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des anciennes cohortes, nous nous abstiendrons de soulever une polémique sur cette grave question. D’ailleurs, c’est à peine si les Romains sont encore les Romains, et le titre de chevaliers du lustre, qui leur a été donné à cause de la place qu’ils occupent sous le lustre, semble devoir l’emporter. Revenons à Néron. Suétone nous apprend que cet empereur, lorsqu’il faisait au peuple de Rome l’honneur de chanter dans l’amphithéâtre, avait un bataillon de jeunes gens robustes destinés a l’applaudir. Charmé des acclamations, qui l’avaient accueilli dans son grand voyage artistique en Grèce, où, comme chanteur et musicien, il avait remporté 1,800 couronnes dans les jeux publics, Néron fit venir à Rome quelques hommes habiles qu’il chargea d’enseigner aux individus qui devaient le soutenir en public les différentes manières de nuancer les applaudissements. Quand ce virtuose couronné paraissait sur la scène, Burrhus et Sénèque, placés de chaque côté, donnaient un signal, et 5,000 gaillards dressés pour la circonstance entonnaient, sous la direction de chefs ayant un traitement de 40,000 sesterces (6,617 fr.) par année, quelque louange que les spectateurs étaient obligés de répéter. Quant aux applaudissements, on en distinguait trois espèces selon Suétone : les bombi, dont le bruit imitait le bourdonnement des abeilles, bruit sourd et continu : les imbrices, qui retentissaient comme la pluie tombant sur les tuiles, quelque chose d’équivalent à ce que nous appelons le tonnerre d’enthousiasme ; enfin les teslœ, dont le son éclatait comme celui d’une cruche qui se casse. Néron était l’inventeur de cette dernière sorte d’applaudissement, qui^n’était autre chose qu’un claquement produit sur la f)aume de la main gauche par les doigts de a droite. Les deux autres genres d’acclamations se faisaient en bombant les mains comme dans les imbrices, ou en les frappant à revers comme dans les bombi. On applaudissait encore en faisant claquer les doigts à la manière des gamins qui imitent les castagnettes. Puis il y avait les rires, les’exclamations. Sénèque dit qu’on agitait aussi sa robe, s’ans doute comme nos élégantes font aujourd’hui de leur programme, de leur mouchoir ou de leur éventail. L’empereur Anrélien poussa la précaution jusqu’à faire distribuer au peuple des bandes d’étoffe, pour remplacer le par de la robe dans ce dernier office. On jugera de l’extension qu’avait dû prendre la claque par ce seul fait que, lorsque Néron daignait se montrer sur la scène, tous les spectateurs étaient tenus d’applaudir sous peine de mort. Selon Properce, on se levait en signe d’applaudissement. Il y avait des maîtres dont 1 unique profession était d’enseigner les nuances de cet art difficile. Le privilège d’applaudir se concédait à une compagnie particulière, d’après des statuts fixés d’avance. Les claqueurs sont nommés juvenes par les historiens, et leurs chefs curatores.

Ce bizarre usage de la claque chez les Romains avait pour objet d’empêcher que les applaudissements, en partant des divers points, ne formassent un certain tumulte et ne nuisissent au spectacle. Ainsi Tacite se plaint de l’enthousiasme inopportun des gens de la campagne, qui troublait l’harmonie des applaudissements cadencés. C’était l’usage de

réclamer les applaudissements à la fin’des comédies, comme on le fait de nos jours à la fin des vaudevilles ; mais le public ne ratifiait pas toujours les démonstrations de la claque officielle, et plus d’une fois il manifesta son mécontentement soit par des murmures, soit par des sifflets.

