véritable restauration monarchique.

Naturellement, Bonaparte fut nommé d’office premier consul, avec Cambacérès et Lebrun pour deuxième et troisième consuls. Ces derniers, réunis aux deux consuls provisoires, nommèrent la majorité absolue du Sénat, qui se compléta lui-même, et dressa ensuite la liste des membres qui devaient composer le Corps législatif et le tribunat. En même temps, le pouvoir exécutif entrait en fonctions, choisissait ses agents et distribuait à ses créatures toutes les places créées par la constitution nouvelle, et dont la plupart étaient assez richement dotées.

Après s’être ainsi constitué lui-même, le gouvernement soumit la constitution à l’acceptation du peuple français, au moyen de registres ouverts au secrétariat des administrations, au greffe des tribunaux, etc. Le résultat, connu et proclamé plus de trois mois après le coup d’État, donna 3, 011, 007 suffrages en faveur du pacte nouveau, et 1, 562 contre. Cette constitution était d’ailleurs en vigueur depuis deux mois.

Bonaparte déploya dès la première heure la même activité que dans ses opérations militaires. Il apporta dans le gouvernement de la République cette vigueur et cet esprit d’organisation qu’il avait appris à l’école de la Révolution. Il communiqua à tous les rouages du gouvernement une impulsion qu’il serait puéril de contester ; mais, en même temps, il se substitua entièrement à la République, il absorba toutes les libertés et profita de l’engouement dont il était l’objet pour faire rétrograder la Révolution, et ramener progressivement la France au régime avilissant du pouvoir absolu. Nous le savons, des systèmes qui ont eu leur minute de vogue ont fait de Napoléon le continuateur armé de la Révolution, le dictateur de la démocratie ; mais il n’est que trop évident qu’il n’a laissé subsister de cette Révolution que ce qu’il n’a pu détruire, que ce qu’il avait un intérêt immédiat à conserver. Au reste, ce n’est pas ici le lieu de discuter cette question, qui trouvera naturellement sa place à l’article Napoléon Ier.

Bonaparte eut cette bonne fortune de trouver sous sa main un personnel de premier ordre, et il n’eut que l’embarras du choix pour organiser son gouvernement. « La Révolution française, dit M. Thiers, avait été prodigieusement féconde en hommes, dans tous les genres, et, si l’on voulait surtout ne plus tenir compte des exclusions prononcées par les partis les uns à l’égard des autres, on avait le moyen de composer le personnel de gouvernement le plus varié, le plus capable, ajoutons le plus glorieux. »

Il suffira de citer au hasard les noms suivants : Volney, de Tracy, Monge, Carnot, Ginguené, Ducis, Benjamin Constant, Gaudin, Sieyès, Roger Ducos-Cambacérès, Talleyrand, Rœderer, Lebrun, de Champagny, Lacuée, Brune, Marmont, Ganteaume, Defermon, Boulay (de la Meurthe), Berlier, Réal, Chaptal, Berthollet, Laplace, Regnault de Saint-Jeand’Angely, Fourcroy, Cabanis, Fouché, Grégoire, Kellermann, Garat, Lacépède, Lagrange, Thibaudeau, Darcet, François de Neufchâteau, Daubenton, Bougainville, Perregaux, Latour d’Auvergne, M.-J. Chénier, Andrieux, Arnault, Chauvelin, Stanislas de Girardin, Daunou, Riouffe, Laromiguière, J.-B. Say, Boissy d’Anglas, Pastoret, Portalis, Quatremère de Quincy, Villaret-Joyeuse, Barbé-Marbois, Jean-Bon-Saint-André, Barère, Moreau, Berthier, Lannes, Dubois-Crancé, Duroc, Masséna, Augereau, Maret, Reinhart, etc., etc.

Sans doute, il y avait parmi ces hommes des ambitieux sans scrupule, des lutteurs fatigués, quelques royalistes avoués, et beaucoup d’autres dont le caractère était énervé ; mais, en tout état de cause, c’étaient là des capacités de premier ordre, dont le maître de la France, merveilleusement servi par les circonstances, allait tirer d’inappréciables services. Comme Louis XIV, sa gloire allait absorber celle de tous les hommes supérieurs de son temps.

