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En 1838, le montant total des frais de transit, dans toute l’étendue de notre territoire, a été, en nombre rond, de 2,803,000 fr. Si tout les chemins de fer étaient exécutés, si tous le transit s’effectuait par rails et locomotives, les 2,803,000 fr. dont nous venons de parler se réduiraient a 1,051,000 fr. Ce serait, par an, une diminution de 1,753,000 fr. Le pays perdrait donc environ les deux tiers de la dépense totale qu’occasionne aujourd’hui le mode de transport par rouliers. Ce serait près de 2 millions de fr. que le commerce de nos voisins laisserait de moins sur les routes de France que parcourraient ses marchandises manufacturées ou à l’état de matières premières. Ce serait 2 millions de capitaux étrangers qui se trouveraient enlevés annuellement aux commissionnaires, aux rouliers, aux aubergistes, aux marchands de chevaux, aux

charrons, etc. Sans doute, plus de célérité, de régularité, d’économie dans le service des routes augmenterait la masse des transports. Eh bienl qu’on triple cette masse, et alors nous serons seulement revenus à 1 état présent des choses, quant aux bénéfices que la France retire du passage qu’elle donne, sur son territoire, aux marchandises étrangères ; qu’on décuple, si l’on veut, le transit actuel, et nous ne trouverons encore, au profit de notre pays, qu’une augmentation de 7,700,000 fr. Ces chiffres dissiperont bien des illusions...

Nous regrettons beaucoup que la question stratégique ne soit pas susceptible, comme celle du transit des marchandises, d’être réduite à des chiffres. Des chiffres, dans leur inflexible roideur, lui feraient certainement perdre une grande partie de l’importance qu’on s’est complu à lui donner. Personne ne doute que, dans des cas rares, exceptionnels, le transport très-rapide de quelques milliers de soldats d’un point du territoire à un autre point, des régions centrales vers la circonférence ne puisse être très-utile. Mais cela n’autorise nullement à supposer que les chemins de fer deviendront un moyen efficace à’improviser sur nos frontières, avec les troupes de l’intérieur, des armées destinées à repousser une attaque imprévue, ou à faire une irruption subite dans les contrées ennemies, L’opinion que nous énonçons ici n’est pas de celles qui peuvent être établies ou renversées d’après de simples aperçus. Pour la juger sainement, il est indispensable de descendre jusqu’aux détails. Qu’on suppose, par exemple, que Strasbourg soit le point de réunion d une armée de 50,000 hommes, à la formation de laquelle devront concourir, suivant les proportions voulues, des troupes d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, du génie, disséminées dans les garnisons ordinaires. Supposez toutes les grandes lignes de chemins de fer exécutées ; pourvoj’ez-Ies des locomotives, des wagons, des plates-formes nécessaires au service habituel, et nous nous trompons fort si, avec tout cela, vous gagnez plus de trois à quatre jours sur l’époque où l’armée, complètement organisée et suffisamment approvisionnée, pourra entrer en campagne. Les chemins de fer, dans un certain rayon à partit- des frontières, ne serviront d’ailleurs qu’au début d’une guerre. Le conflit à peine commencé, l’ennemi les fera détruire, sur divers points, par des aflides, par des partisans. Si la chose lui parait en valoir la peine, il chargera même de 1 opération quelques escadrons de cavalerie légère... Militairement parlant, un des avantages les plus immédiats et les plus prochains des chemins de fer sera une diminution considérable dans les frais qu’occasionnent les changements de garnison, lien résultera aussi qu’une partie de la population pourra être affranchie de la rude servitude des logements militaires. Nous verrons cependant a l’user si nos généraux ne décideront pas, en définitive, que les transports en wagons auraient cour résultat d’efféminer les troupes et de leur taire perdre cette faculté des grandes marches qui a joué un rôle si important dans les triomphes de nos armées. >

