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cinq, entourent fa-caisse mystérieuse la détaillent, la soupèsent... lorsque les deux gendarmes de place font leur entrée.

« Brigadier, interpelle le chef des douaniers, que vous ne flairez rien d’insolite ici, sans vous commander ? — Que je ne flaire -que l’odeur du tabac. — Brigadier, cette caisse abandonnée ne me dit rien de bon, un’fois saîs-tu ? et que je flaire un crime. ■ Et il lui met sous les yeux l’article du Petit Journal, Pendant que le gendarme Usait, un des douaniers soulève le coffre. * Mazettel ma femme a moi pèserait plus qa’ça. — Elle est pourtant singulièrement légère ta femme. • Mais le brigadier, sa lecture terminée, s’écrie : « Le corps du délit, il est là. — Brigadier., vous avez raison, affirme l’autre gendarme.-Douaniers, que je vous somme de faire votre devoir ; déclouez la bière l reprend le brigadier, •

Aussitôt on se met à l’œuvre. Sous le marteau et le ciseau la. caisse rendait des sons lugubres, les planches éclataient avec de sinistres craquements. Enfin, le couvercle tombe, et à la vuédune forme humaine enveloppée d’un drap blanc, tous-restent stupéfaits. Seul, le deuxième gendarme murmure -. « Brigadier, vous aviez raison. »

L’un après l’autre, chacun avance la rnain pour écarter le linceul et la retire en frissonnant de la tête aux pieds. Enfin le brigadier, jslus hardi que les autres comme c’était son devoir, rejette vivement un coin du suaire. Au même instant, un sextuple cri d’épouvante et d’horreur remplit la salle. Le brigadier seul était resté muet, par dignité et par respect pour ses galons. Cependant, la curiosité dominant l’horreur, toute la partie antérieure de la victime est dévoilée.

« Pauvre p’tite femme 1... le gredin !... dans quel état il 1 a mise I... La peau sur les os,

?[Uoil... Bien sur, il Va fait sécher dans un

our... Et même, a fallu que l’four il soye diantrement chaud l Sa ch’mise elle est toute roussie ! ... La malheureuse ! la toile est collée àk peaut... Fumée comme un jambon, quoi 1 ni plus ni moins !... j’m’étonne plus qu’elle était si légère !... Ce que c’est que dnous, tout d’mèmeî... Si son mari la r connaît !... C’est égal, il y a 5,000 ronds au bout d’tout ça, v’iii l’principal, »

Pendant que toutes ces répliques se croisaient, le brigadier, rompant tout k coup le silence que son grade lui avait imposé, dit k son gendarme ; « Saute à eheval, cours prévenir le procureur du roi, et rapporte-le. •

Bientôt le train de Lille arrive. Un petit gros homme s’élance d’un des wagons, et roule plutôt qu’il ne court jusque dans la salle de visite. — Fallait pas le déclouer 1 s’écriat-il, fallait pas le déclouer ! j’ai un passe-debout ; ce matin j’avais manqué le train... » Mais le brigadier, l’empeignant aussitôt au collet : « Au nom de la loi, je vous arrête !-Pardon, réplique le petit homme, il y a erreur, monsieur le gendarme ; ce n’est pas de la contrebande, ce n’est pas porté sur les tarifs de douane. »

Malgré toutes ses réclamations ; le petit gros homme est entratné dans une chambre voisine, où les douaniers vinrent le rejoindre après le départ du train. Pendant ce temps, le voyageur se démenait comme un diable dans un bénitier. « Mais, messieurs, je vous jure

?ue j’ignore totalement ce que signifie lu belle

emnie dont vous me parlez ; je n’ai séduit, enlevé, assassiné ni fumé personne. D’ailleurs, comment l’aurais-je pu faire ? Absent d’Europe depuis un an, je débarque k Marseille avanthier soir, je ne suis resté à Paris que juste le temps de courir de la gare de Lyon à celle du Nord ; donc je n’ai pu enlever personne k la tendresse de sa famille, ni ravir le jour a aucun être humain. J’arrive en ligne droite d’Égypte. J’ai fait douze cents heues tout d’une traite... Je n’invoque aucun alibi, je vous le jure. Quant k ce que vous appelez le corps du délit, ce n’est cas le corps d une contemporaine, mais celui de la femme d’Amôuophîs XXXIV... Il y a plus de cinq mille ans qu’elle est dans cet état... Regardez plutôt ces hiéroglypes, ces papyrus... ça viént des pyramides... quand je vous le ciisl... ■

