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s’endorment dans les jouissances et même dans les splendeurs de la vie civile. Les décurions y sont honorés, leurs dignités enviées, et, plus heureuses que la capitale, parce qu’elles sont plus libres, les villes municipales reconnaissent sa suprématie sans souffrir de sa domination.

Mais, si indépendantes que fussent les cités, leur sort n’en était pas moins lié à celui de l’empire dont elles formaient la base, et l’édifice devait, en s’affaissant, les écraser de son poids. Or, depuis le règne de Dioclétien, de graves périls se révélaient sous une prospérité apparente. Ils naissaient de toutes parts. À l’intérieur, une soldatesque effrénée, une populace croissante, et, par contre, la disparition graduelle de cette classe moyenne qui a été partout et toujours le plus ferme appui des États. Les colons étaient ruinés. Les petits propriétaires, les cultivateurs affranchis, mais dépouillés par le fisc, se plaçaient, à titre de clients, sous la protection des grands personnages, et donnaient déjà l’exemple de l’inféodation qui plus tard faillit éteindre complètement la vie sociale. Telle ville qui, deux siècles auparavant, avait compté presque autant d’hommes libres que d’habitants, ne parvenait même plus à compléter sa curie. Pour combler les vides, il fallait y introduire de force jusqu’aux misérables flétris par les tribunaux. Dans les provinces enfin, comme au centre, se manifestaient des symptômes de dislocation.

Aux frontières, des périls croissants. Le Danube et le Rhin avaient été franchis par les barbares. Des incursions périodiques, menaçantes, annonçaient déjà ces migrations de peuplades qui se succédèrent deux siècles durant jusqu’à leur établissement définitif au centre même de la civilisation. Tantôt combattant, tantôt négociant, mais toujours achetant la paix ou la guerre, l’empire, qui n’avait plus comme autrefois les ressources de la conquête, ne vivait plus que des subsides des provinces. Dès lors tout le système du gouvernement se réduisit à lancer sur les cités un réseau de fonctionnaires pour en extraire les richesses et les forces militaires nécessaires à la résistance. Le revenu des cités fut dévoré par le fisc, et Constantin s’empara même de propriétés municipales dont l’origine respectable remontait à la plus haute antiquité.

Il existait enfin pour les municipes une autre cause de décadence. La vieille société portait dans son sein un germe de mort. Dans ses rangs, de bas en haut, s’était propagée une doctrine religieuse qui, sous la double impulsion d’une foi ardente et de persécutions impolitiques, montait vers le sommet de l’édifice social. Quelle fut, en général, l’influence de cette doctrine sur l’esprit public du temps, ce n’est pas ici le lieu de traiter cette question. Nous ne l’étudierons qu’au point de vue des municipes. Or il est certain que l’attraction puissante exercée sur les âmes par le christianisme entraîna dans son orbite un grand nombre d’hommes supérieurs dont les lumières et les richesses furent autant de forces perdues pour les cités. Ce mouvement, lent à l’origine, devint irrésistible lorsque le christianisme s’assit victorieux sur le trône des Césars. D’abord vague et mal défini, le pouvoir de l’Église grandit et s’affermit par des lois positives qui constituent son droit politique et civil. Constantin accorde au clergé la suprématie sur les magistratures laïques. C’est le clergé qui surveille les juges. Puis il obtient la poursuite directe de certains délits et une part de juridiction dans les affaires civiles. Ensuite il pénètre dans la curie. L’évêque devient administrateur. Il inspecte les travaux publics et les édifices ; il dispose des revenus de la cité ; il intervient dans la nomination des tuteurs et curateurs ; il préside au choix des agents municipaux. Enfin survient un décret qui ordonne le dépôt dans les églises de tous les actes de l’état civil, acte décisif qui imprime à toute la société un caractère nouveau.