De récents exemples ont donné un éclatant démenti à ce jugement d’Arago sur l’utilité stratégique des chemins de fer. On a pu voir, par ce qui s’est passé dans la guerre de Crimée et dans la guerre d’Italie, quels secours puissants les railways apportent à la guerre. Si la Russie avait possédé un chemin de fer de Moscou à Sébastopol, < ; ette citadelle serait devenue, pour ainsi dire, inexpugnable.-Sans les chemins de fer, nous aurions été certainement surpris, en 1859, par l’entrée des Autrichiens eu Piémont, et nous aurions dû renoncer à secourir nos alliés en temps opportun. C’est grâce à ces voies de communication rapides que nous avons pu transporter en quelques jours une armée de plus de 100,000 hommes, avec tout son matériel de guerre, au delà des Alpes. La victoire est dans le courage des soldats, mais elle est aussi dans leurs jambes : le mot est de Napoléon Ier. Un train faisant dix lieues à. l’heure remplace très-nvautageusement toutes les marches forcées

imaginables. Ainsi il est impossible aujourd’hui de méconnaître la place qu’occupent les chemins de fer parmi les éléments de la force militaire d’un pays. Le matériel de toutes les Compagnies françaises, réuni sur une seule ligne, peut, au besoin, et si les circonstances l’exigeaient impérieusement, jeter en vingt-quatre heures 300,000 hommes sur une frontière : évidemment il y a là un changement immense dans les conditions de la guerre. Beau progrès I va dire un pessimiste ; comme

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la locomotive fait son devoir des deux côtés, sans préférence pour le droit et la justice, l’hécatombe se consomme sur de plus grandes étendues de lignes de bataille ; ainsi le résultat te plus clair de l’application des chemins de fer à la guerre, c’est l’accroissement du carnage. On peut répondre qu’à ce point de vue encore les chemins de fer sont un Dienfait pour la civilisation. En amenant le choc de grandes masses sur vm point déterminé, ils donnent à la guerre la rapidité ; ils la conduisent vite à ses conséquences fatales ; ils la contraignent à s’épuiser elle-même en deux ou trois combats ; par cela même, ils en limitent la durée, en font une interruption de plus en plus courte des rapports pacifiques des peuples, et promettent des solutions promptes et décisives aux questions internationales que la diplomatie n’a pu résoudre.

Il est heureux que les chemins de fer permettent h la supériorité de la force de se manifester en peu de temps, qu’ils condamnent les nations à vider promptement leurs querelles ; il est bien plus heureux encore qu’ils les éloignent de la guerre, en subordonnant de plus en plus la politique à l’économie sociale, en liant leurs intérêts par des traités de commerce qui sont la meilleure garantie du maintien des traités de paix, en développant la solidarité réelle des peuples, de telle sorte que les neutres ne puissent se désintéresser complètement des luttes sanglantes de leurs voisins. Le développement du commerce international, la tendance au libre échange, est une des conséquences économiques des chemins de fer. Or le développement du commerce international et l’entrelacement des intérêts des producteurs des divers pays présententun contre-poids puissantaux préjugés, aux passions et aux principes qui peuvent allumer la guerre dans les sociétés modernes.

Est - il nécessaire de montrer combien M.Thiers et Arago se sont trompés dans leurs prévisions relatives aux conséquences économiques des voies ferrées. Si deux tringles de fer parallèles n’ont pas encore donné une face nouvelle aux landes de la Gascogne, ne peut-on pas citer d’autres régions tout aussi peu favorisées de la nature, où ces deux tringles de fer sont devenues l’origine d’une transformation radicale et d’un progrès immense ? Et comment en serait-il autrement ? Est-ce qu’en chaque région les chemins de fer ne développent pas ce qu’on peut appeler le mouvement vital, en y déterminant l’apport facile et rapide des instruments de travail et des matières premières, l’apport des trois agents de la production, main-d’œuvre, capacité, capital, et en ouvrant un immense débouché aux produits ? Est-ce qu’ils n’assurent pas ainsi la mise en valeur de tout sol sur lequel le travail et la science ont quelque prise ? Ajoutons que, répartis également entre les diverses régions, ils réduisent singulièrement un des principaux éléments de ce qu’on appelle la rente foncière. En effet, les capitaux immobiliers ne peuvent s’exporter, s’importer, se déplacer ; ils occupent dans l’espace une position lise qui peut constituer pour eux une cause spéciale de valeur, et qui-concourt à leur assigner leur rang économique. Ce privilège, ce monopole naturel de l’emplacement tend à se compenser, à disparaître, à mesure que les votes de communication faciles, rapides, se multiplient, à mesure que la diminution des distances rapproche le marché des immeubles les plus éloignés, les moins accessibles, et étend indéfiniment le cercle des relations autour du centre le plus ingrat. Dans un pays sillonné en tous sens de chemins de fer, le milieu social est en quelque sorte partout, partout également présent, quel que soit le point où l’on porte les regards. En même temps que le débouché aux campagnes, les chemins de fer assurent l’approvisionnement aux villes, ce qui rend possible la suppression des monopoles de la boucherie, de la boulangerie, etc. A M. Thiers prédisant que les chemins de fer, en France, ne serviraient qu’aux riches, les faits, répondent que la proportion des personnes qui prennent les places des plus bas prix tend à augmenter ; que, parmi les chemins de fer français, il n’en est pas un seul où le nombre des voyageurs qui se mettent aux places de première classe soit du sixième ; que le plus ordinairement les voyageurs des troisièmes forment au contraire à peu près les deux tiers ou les trois quarts de la totalité. En 1848, le deuxième semestre donne, pour les voyageurs de troisième classe, et à par’cours intermédiaire, 164,000 personnes ; en 1853, 205,000, augmentation 60 pour 100 ; tandis que, pour la deuxième classe, le nombre reste à peu près le même, variant, entre les deux semestres, de 108,236 à 109,910.

