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leurs, dès qu’il eut trempé dans le meurtre, une sorte de frénésie s’empara de lui. Des documents contemporains (notamment Vie de Charles IX, Brantôme) font même jouer au monarque insensé un rôle actif dans cette tragédie et le représentent arquebusant les huguenots fugitifs d’une fenêtre de son palais. (V. Barthélemy). Quelques jours plus tard, il tint un lit de justice où il justifia hautement le massacre en dénonçant le prétendu complot calviniste qui l’avait poussé à cette résolution. Des instructions analogues furent adressées à toutes les cours étrangères. On raconte aussi que le roi, par une odieuse forfanterie de cruauté, alla avec sa cour insulter aux restes de l’illustre Coligny, à Montfaucon ; et, comme quelques courtisans se bouchaient le nez devant ce cadavre déjà décomposé, il se serait écrié : « L’odeur d’un ennemi mort est très-bonne. » La Saint-Barthélémy, qui devait anéantir les protestants, n’eut d’autre résultat que d’ouvrir une nouvelle ère de guerres civiles, de convulsions et de déchirements. Le misérable prince fut dès ce moment en proie au remords et à la terreur ; dévoré par une fièvre ardente, troublé par les images sanglantes des victimes, il ne connut plus le repos et mourut à la suite d’une agonie longue et douloureuse pendant laquelle le sang lui sortait par tous les pores, moins de deux ans après l’événement qui a donné à son nom une si horrible célébrité. Il avait à peine vingt-quatre ans. Sa fin avait été hâtée par la débauche, par sa manie de sonner du cor et par l’abus des exercices violents. Suivant le procès-verbal d’autopsie signé par Ambroise Paré, il était phthisique. On a parlé aussi de poison. Il paraît certain qu’il avait manifesté sa volonté de régner par lui-même et d’introduire de grandes réformes dans l’État. Il avait épousé, en 1570, Élisabeth d’Autriche, fille de l’empereur Maximilien II, qui ne lui donna point d’enfant. Il laissa, de sa maîtresse, Marie Touchet, un fils, Charles d’Angoulême, qui troubla les règnes suivants par sa turbulence et son ambition.

Charles IX avait eu pour précepteur l’illustre Amyot ; son esprit était cultivé et il a composé des poésies agréables. On a aussi de lui un livre intitulé la Chasse royale, publié par Villeroi en 1625. Il s’annonçait avec d’heureuses dispositions, une intelligence précoce et un tempérament impétueux. Sa mère s’attacha de bonne heure à le dépraver en le livrant à des aventuriers italiens qui l’entraînèrent dans la débauche. Cette odieuse politique porta ses fruits, et le malheureux prince, hébété de voluptés, devint incapable de régner et consuma sa vie en de bizarres et extravagantes fantaisies. La chasse était chez lui une passion effrénée et il s’y livrait jusqu’à l’épuisement de ses forces. Charles IX avait l’amour des lettres et des arts ; il protégeait les poëtes, dont il disait : « Il faut les traiter comme les bons chevaux : les bien nourrir, mais ne point les engraisser, » entendant par là que trop de bien-être étouffe l’inspiration et endort l’esprit. Il ne suivit point toutefois son précepte à la lettre. Il se montra généreux envers les favoris de la muse, et lui-même, comme nous l’avons dit, il s’adonna à la poésie. Malheureusement, les troubles d’une époque si dramatiquement agitée le détournèrent trop des doux labeurs poétiques.

Ce fut dans un accès d’humeur qu’il fit cette boutade épigrammatique, restée célèbre :

François premier prédit ce point :
Que ceux de la maison de Guise
Mettraient ses enfants en pourpoint,
Et son pauvre peuple en chemise.

Les vers de Charles IX ne passent pas le niveau de la médiocrité, à l’exception de cette petite épître à Ronsard, que ne désavouerait point un bon poète :

Ton esprit est, Ronsard, plus gaillard que le mien ;
Mais mon corps est plus jeune et plus fort que le tien ;
Par ainsi je conclus qu’en savoir tu me passe
D’autant que mon printemps tes cheveux gris efface.
L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes :
Mais, roi, je les reçus ; poëte, tu les donnes.
Ton esprit enflammé d’une céleste ardeur
Éclate par soi-même, et moi par ma grandeur.
Si du côté des dieux je cherche l’avantage,
Ronsard est leur mignon, et je suis leur image.
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits, dont je n’ai que les corps ;
Elle t’en rend le maître, et te fait introduire
Où le plus fier tyran n’a jamais eu d’empire.

