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ment sans influence. Être à la fois le boulevard et l’avant-garde de la civilisation était une fonction capitale, dans un temps où la barbarie était si puissante. Ce fut une part notable de la prépondérance de la Grèce quand l’Italie était barbare, de l’Italie quand la Gaule était insoumise, de la Gaule quand la Germanie menaçait sans cesse de franchir le Rhin, de la Germanie quand au début du moyen âge, elle se trouva chargée d’arrêter et de civiliser les populations slaves et scandinaves qui bordaient sa frontière. Au point de vue historique enfin, on doit admirer la persévérance et le succès de Charlemagne dans une entreprise qui avait rebuté l’empire romain à l’apogée de sa grandeur. »

Charlemagne (vie de) [Vita et gesta Caroli Magni], par Eginhard. Cet ouvrage, un des plus précieux de la période carlovingienne, est divisé en deux parties : la première contient l’histoire des guerres entreprises par Charlemagne ; la seconde fait connaître ce grand prince dans sa vie intérieure, au milieu de sa cour et de sa famille. Eginhard paraît avoir pris pour modèle Suétone, et nous ne pouvons qu’être satisfaits de cette imitation, qui nous a valu un portrait détaillé du conquérant. On a contesté à Eginhard ses Annales, mais non sa Vie de Charlemagne. Cet ouvrage porte en lui-même, et presque à chaque phrase, la preuve de son authenticité. « Nous n’avons nul besoin d’insister sur son mérite, dit M. Guizot dans sa Notice sur Eginhard ; c’est sans contredit le morceau d’histoire le plus curieux qui nous soit parvenu sur Charlemagne, le seul qui nous fasse bien connaître ce qui, après dix siècles, a plus d’intérêt que les événements, le grand homme qui les a faits. » Publiée pour la première fois à Cologne en 1521 par le comte Hermann de Nuenar, la Vie de Charlemagne a été réimprimée depuis plus de vingt ans, soit en France, soit en Allemagne, et souvent avec des commentaires. Le meilleur texte est certainement celui de dom Bouquet. Sans parler de plusieurs paraphrases de la Vie de Charlemagne qui ne sont guère que des versions prolixes, elle a été traduite cinq fois en français : pur Élie Vinet (Poitiers, 1553, in-8o ) ; par Léonard Pournas (Paris, 1614, in-12) ; par le président Cousin, dans son Histoire de l’empire d’Occident ; par M. Denis (Paris, 1812, in-12), et par M. Guizot, dans sa Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, où elle forme environ le tiers du troisième volume.

Charlemagne (histoire de), en espagnol Historia de Carlo Magno. Dans le prologue de l’édition si curieuse de ce livre, faite à Alcala en 1570, chez le libraire Sébastien Martinez, on lit ce qui suit : « Il en est de même d’une histoire venue à ma connaissance, en langue française, non moins agréable qu’utile, qui parle des grandes vertus et des exploits de Charlemagne, empereur de Rome et roi de France, et de ses chevaliers et barons, comme Roland et Oliviers et les autres pairs de France, dignes de louable mémoire pour les guerres cruelles qu’ils firent aux infidèles et pour les grands travaux qu’ils entreprirent afin de rehausser la foi catholique. Et comme il est certain qu’en langue castillane il n’y a pas de narration qui en fasse mention, excepté de la mort seule des Douze pairs à Roncevaux, il m’a semblé juste et utile que ladite histoire et des faits si remarquables fussent connus dans toutes les parties de l’Espagne, comme ils sont manifestés dans les autres royaumes. Par conséquent, moi, Nicolas de Piamonte, je me propose de traduire ladite composition de la langue française en romance castillane, sans changer, ni ajouter, ni enlever autre chose de la rédaction française. Et l’ouvrage est divisé en trois livres : le premier parle des commencements de la France, de qui lui resta le nom et du premier roi chrétien qu’il y eut en France, descend jusqu’à Charlemagne, qui fut ensuite empereur de Rome. Ce récit est traduit du latin en langue française. Le second parle de la rude bataille que le comte Oliviers livra à Fierabras, roi d’Alexandrie, fils du grand almirante Balan, et ce livre est en mètre français, bien versifié. Le troisième parle de quelques œuvres méritoires que fit Charlemagne ; et finalement de la trahison de Ganelon et de la mort des douze pairs, et ces livres furent extraits d’un livre bien approuvé, appelé Miroir historique (Espejo historial). »

