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cratique ; le profil se distingue par une grande pureté de traits.

Nous ne pouvons donner qu’une liste incomplète des productions de Mme  de Charrière, mais cette liste contient ce qu’il y a de plus important et témoigne d’une existence très-laborieuse : Lettres neufchâteloises (1784). Ce roman est fort simple et révéla une sensibilité douce. Mme  de Charrière eut, à son sujet, quelques petits désagréments. On crut qu’elle avait voulu tracer des portraits d’après nature, et plusieurs de ses compatriotes d’adoption s’en montrèrent mécontents. « Pour nous autres désintéressés, dit M. Sainte-Beuve, les Lettres neufchâteloises sont tout simplement une petite perle, en ce genre naturel qui nous a valu Mademoiselle de Liron, dont Geneviève, dans André de George Sand, figure l’extrême poésie, et dont Manon Lescaut demeure le chef-d’œuvre passionné. À défaut de passion proprement dite, un pathétique discret et doucement profond s’y mêle à la vérité railleuse, au ton naïf des personnages, à la vie familière et de petite ville prise sur le fait ; quelque chose du détail hollandais, mais sans application à la minutie, et avec une rapidité bien française… » Caliste ou Lettres écrites de Lausanne (1786, in-8o). L’édition la plus récente de ce livre, un des meilleurs de auteur, est de 1845 (Paris, Jules Labitte, in-18). Cette édition est enrichie d’une notice de M. Sainte-Beuve, et contient un autre travail également extrait de la Revue des Deux-Mondes, intitulé ; Benjamin Constant et madame de Charrière ; Lettres de mistress Henley, à la suite du Mari sentimental, de Benjamin Constant (1786) ; Aiglonnette et Insinuant, conte (1791) ; l’Émigré, comédie (1793) ; le Toi et Vous ; l’Enfant gâté ; Comment le nomme.-t-on ? Sous le pseudonyme de l’abbé de la Tour, Me  de Charrière a donné, en outre : les Trois femmes (1797-1798) ; Sainte-Anne ; Honorine d’Uzerche ; les Ruines d’Yedburg ; Louise et Albert ou le Danger d’être trop exigeant (1803) ; Sir Walter Finch et son fils William (1806) ; le Noble, etc., etc. Il est aussi d’autres ouvrages de Mme  de Charrière qui n’ont paru qu’en allemand, langue qu’on parle à Neufchâtel concurremment avec le français, qui y domine toutefois. Des lettres de notre auteur à Louis-Ferdinand Herder, son traducteur, figurent dans le tome II des œuvres posthumes de ce dernier (Tubingen, 1810).

La Dix-neuvième lettre neufchâteloise est un véritable petit bijou littéraire. C’est fait avec bien peu de chose, mais quel charme de sensibilité dans cet épisode de la vie de famille, et comme on se sent gagné par une douce émotion ! Mme  de Charrière faisait des vers à l’occasion, et d’assez bons vers. Ce fut surtout Benjamin Constant qui lui en inspira. Nous avons d’elle une fable qui fait allusion à l’infidélité de ce personnage, d’humeur un peu fantasque, comme on sait, et ces trois strophes, que nous donnons comme une chose peu connue :

    Qu’il sera doux de vous revoir !
    Chacun me voit, le jour, le soir,
    Lire cent fois, par cœur apprendre
L’écrit charmant qui m’en donne l’espoir.
    Qu’il sera doux de vous revoir,
    S’il est si doux de vous attendre !

Du mot savoir par cœur, pour la première fois.
     Je vois le sens et l’origine ;
     L’enfant qui bâille ou se mutine
   Apprend par force, obéissant aux lois
     Du dur pédant qui le chagrine ;
Mais on apprend par cœur ce qu’on apprend par choix.

Ces dons si précieux, que l’avare nature
N’a jamais accordés qu’avec poids et mesure,
Un flatteur les prodigue, et, les entassant tous,
Il charge son héros d’un esprit vif et doux,
Profond, et toutefois charmant avec les belles,
De ces portraits trop beaux quels que soient les modèles,
Je trouve, Benjamin, que l’on n’y peint que vous.

À la fin de ces vers on lit : 2 décembre, attendant Benjamin Constant.