À cet instant, le procureur du roi fit Son entrée de l’air le plus grave et le plus empressé qu’il put se donner pour en imposer au coupable. Mais, à la vue de la figure déconfite du pauvre savant et dé sa momie, il ne put tenir son sérieux et partit d’un grand éclat de rire. Puis, s’adressant aux douaniers : « Allons, vous autres, remballez-moi cette momie, et proprement. • Puis au voyageur : « Excusezles, monsieur, l’instruction n’a pas encore pénétré dans tous les cerveaux belges, et cependant ils lisent le Petit Journal ! Le plus coupable en ceci, c’est assurément Timothée Trimm, qui n*a pas encore parlé des momies d’Égypte. Vous pofivez continuer votre route, «

C’était vers îe commencement de l’année 1862 : un vol considérable de diamants venait d’avoir lieu chez un des plus riches.joailliers du Palais-Royal. Aussitôt le vol constaté, le télégraphe avait fonctionné dans toutes les directions. La police des villes frontières avait été mise sur pied, et les postes de douaniers, chargés’ de l’inspection des bagages, avaient été, non-seulement doublés, mais encore renforcés dans une proportion insolite d !un piquet de gendarmes armés jusqu’aux dents.

Un train express filait k toute vapeur vers Bruxelles.

Dans un compartiment réservé des premières se trouvaient deux jeunes gens, le mari et la femme, Stephan et Marthe, qui avaient été unis le même jour, et qui, comme il est d’usage dans certaine classe de la société, s’étaient empressés de fuir les regards des envieux, dès jaloux, des curieux et des indiscrets, en allant passer à l’étranger le premier mois de leur union.

Après le dîner officiel, auquel assistaient les grands parents et quelques amis, avant le bal qui préparait toute sa splendeur, Stephan avait enlevé sa femme.

Les familles.des deux époux étaient riches ; aussi les cadeaux avaient abondé. La jeune femme, n’avait pas eu le temps d’admirer tous ses joyaux, et elle grillait de les admirer tout a son aise, pendant que les invités dansaient.

Les premiers instants du voyage se passèrent en petites caresses innocentes, mais Marthe avait les yeux fixés sur un coffret d’ébène rehaussé d’argent et incrusté de nacre chatoyante... On ouvrit le coffret, et la jeune femme, avec une joie enfantine qu’elle ne cherchait pas k dissimuler, se mit k étaler sur le coussin le plus en lumière, toute une serie-.de boites de diverses grandeurs, recouvertes de velours bleu pâle, rouge, grenat, blanc, et ornées d’un blason imprimé en or. À travers le globe de cristal épais et inégal qui l’entourait, la lampe astrale fixée au ciel du vagon ne tamisait qu’une lumière incertaine et vacillante ; mais bientôt le compartiment fut inondé de lueurs chatoyantes, d’étincelles multicolores, d’éclairs éblouissants ; illumination féerique qui se reflétait dans les beaux yeux de Marthe. À la vue de toutes ces richesses, la jeune femme battit des mains. Stephan, que la joie naïve de sa femme rendait aussi heureux qu’on peut l’être du bonheur de la femme qu’on aime, Stephan souriait, Marthe aurait bien désiré se parer de tous ses joyaux à la fois, mais elle avait oublié d’emporter un miroir ; aussi fut-elle fort désappointée quand elle s’aperçut que cet indispensable objet de toilette lui faisait défaut. Son embarras ne fut pas de longue durée, la curiosité des femmes est ingénieuse : elle fit asseoir son mari en face d’elle, et commença de le parer de tous ses colliers. Stephan se prêta volontiers au caprice de sa femme. Pour lui épargner la fatigue de tendre ses bras vers lui, il se mit k genoux, et elle continua de l’orner comme la châsse de Sainte-Geneviève. Plusieurs broches furent fixées k sa cravate, à son gilet et aux plis de sa chemise..Les petits peignes d’êeaUle a tête de saphir s’implantèrent dans sa chevelure. Beaucoup de bijoux furent condamnés k rester dans leurs écrins, faute, de place. Marthe en était presque inconsolable, lorsque le train ralentit sa marche et s’arrêta. Un employé vint crier k toutes les portières : • Vatenciennesl » Au milieu de ces petites folies, le temps avait passé bien vite ; quelques minutes encore, et l’on arrivait à la frontière. Il fallut s’empresser de remettre dans leurs écrins respectifs tous ces riches joujoux. Le coffret se refermait sur tes trésors juste au moment où le convoi s’arrêtait à Quiévrain.

