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blanchi d’une neige épaisse ; comme les forêts fléchissent sous le poids des frimas, et comme les fleuves s’arrêtent enchaînés par les glaçons ?

Chasse le froid, cher Thaliarque, prodigue le bois dans ton foyer ; que ton amphore Sabine nous verse un vin de quatre ans, et abandonne le reste aux dieux. C’est à eux d’apaiser les vents qui luttent sur la mer orageuse, et qui font plier les cimes des vieux ormes ou des cyprès.

Ge que sera demain, que t’importe de le savoir ? Le jour que le sort te donne, jouis-en comme d’un gain. Aujourd’hui jeune et bea.u, ne méprise ni les danses ni les douces amours. Voici la saison des exercices au Champ de Mars et des promenades sous les portiques ; c’est l’heure convenue pour les- rendez-vous et leschuchotements mystérieux du soir ; c’est maintenant qu’un rire charmant trahit la jeune fille dans le coin obscur qui la cache, et qu’on peut dérober les gages d amour à un bras qui tuit ou à une main doucement rebelle. »

Le poète de Tibur chante avec autant de conviction que de grâce et d’amabilité, et, comme Virgile, il bénit le Dieu qui lui fait ses loisirs,

Deus nobis kœc otia fecit.

Il le bénit, ne se souvenant plus, cela est vrai, des Caton, des Brutus, des Cicéron, ayant oublié le mot patrie 1

Mais écoutez, écoutez les plaintes des victimes du cirque, les plaintes des malheureux qu’on jette aux murènes, les plaintes des esclaves enduits de poix et dont on éclaire les jardins impériaux ; écoutez, cette fois c’est un craquement immense, puis un râle, le craquement et puis le râle du grand empire. Enfin des cris rauques, sauvages, effrayants se font entendre ; ce sont les oiseaux de proie qui s’abattent sur le cadavre expirant pour le dépecer, les soldats d’Attila, d’Alaric, de Totila, qui envahissent le monde romain et le brisent. La gaie chanson a été étouffée par ces plaintes, par ces cris rauques et sauvages, par ce râle.

Cependant le bruit s’apaise, et, de la poussière du passé, sur les ruines sanglantes de l’ancien monde, peu à peu on voit s élever un monde nouveau, le inonde moderne, qui bientôt, comme le monde ancien, agitera les grelots de la Folie, chantera des chansons. C’est dans le Nord que de son long sommeil s’éveille d’abord la muse ; mais c est pour dicter de longs poèmes, des chants graves, que nous ne devons pas écouter ici. Donc, nous ne nous arrêterons pas devant le moine de Saint-Gall et Ermold le Noir, devant Ossian ; nous ne parlerons pas des Êddas ni des Sagas ; nous ne dirons rien des Niebelungen. C’est de nous qu’il faut parler maintenant, de la France, le vrai pays de la chanson. « De tous les peuples de l’Europe, dit Jean-Jacques Rousseau, le Français est celui dont le naturel est le plus porté à ce genre léger de poésie : la galanterie, le goût de lu table, la vivacité brillante de son humeur, tout semble lui en inspirer le goût, et, en général, on peut assurer que l’humeur chansonnière est un des caractères de la nation. Le Français, libre de soins, hors du tourbillon des affaires qui l’a entraîné toute la journée, se délasse le soir, dans des soupers agréables, de la fatigue et des embarras du jour : la chanson est son égide contre l’ennui ; le vaudeville est son arme offensive contre le ridicule ; il s’en sert quelquefois comme d’une espèce de soulagement des pertes ou des revers qu’il essuie ; il chante ses défaites, ses misères et ses maux, aussi volontiers que ses

Srospérités et ses victoires. Battant ou battu, ans l’abondance ou dans la disette, heureux ou malheureux, triste ou gai, il chante toujours, et l’on dirait que la chanson est l’expression naturelle de tous ses sentiments. >

Et M. de Jouy ajoute : ■ On.chantait quand les Anglais démembraient le royaume ; on chantait pendant la guerre civile des Armagnacs, pendant la Ligue, pendant la Fronde, sous la Régence, et c’est au bruit des chansons de Rivarol et de Champeenetz, que la monarchie s’est écroulée à la hn du xvnie siècle. »