Ces vers sont remarquables à double titre. Un seul mot les dépare : celui de mignon, que le temps autorisait d’ailleurs. Une autre pièce — un billet également adressé à Ronsard - est moins remarquable. La voici :

Ronsard, tu connois bien que si tu ne me vois
Tu oublies soudain de ton grand roi la vois ;
Mais pour t’en souvenir, pense que je n’oublie
Continuer toujours d’apprendre en poésie ;
Et pour ce j’ai voulu t’envoyer cet escript
Pour enthousiasmer ton phantastique esprit.
Donc ne t’amuse plusà faire ton ménage.
Maintenant n’est plus temps de faire jardinage ;
Il faut suivre ton roi qui t’ayme par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux ;
Et crois, si tu ne viens me trouver à Amboise,
Qu’entre nous adviendra une bien grande noise.

Ces vers, s’ils ne sont pas bons, semblent exprimer, du moins, un sentiment sincère et cordial, une vive admiration.

La chanson qui suit est le dernier morceau que nous connaissions de Charles IX. D’autres pièces ont dû être composées, mais ne sont point parvenues jusqu’à nous. Ce sixain commence par deux verbes qui forment l’anagramme du nom de Marie Touchet, la très-séduisante maîtresse du jeune monarque :

Toucher, aimer, c’est ma devise ;
De celle-là que plus je prise.
Bien qu’un regard d’elle à mon cœur
Darde plus de traits et de flamme
Que de tous l’archerot vainqueur
M’en feroit oncq appointer dans mon âme.

La véritable anagramme du nom de Marie Touchet était : je charme tout, et ce fut un courtisan qui la découvrit.

Charles IX, ou l’École des rois, tragédie en cinq actes, de Marie-Joseph Chénier, représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre-Français, le 4 novembre 1789.

Chénier avait déjà fait jouer Edgar ou le Page supposé en 1785, et Azémire, tragédie, en 1786, lorsqu’il obtint un succès éclatant et surtout bruyant par sa pièce de Charles IX. assez généralement considérée comme son premier ouvrage. Lui-même a dit, dans le discours préliminaire placé en tête de cette tragédie : « J’ai choisi pour mon coup d’essai le sujet, j’ose le dire, le plus tragique de l’histoire moderne, la Saint-Barthélemy. Nul autre ne pourrait offrir, peut-être, une aussi forte peinture de la tyrannie jointe au fanatisme. » Chénier avait écrit Charles IX dès 1785. Fervent disciple de Voltaire, il s’était attaché par-dessus tout au thème philosophique ; mais l’absence de couleur locale, défaut trop général de nos tragédies, révèle ici la préoccupation évidente du poète, il y a tout lieu de croire qu’à l’aurore de la Révolution, et sous la pression des grands événements qui frappaient son âme républicaine, Chénier dut remanier son œuvre de manière à y faire entrer plus énergiquement qu’il ne l’avait fait d'abord l’allusion contemporaine. Le sous-titre ajouté, l’École des rois , appuierait au besoin cette supposition. Plus tard, l’éditeur des œuvres complètes du poëte (1818) substitua à ce sous-titre celui de la Saint-Barthélemy, qui, sans doute, était entré le premier, en 1788, dans la pensée de l’auteur. Quoi qu’il en soit, le spectacle d’un roi égorgeant ses sujets convenait à tous les esprits, lassés de la monarchie, et qui se disposaient à prendre une terrible revanche. Les libres penseurs ne pouvaient manquer en outre d’applaudir aux vigoureuses attaques dirigées contre le fanatisme religieux. Avant de raconter les tempêtes soulevées par l’apparition de Charles IX, voyons de quelle façon Chénier s’était emparé de son sujet.

François de Chante-Louve, gentilhomme et poëte bordelais, donna, en 1575, une tragédie de Feu Gaspard de Coligny, contenant ce qui arriva à Paris le 24 août 1572, où Coligny est représenté sous les couleurs les plus odieuses. Il forme le projet de tuer le roi, les Guises et les papistes ; mais on le prévient, il est assassiné et le peuple célèbre cet heureux événement. Le style de cet ouvrage, où Mercure intervient, est aussi barbare que le sujet. Environ un siècle après, Natanaël Lee, auteur dramatique anglais, fit jouer à Londres la Saint-Barthélemy ou le Massacre de Paris. Le rôle de Charles IX, séduit par Catherine de Médicis et entraîné au crime par la voix fanatique du cardinal de Lorraine, est du plus grand intérêt dans cette pièce. Ces deux ouvrages n’ont, pour les détails, aucun rapport avec la composition de Chénier, qui a sa place marquée à jamais dans les fastes dramatiques. Rien ne pouvait paraître plus audacieux que de montrer sur la scène un roi de France ordonnant le massacre de son peuple, et ce tableau de la royauté, se livrant à l’égorgement sous l’impulsion du fanatisme religieux, était bien propre à accélérer l’époque de la grande crise nationale.

