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confédérés avaient si souvent réussi à forcer le blocus. Les fédéraux ne voulurent cependant pas détruire à tout jamais le port de Charleston, et ils ménagèrent à la navigation plusieurs passages, entre autres le canal Maffitt, qui offre le chemin le plus facile. La presse de Richmond tourna en ridicule la flotte de pierres ; elle remercia ironiquement le Nord d’avoir rendu Charleston imprenable, et d’avoir sensiblement amélioré la navigation du fleuve en augmentant la hauteur de l’eau dans les passes ménagées. Le 24 décembre, le West-Indian, navire confédéré, vint donner une sorte de raison et d’autorité aux sarcasmes du Sud en franchissant sans encombre la passe Maffitt, et en forçant au grand jour le blocus, toutes voiles déployées. Le 7 avril 1863, l’amiral Dupont, commandant la flotte fédérale, franchit hardiment la barre de Charleston. Vers midi, l’escadre se met en marche, précédée par le Weehawken, qui pousse devant lui une espèce de radeau ou diable destiné à pêcher les machines infernales qui parsèment la baie et la rade extérieure de Charleston. Les navires passent lentement devant les forts de l’île Morris, mais sans pouvoir attirer leur feu ; un silence de mort règne derrière les remparts. L’escadre avance sans être inquiétée ; elle entre dans le cercle fatal qu’entourent 300 canons au feu convergent. L’artillerie des confédérés est toujours muette. Tout à coup la flotte est arrêtée. Le Weehawken et les navires qui le suivent viennent se heurter contre une chaîne tendue du fort Sumter à l’île Sullivan et garnie dans toute la longueur de machines infernales. De son côté, le vaisseau amiral le New-Ironsides est pris en travers par le courant et n’obéit plus à son gouvernail. C’est alors que toutes les batteries confédérées tonnent à la fois ; pendant trente minutes, elles lancent près de 3, 500 projectiles de divers calibres sur les neuf bateaux cuirassés des fédéraux qui ont à peine le temps de répondre par une centaine de coups. L’amiral Dupont donne le signal de la retraite, et la flotte, dont cinq vaisseaux sont déjà réduits à une impuissance complète, sort lentement du cercle de feu et jette l’ancre en dehors de la barre. Rendus prudents par l’échec de l’amiral Dupont, les fédéraux ne commettent pas une seconde fois la faute de se heurter directement contre les forts. Grâce à l’appui de la flotte, les troupes de débarquement s’étaient emparées depuis longtemps de presque toutes les autres îles marécageuses qui s’étendent parallèlement au rivage du continent entre l’estuaire de Charleston et celui de Port-Royal. Se glissant d’îlot en îlot à l’insu de l’ennemi, le général Gilmore transféra presque toutes ses troupes dans l’île de Folly, située à une douzaine de kilomètres au S.-E. de Charleston. Du point qu’il occupait, il ne lui restait plus à franchir qu’un petit détroit pour pénétrer dans l’île Morris, étroite langue de sable se projetant à l’entrée méridionale de la rade. Le 10 juillet, il démasqua soudain les batteries qu’il avait fait élever à l’entrée septentrionale de l’île Folly et canonna les ouvrages de la rade opposée, tandis que la flotte cuirassée de l’amiral Dahlgren balayait la plage d’obus et de mitraille, afin d’empêcher le général Beauregard d’envoyer des renforts sur les points menacés. Bientôt les retranchements des confédérés furent détruits ; les soldats de Gilmore, au nombre d’environ 8, 000 hommes, traversèrent heureusement le canal, s’emparèrent successivement de toutes les batteries de l’île Morris, refoulèrent l’ennemi jusque dans le fort Wagner, situé à 5 kilom. au N. du détroit, et, dès le même jour, commencèrent à fortifier un petit groupe de dunes, afin de pouvoir se maintenir au besoin contre toute une armée sur le terrain qu’ils venaient de conquérir. Maîtres de l’île Morris, les fédéraux avaient, par cela même, réalisé dans son entier le but purement stratégique de l’expédition, puisqu’ils pouvaient bloquer désormais d’une manière absolue l’entrée du port de Charleston et priver ainsi les États rebelles d’une partie considérable des ressources que leur procurait le commerce de contrebande.