Jetons d’abord un rapide coup d’œil sur l’histoire de la chanson en France. La chanson est le premier bégayement de la langue française. Une fois émancipée, elle s’envoie, joyeuse etbabillarde, heureuse et libre, comme l’alouette au matin. En naissant, elle crie : « A boire t » Elle vient célébrer les amours, les bonheurs, les tristesses, les espérances de chacun. Tandis que la chanson de geste, ou le poème d’aventures romanesques et guerrières, déroule la peinture idéale de la féodalité, la chanson bourgeoise et roturière, la chanson populaire, tour à tour moqueuse, tendre, grave ou plaintive, fille du caprice et de la fantaisie, se contente d’effleurer d’une aile légère les scènes de la vie privée. À elle les fraîches mélodies, le rhythme gracieux, les contours délicats, les arabesques fugitives, le coloris le plus chaud et le plus pur. Egayer les jours de fête ; consoler le peuple de ses misères et de ses humiliations ; rire des barons, des Anglais, puis des ligueurs ; charmer l’ennui des heures pesantes ; lancer le défi de guerre et le défi d’amour ; préluder par le choc des verres aux funérailles de la monarchie ; sauver enfin la patrie, en opposant aux rois coalisés douze armées de volontaires, telle fut sa mission, telle est son histoire.

L’inspiration lyrique s’éveille d’abord, sous un ciel clément, le midi de la France. C’est qu’elle y trouve des gouvernements débon CHAN

naires ou indulgents, une noblesse lettrée, une bourgeoisie puissante et prospère, un peuple épris des séductions de la vie, si douce en ces douces contrées, enfin le voisinage de la civilisation arabe, dont les poëtes visitaient les cours des princes chrétiens. L’amour fut la première inspiration de la muse méridionale, qui reçut de la poésie orientale son harmonie et ses formes rhythmiques. Ses monuments sont des effusions de sentiment et d’esprit, l’écho mélodieux d’une vie de plaisirs, le jardin perpétuellement fleuri du printemps de l’amour. « Pour jouir, dit Schlegel, de ces chants qui ont charmé tant d’illustres souverains, tant de preux chevaliers, tant de dames célèbres par leur beauté, il faut écouter les troubadours eux-mêmes et s’efforcer d’entendre leur langage. Vous ne voulez pas vous donner cette peine ; en bien ! vous êtes condamné à lire les traductions de l’abbé Millot. » Or Raynouard, qui a repris cette tâche ingrate, dit de son côté : « Le sentiment, la grâce ne se traduisent pas. Ce sont des fleurs délicates dont il faut respirer le parfum sur la plante. ■

Un autre sentiment aussi ancien, aussi populaire en France que l’amour, la malice, anima bientôt la chanson. La satire ne pouvait manquer de s’emparer de cette forme vive, rapide, incisive du couplet. Plus tard, la satire de personnelle devient générale. Grâce à cette double popularité de l’amour et de la médisance, la chanson règne sans partage du Nord au Midi. Elle a ses genres, ses prosodies, ses concours, ses confréries et ses académies. L’art de trouver, dans le Nord, et la science du gay éaber, au Midi, rapprochent des hommes de condition tout opposée. Les érudits comptent plus de cent soixante auteurs iechansonsfrançaises au xin° siècle. Dans la liste des troubadours et des trouvères, à côté des noms plébéiens de Giraud Riquier, Pierre Cardinal, Jean Bodel, Colin Muset, Rutebœuf le bohème, on trouve des noms illustres, des barons, des rois, Richard d’Angleterre, Pierre d’Aragon, le châtelain de Coucy, le vidame de Chartres, Guillaume de Poitiers, Quesne de Béthune, Hue de la Ferté, Thibaut de Champagne, Charles d’Anjou. Cette confraternité littéraire est un premier pas vers l’égalité. Elle se recrute surtout dans les déclassés, les désœuvrés. Chassés de France, tant leur nombre" est grand sous Philippe-Auguste, les jongleurs, les poètes provençaux débordent au dehors. L’Italie les accueille en frères, et Dante salue l’un d’eux, Sordello, du nom de maître. À la longue, toutes ces chansons amoureuses deviennent monotones. Mais ce qu’il y a de sérieux, c’est l’avènement d.une littérature populaire, indépendante des écoles et de l’Église ; c’est la naissance d’une puissance nouvelle, l’opinion publique, ayant pour organes les canzones, les sirventes et les tensons, et des organes bien plus hardis que les journaux du xixe siècle, qui s’attaquent sans réticences à la papauté, à l’épiscopat, à la chevalerie, aux dogmes les plus révérés de la religion, de même qu’aux autorités séculières. La littérature profane jouit d’une liberté presque illimitée.