On voit donc que cet ouvrage est une traduction directe du français. Aussi ne contient-il aucun détail sur la défaite de Roncevaux par Bernardo del Carpio, défaite qui, dans les vieilles chroniques et les anciennes romances espagnoles, flatte si agréablement la vanité nationale. Elle contient les histoires bien connues d’Olivier et de Fiérabras le Géant, d’Orlando et du traître Ganelon, et repose sur la chronique fabuleuse de Turpin, comme autorité principale. Elle n’en eut pas moins un grand succès et contribua plus que tout autre roman à conserver en Espagne, dans toute sa vigueur, le goût pour les romans de chevalerie, influence si grande et si pernicieuse, à laquelle la publication de Don Quichotte devait porter un coup mortel. Consultez, sur ce roman, Ticknor : Histoire de la littérature espagnole (t. I{{er]], trad. Magnabal), contenant les importantes annotations des commentateurs espagnols don Pascual de Gayangos et Enrique de Vedia.

Charlemagne (LES TRIOMPHES DE), roman épique de Lodovici, imprimé à Venise en 1535, L’ouvrage offre ceci de particulier, qu’au lieu d’être écrit en octaves, il est en terza rima, ou en tercets. L’auteur l’a divisé en deux parties ; chacune des deux parties se subdivise en cent chants, et chacun des deux cents chants en cinquante tercets. Presque tous les chants ont un exorde ou un prologue, qui change de sujet selon la fantaisie du poète. L’action est interrompue à tout moment par des digressions. Il ne faut pas chercher l’originalité de l’œuvre dans les exploits de Charlemagne et de son cousin Roland, dans les trahisons de Ganelon de Mayence, et tout cet appareil de fêtes et de tournois qui accompagne les prouesses d’un paladin. Mais les voyages de Roland, où le poëte fait l’essai d’une forme nouvelle, sans analogie avec la féerie chevaleresque, méritent de fixer l’attention. Des êtres moraux personnifiés, la Nature, l’Amour, le Vice, la Vertu, la Fortune, prennent part à l’action et développent des leçons morales ou des satires contre les abus et les vices du temps. Des épisodes, souvent gracieux, contrastent avec l’énergique indignation du poète qui flagelle les désordres et les scandales de la société, de la cour de Rome surtout. Il est fâcheux que l’odyssée de Renaud soit si fréquemment interrompue par le récit des expéditions de Charlemagne et les digressions de l’auteur, il est plus regrettable encore que le style soit médiocre. Sans ce défaut commun à tant de poèmes de cette époque, l’ouvrage de Lodovici se ferait lire, grâce aux visions allégoriques de Renaud, qui ont un but philosophique très-remarquable. L’emploi malheureux de la terza rima dans l’épopée indiqua aux poètes qu’ils avaient à faire usage d’un autre mètre.

Charlemagne (HISTOIRE DE), publiée en 1858 par M. Capefigue. Le rôle de Charlemagne, d’après l’auteur, est moins celui d’un fondateur que d’un organisateur ; encore convient-il de dire qu’il n’entreprit cette tâche difficile que sur la fin de son règne, que l’on peut diviser en deux époques, l’époque conquérante et l’époque organisatrice. La première période ne renferme qu’une longue série de victoires pendant quarante-six années, victoires dont M. Capefigue rabaisse la gloire en les représentant comme des conséquences forcées de l’état actuel du monde. Pendant la seconde période, Charlemagne gouverne et organise ses nouvelles possessions. Son système administratif et politique se divise en deux branches principales : les capitulaires embrassent le gouvernement public de la société et l’administration du domaine privé de l’empereur. Son organisation présente un aspect à la fois grandiose et minutieux, dont le principal ressort est une idée de génie, la création de ces missi dominici, inspecteurs impériaux par les yeux desquels l’empereur pouvait voir ce qui se passait dans les provinces les plus éloignées.