Au commencement de 1865, l’armée de Sherman, poussant toujours de l’avant, comptait ses journées par des prodiges. Le 19 février, Columbia tombait au pouvoir de l’heureux général. Beauregard évacua Columbia à la première apparition des fédéraux devant cette place. Le 15 février, Charleston avait été également évacuée, et, le 18, les forces fédérales, sous le commandement du général Gilmore, prenaient possession de cette ville. Voilà, à ce sujet, le rapport du général unioniste au major général Halleck : « La ville de Charleston et toutes ses défenses sont tombées en notre pouvoir ce matin, avec environ 2, 000 pièces de bonne artillerie et un approvisionnement considérable de munitions. L’ennemi a commencé à évacuer les fortifications de la place hier au soir, et le major Macbeth a rendu la ville aux troupes du général Schimmelfenning, ce matin à neuf heures. Elle a été aussitôt après occupée par nos forces. Notre mouvement offensif de Bull’s-Bay, sur l’Edisto, a déterminé les confédérés à la retraite. Les entrepôts de coton, les arsenaux, les ponts de chemin de fer et deux navires cuirassés ont été incendiés par l’ennemi. Quelques bâtiments en construction dans les chantiers maritimes ont également été détruits. Presque tous les habitants qui sont restés dans la ville appartiennent à la classe la plus pauvre. » Après quatre ans et demi d’absence, le drapeau des États-Unis fut déployé sur les remparts du fort Sumter, au milieu des acclamations enthousiastes des équipages fédéraux. Peu après l’arrivée des nordistes à Charleston, le feu éclata avec une violence sans égale dans la partie haute de la cité. Plusieurs entrepôts remplis de coton furent consumés en quelques heures, puis l’incendie gagna le dépôt du chemin de fer de Wilmington, où des quantités considérables de poudre et de munitions de guerre étaient emmagasinées. Un peu plus tard, une explosion terrible se fit entendre, projetant une masse de brandons enflammés qui propagèrent l’incendie dans toutes les directions, causant la mort d’un grand nombre de personnes. Plusieurs centaines de confédérés furent faits prisonniers dans la ville, dont la population ne se composait plus guère que de nègres et de quelques blancs appartenant à la classe pauvre. La garde de la ville fut confiée à une garnison de régiments noirs, qui se firent remarquer par leur discipline et leur modération.


CHARLESTOWN, ville des États-Unis d’Amérique, dans l’État de Massachusetts, à 1 kilom. N. de Boston, au confluent du Charles-River et du Mystic ; 14, 600 hab. Arsenal maritime de l’Union, avec beaux chantiers de construction pour les plus gros bâtiments. Maison de détention et d’aliénés, entretenue aux frais de l’État. Près de la ville, on remarque un obélisque élevé sur l’emplacement où se livra, le 17 juin 1775, la bataille de Bunker’s-Hill, la première de l’indépendance américaine.


CHARLET (Étienne), général français, né à Dijon en 1756, mort en 1795. Lors de la guerre de l’indépendance, il se rendit en Amérique, y fit les campagnes de 1780 à 1782, fut chargé de ramener en France une centaine de soldats malades et parvint par son courage et son énergie à sauver ses compagnons d’une mort certaine, lorsque le vaisseau qui les portait vint se briser près de Cadix. Bientôt après il quitta le service, qu’il reprit quand la Révolution éclata. Nommé lieutenant de gendarmerie en 1791, capitaine d’infanterie en 1792, général de brigade en 1793 et de division en 1794, il se distingua au passage de la Fluvia, à Campo-Pietri, à Rocca-Barbena, où il culbuta les Austro-Sardes, et reçut une blessure mortelle à Loano.