Les croisades arrivent, et la chanson, amoureuse et satirique, se fait guerrière. Il y a telle chanson de Bertrand de Born, le belliqueux troubadour, qui est digne des plus grands poètes lyriques. Images, mouvement, inspiration, harmonie, rien ny manque. Malheureusement, ces pièces sont trop rares. Enfin, la muse méridionale a son Juvénal, son Archiloque. L’indignation, la haine que soulèvent les massacres commis par les bandes de Simon de Montfort, dans la guerre contre les Albigeois, font un poète d’un artisan, Guillaume Figuéras. Il venge ses compatriotes par des anathèmes, des imprécations aux strophes haletantes. Pierre Cardinal est également un des adversaires acharnés de l’Église ; il ne cesse de maudire Rome et ses prêtres. Ces malédictions, que nous ne pouvons qu’indiquer, parce qu’elles sortent de notre sujet, sont le chant de mort de la poésie provençale. Exilés, traqués par l’inquisition, les troubadours se répandirent en Italie ou dans la France septentrionale. Le rôle politique et littéraire du Midi est terminé. Au reste, la poésie.provençale était déjà en décadence. Au fond, elle n’avait qu’un thème, l’amour ; et ce thème, qui eût pu la sauver de l’énervement, s’il eût été pris au sérieux, n’était pour elle qu’un jeu d’esprit. Les pensées viriles, austères, doivent servir de base à la poésie. L’esprit du Nord avait conservé toute sa sève, toute sa force. C’est au Nord que la chanson va reprendre son essor.

Par delà la Loire est un autre tempérament, une autre vie, une autre société. Ici est le génie critique et conteur de la Fiance. Moins de lyrisme et moins d’éclat ; plus de bon sens et de finesse. Une langue prosaïque, mais simple et naïve, vive et nette. Entre le Nord et le Midi, la chaîne poétique s’établit par les vainqueurs mêmes de la croisade : l’année française rapporte dans ses rangs l’esprit d’opposition ; son œuvre accomplie, elle ta désavoue au nom de l’humanité et accuse hautement, par la voix de Thibaut de Champagne, le saint-siége, Innocent III, les moines de Cîteaux et les dominicains. Cependant les chants lyriques ne furent pas importés dans le Nord par les croisés. Des témoignages prouvent qu’Abailard et saint Bernard avaient composé des chansons bouffonnes et galantes. Croirait-on qu’Héloïse ait parlé en critique littéraire de ces passe-temps d’Abailard ?, .

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« Entre toutes vos qualités, lui écrivait-elle, deux choses surtout me séduisirent, les grâces de votre poésie et celles de votre chant. Toute autre femme aurait été également charmée. Lorsque, pour vous délasser de vos travaux philosophiques, vous composiez en mètres ou en rimes des poésies d’amour, tout le monde voulait les chanter à cause de la douceur extrême des paroles et de la musique. Les plus insensibles au charme de la mélodie ne pouvaient leur refuser leur admiration. Comme la plupart de vos vers chantaient nos amours, mon nom fut bientôt connu par lo vôtre. Toutes les plaees publiques, toutes les maisons privées retentissaient de mon nom ; les femmes enviaient mon bonheur. » Après ces paroles, il faut admettre que les chansons d’Abailard, quelques-unes au moins, étaient en langue vulgaire. Or il s’agit ici du xue siècle, ce qui est à remarquer.

Les trouvères créèrent une variété nouvelle dans les chants d’amour, c’est la romance, ou le récit d’aventures amoureuses et chevaleresques. La romance est la chanson de geste en strophes et en couplets. Tous ces petits poëmes ont une intrigue simple, une mise en scène peu variée. Dans quelques-unes, celles du comte Quesne de-Béthune, l’ancêtre de Sully, la naïveté du récit est relevée par l’esprit et par la finesse. Chez d’autres auteurs, Thibaut de Champagne en particulier, il y a réminiscence, imitation des chants harmonieux de la Provence. Thibaut met du bel esprit, de la vérité et de la passion dans ses vers. Charles d’Orléans produit de véritables œuvres d’art. Il sait faire un tout harmonieux, expression et pensée ; toutefois, il ne faut pas s’exagérer son mérite. Le bohème Rutebœuf a composé moins des chansons que des fabliaux ; il a des instincts supérieurs à son temps ; il a la verve et l’originalité. À sa suite apparaît toute une génération de rimeurs populaires, entre autres Adam de la Halle, le satirique, et Colin Muset, le joyeux ménestrel, qui trouve moyen de vivre du produit de sa muse errante. Tous ces poètes ont égayé nos aïeux et méritent un souvenir.

Le premier monument, monument national élevé par la muse française, c’est la chanson de Jtoland, -(mi est pour nous ce que sont poulles Allemands, les Niebelungen. La chanson de Roland personnifie la France du moyen âge, c’est-à-dire la chevalerie ; elle est chantée par tous les preux depuis le commencement du xie siècle jusqu’à la fin du xrve. Mais est-ce une chanson ? Non, puisque nous venons de l’appeler un monument ; c’est un chant héroïque, une épopée, une chanson de geste, qui se compose de plus de quinze cents vers.