Les municipes déchus vont-ils se régénérer sous le patronage de l’Église ? Au premier coup d’œil on pourrait l’espérer, car le clergé forme la classe la plus éclairée et, après tout, la meilleure de l’époque. Mais l’Église, qui vise d’abord à s’organiser elle-même de préférence, ne saurait y parvenir qu’en désagrégeant les éléments des institutions civiles. Le sacerdoce ouvrant la voie à tous les honneurs comme à tous les privilèges, les décurions se font clercs, et les sénateurs évêques. Les temples s’élèvent, mais les édifices profanes tombent en ruine. Les abbayes se peuplent, mais les cités sont désertées. On lègue ses biens à l’Église, et la curie s’appauvrit d’autant. La foi religieuse s’exalte, mais le patriotisme s’éteint. D’ailleurs, sans dédaigner le soin des choses de ce monde, l’Église est avant tout une société spirituelle. La fortune de l’empire et les vicissitudes des cités la touchent peu. Le fond même de ses doctrines est une cause de ruine. Quelle énergie attendre de qui n’espère en ce monde ni joies ni consolations ? Et cependant, pour le dire en passant, quand la barbarie frappait aux portes, il y avait lieu de prêcher à des citoyens autre chose que la résignation.

Accablées par un despotisme monstrueux, qui exige d’elles d’autant plus de sacrifices qu’il devient plus incapable de les protéger, les cités succombent. Les impôts sont levés par force. Les résistances sont broyées. Les contestations étant jugées par les officiers mêmes du fisc, on devine le sort des contribuables. Or les contribuables, quels sont-ils ? La loi n’en reconnaît pas d’autres que les décurions solidairement responsables pour leurs concitoyens. Aussi, parmi les décurions, c’est à qui se dérobera à cette insupportable servitude. Les uns se font clercs ou entrent subrepticement dans la milice. Les autres grossissent la foule des bagaudes, bandes armées et vagabondes qui infestent les campagnes et livrent aux légions des batailles rangées. Quatre villes de Mysie sont désertées en masse par leurs corps municipaux, qui vont chercher un refuge, où ? chez les barbares ! Mais la loi inexorable ramène à leur chaîne les fonctionnaires contumaces. À partir du règne de Constantin, une multitude de lois leur ferment les issues. L’empereur Valens les traité de lâches et de déserteurs. La matière venant à manquer, on crée des décurions à coups de décrets. Mineurs, fils d’esclaves et de femmes libres, repris de justice, clercs rejetés comme indignes, tout est bon pour le décurionat. Mesures impuissantes ! la curie est menacée de dissolution.

Les classes inférieures étaient-elles plus heureuses ? Non. Il n’est pas dans la nature humaine de souffrir du plus fort sans se venger du plus faible. Pressurés par le fisc, les décurions se firent oppresseurs à leur tour. L’histoire n’a pas enregistré toutes les plaintes ; mais elles durent être bien générales, et bien longues, et bien vives, pour s’élever à travers mille entraves jusqu’au trône impérial. On s’en émut enfin, et, en l’an 365, fut créée, comme remède à une situation irrémédiable, une nouvelle institution.

Défenseurs. Qu’est-ce que le défenseur des municipes ? Son titre l’indique : c’est un avocat, un protecteur, une sorte de tribun du peuple, et, bien qu’il entre dans sa mission de protéger la curie contre les officiers de l’empire, on voit que, dans la pensée du législateur, son principal rôle est de soutenir contre les administrateurs eux-mêmes les intérêts des administrés. En effet, le défenseur est choisi hors de la curie : marque de défiance très-significative ; la masse entière des habitants, sans distinction, concourt à son élection : c’est la force de la démocratie opposée à l’oligarchie des décurions ; le défenseur est élu pour cinq ans, tandis que les autres fonctionnaires sont renouvelés plus souvent. La durée de son mandat ne peut qu’ajouter à son autorité. Il exerce une part notable du pouvoir judiciaire. La police correctionnelle est de son ressort. Au criminel, il est chargé de l’instruction : au civil, sa compétence, limitée d’abord à 50 sous d’or, s’étend ensuite à 300 sous. C’est lui qui juge les causes sommaires des paysans. En matière de juridiction volontaire, il a les mêmes droits que le duumvir. On ne voit enfin aucun acte public qui ne puisse être valablement accompli par le défenseur. Interposé comme un arbitre entre les décurions et le menu peuple, le nouveau magistrat est chargé de réprimer tout à la fois l’arrogance des uns et les insultes des autres.

Enfin, pour constater son autorité, comme aussi pour sa propre défense, il se fait précéder par des appariteurs et pénètre à toute heure, avec son escorte même, chez les principaux magistrats.