Le génie de Charlemagne plane sur la triple civilisation franque, germanique et lombarde. Il cherche à établir l’unité dans l’autorité en s’appuyant sur l’élément chrétien ; c’est la réalisation de la grande idée romaine. L’empire de Charlemagne, c’est l’invasion armée de la Neustrie par l’Austrasie, l’envahissement de la Gaule par la Germanie. La conquête romaine avait trop durement appesanti son joug pour qu’il n’y eût pas un retour des vaincus sur les vainqueurs dégénérés ; Charlemagne se chargea d’en diriger la marche. Il emprunta aux Romains celles de leurs institutions qu’il trouva bonnes et tira les autres du génie particulier aux races du Nord. Centralisant le pouvoir pour grandir l’autorité, il tenta de codifier les lois et protégea les sciences, les lettres et les arts, sans abdiquer cependant son caractère germanique quelque peu barbare. Sa grande œuvre, facilitée par les victoires de Charles Martel, le guerrier redoutable, et de Pépin, le fin politique, trouva dans la papauté un puissant auxiliaire. Adrien et Léon, deux hommes de génie, se servirent de Charlemagne pour consolider les fondements du christianisme, et, si ce conquérant leur prêta la force matérielle de son bras, il leur dut à son tour la force morale de son pouvoir. C’est pour avoir méconnu cette influence de la cour de Rome que Napoléon tomba de si haut, après avoir réalisé une partie des plans de Charlemagne, dit l’auteur en terminant, et il se demande ce qu’a fait ce Charlemagne, malgré toute sa gloire, pour Dieu, la justice et l’humanité. Singulière question pour un historien qui vient d’écrire le règne de Charlemagne.

C’est que M. Capefigue n’a fait qu’entrevoir le rôle du héros qu’il prend plaisir à rabaisser au profit de Charles Martel, de Pépin, et surtout de la papauté dont le conquérant s’est fait le soutien. Son histoire produit l’effet d’un récit sans philosophie, sans portée, dépourvu de ce qui éclaire l’esprit et nourrit le cœur. Le style est incorrect, dur, emphatique et souvent peu en harmonie avec la dignité de l’histoire. Nous nous contenterons de citer cette phrase : « L’Italie conquise par Charlemagne, c’est une belle jeune fille brune jetée dans la couche d’un baron des bords du Rhin, à la haute stature et dont la tête est ornée de cheveux longs et flottants. » Du reste, une figure comme celle de Charlemagne allait mal à la plume débile de M. Capefigue ; il faut à ses pipeaux, non pas des héros, mais des courtisanes corrompues ou des poupées à pseudo-couronnées.

Charlemagne, tragédie en cinq actes, de Népomucène Lemercier, représentée à Paris, sur le Théâtre-Français, le 27 juin 1816. Cette tragédie était composée depuis longtemps lorsqu’elle parut à la scène. Napoléon, qui l’avait lue en manuscrit, affectait d’y trouver un rare mérite ; le style, disait-il, en est cornélien. Cet éloge peut paraître intéressé, ainsi que le fait fort judicieusement remarquer M. de Pongerville ; le consul désirait que le poète ajoutât, vers le dénoûment, une scène où les envoyés d’un grand nombre de peuples auraient offert à Charlemagne l’empire d’Orient. Si l’effet scénique avait répondu à l’espoir de Napoléon, une haute récompense attendait Lemercier. Mais Lemercier n’était pas de ces hommes qu’on récompense. Le poète, longtemps l’ami du général, qui, dès que l’empire fut proclamé, renvoya le brevet et l’insigne de la Légion d’honneur, déclarant ne pouvoir se soumettre au nouveau serment exigé des membres de l’ordre, ce poète, disons-nous, devait se refuser, et en effet il se refusa obstinément à la demande du maître ; il ne fit jouer sa pièce qu’au commencement de la Restauration. Charlemagne, que l’auteur nous montre comme les Clovis et les Ali-Pacha, dans toutes ses grandeurs et dans toutes ses atrocités, obtint du succès ; la retraite forcée de Mlle Georges, qui interprétait le principal rôle, arrêta brusquement le cours de ses représentations. Elle est aujourd’hui oubliée ou à peu près. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est l’esprit qui l’a inspirée, de même que les meilleures œuvres de Lemercier. La vie de Lemercier ne fut qu’une longue et courageuse protestation de la pensée contre la force brutale des événements ou le despotisme des hommes, « d’un homme surtout, dit M. Hippolyte Lucas, de celui qui étreignit d’une main de fer les libertés françaises pour les enchaîner aux pieds de la gloire et qu’il appelait spirituellement son ami le premier consul. » L’existence modeste, indépendante, austère de Lemercier s’est trouvée en lutte avec la plus éclatante fortune que le monde ait jamais eue. Cela lui sera compté.