La claque ne se montrait pas seulement dans les théâtres, elle avait aussi envahi le Capitole, l’Athénée, où les postes, les philosophes et les orateurs venaient lire leurs ouvrages. Tibère, bien avant Néron, avait eu ses claqueurs devant le sénat. En France, la claque, à l’état d’armée permanente.et régulière, est une création toute moderne. Jadis le public au théâtre était souverain, et il n’y a pas longtemps encore que les marques d’approbation ou d’improbation émanaient exclusivement de lui. Le parterre, puissance redoutable alors, était courtisé et flagorné comme une Majesté, Au Théâtre-Français, a la Comédie-Italienne, quand venait la clôture annuelle, ou pour la rentrée des acteurs les plus aimés, les actrices les plus en faveur adressaient au roi-parterre une humble et flatteuse allocution, un compliment composé par quelque écrivain habile. Rien ne coûtait pour amadouer le minotaure. À l’heure qu’il est, de telles câlineries à son égard sont devevenues inutiles, l’institution de la claque les a rendues presque superflues. « Le public au théâtre règne et ne gouverne plu, s, dit M. Eugène Despois. Roi fainéant, puissance illusoire, il a sous le lustre des bras payés pour applaudir et qui lui épargnent cette fatigue. Quand il est content, il laisse fonctionner la machine ; quand il ne l’est point, il peut l’arrêter aussitôt par un chut bien accentué ;mais il s’emporte rarement jusqu’à’ces excès de pouvoir. D’ordinaire, il s’ennuie en silence, modestement ; trop poli, trop bien élevé pour se permettre d’avoir une opinion, il subit avec la plus grande mansuétude la tyrannie de la claque. Et c’est ce mouton qu on s’amuse à dépeindre comme l’être le plus irritable du monde et auquel lesacteurs font parfois la mauvaise plaisanterie de paraître en avoir peur. Voyez la claque, elle en fuit co qu’elle veut. »

IV.

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Comment s’est élevée cette puissance véritablement formidable et qui rencontre si

peu d’opposition ? Au siècle dernier, il est difficile d en trouver des traces ; encore moins au xviie siècle. On vo t bien des acteurs ou des auteurs amener leurs parents, leurs amis et s’en faire applaudir ; mais cela n’est pas la claque, et ces milices levés pour la circonstance, ces cabales organisées pour un

soir ne ressemblent aucunement aux troupes régulières, ayant des chefs, une solde, un mot d’ordre, qui de nos jours envahissent les théâtres, les prennent d’assaut, y plantent de gré ou de force le drapeau de la victoire. La cabale était inventée, mais non discplinée ; elle s’exerçait d’abord d’une manière qui en interdisait l’usa.e à beaucoup de personnes. Témoin celle queladuchesse de Bouillon monta en.faveur de la, Phèdre de Pradon, au préjudice de la Phèdre de Racine. La chose était bien combinée : les plus grands seigneurs et les plus grandes dames se transformèrent en claqueurs ; néanmoins le succès ne couronna pas cette savante stratégie. Le premier qui, chez nous, ait pressenti tout le parti à tirer de la claque est un poste de boudoir, Dorât ; voulant à tout prix être applaudi, il eut l’idée d’opposer des admirateurs d’office à la froideur du public. Il acheta les billets de parterre, et les distribua à des amateurs de bas étage, à ses fournisseurs et à ses domestiques, à la condition qu’ils payeraient le prix de leurs places en manifestations approbatives. Grâce a ce coûteux expédient, ses pièces obtinrent l’honneur de quelques représentations. Mais à chaque nouveau succès, on lui appliquait le mot de Pyrrhus après la bataille d’Asculum : « Encore une pareille victoire, et je suis ruiné. » Dorât se ruina en effet à ce joli métier ; mais son invention ne fut pas perdue, et l’on peut dire, sans offenser sa mémoire, qu’elle prospéra bien autrement que ses vers musqués et ses bouquets’ à Chloris : les applaudissements payés passèrent dans les mœurs théâtrales. Un certain chevalier de La Morlière, qui avait été mousquetaire et portait le cordon de l’ordre du Christ, entreprit de critiquer toutes les pièces, et offrit aux auteurs dramatiques son amour et sa haine : quelques dîners, quelques louis empruntés sans terme de remboursement, une petite spéculation de finance sur les-billets de parterre dont il avait la disposition, -le sentiment de sa propre importance, c’était tout son salaire. Sa troupe était composée de volontaires et de soudoyés ; il commandait

ceux-ci et dirigeait ceux-là. Pendant la pièce il donnait le signal d’applaudir ou de murmurer, et les échos qu’il avait répandus avec art aux différents coins de la salle y répondaient fidèlement. Ce La Morlière s’était également imposé aux débutants et aux débutantes. Un jour il imagina de composer à son tour des pièces de théâtre, comptant bien qu’ayant assuré le succès d’autrui il était maître de se faire réussir lui-même. Malgré les plus habiles manœuvres, ses ouvrages tombèrent. Dès lors il perdit sa puissance. Peu à peu on l’abandonna. Son sceptre fut ramassé par d’autres.