Au nombre des conséquences économiques les plus importantes des chemins de fer, il Vaut placer la substitution de l’industrie sociétaire de la production par groupes à la production individualiste, et la suppression d’une notable partie des intermédiaires dans les échanges. Proudhon a développé ce point de vue d une manière remarquable. « La production individualiste, dit-il, est faible, peu fructifiante ; elle ne foisonné pas. Ses produits, jadis avilis, sont maintenant trop chers : elle ne peut créer l’abondance, le bon marche, la vie commode. 11 faut donc qu’une partie au moins des forces individuelles soit groupée ; qu’elles forment

fiar leur union des organismes puissants, reiés entre eux, et capables de soulever l’im| mena» ftirdeau qu’imposent aujourd’hui au

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travail de l’homme les nécessités de son existence... Or la formation par groupes puissants de la presque totalité de l’industrie voiturière une fois opérée, il en résulte nécessairement une réorganisation analogue, et pour une forte part, de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. » Quelle sera cette réorganisation ? L’effet bien connu des chemins de fer, par la constance et la régularité de leur service, est de mettre en rapport direct, "quelle que soit la distance qui les sépare, le producteur et le consommateur, et conséquemment de supprimer autant que possible les intermédiaires. Ce résultat conduit à faire de l’emmagasinage, comme du transport, une œuvre collective. Supposez des docks placés dans toutes les localités de quelque importance, le long des chemins de fer et des lignes navigables, près des ports et des embarcadères, destinés moins au commerce proprement dit qu’à la production elle-même, en correspondance perpétuelle et instantanée par le télégraphe, formant, pour toute la France, une immense halle, un marché unique et permanent, une bourse continue ; et voilà tout le système commercial révolutionné de fond en comble. « Le génie mercantile qu’excitait si vivement autrefois le défaut ou l’insuffisance des voies de communication, l’absence de renseignements, la lenteur des courriers, la pauvreté des moyens de transport ; ce génie, nui fit la fortune et la gloire de tant de spéculateurs célèbres, qui semble avoir été jusqu’à nos jours la spécialité de-la race israélite, va se réduire à un simple office de bureau, comme le contrôle des poids et mesures, le pesage public des malbroucks et diligences, le jaugeage des navires, le relevé statistique de la poste, de la douane, des tribunaux, etc. L’emmagasinage des produits, leur valeur, leur échange, leur distribution, leur transport, tout cela se régularise, se classe, s’exécute, avec la même précision que la marche des locomotives. L’activité de l’homme d’affaires se reporte du commerce vers l’industrie, l’agricutture, les sciences, en un mot, vers la production- proprement dite, au grand avantage du pays et des particuliers ; car c’est là, en réalité, dans l’œuvre de transformation, que l’homme montre sa vaillance, et que son ambition, loin d’être une cause de trouble, est une vertu. »