CHARRIÈRE (Joseph-Frédéric), fabricant d’instruments de chirurgie et de coutellerie, * né à Cerniat (canton de Fribourg) en Suisse, le 19 mars 1803. Il vint à Paris en 1S15, et y travailla comme simple apprenti coutelier jusqu’en 182&. À cette époque, il acquit, quoique tout jeune encore, moyennant la modique somme de 2, 500 fr., l’établissement de son patron, situé dans la cour.de Saint-Jeande-Latran, et se livra dès lors sérieusement à l’étude de son art, qu’il éleva bientôt à un haut degré de perfection.

Avant lui, la fabrication des instrument ;  ! de chirurgie n’occupait à Paris que quarante ouvriers environ, et la plupart de nos grands praticiens s’adressaient en Angleterre lorsqu’ils avaient besoin d’outils à trempe fine et à pointe acérée. M. Charrière, en novateur intelligent, se mit à étudier la chirurgie dans ses applications quotidiennes ; il devint l’hôte assidu des.amphithéâtres et des cliniques-, il suivit pas à pas les différentes phases des opérations difficiles, et les plus illustres opérateurs trouvèrent en lui un aide tellement précieux, que l’un d’eux, Roux, disait après 1851 ; « Un homme s’est trouvé surtout, et d’autres sont venus après lui qui marchent hardiment sur ses traces et sont devenus ses émules, un homme, dis-je, s’est trouvé en France, qui, jeune, actif, impatient de produire, et doué d’une grande intelligence, a opéré presque à lui seul ces premières innovations dans la fabrication des instruments.

CHAR

Est-il besoin de nommer M. Charrière, qui bientôt devait se montrer si habile, si ingénieux dans la construction d’instruments nouveaux, et sans l’assistance duquel certaines conceptions chirurgicales auraient pu être Comme non avenues, ou du moins rester momentanénientjàtériles ? »

Cet éloge dé l’inventeur et du fabricant consciencieux était toutefois suivi d’un reproche adressé à la chirurgie moderne, qui devenait peut-être trop instrumentale, même dans les œuvres ordinaires et faciles, par suite de l’emploi d’instruments remarquables par leur mécanisme ingénieux, mais très-compliqués, faisant ainsi perdre à la chirurgie sa Délie et noble simplicité, et lui faisant trop oublier que ses actes n’ont quelque chose de grand et d’élevé que par l’intelligence de la main qui les exécute.

Il suffit, en effet, de parcourir les nombreux brevet3 d’invention concernant les instruments de chirurgie, pour se convaincre combien souvent le mécanisme de l’outil a surpassé l’habileté de l’opérateur, réduit parfois a confier à l’inventeur lui-même la mission délicate de manœuvrer l’ostéotome, la soude ou le trépan.

Malgré ce léger reproche adressé aux trop féconds inventeurs qui cèdent à l’esprit industriel du siècle, en parcourant les différents comptes rendus des expositions industrielles depuis 1834, où M. Charrière se présenta pour la première fois, on peut se rendre compte de toute l’influence que cet habile constructeur a eue sur l’industrie de la coutellerie chirurgicale. Dès ses débuts, il produisit des aciers d’une qualité tellement parfaite, que le monopole des fabriques de Sheffield et de Londres se trouva fortement ébranlé ; certains objets que l’Angleterre nous fournissait exclusivement devinrent, au contraire, pour la France un produit d’exportation assurée. La finesse des tranchants, l’élasticité des ressorts, les combinaisons chimiques des alliages et des soudures, les matières compressibles ou élastiques, lé ramollissement de l’ivoire, etc., furent pour M. Charrière un sujet d’études continuelles, de recherches patientes toujours couronnées de succès.

M. Charrière, qui se maria en 1824, rencontra dans Mme Charrière une femme d’élite, pouvant le seconder et le remplacer lorsque ses études l’appelaient au dehors. L’influence de la directrice de la maison se lit heureusement sentir dans chacune des parties de la fabrication, qui atteignit rapidement le plus haut degré de prospérité. Les ateliers, qui avaient été transférés rue de l’École-de-Médecine depuis 1833, occupaient en 1844 plus de quatre cents ouvriers ; aussi, aux nombreuses médailles que M. Charrière avait déjà reçues, vint se joindre, après l’Exposition de 1844, la première décoration accordée à ce genre d’industrie, décoration légitimement méritée par cet artiste, qui, de l’avis de tous, maîtres et élèves, s’était toujours prêté à exécuter, avec un véritable désintéressement, toutes leurs idées et tous leurs essais.