Disons-le, ces cabales passagères ne furent productives pendant longtemps qu’à la vanité de ceux qui en faisaient momentanément usage, et elles durent leur coûter fort cher. Ces essai3 de claque étaient des tentatives purement individuelles, éphémères, comme celles que Figaro décrit en ces termes : • En vérité, je ne sais pas comment je n’eus point le plus grand succès, car j’avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs ; des mains... comme des battoirs ! J’avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds... » Aujourd’hui, l’auteur n’a plus besoin d’interdire les cannes aux claqueurs. Depuis le Germanicusd’Arnault(lsn), les cannes n’entrent plus au parterre ; quant aux gants, le vrai claqueur ne connaît que ceux dont faisait usage notre premier père dans le paradis terrestre lorsqu’il allait promener madame Eve,

Les premiers et sérieux essais d’organisation d’une claque permanente remontent à Napoléon 1er- ils sembleraient avoir eu pour point départ la fameuse rivalité de Mlle Duchesnois et de M"0 Georges. La Comédie-Française fut, on le sait, dans un émoi indescriptible, et son parterre devint une arène de pugilat jusqu’au jour où M’e Georges s’avisa de prendre la fuite ; mais la lutte dura assez longtemps pour que les troupes à la solde des deux tragédiennes pussent acquérir une sorte de consistance et se discipliner. Elles ne voulurent point être licenciées après la bataille et se donnèrent des chefs. Bientôt même, sentant leur puissance, elles en vinrent à mettre à prix leurs services ; finalement elles s’imposèrent aux directeurs, aux auteurs, aux comédiens, au public lui-même. C’est sous ce régime que nous vivons à présent. Il va sans dire, ainsi que le fait remarquer M. Eugène Despois, qu’au début des tentatives d’organisation, il y avait place encore pour ces cabales des anciens jours, que la claque proprement dite allait faire disparaître et remplacer. Ces cabales n’étaient pas précisément payées et se composaient d’ordinaire de gens qui avaient’reçu des billets et payaient leur place en applaudissements. C’est ainsi qu’un moment tout l’atelier de David servit de claque à une actrice du temps,

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Mî’e Leverd, pour lutter contra le talent grandissant de M"« Mars. Quand M’I* Leverd jouait, tout l’atelier, avec des billets donnés par elle, se transportait aux Français pour la fêter. Notons que l’atelier de David comprenait alors de soixante a quatre-vingts élèves. Cela se passait vers 1810.

« Noua avons connu, dit Prud’homme dans son Miroir historique et critique de l’ancien et du nouveau Paris (1807, le* vol.), nous avons connu un particulier qui n’avait pas d’antre état ni d’autre revenu que d’assister à toutes les premières représentations ; placé au milieu du parterre, il faisait l’apologie de différents passages de la pièce et donnait l’élan aux applaudissements. On lui avait donné le sobriquet de M. Claque : tes mains étaient comme des battoirs de blanchisseuse. Il se faisait payer 36 livres par vacation lorsque la pièce réussissait, et 12 livres dans le cas contraire, t Plus de -vingt-cinq ans auparavant, Mercier, dans son Tableau de Paris, parlant des • battements de mains, • les appelait « langue et monnaie universelle des Parisiens » et ajoutait : • Ils ne s’expliquent point autrement ; ils claquent pour la reine et pour les princes quand ils paraissent dans leurs loges, et qu’ils ont fait la gracieuse révérence ; ils claquent quand l’acteur paraît sur la scène, et tout aussi fort ils claquent pour un beau vers ; ils claquent ironiquement quand l.i. pièce les ennuie ou les impatiente ; ils claquent quand ils demandent impérieusement l’auteur ; ils claquent pour Gluck et font plus de bruit que tous les instruments de l’orchestre, que 1 on n’entend plus. Ils claquent dans un jardin public au retour d’un héros ; ils claquent dans la chapelle de l’Académie française, lors d’un panégyrique ou même d’une oraison funèbre : nouveauté fort étrange, et qui paraît devoir soumettre bientôt les prédicateurs évangéliques au joug de l’approbation et de l’improbation. Ils claquent les vers et la prose dans toutes les séances académiques ou assemblées littéraires. Quelquefois ces battements de mains vont jusqu’à la frénésie ; on y a joint depuis quelque temps les mots de bravo, bravissimo. On bat aussi des pieds et de la canne, tintamarre affreux, étourdissant, et qui choque cruellement quelquefois celui-là même.qui en est l’objet. Cette munie bruyante avilit beaucoup les jugements du public, dans nos salles de spectacles. On avait conseillé à un auteur perpétuellement sifflé défaire construire une machine qui imiterait les claquements de trois ou quatre cents mains, et de la confier dans un coin du spectacle à un ami fidèle et sûr. Il n’avait qu à acheter des billets comme certains confrères, c’eût été la même chose. »