Sept heures s’étaient envolées depuis le départ du train. Sfêphan conduisit sa femme au buffet de la station, et se rendit ensuite seul à la douane. • Fotre bàsse-bort ?« lui cria un gendarme dans un français germanisé. « Depuis quand a-t-on besoin de passe-port pour venir en Belgique ? • répondit Stephan. Et il continua d’avancer. Le gendarme lesuivit dans la galle des bagages sans le quitter ni des yeux ni d’un pas» Ce n’est qu’en apercevant chèque voyageur flanqué d’un côté d’un homme de police et de l’autre côté d’un municipal en tricorne, qu’il constata un luxe inusité et un renfort exagéré de maréchaussée. Il pensa que peut-être on était sur)a piste de quelque banqueroutier, assassin ou conspirateur... Un léger désordre causé dans sa toilette lui attira une surveillance toute particulière. Il Se disposait à aller rejoindre sa femme lorsqu’un douanier lui intima l’ordre de le suivre dans la chambre de visite.

« Déshabillez-vous, lui dit-on. — Mais je n’ai rien à déclarer, je l’ai déjà dit. — C’est l’ordre. — C’est vexatoire. Mainte fois je suis venu en Belgique, et jamais je n’ai subi une

Earoille inquisition ; je m’en plaindrai à l’amassade. — Justement, c’est votre ambassadeur qui a demandé cette mesure aujourd’hui même. » Stephan ne répliqua plus ; il satisfit aux règlements ; et la liberté lui fut bientôt rendue.

Pendant ce temps, un brigadier de douane, accompagné d’une matrone, s’était approché de Marthe, * Madame voyage seule ? lui demanda-t-il. — Mon mari est à la visite, des bagages, répondit Marthe. — En attendant son retour, si madame veut bien suivre cette dame, reprit la brigadier en désignant la matrône, ce sera autant de temps de gagné--Pour quoi faire ? fit ingénument Marthe.-Pour passer k la visite. » Marthe, interdite ne bougea pas. « Oh I madame n’a rien a craindre, je serai seule avec elle, reprit la matrône. — Mais... je ne comprends pas, objecta la jeune fèmme^ rouge de pudeur et d’indif nation instinctives. — L’ordre est précis, maame ; personne ne peut s’y soustraire ; votre mari vous le dira comme moi. — J’attendrai

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donc que mon mari soit lk» » La pauvre Mur* the tremblait comme la feuille... Au moment où son mari parut, elle se leva précipitai»* ment et courut k lui. Dans son empressement, elle renversa une chaise sur laquelle, en entrant, elle avait déposé son précieux coffret et son châle. Le coffret, refermé trop précipitamment, s’ouvrît, et un déluge d’écrins se répandit sur le carreau. "

« Nous les tenons I • s’écria tout à coup le brigadier, en se précipitant sur les écrins qu’il ramassa prestement avec l’aide de la matrone. Au cri d’alarme qu’il venait de pousser, toute^ une pléiade de gendarmes, d’employés, dé douaniers, avait fait irruption dans la salle ; et, avant que Stephan et Marthe eussent compris, avant qu’ils se fussent adressé un seul mot, ils étaient saisis et séparés l’un de l’autre par une douzaine de bras vigoureux.

« Monsieur, dit Stephan à l’officier de gendarmerie, assurément vous commettez une grave erreur : la personne que vous cherchez n’est pas le marquis de X., et le marquis de X. c’est moi. — A d’autres ! exclama un gabelou. • L’officier reprit : — Avez-vous un passe-port ? des papiers qui puissent constater votre identité ?... — Non. — Alors, trouvez bon que nous nous assurions de votre personne. Un vol considérable a été commis hier soir, à Paris, chez un bijoutier ; vous, ou plutôt la dame avec qui vous voyagez... — C’est ma femme, monsieur. — Soit ; mais elle portait un coffret rempli de bijoux... — Ce sont des cadeaux de noce ; nous sommes mariés d’hier. — C’est très-ingénieux, ce que vous dites là. — Douteries-vous de ma parole ? — Je n’ai pas plus le droit de croire que de douter ; j’obéis à ma consigne. »