A différentes époques M. Charrière a publié des notices, mémoires scientifiques ou catalogues qui, sous une forme parfois commerciale, contiennent de nombreux renseignements sur l’art opératoire, sur la forme des instruments, sur leur application par les opérateurs à qui l’invention en est due ou qui les ont fait exécuter. Ces sortes de prospectus, rédigés avec la plus grande modestie, rendent à chacun, chirurgiens ou simples ouvriers, la part qui leur est due. Les figures qui les accompagnent en font presque des manuels de l’art opératoire, où les modestes praticiens des contrées éloignées peuvent puiser les plus utiles indications. Un article sur la Trempe, qui figure dans l’Encyclopédie du xixe siècle, donne une haute idée des connaissances technologiques de son auteur, M. Charrière.

Mais la phase la plus remarquable de l’existence de cet honorable industriel est celle qui a suivi l’Exposition universelle de 1851, où il alla lutter à Londres, sur le terrain même de la fabrication anglaise ; l’exhibition de ses produits atteignit alors les proportions d’un événement politique. M. Charrière avait tout d’abord été désigné comme méritant la council medal, la plus haute récompense de l’Exposition. Il fut rayé de la liste par le jury anglais, et cela malgré les protestations des membres français du jury international. Aussi, le 25 novembre 1850, au moment où le prince président de la République allait conférer de hautes distinctions à notre industrie nationale, M. le baron Ch. Dupin éleva la voix en face de tous, et dit : • Loin du sol de 1’Angleterre, je ne veux pas, je ne dois pas me souvenir par quel miracle du programme subséquent M. Charrière a pu cesser d’être inventeur, et comment l’unanimité favorable s’est transformée en suffrage négatif. J’affirme, à la face de mon pays, que dans la conscience intime des trente-six jurés français et de l’Institut national de France, comme de l’Académie de médecine et de chirurgie, M. Charrière est encore, dans sou genre, ce qu’il était avant et pendant l’Exposition universelle, le premier artiste de l’Europe…, et il sera le premier des industriels créés par vous officier de ta Légion d’honneur. •

Cette croix, que les ouvriers de ses ateliers furent heureux et fiers de lui offrir, devait encore devenir un plus précieux joyau de famille ; car le soir même, au banquet de l’Ely CHAR

sée, le prince Louis-Napoléon, ayant tenu entre ses mains l’écrin qui la renfermait, y substitua sa propre croix diamantée, en disant à M. Charrière : i "Vous permettez l’échange ; désormais je n’en porterai pas d’autre. •-Son fils, Jules Charrière, né en 1829, mort en 1865, succéda à son père après 1852, et, avec les conseils de ce dernier, devait continuer la bonne renommée de la maison. Jules Charrière, lui aussi, reçut la décoration en 1863, à son retour de Londres. Ses travaux ont augmenté le contingent, déjà si considérable, de ceux de Joseph-Frédéric Charrière. Plusieurs mémoires ou catalogues accompagnés de figures tiennent une place honorable dans les bibliothèques chirurgicales. La maison de commerce avait atteint un magnifique renom d’honorabilité et de perfection, lorsque la mort, en frappant le fils, a forcé le père a céder à de plus jeunes mains, MM. Robert et Collin, ce drapeau de l’industrie française, que pour sa part il avait tenu si vaillamment.


CHARRIÈRE (Ernest), littérateur français, né à Grenoble en 1805. Il a complété son éducation par des voyages, et s’est particulièrement initié à la connaissance des langues et des littératures slaves. Parmi ses ouvrages nous citerons:Sainte-Hélène (1826), poëme lyrique, qui fut son œuvre de début ; la Chute de l’Empire (1836), drame-épopée ; la Politique de l’histoire (1841-1842, 2 vol.), où l’on trouve d’intéressantes études sur les Slaves; la Stratégie de la paix, auxiliaire de la guerre (1854), etc. On lui doit aussi les traductions de la Description des hordes et steppes en Kirghiz, d’Alexis de Levchine (1840), et des Mémoires d’un seigneur russe, par Y. Tour{, rueneff. Enfin il a édité, dans la Collection des documents inédits de l’histoire de France, la Chronique de Bertrand Duguesclin, et les Négociations diplomatiques entre la France et le Levant (1846-1853, 3 vol.), publication qui a fait décerner à M. Charrière le grand prix Gobert.

CHARRIEUR, EOSE s. (cha-ri-eur, eu-zerad. charrier). Celui, celle qui fait le charroi, le transport de certains objets d’un lieu dans un autre.