Ce n’est pas seulement le commerce qui se trouve révolutionné par la création des chemins de fer. Le mouvement ne s’arrêtera pas là ; il s’emparera de l’industrie, puis de l’agriculture. La nécessité de produire par groupes, afin de produire plus abondamment, dépersonnalisera toute fabrication, toute exploitation, toute unité industrielle, t Produire plus, eu qualité supérieure et à moins de frais, telle est, après l’établissement des lignes de fer, après l’organisation des transports et do l’échange, la loi imposée à tout producteur ; mais, pour donner plus et mieux et à plus bas prix, deux conditions sont nécessaires : io augmenter le capital engagé, et par conséquent élargir la base des entreprises ; 2° assurer le débouché ou annuler le risque de surproduction, deux choses qui ne se peuvent obtenir que par un système de transactions, de conciliations et de mutuelles garanties, qui se résume, comme pour les chemins de fer, les docks, les banques, etc., dans ce mot association ou groupe. » L’agriculture n’échappera pas au mouvement. Elle s’industrialisera, elle se socialisera, « Il ne nous paraît pas que le travail agricole, en demeure de subvenir à l’alimentation des masses industrielles toujours croissantes, puisse se soustraire aux conditions économiques qui seules lui permettent d’augmenter ses produits, et dont la plus décisive en cette circonstance est la division du travail. Or la division du travail est le premier pas vers l’agglomération ngt’ieole : c’est elle qui, la rendant d’abord possible, la rendra bientôt nécessaire. » Ainsi la ligne de démarcation qu’on a coutume de voir entre l’agriculture et 1 industrie sera complètement effacée et ne devra plus rester dans le langage. Il n’y aura qu’une seule espèce de travail, une seule espèce d’économie. La ville et la campagne, se pénétrant mutuellement, cesseront d’être deux inondes distincts ; elles cesseront de conserver leurs mœurs, leurs tendances, leurs idées, leurs lois différentes. > La vie de fer et de feu de l’industriel, a écrit George Sand, est un délire, une gageure contre le ciel, un continuel emportement contre la nature et contre soi-même ; celle du paysan est une attente, une soumission prolongée, demi-prière et demi-sommeil. » Cette distinction entre le travail industriel et le travail du paysan était hier une vérité ; grâce aux chemins de fer, elle n’aura bientôt plus de sens.

Terminons en disant quelques mots de l’influence des chemins de fer dans l’ordre intellectuel et moral. C’est une opinion qu’on entend souvent répéter et qui est devenue un lieu commun, que les chemins de fer aident à la circulation des idées. Proudhon s’élève contre cette opinion, qu’il qualifie de banale, de ridicule. « C’est confondre, dit-il, deux catégories de faits qui n’ont de commun que le mot ou l’image : le mouvement mercantile et te mouvement intellectuel. Ce qui fait circuler les idées, comme on dit, ce ne sont pas les voitures, ce sont les écrivains, c’est la discussion publique, la presse libre. Six mois de la Restauration ont mis en mouvement plus d’idées, plus fait penser le pays que les quinze années du Consuhit et de 1 Empire. Depuis quatre ans

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(l’auteur écrivait en 1855), la longueur deS chemins de fer exploités en France a été triplée ; nous ne voyons pas que depuis cette époque la moindre idée circule. Celles qui avaient été émises ont été absorbées, digérées : il ne s’en est pas produit de nouvelles. Littérature, philosophie, politique, économie, tout est à la baisse ; le tourbillon d’idées de 1848, arrêté tout à coup et remplacé par un exemplaire et religieux silence, n’a pas reçu le moindre secours des chemins de fer. Le railway transporte aussi bien les bulles du pape qu’il transportait jadis les harangues de M. Ledru-Rollin ou de M. Thiers. Candide ou la Bible, qu’est-ce que cela lui fait ? Eh quoi I Paris, où 1,400,000 âmes sont en contact, n’a pas une idée qui l’agite : la grande ville a perdu l’intelligence. Son. ombre ne rend pas même un léger murmure ! Et vous croyez qu’il suffira d’un réseau de chemins de fer pour rendre la pensée, l’âme, l’esprit, la raison à cette chrysalide de 26,000 lieues carrées qui. s’appelle aujourd’hui la France ? Non, non : telle n’est point la vertu des chemins de fer. • Nous reconnaissons avec Proudhon que ce no sont pas les chemins deferqni peuvent rendre l’initiative révolutionnaire au peuple qui l’a perdue. L’industrie et le commerce peuvent profiler de la justice et donner aux progrès juridiques accomplis le caractère de la fatalité économique, mais ils ne créent pas la justice. Toute notre grandeur intellectuelle et morale, toutes nos idées viennent de 1789. Il y a longtemps que nous vivons de ce capital ; il semble, hélas 1 que nous soyons en train do l’épuiser ; ce ne sont pas les chemins de fer qui nous en donneront un nouveau. S’imaginer que chez les peuples peu avancés juridiquement les chemins de fer vont résoudre toutes les questions est une grande erreur. Ce sont les hommes qui font le progrès moral et juridique, non les capitaux ; c’est la raison, la conscience, la vertu, la virilité morale (virtus), non la richesse. Voyez l’empire romain : son administration était perfectionnée ; les voies de communication ne lui manquaient pas ; ses grands travaux nous étonnent encore ; et cependant, comme il n’avait plus lu vertu, la foi, l’idée, comme il n’avait plus d’hommes, il dut mourir.