CHARLET (Nicolas-Toussaint), l’un des artistes les plus populaires et les plus originaux de l’école moderne, né à Paris en 1792 « de parents pauvres maisonnettes, » comme il l’a écrit lui-même, en manière de plaisanterie, sur le frontispice d’une suite de dessins et de croquis à la plume reproduits en fac-similé par M. Isidore Meyer, en 1846. Étant encore fort jeune, il perdit son père, dragon de la République, qui lui laissa pour tout héritage « une culotte de peau et une paire de bottes un peu fatiguées par les campagnes de Sambre-et-Meuse, et son décompte de linge et chaussures, lequel s’est monté à neuf francs soixante-quinze centimes. » Heureusement, il restait à Charlet une bonne et vaillante mère qui se dévoua à son éducation. Elle le plaça d’abord à l’École des enfants de la patrie, et plus tard elle s’imposa les plus dures privations pour le faire entrer an lycée Napoléon. Au sortir du collège, désireux de venir à son tour en aide à sa vieille mère épuisée de ressources, Charlet accepta un petit emploi dans une des mairies de Paris. En 1814, il prit part à la défense de la barrière Clichy, en qualité de sergent-major de la garde nationale, sous les ordres du chef de bataillon Odiot, et fut, pour sa belle conduite, nommé capitaine en second de sa compagnie. Mais, après 1815, l’humble commis de la mairie fut congédié pour ses opinions bonapartistes. Charlet se décida alors à suivre la vocation qui le poussait vers les arts ; il a raconté depuis, dans une de ses lettres, qu’il prit pour professeur « un croûton nommé Lebel, élève racorni de David, alors que la rotule des Atrides se montrait même à travers les pantalons, dans les tableaux d’un grand nombre des victimes du grand maître. » De son côté, il donna quelques leçons de dessin pour vivre. En 1817, il entra dans l’atelier de Gros, qui pressentit son génie et finit par lui dire : « Allez, travaillez seul, suivez votre impulsion, abandonnez-vous à votre caprice, vous n’avez rien à apprendre ici. » Ce fut à l’époque où il étudiait la peinture sous la direction de cet illustre maître, et dès 1817, que Charlet produisit ses premiers chefs-d’œuvre lithographies, dans lesquels il mit en scène les grognards de la grande armée, et retraça les glorieux épisodes de l’épopée impériale.

Une de ces compositions, le Grenadier de Waterloo, obtint un immense succès ; elle avait pour légende le mot célèbre attribué à Cambronne : « La garde meurt et ne se rend pas ! » mot que l’un des amis intimes de Charlet, le colonel de la Combe, croit avoir été imaginé par l’artiste lui-même. Cette lithographie et beaucoup d’autres du même genre (Vous ne savez donc pas mourir ! l’Aumône du soldat, etc.) furent accueillies avec enthousiasme par les ennemis de la Restauration et par tous ceux, en général, qui souffraient de l’abaissement militaire de la France. Mais, il faut bien le dire, le mérite artistique des dessins de Charlet ne fut compté pour rien. « Ce qui le prouve, a dit M. de la Combe, dans l’intéressante biographie qu’il a consacrée à son ami (Charlet, sa vie, $es œuvres, ses lettres, etc.), c’est qu’au même moment de magnifiques pièces de Charlet ne trouvaient pas d’acheteurs et par conséquent pas d’éditeur au plus vil prix. Plusieurs de ces pièces n’ont été tirées qu’à quelques épreuves d’essai. Les pierres lithographiques étaient rares ; notre artiste, voyant son œuvre méconnue, croyait s’être trompé ; il effaçait la pierre, et recommençait avec un courage et une persévérance dignes d’un meilleur succès. » L’éditeur Delpech, chez qui Charlet publia ses premières productions, avait si peu de considération pour l’auteur de ces chefs-d’œuvre que, faisant paraître chaque année un album lithographique auquel collaboraient tous les dessinateurs alors à la mode, il ne jugea pas Charlet digne de prendre rang dans cette pléiade. Ce même Delpech édita, en 1818 et en 1819, deux suites de costumes de la garde impériale dessinés à la plume par Charlet ; mais celui-ci, peu satisfait sans doute des profits qu’il avait retirés de cette publication, se risqua ensuite à faire paraître à son compte une série de costumes d’infanterie (armée de 1809). Cette suite, que l’on regarde aujourd’hui comme une de ses plus énergiques créations, une de celles où il a rendu de la façon la plus fidèle et la plus saisissante les allures, les types et les costumes des soldats du premier Empire, cette suite, qui devait avoir cinquante planches, fut interrompue après la quinzième ; encore les trois dernières n’ont-elles été tirées qu’à un très-petit nombre d’exemplaires ; plusieurs mois après l’apparition des douze premières planches, Charlet étant venu chez l’imprimeur s’informer du succès qu’elles avaient eu, il apprit qu’on en avait vendu pour vingt-quatre francs ! — Tel était d’ailleurs le peu de cas qu’on faisait de son talent, qu’il obtint à grand’peine de pouvoir fournir une planche à la Vie politique et militaire de Napoléon, par Arnault ; cette planche, représentant le Siège de Sant-Jean-d’Acre, est certainement la plus belle de l’ouvrage, à en juger du moins d’après les premières épreuves qui furent tirées, avant qu’on eût cru nécessaire de la faire corriger par un certain Champion, artiste ignoré de nos jours. « En voilà assez, dit M. de la Combe qui nous sert de guide dans cette étude, en voilà assez pour démontrer combien les biographes de Charlet se sont trompés en prétendant que ses premières lithographies furent enlevées, qu’elles firent révolution dans le goût du public. Jamais, au contraire, commencements ne furent plus difficiles ni moins encouragés. »