Pendant ce temps, le train emportait les autres voyageurs vers Bruxelles. Les bijoux furent replacés dans le coffret, et les scellés y furent apposés. En vain Stephan supplia qu’on permît à sa femme de rester près de lui ; leur séparation fut maintenue, et c’est dans deux cellules séparées qu’ils passèrent leur première nuit de noces. Cependant on ne lui refusa pas la permission d’expédier des télégrammes h Paris et à Bruxelles. Tout le reste de la nuit le télégraphe ne fonctionna que pour lui. La pauvre Marthe pleurait comme une Madeleine ; personne ne s’intéressait assez à elle pour la consoler et lui donner un peu de courage. Ces pauvres jeunes époux 1 séparés tout acoup, soupçonnés, accusés, presque injuriés, ils comptaient les minutes, et les minutes leur paraissaient des heures, les heures des siècles.

Le jour commençait k paraître lorque successivement arrivèrent vingt dépêches télégraphiques signées des noms les plus marquants des cours de France et de Belgique. Aucun doute ne pouvait plus exister sur "identité et l’honorabilité de M. le marquis Stephan de X. Du reste, on avait appris que le véritable voleur était entre les mains de la justice. On lui rendit sa femme ; k celle-ci on remit le coffret compromettant. Leur chagrin était déjà passé, et ils furent les premiers a rire de leur mésaventure, tandis que douaniers, agents de police et gendarmes se retiraient penauds, après toutefois s’être confondus en excuses.

Quand un mal est réparable, et vite réparé, on l’oublie si facilement que Marthe et Stephan considérant toujours leur voyage hyménéen comme le plus beau jour de leur vie.

Chapitre de* souvenir* : NotImIip» »erbn de l entique diligence.

Nous venons de raconter longuement les petits incidents anecdotiques qui peuvent se produire entre les voyageurs d’un wagon de chemin de fer ; mais on comprendra facilement qu’ici l’anecdote ne Veut être qu’une exception, car, en dehors des accidents, qui se produisent trop fréquemment, hélas 1 le voyage en chemin de fer est on ne peut plus prosaïque. D’abord on franchit l’espace en ligne droite, ce qui, suivant J.-J. Rousseau, répugne essentiellement à la poésie du voyage ; ensuite on jouit des beautés du paysage qui s’étale sous les yeux à peu près comme Tantale jouissait des pommes d’or qu’il voyait toujours à portée de sa main ; enfin, on file aw* ame rapidité qui ne laisse guère de place ù la conversation, et, k plus forte raison, aux intrigues ; autrefois, on faisait des conquêtes ; aujourd’hui on perpètre des viols. Quand le marchepied est franchi, chacun cherche à se cantonner Commodément dans un coin, et s’inquiète peu de ses voisins, qu’il à l’air de narguer, grâce à la place de faveur que lui a value son agilité ou la force de son biceps. Et puis le wagon, c’est le pays où l’on dort, comme dit La Fontaine, et l’on sait si le sommeil a jamais été favorable au caquetage. Ahl comme cette intarissable causeuse, cette spirituelle bavarde, Mme de Sévigné, se serait mai accommodée de nos voyages en chemin de fer ! «tors on aimait à parier, à causer, à disserter, k raisonner. La causerie, une causerie souple, élégante, pleine d’abandon et de grâce, pleine de goût, pleine d’art, était devenue.la grande.affaire de la vie. « Nous causons jour et nuit, soir et matin, sans fin et sans cesse », écrivait k sa fille cette

aimable causeuse (f étire du 19 décgnjbjse lis^o, J. Depuis les voyages en chemin de /ery oma changé tout cela ; <■’