— Argot. Celui, celle qui pratique le charriage, qui voie en mystifiant, il Charrieur à ta mécanique, Voleur qui, passant son mouchoir autour du cou d’un individu, l’enlève de terre et le porte ainsi sur les épaules, tandis qu’un complice le dévalise à son aise.

CHARRIN (Pierre-Joseph), publiciste et auteur dramatique français, né à Lyon en 1784, mort en 1863. Il débuta par des pièces de théâtre, et collabora, sous la Restauration, à un grand nombre de journaux politiques et littéraires. Charrin a écrit un assez grand nombre d’ouvrages. Parmi ses productions dramatiques nous citerons:la Forteresse de Hiotercero, mélodrame en trois actes (1805) ; Abenhamet ou Zoraïde (1806) ; Vivaldi (1800) ; Mahomet II ; Elle est à moi, comédie (1807); le Savetier et l’apothicaire, folie-vaudeville, avec Tournemine et Decour (1833), etc. Nous mentionnerons parmi ses autres ouvrages: le Savant de société (1816-1832, 2 vol.) ; le Mémorial dramatique (13 vol.) ; le Passe-temps d’un momusien (1817) ; le Conteur des dames (1822) ; Xhermite rôdeur (1823); Confessions d’un’homme de cour (1830, 5 vol.), etc. Il a réuni, en 1850, ses Œuvres poétiques, qui consistent en poèmes, chansons, fables, etc. (2 vol.)

CHARRIOTE s. f. (eha-ri-o-te). Petit chariot, il Vieux mot.

CHARROI s. m. (cha-roi — rad.char).Charriage, transport effectué par chariot ou par charrette : Faites en sorte que les chemins qui servent à l’exploitation des terres labourables ne nécessitent point de lourds et pénibles charrois. (E. Chapus.) (1 Prix du transport par charrette ou chariot : Ce vin ne vaut pas le

CHARROI.

— Art milit. Corps de troupes chargé du transport des bagages de l’artillerie d’une armée : Servir dans les charrois. Capitaine de charroi, il On dit aujourd’hui train,

— Pêch. Grande chaloupe qui sert, àTerre-Neuve, pour transporter la morue. Il On l’appelle aussi SBREUR.

— Féod. Droit de charroi, Droit qu’avaient certains seigneurs d’obliger leurs vassaux à voiturer le blé, le vin et les autres denrées de la récolte seigneuriale.

CHARRON s. m. (cha-ron — rad. char). Ouvrier qui fait des charrettes, des chariots, et, dans les autres voitures, les roues, les brancards et tout ce qui en constitue la carcasse : Les charrons avaient été constitués en communauté par Louis XII. (Bouillet.)

— Adjectiv. : Maître CHARRON. Ouvrier charron. Apprenti charron.

— Encycl. L’art du charron est un de ceux dont l’utilité est la plus manifeste ; dès que les sociétés humaines ont commencé ù s’étendre, dès qu’il y a eu des métairies, des bourgs et des villages entre lesquels il se faisait quelques échanges, il a fallu des charrons pour fabriquer des charrues, des herses, puis des véhicules propres à transporter d’un lieu à l’autre les objets d’échange, les instruments et les produits du labourage. Aussi trouve-t-on des charrons partout, et le plus petit groupe de maisons situé au milieu des campagnes présente presque toujours un atelier de charronnage à côté de la forge d’un maréchal ferrant.

CHAR

Le charron ne fabrique guère, en fait de véhicules, que des voitures grossières servant à transporter des denrées ou des matériaux de nature quelconque. Cependant il fait aussi quelquefois des voitures pour la promenade ou pour de courts, voyages, mais ce n’est là qu’une exception assez rare. Son travail ordU naire peut être divisé en deux parties principales : le corps de la voiture, avec les brancards, le timon ou la limonière, etc. ; et les roues, qui exigent des soins tout particuliers, où le charron a besoin de montrer une certaine habileté.

Dans le principe, les roues étaient pleines et se faisaient d’une seule pièce, ce qui n’olfrait d’autre difficulté que celle de trouver des pieds d’arbre d’un diamètre assez fort pour qu’on pût y découper des roues de la grandeur voulue. Mais depuis longtemps on a renoncé à cette fabrication primitive, et il a fallu assembler solidement des jantes, sections de la circonférence des roues, au moyen de rais emboîtés dans un moyeu. Nous ne décrirons pas ici toutes ces parties, ni les meilleurs procédés à suivre pour construire des roues solides, parce que cette description trouvera naturellement sa place au mot rode ; mais il est aisé de concevoir qu’il y a là un travail difficile qui ne peut être convenablement exécuté que par des ouvriers exercés.