En 1818, Charlet était réduit pour gagner sa vie à travailler pour le compte d’un méchant peintre décorateur, qui l’employa notamment à peindre des lapins, des canards et autres victuailles sur les volets de l’auberge des Trois-Couronnes, à Meudon. Il fit en ce temps-là la connaissance de Géricault, avec lequel il fut lié depuis d’une étroite amitié. Il l’accompagna à Londres, en 1820, quand ce célèbre peintre alla exhiber devant les Anglais son Radeau de la Méduse, dont l’immense mérite avait été méconnu au Salon de 1819. À ce séjour des deux grands artistes en Angleterre se rattache une anecdote qui donnera une idée du caractère humoriste de Charlet. Géricault, maladif et soucieux, manifestait depuis quelque temps les projets les plus sinistres. Charlet, rentrant à une heure assez avancée de la nuit à l’hôtel où ils logeaient tous deux, apprend que Géricault n’est pas sorti de la journée ; il va droit à sa chambre, frappe à plusieurs reprises sans obtenir de réponse et se décide à enfoncer la porte. Il était temps. Géricault était étendu sans connaissance sur son lit, prés d’un brasier ardent ; quelques secours le rappellent à la vie ; Charlet fait retirer tout le monde, s’assied près de son ami et lui dit du ton le plus sérieux :« Géricault, voilà déjà plusieurs fois que tu veux mourir ; si c’est un parti pris, nous ne pouvons l’empêcher. À l’avenir, tu feras comme tu voudras ; mais au moins laisse-moi te donner un conseil. Tu es religieux, très-religieux ; tu sais bien que, mort, c’est devant Dieu qu’il te faudra paraître et rendre compte : que pourras-tu répondre, malheureux, quand il t’interrogera ? … Tu n’as seulement pas dîné ! » Géricault, éclatant de rire à cette saillie, promit solennellement que cette tentative de suicide serait la dernière.

De retour à Paris, Charlet se remit au travail avec plus d’ardeur que jamais. Indépendamment d’un album de lithographies paraissant régulièrement chaque année chez les frères Gihaut, il donnait aux mêmes éditeurs et à quelques autres plusieurs pièces détachées, et il exécutait un grand nombre de dessins que les amateurs commençaient à rechercher. À cette époque (1824), il songea à se marier ; il s’était épris d’une belle passion pour une jeune personne aussi modeste que jolie, et qu’il avait surprise, à la première entrevue, raccommodant des bas. « C’est la Providence qui m’a conduit ici, se dit-il, et voilà bien la femme qu’il me faut, moi qui ai toujours des bas troués ! » Dans la situation nouvelle que lui avait faite son mariage, Charlet continua à peu près les mêmes habitudes de travail. Ses lithographies et ses dessins, consacrés à la reproduction des types militaires et des hauts faits des grandes guerres de l’Empire, obtenaient un succès presque égal à celui des chansons patriotiques de Béranger ; aussi a-t-on pu dire qu’il contribua, autant peut-être que l’immortel chansonnier, à préparer les esprits à la révolution de 1830. Le gouvernement de Juillet ne l’oublia pas. Charlet fut nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1831. Vers la fin de 1832, il accompagna son ami le général de Rigny dans la campagne du siège d’Anvers, dont son crayon reproduisit les principaux épisodes.