Le cardinal de Lorraine, le duc de Guise et Catherine de Médicis ont juré la perte de Coligny et des protestants. Charles IX, faible, irrésolu, crédule surtout, cède aux influences de sa mère et aux ordres sanguinaires du cardinal ; entraîné, vaincu, subjugué par les terreurs dont on l’environne, par la séduction de faux intérêts, et plus encore par un zèle insensé pour la religion catholique, il donne lui-même l’ordre et le signal du massacre. Ce fanatique couronné, ce monarque imbécile demande au cardinal la bénédiction du ciel pour l’horrible attentat qui va être commis, et le cardinal, après avoir bénit les armes de cette meute d’assassins que l’on va lâcher sur Paris, promet les palmes du martyre à ceux qui rencontreraient la mort au milieu du carnage. Aussitôt sonne le tocsin ; des flambeaux s’allument et les égorgeurs se dispersent. Le chancelier de L’Hôpital vient ensuite faire le récit de l’effroyable événement. Charles IX reparaît ; le roi de Navarre, le futur Henri IV, lui reproche avec autant de chaleur que d’amertume le crime odieux dont il vient de se souiller. Charles, que le repentir a déjà saisi. est écrasé sous le poids de son forfait, dont il se retrace avec horreur les suites épouvantables. Dans son délire, il maudit ses atroces conseillers, et tombe vaincu par le remords.

« C’était, dit M. Villemain, une chose nouvelle pour la forme, de mettre sur cette scène française, si longtemps soumise à l’étiquette du goût et de la censure tout à la fois, un cardinal, le cardinal de Lorraine, Charles IX et sa cour, une reine comme Médicis, un ministre comme L’Hôpital. Mais la nouveauté des costumes et des personnages ôtée, approchez, prenez ces scènes, lisez-les : c’est la régularité pompeuse de notre tragédie ; rien de simple, de familier ; nulle naïveté de fanatisme, nulle vérité de crime ne vous transporte dans ce siècle et dans cette cour. Le langage de tous les acteurs du drame est d’une élégance uniforme ; c’est ainsi que Chénier fait parler le chancelier de L’Hôpital, qui n’était pas alors à la cour de Charles IX, qui ne devait pas, qui ne pouvait pas s’y trouver encore ; la vraisemblance dramatique l’en chassait comme l’histoire. Il avait fallu trois ans d’absence de ce grand homme de bien, pour que la cour, où il avait habité, devînt le théâtre d’un tel crime. Mais passons sur cette inexactitude. Ce chancelier de L’Hôpital, ce personnage demi-gaulois, demi-romain, cette longue barbe blanche qui imposait aux jeunes courtisans, cet homme d’une constance si ferme, qui, avec ses expressions justes et familières, troublait Catherine de Médicis et la faisait hésiter sur une mauvaise action, que fait-il dans le drame de Chénier ? Il parle bien, il parle élégamment ; il ressemble un peu au Burrhus de Racine. Ce n’est pas le chancelier de L’Hôpital retrouvé, ressuscité, rhabillé devant le public. Le talent de Chénier était bien loin d’avoir en originalité ce que son esprit politique avait en audace et en violence. » En effet, dans cette tragédie comme dans toutes celles de Chénier, ce qui manque, dès que disparaît l’allusion contemporaine, c’est le nerf, c’est la chaleur. Et pourtant, quelle peinture énergique à tirer du massacre de la Saint-Barthélemy ! Chénier, tout en donnant l’essor à sa pensée, avait jeté sa tragédie dans le moule classique. Il remplace l’action par des discours qui la refroidissent. De belles tirades suffisaient sans doute à l’enthousiasme du moment ; mais on peut regretter pour sa gloire qu’il n’ait pas introduit dans ses ouvrages ces beautés qui sont de tous les temps, ces vérités qui sont de toutes les opinions ; elles seules rendent durables les œuvres de l’esprit humain. Chénier savait bien cependant que les dissertations ont peu de prise sur une moitié au moins de l’auditoire ; aussi adressait-il aux femmes, dans sa préface, cette allocution écrite dans, le style un peu boursouflé du temps : « Femmes, sexe timide et sensible, fait pour être la consolation d’un sexe qui est votre appui, ne craignez point cette austère et tragique peinture des forfaits politiques. Le théâtre est d’une influence immense sur les mœurs générales ; il fut longtemps une école d’adulation, de fadeur, de libertinage ; il faut en faire une école de vertu et de liberté. Les hommes n’y recevront plus de ces molles impressions qui les dénaturent : ils deviendront meilleurs et plus dignes de votre amour, ils redeviendront des hommes. » Cette apostrophe, échappée à la jeunesse de Chénier, renferme de nobles idées ; mais, en dépit de cette précaution oratoire, le sexe timide et sensible s’intéressera toujours beaucoup plus à Orosmane ou à Othello qu’à Henri VIII ou à Caïus Gracchus. « Les forfaits politiques, écrit M. Hippolyte Lucas, et surtout les dissertations politiques, ne sont guère de l’essence du théâtre, quoi qu’en dise Chénier. Il faut célébrer les vertus publiques et privées, élever l’âme et faire battre le cœur, donner l’éveil à toutes les grandes pensées, cela est vrai, mais en évitant le précepte et la déclamation. »