On ne voyage plu», aujourd’hui, l’on arrive. Il en était tout autrement avec les antiques diligences ; les voyageurs, obligés de vivreen communauté pendais, un, deux, trois ou quatre jours, et quelquefois plus, entraient forcément en communication d’idées. Lk se révélaient immédiatement les côtés faibles de notre caractère national : la vanité, l’amourpropre, le désir de passer pour un personnage extraordinaire. C’est lk que le commis voyageur s’épanouissait dans toute sa fleur. Ah ! poétiques vpyages en diligence, puisque vous n’êtes plus qu’une ombre, jetons quelques fleurs sur votre tombe ; redevenons jeuno. puisque l’occasion s’en présente ; faisans un appel aux souvenirs d’autrefois ; fouillons dans ce sac de voyage qui s’appelle le cœur ; nous y trouvons des réminiscences de toutes couleurs, depuis le rose tendre jusqu’au gris foncé. Nous nous rappellerons toujours avec émotion le jour où, jeune Bourguignon, — je parte de longtemps, — compatriote de Rétif •’ de la Bretonne, nous faisions nos adieux au clocher du village ; oui, nous revenons avec ravissement au temps heureux de ces longs. voyages que nous entreprenions d’Auxerre k Paris dans les flancs de la Poule noire, ou de sa sœur ennemie la Poule grise. Cela nous rappelle involontairement le poétique tableau des Illusions perdues de notre grand peî^re Gleyre, Merci donc, vieille et bonne.diligence, de m’avoir remis en mémoire ces doux souvenirs de ma jeunesse. Vous méritiez cette oraison funèbre ; mais je ne croirai vous avoir payé suffisamment ma dette de reconnaissance qu’après avoir raconté k votre honneur les trois anecdotes suivantes :

Débutons par un article emprunté à un journal encore aujourd’hui célèbre en Angleterre, l’Aoettiur-ier, article sans signature, mais que nous soupçonnons fort être de Johnson lui-même, et qui offre une excellente leçon philosophique sur la vanité humaine.

UN VOTAQB EH D1UQUSCB.

Dans une voiture publique les voyageurs sont, pour l’ordinaire, absolument inconnus les uns aux autres, et sans attente de*jamais> se revoir après leur séparation. On s’imaginerait dès lors qu’il n’importe guère k chacun d’eux quelles conjectures les autres forment sur son compte. Il arrive néanmoins que, comme ils se croient tous k l’abri des découvertes, ils prennent le rôle qui leur plaît lo mieux, et, dans nulle, circonstance, le désir général de supériorité ne se manifeste plus clairement.

« Le jour du départ, au crépuscule du matin, je montai en diligence avec trois hommes et deux femmes pour compagnons de voyage. Il était facile de reconnaître l’affectation de dignité avec laquelle on se salua réciproquement. Lorsque les compliments d’usage furent échangés, nous gardâmes un profond silence, tous occupés a donner k notre physionomie un air important, et inquiets d’inspirer le respect et fa déférence à nos voisins.

On observe d’ordinaire que le silence ’est contagieux, et que, plus longtemps la conversation a été interrompue, plus il devient difficile de trouver k dire quelque chose Nous commencions à sentir l’envie de parler ; mais nul ne semblait enclin à descendre de sa hauteur ou k faire les avances en proposant un sujet d’entretien. À la fin, un gros monsieur, qui s’était affublé, pour son expédition, d’une redingote éearlate et d’un ample chapeau à larges galons, tira sa montre, la regarda en silence et la tint suspendue au bout de ses doigts. Toute la compagnie, je suppose, comprit ce geste comme une invitation k demnnder l’heure ; mais personne ne parut y prendre garde, et son désir l’emporta sur son dépit au point qu’il nous apprit, de son propre mouvement, qu’il était plus de cinq heures, et que, dans deux autres heures, nous serions à déjeuner.

« Ce fut une prévenance en pure perte ; nous restâmes tous endurcis. Les- dames redressaient la tête ; je m’amusai k examiner leur maintien. De mes deux autres voisins, l’un semblait attentif k compter les arbres de la route, l’autre avait rabattu son chapeau sur ses yeux et feignait de dormir. Le personnage bénévole, pour faire voir qu’il n’était nullement affecté de notre indifférence, fredonna un air et battit la mesure sur sa tabatière.

Ainsi, mécontents les Uns des autres en général et fort peu satisfaits de nous-mêmes, nous descendîmes enfin k une petite hôtellerie où nous devions nous rafraîchir ;, et tous commencèrent k la fois k se dédommager de la contrainte du silence par d’innombrables questions et des ordres aux gens qui nous ser vaiônt. Bientôt ce que chacun avait demandé fut prêt, «t nous consentîmes knous<asseoir k la même table. Alors le monsieur kla redingote rouge-regarda encore à Sa montre et nous dit que nous avions une demi-heure devant nous, inuis «11