Il célébra son avènement légal par diverses mesures propres à lui rallier le parti du passé, les vaincus de la Révolution. Les lois qui excluaient des fonctions publiques les parents d’émigrés et les ex-nobles fuient abrogées ; les proscrits du 18 fructidor rappelés ; on rendit au culte un grand nombre d’édifices religieux, et on substitua au serment à la constitution civile du clergé une simple promesse d’obéissance à la constitution de l’État ; enfin, les listes des émigrés furent closes, les radiations rendues plus faciles, et les fêtes républicaines supprimées, à l’exception de celles du 14 juillet et du 10 août.

Une suspension d’armes avait été signée avec les insurgés de l’Ouest, et des négociations entamées pour amener une pacification complète. Bonaparte fit les plus louables efforts pour arriver à ce grand résultat, en même temps qu’il faisait porter des propositions pacifiques à l’Angleterre, à l’Autriche et à la Russie. Mais cette première tentative ne servit qu’à mettre en lumière les difficultés que les prétentions mutuelles apportaient à la paix. D’un autre côté, le premier consul éprouvait à l’intérieur quelques embarras ; parmi ceux-là même qui s’étaient sincèrement ralliés à lui, il y en avait qui n’avaient pas perdu toute indépendance républicaine, et il se produisit, notamment dans le tribunat, des velléités d’opposition qui choquèrent fort le maître et augmentèrent son aversion pour les assemblées délibérantes. C’est sous l’empire de ce sentiment qu’il fit supprimer par une loi les municipalités cantonales, et qu’il confia l’administration des départements à des préfets, sous-préfets et maires, nommés par lui (janv. 1800). C’était un nouveau progrès et des plus importants dans le sens de la centralisation gouvernementale.

Quant à l’organisation judiciaire, elle fut modifiée d’après les plans de Cambacérès, et amenée à peu près à l’état où nous la voyons aujourd’hui.

D’autres travaux d’administration furent encore accomplis, parmi lesquels il faut mentionner la création de la Banque de France.

Cependant, les propositions de paix avaient été repoussées par l’Angleterre et par l’Autriche, ou du moins ces puissances y mettaient de telles conditions que l’honneur et les intérêts de la France ne permettaient pas d’accepter.

Le premier consul, qui avait conduit ses négociations avec beaucoup d’intelligence et de sagesse, dut se préparer à faire de nouveau face à la coalition. Mais, avant d’entrer en campagne, il sentit la nécessité d’en finir avec la Vendée, de transformer la suspension d’armes en paix définitive ; il redoubla d’efforts, dirigea des forces vers l’Ouest, et par des concessions habiles, par un mélange de fermeté et d’esprit conciliateur, par des démarches auprès des chefs royalistes, il parvint à pacifier successivement les deux rives de la Loire, la Bretagne et la Normandie. À la fin de février 1800, les départements de l’Ouest étaient entièrement pacifiés. Ce beau résultat fut dû surtout à la vigueur et à la prudence du général Hédouville, qui seconda avec une intelligence admirable la sagesse du premier consul.

Avant d’ouvrir la campagne de cette année, Bonaparte se hâta de clore la session du Corps législatif, puis d’aller s’installer en grande pompe aux Tuileries, d’où il avait fait enlever les emblèmes républicains, qu’il nommait maintenant des cochonneries ; enfin, de supprimer les journaux, à l’exception de treize, qui furent dûment avertis qu’à la moindre velléité d’indépendance ils seraient immédiatement supprimés.

C’est à ce moment (mars 1800) que fut proclamé le vote de la France sur la constitution, vaine et tardive formalité qui d’ailleurs n’eût rien changé au cours invincible des événements.

Le lendemain du jour où il s’était installé dans le palais des rois, où palpitait encore le souvenir de la Convention et des grands comités, l’heureux Corse dit avec un sentiment d’orgueil à son secrétaire Bourrienne : « Eh bien ! nous voilà donc aux Tuileries !… Maintenant, il faut y rester. »

Ce trait est caractéristique, et il peint bien l’homme étrange qui, dans cet âge des grandes passions humanitaires, au milieu du combat des idées, n’eut jamais d’autre culte que lui-même, d’autre préoccupation que l’agrandissement de sa personnalité.

Bientôt, cependant, il fallut se préparer à continuer la guerre contre la coalition européenne. Les derniers moments du Directoire avaient été marqués par des succès, et notamment par la mémorable victoire de Zurich. Mais l’Angleterre et l’Autriche, entraînant une partie des États de l’Allemagne, rentraient de nouveau en ligne et se disposaient à nous porter les plus terribles coups.