La Restauration vit la claque passer à l’état d’institution. Les querelles des romantiques et des classiques lui donnèrent bientôt une importance considérable. Impartiale dans ses goûts pour les hommes et pour les choses, elle a servi tour à tour avec le même zële les Antony du drame moderne et les princesses de la tragédie ancienne, exactement comme les condottieri du moyen âge servaient, aujourd’hui les guelfes, demain les gibelins. Depuis 1830, son autorité est partout acceptée. Plusieurs directeurs, après avoir tenté de s’en passer, ont été obligés de traiter avec elle, d’accepter ses conditions. Chassée par eux, elle rentrait ramenée par l’amour-propre des comédiens. Un seul des théâtres de Paris a réussi à se préserver de la claque.’-c’est le Théâtre-Italien. On dit de lui, il est vrai, que s’il n’a pas.de claque, il a une clique.

Sauf ce dernier spectacle, tous les théâtres ont des claques organisées, et l’Opéra possède la mieux disciplinée. Les chefs de claque se donnent le titre d’entrepreneurs de succès dramatiques ; ils ne reçoivent pas de subvention de la direction, mais un certain nombre de places dont ils disposent chaque soir à leur bénéfice, ce qui serait insuffisant pour leurconstituer les 10, 20, 30,000 et même 40,000 fr. que quelques-uns gagnent annuellement grâce à la vanité et à la faiblesse des artistes qui, pour avoir une large part dans la distribution des bravos, font des cadeaux en numéraire proportionnés à la somme d’applaudissements qu’ils désirent.

La claque proprement dite se compose d’un petit nombre d’hommes, le chef et ses lieutenants. Le personnel claquant se compose d’infimes, claqueurs habituels, qui sont pour la plupart de pauvres diables, passionnés pour le spectacle, et admis gratis à la condition d’applaudir ; de lavables (laver, en argot théâtral^ signifie vendre), qui payent au chef de claque leur entrée à vil prix, et de solitaires, amateurs qui, pour ne pas faire queue, pénètrent au parterre avec la claque, en payant la totalité du prix de la place à l’entrepreneur, et ne sont astreints qu’à ne pas siffler. D’ordinaire, le chef de claque et son second assistent aux deux dernières répétitions de la pièce dont ils sont appelés à appuyer le succès. Us notent les scènes et les mots à effet, d’après l’impression que ces mots ou ces scènes produisent sur les quelques personnes présentes. L’auteur et les acteurs les aident sans doute dans cette besogne ; mais l’entrepreneur, ayant une extrême habitude du théâtre, a nécessairement acquis une certaine sûreté de coup d’œil, et souvent distingue assez bien les mots qui doiventmordre sur le public, et ceux qui le laisseront indifférent. Ce premier travail se modifie aux premières représentations selon l’accueil plus ou

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moins favorable du public, et après dix soirées environ, tous les mots ou situations à applaudir sont fixés, stéréotypés à. jamais, et la pièce fût-elle jouée cent, deux cents fois, on applaudira, on rira, on pleurera aux mêmes

passages. Rire et pleurer, c’est là, en effet, que triomphe l’habileté du chef de claque et son tact a choisir ses hommes ! il faut dire aussi ses femmes ; car c’est à Ce sexe auquel M. Legouvé doit sa mère qu’est réservé le don des larmes et qu’est attribuée la fonction de propager l’attendrissement ; dans le drame, on a des pleureuses, braves commères parées de leurs plus beaux atours, épouses sensibles de MM. les claqueurs, dispersées dans la salle aux places les plus apparentes des secondes et troisièmes galeries. On a noté, aux répétitions, une scène déchirante ; à cette scène, et dès que le vénérable vieillard retrouvant sa fille infortunée s’est écrié : « Sauvée ! merci, mon Dieu 1 » les pleureuses, qui ont tiré leur mouchoir, le mordent convulsivement, se tamponnent les yeux, se mouchent avec émotion, et la partie féminine du public payant de sangloter aussitôt, avec cette facilité qui lui est naturelle : succès de larmes.’ disent le lundi suivant les critiques bien informés. S’agit-il d’une comédie ou d’un vaudeville : aux mots comiques, aux traits spirituels ou prétendus tels, les Romains, qui ont reçu mission de lâcher la boucle de derrière et le premier bouton, partent d’un bruyant éclat de rire : ce sont les rigolards ; cette spécialité exige du tact, de la belle humeur, quelque chose de rabelaisien dans la mimique et de communicatif. Ce genre de manifestation s’appelle une rigolade, et quand les rigolades ont été fréquentes, le feuilleton écrit dans ses colonnes : succès de bonne et franche gaieté.