Confiée à des mains dignes, une telle institution pouvait certainement, quoique mal conçue, rendre de grands services ; mais, par cela même que les défenseurs étaient pris hors de la curie, les choix ne furent pas toujours des plus heureux. D’ailleurs entre des fonctions rivales les conflits étaient inévitables. Qu’avait décrété le législateur ? L’anarchie : ou le défenseur devait tendre à empiéter, ou il devait se laisser annuler par les hautes magistratures des cités. Ce dernier cas fut le plus fréquent. Il en fut des défenseurs dans les municipes comme des censeurs à Rome. Plus tard, dans l’affaissement de toutes les autres autorités, on verra l’évêque devenu le défenseur de la cité absorber à son tour tous les pouvoirs ; mais sous l’empire l’action du défenseur est à peu près nulle, et, pour juger ce que sont devenus au Ve siècle les municipes romains, on n’a qu’à lire ce passage de Salvien, souvent reproduit comme le tableau le plus éloquent de ces temps malheureux : « Ce qu’il y a de plus affreux, c’est que le petit nombre proscrit le plus grand. Ce sont ces gens pour qui la perception de l’impôt est un vrai brigandage, pour qui les dettes du public sont une occasion de gain : et ce ne sont pas seulement les chefs qui se rendent coupables de ces excès ; les sous-ordres veulent aussi en tirer profit ; ce ne sont pas seulement les juges, mais encore leurs subordonnés. Quelles sont les villes, quels sont même les bourgs où il n’y ait pas autant de tyrans qu’il y a de décurions ? Quel est le lieu où les principaux citoyens ne dévorent pas les entrailles des veuves, des orphelins et de tous ceux qui comme eux ne sont pas en état de se défendre ? Aucun plébéien n’est à l’abri de la violence, et pour s’en garantir il faut être d’une condition égale à celle des brigands… Ce qui devrait être une charge commune ne porte que sur les épaules des faibles : ce sont les pauvres qui payent les taxes des riches. À considérer ce qu’on exige d’eux, on les croirait dans l’opulence ; à examiner ce qu’ils possèdent, on les trouve réduits à la mendicité… Le gouvernement envoie des commissaires chargés de lettres impériales ; il les recommande aux principaux citoyens, et ceux-ci leur décernant de nouveaux dons acceptent des superindictions (surcroît d’impôts) et les répartissent en totalité sur les pauvres. Ils s’en attribuent tout le mérite, et le poids des nouvelles charges tombe tout entier sur les malheureux qui n’ont pas été consultés. Ils sont pillés, ces pauvres… Ils sont forcés de passer chez les ennemis pour ne pas être écrasés chez eux. Ils vont chez les barbares chercher l’humanité romaine, parce qu’ils ne peuvent plus supporter la barbarie qui les opprime dans leurs foyers ; ils se réfugient chez des peuples auxquels ils ne ressemblent ni par le langage ni par les habitudes, et ils n’ont pas lieu de se repentir d’avoir passé chez les Goths, chez les bagaudes et chez les autres barbares. Ils aiment mieux être libres sous les dehors de la servitude qu’esclaves avec une apparence de liberté. »

Les couleurs du tableau sont probablement un peu chargées : celui que ses contemporains nommaient le maître des évêques n’échappait pas à la tendance déclamatoire de son époque ; mais, toute part faite à l’exagération, il reste un fait acquis et bien constaté : c’est que l’empire à sa dissolution laissa dans un état déplorable l’administration des cités.


— 2e période. Les municipes depuis l’invasion jusqu’au XIIesiècle. L empire s’écroule. Les Suèves et les Vandales ont envahi l’Espagne. Les Visigoths s’établissent dans l’Aquitaine et sur les deux versants des Pyrénées. Les Burgondes jettent leur dévolu sur les contrées voisines des Alpes. L’Armorique chasse les garnisons romaines et proclame son indépendance. Hostile à toutes les autres, la confédération des francs s’avance graduellement du nord au midi et n’impose point de limites à ses conquêtes. L’Italie enfin accepte sans trop de répugnance la domination d’un chef hérule, puis d’un chef ostrogoth, en attendant le joug plus dur des Lombards. L’état politique des sociétés ainsi bouleversé, que vont devenir les municipes ?