Charlemagne. Iconogr. Il existe fort peu de représentations de Charlemagne qui soient contemporaines de ce prince. Une statuette de bronze, du VIIIe siècle, qui a existé longtemps dans la cathédrale de Milan, représente le puissant empereur avec de longues moustaches, les cheveux courts, les jambes bardées de fer, une large épée à la main. Une mosaïque datée de 797 et trouvée dans le triclinium du pape Léon III, à Saint-Jean de Latran, lui donne le même visage et à peu près le même costume. Quelques sceaux, dont il a été publié des fac-similé, le représentent dans un costume assez semblable à celui des empereurs romains, et lui donnent un nez busqué, la barbe et les cheveux courts. Le cabinet des Bolli antichi, au Vatican, possède un portrait peint à fresque que quelques auteurs pensent avoir été exécuté d’après nature, lorsque l’empereur des Francs vint à Rome, et que d’autres croient postérieur de beaucoup au VIIIe siècle. « Ce portrait en buste, dit Mme Louise Colet, nous montre Charlemagne jeune, svelte, amaigri. Son beau visage mélancolique, entouré de cheveux blonds, a le type germain ; il me rappelle, avec plus de fermeté dans les traits et dans le regard, la tête expressive d’Alfred de Musset. » Une copie de ce portrait, faite pur Alaux, se voit au musée de Versailles. Un autre portrait, souvent reproduit, est celui qui figure au palais d’Aix-la-Chapelle, dans la salle des souverains, et qui fait voir Charlemagne vieux, ayant sur sa tête blanchie la couronne impériale, appuyant une de ses mains sur le globe du monde et tenant dans l’autre une large épée. Les représentations qui ont été faites de ce monarque par les artistes modernes sont pour la plupart des figures de pure fantaisie. Les plus répandues nous le montrent dans toute la pompe du costume impérial, avec une couronne et un manteau décorés de fleurs de lis, une cuirasse richement ciselée, une main appuyée sur un globe crucifère, l’autre tenant une épée ou une main de justice ; le visage est celui d’un homme déjà âgé, avec de longs cheveux et une barbe abondante. Les estampes de Crispin de Pas, de Nicolas de Bruyn, de Giovita Garavaglia, de Larmessin, nous offrent ainsi un Charlemagne qui n’a rien de commun, sans doute, avec la véridique portraiture du fils de Pépin. Un autre portrait, qui figurait autrefois dans le cabinet du roi et qui a été plusieurs fois gravé, s’écarte complètement des types que nous venons de décrire : Charlemagne y est représenté de profil, avec un nez camard ; il a une pelisse et une toque fourrées d’hermine. Un ivoire, provenant du cabinet Denon et qui a été lithographié par Laffitte, lui donne des traits tout à fait idéalisés ; la tête, vue de face, encadrée par de longs cheveux et une longue barbe, est couronnée de lauriers.

Parmi les tableaux représentant des épisodes de la vie de ce prince, nous citerons : le Couronnement de Charlemagne par Léon III, peint par Raphaël dans une des chambres du Vatican ; Charlemagne dictant ses capitulaires, un des premiers ouvrages d’Ary Scheffer (musée de Versailles) ; Charlemagne recevant Alcuin qui lui présente des manuscrits exécutés par les moines, plafond du Louvre, par Schnetz ; Charlemagne et Alcuin, peinture décorative du cercle des Jésuites, à Marseille, par M. Magaud (lithogr. par Sirouy) ; Charlemagne à Argenteuil, composition théâtrale exposée par Bouterweck au Salon de 1852 ; Charlemagne franchissant les Alpes, par Delaroche (v. ci-après), etc. Citons encore un buste colossal, sculpté par De Bay père, pour la bibliothèque publique de Nantes, une grande statue équestre, par M. Louis Rochet (v. ci-après), et le dessin, par M. Chenavard, d’une statuette destinée à la décoration du Panthéon, et qui n’a pas été exécutée. M. Théophile Gautier a dit de ce dernier ouvrage : « Le Charlemagne de M. Chenavard est une statue du plus beau caractère : c’est bien l’empereur géant, l’énorme intelligence servie par un corps de titan, le guerrier herculéen qui, selon la chronique du moine de Saint-Gall, portait à sa lance, embrochés comme des grenouilles, sept pauvres Saxons idolâtres, nescio quid murmurantes ; le vainqueur de Didier et de Witikind, l’empereur à l’œil d’épervier et à la barbe grisagne, comme disent les poètes du romancero français ; le compagnon des douze pairs, l’ami de Roland et d’Olivier, celui dont les grands os font reculer de surprise le voyageur, lorsqu’on ouvre la châsse byzantine plaquée d’or, constellée de grenats, qui les contient dans la sacristie d’Aix-la-Chapelle, sa ville bien-aimée. »