Sans doute, ce charlatanisme a son côté comique, mais il a aussi son côté repoussant ; le mensonge est le fond de tout cela, et comme le dit M. Eugène Despois : ■ 11 est triste de voir les hommes presque exclusivement occupés à se mentir réciproquement. On dit que c’est là la vie et qu’il faut s’y faire, et que personne ici n’est dupe : Qui donc trompe-t-on ici ? tout le monde est d’accord ; c’est le mot de Basile, et c’est celui qu’on a le plus souvent l’occasion et l’envie de répéter a son entrée dans le monde. Oui, cela est vrai, on ne trompe personne ; mais alors à quoi bon cette comédie ? Après tout, entre ces claqueurs qui font, souvent avec esprit, leurs efforts pour duper le public, et ce public benêt qui se prête à cette mystification quotidienne, impudente, et’fait semblant d’être dupé, le rôle le plus honteux, c’est celui du public : il mérite assurément d’être berné comme un Géronte, puisqu’il lui serait si aisé d’y mettre ordre et que pourtant il ne le fait point. »

La claque, dans ces dernières années surtout, a été l’objet d’attaques fort vives de la part d’écrivains qui comprennent la dignité de leur profession. Quelques auteurs dramatiques, entre autres M. Emile Aubier et M. Alexandre Dumas fils, ont essayé à diverses reprises de se passer de ces applaudissements mercenaires ; mais, il faut bien l’avouer, la vanité de quelques comédiens, des comédiennes surtout, a rendu leurs tentatives infructueuses. Aussi, en attendant que le monde des théâtres soit convaincu une fois pour toutes que la claque est une institution déshonorante pour lui, les industriels qui en ont l’entreprise s’enrichissent et ont maison de ville et maison de campagne. Il est vrai que n’est pas chef de claque qui veut ; pour conquérir, ou plutôt pour acheter cette place importante, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Auguste, chef de claque de l’Opéra, mort il y a quelques années, avait payé la sienne 80,000 fr. En peu de temps, il fit fortune. « Plus d’une danseuse bien établie lui payait une pension, dit le docteur Louis Véron. Les débuts de chaque artiste lui valaient, de la famille ou des protecteurs, des gratifications dont le chiffre se réglait sur les prétentions du débutant ou de la débutante. Pour enlever d’assaut le cœur d’une jeune danseuse à ses débuts, il était assez d’usage de mettre, pour ainsi dire, dans la corbeille, outre des fleurs, des diamants et des dentelles, de riches gratifications pour Auguste. Vers la fin des engagements et au moment de les renouveler, plus d’un artiste, pour tromper tout à la fois le public et le directeur, demandait d’Auguste, 5 prix d’argent, un surcroît de succès momentané qui put, sinon accroître, au moins faire maintenir le chiffre de ses appointements. Ces succès factices sont des pièges tendus au directeur, et dans lesquels on parvient souvent à le faire tomber...» M. Véron qui a longtemps dirigé l’Opéra est loin de repousser les claqueurs qui, selon lui, ont une mission. «Tous ceux qui s’exposent à être jugés par le public ont besoin, dit-il, pour animer leur courage, de cette fièvre de joie que leur causent les applaudissements. > C’était aussi l’avis de Talina, qui trouvait le public trop lent à prendre l’initiative ; rien, selon lui, n’est favorable à l’inspiration comme le bruit des applaudissements, et l’artiste, se faisant facilement illusion sur la nature des marques d’approbation qu’il reçoit, acquiert, grâce aux bravos salariés, l’élan qui lui méritera plus tard des manifestations légitimes. « La claque est aussi nécessaire au milieu du parterre, prétendait Elleviou, que le lustre au milieu de la salle, » C’est là le beau côté de la claque ; mais quel revers à cette médaille I

On a souvent élevé la question de savoir si non-seulement on supprimerait la claque sa ■ 49