Les bois employés pour le charronnage sont l’orme, le frêne, le chêne, l’érable, le hêtre, le charme. Les moyeux des roues se font toujours avec de l’orme ; quant aux essieux, ils sont ordinairement en fer, et cette partie de la roue regarde le maréchal.

CHARRON (Pierre), écrivain et moraliste français, né à Paris en 1541, d’un libraire qui avait vingt — cinq enfants, mort subitement en 1603 dans la même ville. Après avoir fait d’excellentes études, il embrassa d’abord la carrière du barreau, et fut quelques années avocat au parlement. Il y acquit quelque réputation, mats fut loin d’y faire fortune, ce qui le dégoûta sans doute de sa profession. Bien qu’il n’eût aucune vocation religieuse, comme 1 Église était, au xvie siècle, une carrière lucrative, il se mit à étudier la théologie. Son éloquence lui conquit rapidement une haute position dans le clergé. La reine Marguerite, femme de Henri IV, le désigna pour son prédicateur. Ayant suivi à Bazas l’évêquo Arnaud de Pontac, il prêcha avec un tel éclat en Gascogne et dans le Languedoc, que les prélats du Midi le comblèrent à l’envi de dignités et de bénéfices. Il résida successivement à Bazag, à Lectoure, à Agen, à Bordeaux, il Cahors, à Condom, comme théologal ou grand vicaire. Ce fut à Bordeaux qu’il se lia d’une vive amitié avec Michel Montaigne, dont il devait être le disciple le plus éroinent, si c’est être disciple de Montaigne que d’être doué d’un tempérament pareil au sien, ^t d’avoir adopté sa méthode de penser et d’écrire. Montaigne l’autorisa par testament à porter les armes de sa maison, témoignage d’affection et d’estime que Charron reconnut plus tard, en instituant le beau-frère de Montaigne son légataire universel. Il était néanmoins resté dans l’Église, et figura, en 1505, comme député à l’assemblée générale du clergé, où il fut élu premier secrétaire. Cependant l’Église se défiait de ses doctrines et avait une médiocre estime de sa personne ; si bien que les chartreux et les célestins refusèrent de l’admettre au nombre des leurs. Ils prétextèrent son âge avancé, et l’incapacité où il se trouvait de leur rendre aucun service actif. De fait, ils détestaient en lui l’épicurien, et soupçonnaient même Charron d’athéisme, en quoi ils allaient un peu loin. Quant à l’admettre chez eux, ils étaient autorisés a n’en rien faite par les idées religieuses de ce singulier prédicateur. Voici, en effet, comment il jugeait les diverses religions : Elles sont, quoi qu’on die, tenues par mains et moyens humains, témoin premièrement la manière que les religions ont esté reçeues nu monde, et sont encore tous les jours par les, particuliers : la nation, le pays, le lieu, donnent la religion. L’on est de celle que le lieu auquel on est né et eslevé tient : nous sommes circoncis, baptisés, juifs, mahométans, chrétiens, avant que nous sçaebions que nous sommes hommes. » Voltaire aurait pu contre-signer cette déclaration, lui qui écrit dans Zaïre :

Je le vois trop : les soins qu’on prend de notre enfance Forment nos sentiments, nos mœurs, notre croyance. J’eusse été prés du Gange esclave des faux dieux, Chrétienne dans Paris, musulmane en ces lieux.

Charron va plus loin : il déclare, dans le Traité de la sagesse, toutes les religions « estranges et horribles au sens commun. »

Il mourut en pleine rue (1603) d’un mal sur lequel on ne s’explique pas, probablement une attaquo d’apoplexie. On possède de lui : les Trois vérités (Cahors, 1594, in-8o) ; le Teaité de la sagesse (Bordeaux, 1601, l vol. in-8 « ) ; Discours chrétiens (Bordeaux, 1600, in-8f) Une édition complète de ses œuvres a paru en 1635 (1 vol. in-4o) sous ce titre : Toutes les œuvres de Pierre Charron, Parisien, avec une vie de l’auteur, par Michel de la Rochemaillet.

Charron est un sceptique fort différent de Montaigne, à qui il ressemble souvent parla forme. Montaigne ignore ; Charron nierait s’il osait, et quelquefois il ose. " J’ay ici usé, dit-il dans la préface de son livre De la sagesse, d’une grande liberté et franchise à dise mes advis et à heurter les opinions contraires, bien que toutes vulgaires et communément