L’obscurité des temps et l’incohérence des témoignages historiques ont laissé place à de nombreuses hypothèses. Pour juger du plus ou moins de persistance du régime municipal après l’invasion, il faut, ce nous semble, apprécier d’abord les éléments divers qui, en s’agrégeant, doivent à la longue créer une société nouvelle, puis tenir compte des temps et des lieux, faire à la puissance des traditions sa part légitime, enfin ne pas confondre de vaines formules devenues lettre morte avec la vie réelle des cités : on verra clairement alors le pouvoir municipal se concentrer peu à peu dans les mains du clergé, suivre le sort et partager les vicissitudes de cette puissance nouvelle, résister où elle résiste, succomber où elle succombe, s’effacer enfin tout à fait, ici sous la tyrannie d’un comte d’origine barbare, là sous la domination d’un évêque féodal, jusqu’à ce que, par un effort héroïque et presque simultané, en Italie, en France et dans les Flandres, la cité brise ses étreintes et recouvre son ancien éclat. Telle est, du Ve au Vesiècle, l’histoire des municipes dans l’Occident.

Le monde romain était assez homogène : Rome avait tout nivelé sous son empire. Mais les envahisseurs se ressemblaient peu, et de leurs divers degrés de culture individuelle et morale devaient naître tout d’abord des législations plus ou moins favorables aux municipes.

Grâce à un long contact avec l’empire qui achetait leurs services militaires, les Goths s’étaient imprégnés des mœurs et de la civilisation romaine. Aussi traitaient-ils de barbares les Burgondes qui, à leur tour, qualifiaient de même les membres de la farouche confédération franque. Les rois visigoths sont aussi romains que les Romains eux-mêmes. Alaric avait même rêvé la restauration de l’empire. Moins ambitieux, ses successeurs se contentent de se tailler des royaumes au centre des plus belles provinces, la Narbonnaise et l’Aquitanique, et les gouvernent si sagement que, malgré la perte d’une moitié de leurs terres, les habitants ne paraissent pas regretter la domination romaine. Les cités sont florissantes. Tour à tour capitales et résidences royales, Toulouse et Bordeaux atteignent au plus haut degré de splendeur. On peut en croire sur ce point Sidoine Apollinaire, ce Romain d’esprit et de cœur qui, tout meurtri encore de la chute de sa patrie, nous fait un éloge pompeux de la cour du roi Euric. Administrateurs autant que guerriers, les rois visigoths jettent les fondements d’une monarchie de courte durée, mais dont les débris leur survivront, et c’est au droit romain qu’ils empruntent la meilleure part de leur législation. Ce sont des jurisconsultes gallo-romains qui la rédigent ; ce sont les anciens habitants du pays, clercs et laïques, qui s’assemblent pour en délibérer. Il est dès lors certain que les vieilles institutions seront respectées.

Le code visigoth, édicté par le roi Euric en 480, règle tout ce qui concerne le droit civil et criminel, les formes de la procédure et jusqu’à la police rurale, et reste muet sur l’organisation des cités. Mais le code d’Alaric (506), connu sous le nom de Breviarium Aniani, et qui n’est qu’un abrégé du code Théodosien, contient à ce sujet des dispositions expresses. La curie est maintenue dans son intégrité ; les bases en sont même élargies. Les suffrages du peuple, qui auparavant n’étaient requis que pour l’élection du défenseur de la cité, concourent désormais à la nomination de quelques autres officiers municipaux. Les magistrats élus conservent toutes leurs attributions. Leur juridiction est même agrandie ; elle s’étend désormais à toutes les causes civiles et criminelles et s’exerce, soit par la curie elle-même, soit par des jurés choisis dans son sein. Le comte, représentant du roi, ne se réserve que les intérêts généraux et l’exécution des jugements criminels. Dans ce nouveau partage de la puissance publique, c’est la municipalité qui, en somme, obtient la meilleure part.

En Italie, le sage Théodoric ne cesse de rappeler ses agents au respect des lois et de la justice : « Que les peuples, écrit-il à ses préfets, reconnaissent en vous les mandataires d’un prince qui est tout Romain. Après de longs malheurs, ce qu’il leur faut avant tout, ce sont des magistrats intègres. Traitez-les si généreusement qu’ils en viennent à se féliciter d’avoir été vaincus. » Les actes de ce grand prince répondaient à ses paroles. Sa protection, aussi active qu’éclairée, s’étendit jusqu’aux cités de la Narbonnaise, qui ne firent que passer sous son empire, et de ses lois nombreuses aucune n’altère le régime municipal.