Cela dit, nous devons ajouter que nous né voyons rien de ridicule dans cette opinion quo les chemins de fer favorisent la circulation des idées. Il nous paraît étrange qu’on leur conteste cette action de propagation, de diffusion intellectuelle. Comment veut-on que les communications devenues plus faciles, plus rapides entre les habitants des villes et ceux des campagnes, entre les habitants des diverses parties d’un même État, entre les habitants des divers États, n’exercent aucune influence d’ordre intellectuel et moral ? Tout le monde sait que l’esprit des voyageurs s’affranchit, que l’habitude d’observer des peuples divers, des moaurs, des opinions différentes, étend les idées, dégage le jugement des anciens préjugés. C’est par ce fait que M. Gulzol explique comment le résultat de ces voyages sacrés. appelés croisades a été un grand pas vers l’affranchissement de l’esprit, un grand progrès vers des idées plus étendues, plus libres. Eh bien I les chemins de fer favorisent la circulation des idées précisément parce qu’ils font circuler les hommes, parce qu’ils en font des voyageurs, parce qu’ijjj rapprochent lo citadin du paysan, parce qu’ils arrachent ce dernier à son immobilité héréditaire, éveillent ses curiosités, ses doutes, sollicitent sa réflexion, jettent la perturbation dans ses habitudes mentales, lui font secouer le sommeil où se plaisent à l’entretenir les représentants des vieilles croyances. Le chemin de fer, mais c’est la négation de ta tradition, de la routine I II est incompatible avec le maintien prolongé de ce régime d’exemplaire et religieux silence dont parle Proudhon. Est-il possible que ce régime puisse durer indéfiniment dans un pays auquel les chemins de fer ne permettent pas de se fermer aux bruits du dehors, auquel ils apportent sans cesse, en dépit des efforts de la dictature, l’écho des libres discussions dont nous sommes entourés et pour ainsi dire enveloppés ?

— Tracés le* plus remarquables en Eu-rope, en Amérique cl en Asie, — En EU-ROPE. À l’origine, on était persuadé que les locomotives ne pouvaient circuler que sur les terrains unis, que la montée et la descente des rampes leur étaient interdites, et, s’il en fallait donner la -preuve, on la trouverait dans les immenses travaux de nivellement qui ont été exécutés. Ce qui paraissait impossible a été réalisé, et les chemins de fer. construits en Suisse en sont une preuve irrécusable. Au nombre des plus remarquables

par l’inclinaison de la voie, il faut citer celui de Bâle à Olten, celui qui descend sur les bords, du lac de Lucerne et celui qui va de Lausanne à Fribourg. Quelques-uns des plus récents méritent une mention toute particulière, a cause des difficultés qu’on a eues à vaincre et des travaux d’art qu’ils ont nécessités.

Chemin de fer du Sammering : En première ligne, il faut placer le chemin de fer qui, traversant le Sœmmering, met en communication Vienne avec Trieste, et qui a été le premier à franchir les Alpes. Ce chemin, étudié durant sept années par M. Carlo di Chega, fut commencé en 1848 et inauguré ou mois de mai 1854 par l’empereur d’Autriche, qui eu visita avec intérêt tous les travaux d’art. Il doit son nom