Bonaparte était prêt, son plan était dressé : Moreau, avec l’armée du Rhin, devait opérer en Allemagne, Lecourbe en Suisse, Masséna en Ligurie. Quant à lui, il se réservait de franchir les Alpes et d’entrer en Italie. Nous n’avons pas à décrire ici les opérations militaires, dont les principales ont dans ce Dictionnaire dès articles spéciaux. On sait ce que fut cette belle campagne de 1800 : le passage du Rhin par Moreau, ses succès et ceux de ses lieutenants à Stokach, à Engen, à Moesskirch, à Biberach, à Memmingen, à Augsbourg, à Ulm, à Hochstaedt, ses conquêtes en Bavière, etc. ; la défense héroïque de Gênes, par Masséna ; le passage du mont Saint-Bernard, par Bonaparte, sa marche sur Milan, où il rétablit la république Cisalpine, enfin la victoire de Marengo, si chèrement disputée, et qui assura la prééminence de la République. Toutes ces opérations à jamais glorieuses ne furent pas toutes l’œuvre du premier consul, et même elles ne furent pas entièrement le fruit de ses conceptions ; mais, soit par lui-même, soit par le prestige qu’il exerçait, il y eut une part éclatante et qui augmenta sa renommée en France comme en Europe. Son retour d’Italie fut un triomphe, les villes lui dressèrent des arcs de triomphe, et, le jour de son arrivée, Paris entier s’illumina (3 juillet 1800). Il jouissait avec ivresse de sa gloire, et telle fut l’impression qu’il conserva de ce temps, que vingt ans plus tard, dans sa solitude de l’Océan, ces journées radieuses du consulat lui apparaissaient comme les plus belles de sa vie.

La nouvelle que Moreau avait couronné ses opérations en Allemagne par les plus brillants succès vint porter au comble l’allégresse publique, et le grand anniversaire du 14 juillet se célébra cette année au milieu des transports les plus enthousiastes.

Cependant des conférences s’ouvrirent à Lunéville entre la République, l’Angleterre et l’Autriche, pour discuter les conditions d’une paix générale ; ces conférences n’aboutirent, pour le moment, qu’à un armistice qui donna du moins un répit de plusieurs mois.

Le premier consul en profita pour donner carrière à son activité habituelle et s’occuper des affaires de l’intérieur. Par la force même des choses, c’est-à-dire par l’état florissant de la République, le crédit se rétablissait, et il faut reconnaître que les mesures prises, et surtout la création de la Banque de France, avaient puissamment contribué à ce résultat. Malgré ses concessions aux royalistes et aux prêtres, Bonaparte était accepté avec enthousiasme par la masse de la nation comme chef de la République. Les républicains éclairés songeaient seuls alors à César, et un grand nombre d’entre eux gardaient une attitude hostile, que justifiaient la compression ou la malveillance dont ils étaient l’objet, et la marche même du gouvernement. Les royalistes recevaient du premier consul des bienfaits qu’ils avaient parfois sollicités humblement (radiation des listes d’émigrés, restitution de biens non vendus, etc., etc.), mais dont en général ils conservaient peu de reconnaissance. De leur côté, ils songeaient à Monk, et ils s’étonnaient que l’heureux général différât, aussi longtemps de rétablir les Bourbons sur le trône. Les illusions de ce parti étaient telles, que le prince émigré qui s’intitulait Louis XVIII écrivit à Bonaparte deux lettres fort pressantes, où il lui reprochait de perdre un temps précieux pour assurer le repos de la France en lui rendant son roi. Il l’assurait d’ailleurs de ses bons offices et lui promettait de ne pas l’oublier quand il aurait été rétabli par lui.

Bonaparte fit à ce maniaque insensé une réponse pleine de dignité et de bon sens : « … Vous ne devez pas, lui disait-il, souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur cinq cent mille cadavres… »

Quels étaient alors ses desseins personnels ? Évidemment de rester le maître de la France, de se perpétuer au pouvoir, enfin de ne point quitter les Tuileries, comme il l’avait exprimé récemment. Mais quant à restaurer le trône par lui-même, quant à donner à sa dictature la consécration d’une couronne, il est vraisemblable qu’il n’osait y songer encore, ou que du moins la chose ne lui paraissait pas aussi promptement réalisable.