Chez les Burgondes, plus étrangers à l’empire, l’influence des idées germaniques combinées avec le droit romain produisit, en l’an 502, la loi de Gondebaud, dite loi Gombette, qui ne fut abolie que trois siècles après par Louis le Débonnaire. Point caractéristique : la compensation pour meurtre y est admise (chez les Goths, le meurtre était puni de la peine capitale), mais la vie du Romain y est tarifée au même prix que celle du Burgonde. Les terres y sont partagées par égales parts entre les vainqueurs et les vaincus, mais avec réserve au profit de ces derniers d’un droit de préemption sur le lot dont ils sont dépossédés. Au reste, sauf l’importation de quelques offices d’outre-Rhin, l’administration générale reste toute romaine, et les rois eux-mêmes s’honorent du titre de patrice. Enfin la loi Gombette ne déroge pas au régime municipal. La curie fonctionne comme auparavant, et ce n’est pas sans raison que la cité de Lyon fait remonter jusqu’au delà de l’invasion la jouissance non interrompue, du moins en principe, de ses franchises et de ses libertés.

Ainsi, jusqu’au commencement du VIe siècle, c’est-à-dire jusqu’à l’établissement définitif des Francs dans les Gaules, le municipe, maintenu dans certaines contrées, régénéré dans d’autres, n’a rien perdu à la dissolution de l’empire. Il semble même, au contraire, qu’en voyant s’évanouir sans retour ses grandes institutions politiques, la société romaine ait ressenti d’instinct la nécessité de concentrer dans les institutions civiles ce qui lui restait de force morale et d’énergie. L’impôt dû au fisc étant levé par le comte seul, et le décurionat cessant ainsi d’être une charge ruineuse, les honneurs curiaux sont plus recherchés. Jamais on ne vit tant prodigués les noms de sénat, sénateurs, familles sénatoriales, etc. La curie, élargie par l’extension du suffrage, admet dans son sein les chefs des corps de métiers et de marchands, qui la fortifient de tout leur ascendant sur les classes laborieuses. Ce n’est plus l’oligarchie romaine, c’est une démocratie informe sans doute, parce qu’elle est dépourvue de lumières, mais qui, en se perpétuant, conservera pour des temps meilleurs le dépôt des traditions. Il s’opère enfin dans les esprits, à la chute de l’empire, le même mouvement qu’à sa création. Refoulée dans l’enceinte des cités, la vie locale y gagne en éclat tout ce qu’a perdu la vie générale. Et comme nous aurons encore plus d’une fois l’occasion de le remarquer, la perte des libertés politiques n’entraîne pas toujours celle des libertés civiles. C’est dans celles-ci, au contraire, qu’on se retranche en attendant le moment de ressaisir les autres, qui n’en sont après tout que la garantie toujours imparfaite et souvent illusoire.

Mais voici venir d’autres guerres que précède l’épouvante et qu’accompagnent le pillage, le massacre et la dévastation. Soit qu’ils se trouvassent jusqu’alors satisfaits des avantages que leur procuraient leurs traités d’alliance avec Rome, ou trop faibles en nombre pour tenter de vastes entreprises, les Francs n’arrivèrent que les derniers au partage de l’empire. Le dernier Romain, Syagrius, perd sa dernière bataille contre Clovis. Audacieux, rusé, sans scrupules, heureux enfin, le chef franc étend ses conquêtes jusqu’à la Loire, où il ne s’arrête un instant que pour en méditer de plus belles : temps d’arrêt mémorable dans l’histoire. La lutte entre Clovis et Alaric, c’est la lutte entre la barbarie et la civilisation. Les pasteurs des peuples, qui ont été assez puissants pour convertir à leur foi le chef sauvage, vont prendre ici une grave responsabilité. Mais les Francs sont encore païens pour la plupart, et les Goths professent la doctrine d’Arius. Or, entre païens et schismatiques, l’Église n’hésite pas. Les évêques ouvrent les portes à l’ennemi, et, en l’an 506, la bataille de Vouglé décide du sort des peuples en les vouant à une longue et intolérable oppression.

L’histoire des rois francs de la première race n’est pour les peuples qu’un tableau de désolation, et pour les rois eux-mêmes qu’une série de guerres, de surprises, de parjures et