Chénier portait un coup terrible à la royauté en faisant jouer son Charles IX sur le Théâtre-Français. Quelques jours avant cette représentation, longtemps attendue, avait paru dans le Journal de Paris, dans un but facile à comprendre, une apologie anonyme de la censure théâtrale. Chénier répondit : « Des citoyens libres ne sont responsables que devant la loi. L’anonyme parle d’une censure légale ; cette alliance de mots n’est qu’absurde ; j’aimerais autant parler d’un despotisme légal. Je conçois que des censeurs royaux, au nom desquels peut s’escrimer l’anonyme, trouvent la censure nécessaire ; c’est le raisonnement de M. Josse qui est orfèvre, et de M. Guillaume qui vend des tapisseries. Mais si l’on connaît le mot de l’abbé Desfontaines : Il faut bien que je vive, on connaît aussi la réponse de M. d’Argenson : Je n’en vois pas la nécessité. » La chaleur que met Chénier dans sa riposte ne saurait étonner, si l’on se rappelle les innombrables difficultés qu’on lui suscita. Dès le 20 août, les spectateurs, en plein Théâtre-Français, réclament à grands cris la représentation de Charles IX. Le parterre prend fait et cause pour la tragédie interdite. Dans une représentation de la Vestale, il tomba de quelques loges une pluie de billets et de placards imprimés. Nous en citons un transcrit sur l’original :

Adresse aux bons patriotes. — Français, le théâtre de la Nation a été livré assez longtemps à des ouvrages infestés de fadeurs et de servitude. La burlesque autorité des censeurs avait abâtardi le génie des poètes dramatiques ; vos pièces nationales surtout n’offrent que des modèles d’esclavage. Il existe une tragédie vraiment politique, vraiment patriotique ; elle est reçue à la Comédie-Française, elle a pour titre Charles IX ou la Saint-Barthélemy ; l’auteur est M. Chénier. Cet ouvrage inspire la haine du fanatisme, du despotisme, de l’aristocratie et des guerres civiles. Les ennemis de M. Necker, ce grand ministre, ce sauveur de la France, craignent la ressemblance qu’on trouverait infailliblement entre lui et le chancelier de L’Hôpital, l’un des personnages de la pièce. Les comédiens n’osent la représenter en ce moment. Si vous croyez un tel sujet digne de vous occuper au théâtre, dans les premiers jours de la liberté française, ce n’est plus aux gentilshommes de la chambre qu’il appartient de leur donner des ordres, c’est à vous. Du Croisi. »

Ce Du Croisi n’était autre, on s’en doute, que le prête-nom de Chénier. Un anonyme, dit Grimm, se leva pour demander aux acteurs d’une voix de Stentor pourquoi ils ne jouaient pas Charles IX. Un long dialogue s’établit alors entre l’orateur et le comédien Fleury. Celui-ci déclara qu’on n’avait pas la « permission ». Aussitôt la salle s’agita, des cris nombreux se firent entendre demandant, au milieu du tumulte, qu’il se passât de permission. Le directeur promit qu’il prendrait les ordres de la municipalité dans les vingt-quatre heures, et la foule s’écoula bruyamment. Or l’anonyme de Grimm, le spectateur bruyant, c’était Danton. Après maintes hésitations et maints délais (la question fut déférée à l’Assemblée nationale), la pièce de Chénier prit possession de l’affiche.