Des manœuvres de police ayant entraîné dans une conspiration dont Fouché tenait les fils quelques républicains ardents, Aréna, Topino-Lebrun et autres, ces malheureux furent arrêtés sous l’accusation d’avoir voulu poignarder le premier consul à l’Opéra, le 18 vendémiaire an IX (10 oct. 1800) et payèrent de leur tête leur intention vraie ou supposée. Cet événement parut à quelques personnes propre à précipiter le dénoûment du drame politique auquel la France assistait sans en pressentir encore la conclusion.

Lucien Bonaparte fit écrire par Fontanes un factum anonyme intitulé : Parallèle entre César, Cromwell, Monk et Bonaparte, qui fut répandu dans toute la France par le ministère de l’intérieur, et dans lequel on insinuait tres nettement qu’il ne manquait à la prospérité nationale que d’appliquer le principe de l’hérédité au gouvernement de Bonaparte.

L’impression fut pénible dans tout le pays, et les préfets mandèrent que cette ouverture prématurée avait produit le plus fâcheux effet. Dans le sein même du conseil d’État, la désapprobation ne se cachait point. Le premier consul, soit qu’il eût consenti à cette tentative, soit qu’il eût été compromis à son insu par des amis impatients et maladroits, crut devoir désavouer l’écrit, et Lucien dut échanger le ministère de l’intérieur contre l’ambassade d’Espagne.

Toutefois, les républicains ne pouvaient conserver aucune illusion, et Bonaparte confirmait leurs soupçons par la plupart de ses actes, aussi bien que par le soin qu’il mettait à éloigner les hommes dont l’indépendance républicaine était un obstacle pour lui. C’est ainsi, notamment, qu’il retira le ministère de la guerre à Carnot, et qu’il se débarrassa de l’austère Jourdan par un exil plus ou moins déguisé, la mission d’ambassadeur auprès de la république Cisalpine.

Il se présenta bientôt une occasion qui lui permit de donner carrière à sa haine de plus en plus accentuée contre les républicains. Le 3 nivôse (24 décembre), au moment où il se rendait à l’Opéra, une explosion terrible se produisit sur le passage de sa voiture, que fort heureusement le cocher avait mis au galop de ses chevaux, et dont les glaces seulement furent brisées. C’était la machine infernale préparée par Saint-Réjant et autres sicaires royalistes. Beaucoup de personnes furent victimes de cet odieux attentat.

Bonaparte parut un moment à l’Opéra, puis retourna aux Tuileries, où sa colère éclata avec une telle violence, que ses familiers étaient épouvantés. « Ce sont les jacobins, les terroristes ! s’écriait-il ; il faut les écraser, en purger la France, etc. » Dans son langage habituel, d’ailleurs, les républicains étaient tous des assassins, des massacreurs de septembre. Dans cette circonstance, le danger qu’il avait couru exaltant encore son imagination, avivant ses haines implacables, il ne parlait que de fusiller et de déporter en masse. Fouché, qui était sur la trace des vrais coupables, exprima quelques doutes ; mais, malgré sa conviction, il n’en suivit pas moins le torrent, et il contribua à la mesure extraordinaire en vertu de laquelle le premier consul signa la déportation de 130 innocents (4 janvier 1801). À ce moment, on n’avait pas encore arrêté les assassins ; mais il avait déjà été mis hors doute, par l’enquête et par des centaines de confrontations, que pas un seul républicain n’avait trempé dans le complot. Quinze jours plus tard, les coupables étaient arrêtés et condamnés. « Bonaparte, qui ne se souciait guère des formes violées, dit M. Thiers, et qui ne songeait qu’aux résultats obtenus, ne laissa voir aucun regret. Il trouva que ce qu’on avait fait était bien fait de tous points ; qu’il était débarrassé de ce qu’il appelait l’état-major des jacobins, etc. »

Parmi les malheureux déportés, il y avait d’anciens représentants du peuple et autres fonctionnaires de la République, l’ex-général Rossignol, le colonel de gendarmerie Lefebvre, Félix Lepelletier de Saint-Fargeau, le député Talot, Charles de Hesse, le prince jacobin qui avait servi la République comme général, Tissot, depuis membre de l’Académie (qui parvint heureusement à se faire rayer de la fatale liste), etc.

La deuxième session du Corps législatif venait de s’ouvrir, et, parmi les lois soumises