Charlemagne (LE COURONNEMENT DE), fresque de Raphaël, dans la chambre de l’Incendie du Bourg, au Vatican, Raphaël s’est fort peu préoccupé de la vérité historique dans la composition de ce tableau ; sous prétexte de nous montrer Charlemagne couronné par le pape Léon III, il a mis en scène François Ier et Léon X, les cardinaux et les seigneurs les plus illustres de son temps ; et, pour que nul n’en ignore, il a écrit, dans l’embrasure de la fenêtre qui s’ouvre à l’un des angles de la fresque, ces mots : Leo X. P. Max. Chr. MCCCCC XVII. Un peu avant cette dernière date, qui est celle de l’exécution de la peinture, François Ier, vainqueur à Marignan, avait eu une entrevue avec Léon X à Florence, et avait signé avec lui un traité d’alliance ; ce ne fut jamais que dans la fresque du Vatican qu’il reçut des mains du pontife la couronne impériale. Néanmoins, les anachronismes qui abondent dans cet ouvrage ne lui enlèvent rien de sa valeur artistique. L’ordonnance du tableau est tout à fait magistrale ; le pape, coiffé d’une mitre et assis sur un trône élevé derrière lequel est tendue une riche draperie, s’apprête à déposer la couronne impériale sur la tête de Charlemagne. Celui-ci, la tête nue et les épaules couvertes d’une chape dorée, est agenouillé sur les degrés du trône ; il tient d’une main un sceptre et de l’autre un globe, symbole de la puissance ; derrière lui est un petit page qui porte dans ses mains une couronne à pointes, et qui tourne vers nous son charmant visage. Onze personnages se tiennent debout autour du trône pontifical ; les uns sont revêtus d’insignes sacerdotaux, les autres paraissent faire partie de la suite de l’empereur. À droite, au premier plan, sont groupés des cardinaux et des ecclésiastiques ou des religieux d’un rang inférieur, les uns assis sur des bancs, les autres assis à terre ; les cardinaux, coiffés de la mitre blanche, nous tournent le dos pour la plupart. Dans le fond sont assis des évêques, et derrière eux se tiennent debout des officiers de Charlemagne. Sur le devant du tableau, à gauche, deux serviteurs demi-nus apportent un banc dont un officier, bardé de fer et à genoux, désigne la place du doigt. D’autres serviteurs apportent des vases antiques. Des objets de ce genre sont déjà déposés sur une table, et on voit, sur une seconde table, des chandeliers dorés garnis de cierges. La scène que nous venons de décrite se passe dans l’intérieur de la basilique de Saint-Pierre, dont l’architure forme au tableau le fond le plus riche et le plus imposant. Ce fond est attribué à Jean d’Udine. La tradition veut aussi que le dessin seul de la composition ait été exécuté par Raphaël, et que la peinture soit l’œuvre de Jules Romain. Cette belle fresque est malheureusement une de celles, dans les chambres, qui ait eu le plus à souffrir des injures du temps.

Charlemagne traversant les Alpes, tableau de Paul Delaroche, musée de Versailles. Charlemagne, monté sur un magnifique cheval noir, les épaules couvertes d’un ample manteau, la tête coiffée d’un casque, se retourne vers les guerriers qui le suivent et leur montre avec la pointe de son épée les cimes neigeuses du mont Cenis, que l’on entrevoit, sur la droite, à travers les troncs énormes des sapins. La belle tête du monarque, qu’encadre une longue chevelure blonde, a une expression de tranquille fierté qui contraste avec l’animation et le trouble des autres personnages. Une troupe de montagnards des Alpes s’est portée dans les rochers pour barrer le passage aux guerriers francs. La lutte est engagée. Sous les yeux mêmes de Charlemagne, un cavalier de l’avant-garde est aux prises avec un montagnard qu’il va pourfendre d’un coup de son épée… Mais c’est sur le devant du tableau que règne le plus grand désordre. Les Francs culbutent leurs ennemis dans un torrent qui tombe en cascade à travers les rochers. Il y a là des figures contorsionnées par des mouvements insolites. À droite, un cavalier et sa monture sont précipités dans un ravin ; le cheval, la crinière hérissée, les naseaux fumants, hennit dans son élan prodi-