« On craignait du trouble, dit Charles Labitte : un orateur du parterre, avant le lever du rideau, prit la parole et demanda que tout perturbateur fût livré à la justice du peuple ; Palissot se leva pour appuyer la motion, et Grimm raconte que le cri : « À la lanterne ! » retentit dans quelques coins de la salle. Une fois la pièce commencée, il n’y eut que des applaudissements. Mirabeau, qui en donnait avec affectation le signal, fut, à chaque entr’acte, salué dans sa loge par des bravos enthousiastes et redoublés. Ce jour-là, la loge de Mirabeau était la loge royale. La pièce fut accueillie avec transport. Quand arriva cette prophétie :

Ces tombeaux des vivants, ces bastilles affreuses,
S’écrouleront un jour sous des mains généreuses,

la salle se leva avec acclamation, et fit redire le passage, tout comme s’il s’était agi d’une ariette de la Comédie-Italienne. »

Grimm assure que, dans sa nouveauté, Charles IX attira plus de monde encore que Figaro. Les trente-trois premières représentations produisirent 128,000 livres. Mme de Genlis conduisit ses élèves à la première représentation, et les emmena à la scène exécrable des serments. La Harpe et d’autres ennemis de Chénier couvrirent la pièce d’invectives, et Palissot fit en faveur du poëte la Critique de Charles IX. Tous les petits journaux aux gages de la cour firent voler un feu roulant d’épigrammes. Les districts consolèrent Chénier en lui décernant une couronne civique. La cour ressentit vivement l’attaque, et Monsieur (Louis XVIII) ne tarissait pas sur cette profanation. Mais le poëte avait atteint son but ; les masses étaient ébranlées, agitées ; le drame offrit longtemps au peuple un intérêt palpitant. Au sortir de la première représentation, Danton s’était écrié : « Si Figaro a tué la noblesse, Charles IX tuera la royauté. » Camille Desmoulins avait dit en plein parterre : « Cette pièce-là avance plus nos affaires que les journées d’octobre. »

Charles IX attira la foule, bonne aubaine pour le théâtre, en ce temps surtout, où les préoccupations et les événements politiques n’avaient pas manqué de nuire aux recettes. Cependant, après trente-deux représentations qui n’avaient pas épuisé le succès et l’influence attractive de la pièce, on vit avec étonnement Charles IX disparaître de l’affiche. Comment expliquer cette interruption évidemment préjudiciable aux intérêts de la caisse ? Les têtes échauffées se donnèrent carrière. À la disparition de l’œuvre en vogue, on assignait deux causes : l’opinion publique et les jalousies du métier. Ni l’une ni l’autre n’étaient peut-être absolument imaginaires. Certes, les agitations et les luttes du dehors avaient leur écho à l’intérieur de la Comédie-Française ; deux partis s’y étaient formés, aussi prononcés, chacun dans son sens, qu’à l’Assemblée constituante et sur la place publique. Au culte de l’art se mêlaient des dissentiments politiques chaque jour plus profonds. Mais, tandis que la majorité était acquise partout ailleurs à la Révolution, le sentiment peu favorable au nouvel ordre de choses dominait au foyer et dans les coulisses. Dans le monde théâtral, les comédiens du roi formaient une aristocratie qui, de même que l’aristocratie de naissance, ne pouvait voir avec plaisir tomber ses privilèges. Les pensions de la cour, les cadeaux, les faveurs, les brillantes représentations à Versailles devant le roi, la famille royale et tout le grand monde qui les entourait, ces bénéfices, ces splendeurs, devaient laisser des regrets faciles à comprendre. Ces gentilshommes de la chambre, avec leurs belles manières, si bien transportées sur la scène par Mole, par Fleury ; avec leurs générosités magnifiques dont plus d’une, parmi les actrices, avait pu faire l’épreuve, comment ne pas les préférer à ces bourgeois vulgaires du conseil de ville, qui ne portaient ni broderies ni paillettes ? Ajoutons, pour être juste, que les bienfaits du roi et de sa famille avaient, sans doute, laissé chez plusieurs comédiens, en dehors de la question d’intérêt, les sentiments d’une reconnaissance honorable. Parmi ceux en moins grand nombre chez qui prédominaient les idées nouvelles, il faut citer Talma, qui avait trop souffert au théâtre même de l’abus