Charlet n’avait jamais abandonné complètement là peinture ; mais il y réussissait médiocrement. « Il ne s’était pas familiarisé de bonne heure avec les difficultés de cet art, a dit Eugène Delacroix dans une notice publiée par la Revue des Deux-Mondes ; elles étonnèrent son génie, et, s’il s’opiniâtra à continuer de peindre, ce fut sans doute par une secrète indignation de voir tant de médiocres peintres se trouver à l’aise au milieu de difficultés qu’il ne croyait jamais avoir suffisamment surmontées. Plus exigeant encore pour lui-même dans ses tableaux et peu confiant dans son inspiration ordinaire, il lui arriva souvent d’effacer d’admirables morceaux qu’il ne remplaçait pas toujours avec plus de bonheur… » Il ne se découragea pas toutefois. En 1836, il exposa son Épisode de la retraite de Russie (aujourd’hui au musée de Lyon), grande toile qui étonna les peintres et frappa vivement la critique. « Ce n’est pas un épisode, dit Alfred de Musset, c’est tout un poème. En le voyant, on est d’abord frappé d’une horreur vague et inquiète… Hors la Méduse de Géricault et le Déluge de Poussin, je ne connais point de tableau qui produise une impression pareille ; non que je compare ces ouvrages différents de forme et de procédés, mais la pensée est la même et (l’exécution à part) plus forte peut-être dans Charlet. » Le sévère Gustave Planche lui-même proclama cet ouvrage un des plus importants du salon : « En regardant ce tableau, dit-il, il est impossible de ne pas sentir un frisson douloureux… Il y a sur la toile entière une misère si profonde et si désespérée que l’œil ne songe pas à s’arrêter sur la physionomie individuelle des personnages. » Le succès de cette peinture valut à Charlet la commande pour Versailles d’un tableau représentant le Passage du Rhin à Kehl par Moreau ; cet ouvrage, exposé au Salon de 1837, ne manque ni de vérité ni d’énergie ; mais il pèche, comme la plupart des autres peintures de Charlet, par l’abus des tons bleus et violacés. Le Convoi de blessés faisant halte dans un ravin, qui appartient aujourd’hui au musée de Valenciennes, présente les mêmes qualités et les mêmes défauts.

Nommé officier de la Légion d’honneur au commencement de 1838, Charlet fut, vers la fin de cette même année, attaché à l’École polytechnique comme professeur de dessin. Il accepta ces fonctions avec joie et y déploya le plus grand zèle. Aux estompages et aux pointillés qu’on avait jusqu’alors enseignés aux élèves de l’École, il substitua le dessin à la plume, bien plus approprié aux travaux de l’ingénieur et de l’homme de guerre, et, joignant l’exemple au précepte, il fit paraître une suite de 52 dessins à la plume qui furent adoptés pour l’enseignement des écoles spéciales. Ces modèles furent suivis de plusieurs séries de paysages. Charlet continuait, en même temps, à faire de la lithographie : de 1838 à 1840, il exécuta les 50 planches de la Vie civile, politique et militaire du caporal Valentin, collection pétillante d’esprit et où l’observation philosophique et morale est poussée fort loin. En 1841, il accepta de l’éditeur Bourdin la mission d’illustrer de 500 dessins le Mémorial de Sainte-Hélène, travail qu’il acheva en moins d’une année, mais qu’il eut le regret de voir défigurer par la gravure.

Grâce à son activité infatigable, Charlet était arrivé à jouir d’une modeste aisance et voyait sa réputation grandir chaque jour. Mais sa santé, depuis longtemps chancelante, s’affaiblit bientôt avec une rapidité effrayante. Incapable de s’astreindre au repos absolu que lui prescrivirent les médecins, il devait mourir en travaillant. « Dans les derniers jours, dit M. de la Combe, on portait Charlet mourant à son fauteuil ; mais, le crayon à la main, ses yeux s’animaient, la parole lui revenait et sur son pâle visage brillaient encore la vie et le génie… Le 30 décembre 1845, à dix heures du matin, Charlet était dans son lit. Il manquait d’air, il fait signe d’ouvrir la fenêtre ; il se fait conduire à sa table de travail, soutenu par un de ses fils. Assis dans son fauteuil, il veut saisir un crayon ; mais c’est en vain… Il prend la main de sa femme, celle de son fils : « Adieu, mes amis, leur dit-il, je meurs ; car je ne puis plus travailler ! » Quelques moments après, il rendait le dernier soupir.

L’œuvre de Charlet est immense. M. de la Combe, qui a recueilli et décrit toutes celles de ses productions qui ont été reproduites par les procédés lithographiques, n’a pas noté moins de 1,090 pièces. Charlet a dit lui-même avoir fait en outre plus de 1,500 dessins à la sépia, à l’aquarelle, à la plume, et en avoir déchiré un nombre presque égal dont il n’était pas satisfait. Dans cette foule de dessins, aujourd’hui dispersés dans le monde entier, on retrouve, indépendamment du mérite de l’exécution, la même variété de pensées, la même finesse et la même profondeur d’observation que dans les compositions lithographiques. Mais celles-ci ont, de plus, l’intérêt que leur donne l’esprit jeté à pleines mains dans les légendes qui les accompagnent et dont plusieurs sont devenues des proverbes. « Que de dessins admirables et que de charmantes idées ! ’a dit Eugène Delacroix ; que de sentiment et