Un autre chant qui porte aussi pour titre : Chanson de Roland, a été fait sous Napoléon 1er. Souvent on surprit l’empereur le fredonnant, et l’on raconte que, la veille de la bataille de la Moskowa, soldats et officiers de la division Gérard l’entonnèrent en face de la fameuse redoute des Russes, qui purent entendre ce défi :

Combien sont-ils ? combien sont-ils ?

C’est le cri du soldat sans gloire.

Le héros cherche les périls ;

Sans les périls qu’est la victoire ?

Ayons tous, mes braves amis,

De Roland l’âme noble et flere ;

Il ne comptait ses ennemis

Qu’étendus morts sur la poussière.

Refrain. Soldats français, chantez Roland, L’honneur de la chevalerie, Et répétez en combattant Ces mots sacrés ibis) gloire et patrie ! (4ii)

Mais ce dernier chant de Roland, pas plus que le premier, n’est de notre domaine. Ce sont là des chants héroïques, des Marseillaises et non pas des chhnsons.

Nous disions tout à l’heure que Rome était la sœur cadette d’Athènes ; la Gaule fut la sœur cadette de Rome, si bien que, jusqu’aux rois de la seconde race, nos ancêtres parlèrent latin. Lorsque s’est disloqué le grand empire, la langue de Virgile et de Cicéron bientôt s’altère, puis s’abâtardit ; elle n’est plus bientôt qu’un mélange confus d’éléments divers, c’est le roman ; ensuite vient à son tour le passage au crible, dirait Malherbe, l’épuration ; et, vers la fin du XIe siècle, nous pouvons enfin, et presque sans l’aide d’une traduction, lire et comprendre les chansonniers. Voici comment on chante alors :

Bêle, doce, dame chière, Vostre grant beauté entière

Ma si sorpris, Que se j’ere en paradis S’en revenroie arrière Par covent nue ma proiere

M’eust la mis •

Que fuisse votre ami N’a moi ne fuissiez flere. Car aine en null manière

Ne forfis, Que fuissiez ma guerrière.

Ce ne sont là que des bégaiements poétiques, un premier souffle, un cri isolé, perdu ; mais tout à coup, du pays qu’avec raison on a appelé le jardin, le paradis de la France, du pays que baignent les flots bleus de la Méditerranée et ou les lauriers-roses fleurissent, s’élève un immense, et harmonieux, et doux concert. Nous sommes au xur= siècle et en Provence, nous sommes au temps des troubadours

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et de la gaie science ; grands seigneurs et pauvres serfs ensemble unissent les accords de leur vielle et les sons de leurs voix ; ce sont le roi de Sicile, Charles d’Anjou, Richard Cœur de Lion, Thibaut, comte de Champagne, Raymond Bérenger, comte de Provence, et ce sont Arnaud de Marueil, Arnaud Daniel, Anselme Faydit, Pierre Roger, Vincent de Viviers, Rudel, Pierre Vidal. Et, en vérité, au haut et puissant seigneur, souvent la châtelaine préférait le pauvre chansonnier errant, l’insoucieux rapsode.

Fontenelle, après s’être étonné de voir.les gentilshommes de l’épée déroger jusqu’à prendre la plume, ajoute malicieusement : « Mais ils eurent le soin de faire des vers assez mauvais pour ne pas déshonorer la noblesse. » Cette épigramme est plus spirituelle que vraie, et pour preuve, voici, du petit-âls d’un roi de Navarre, du fils et successeur d’un comte de Champagne, de Thibaut IV une chanson, une bluette, jolie, charmante, pleine de grâce, et que beaucoup qui ne sont ni rois ni même princes voudraient signer :

J’aloie l’autrier (l’autre jour) errant

Sans compaignons, Sor mon palefroi pensant

A faire une chanson, Quand j’ai ol, ne sai comment,

Les un buisson H

La vois du plus bel enfançon C’oncques veist nus nom.

Et n’estoit pas enfes si N’eust quinze ans et demi, Oncques nule rien ne vi De si gente façon.

Franchissons plusieurs siècles (voir plus loin : Chansons au moyen âge) pour arriver à la Renaissance et écouter Marot. Derrière nous, nous laissons Charles d’Orléans, dont les poésies sont des romances et non des chansons ; la fameuse Barbe de Verrue et les trois Roses ses élèves ; Clotilde de Surville au ton coquet, mignard, tout italien, ou mieux languedocien ; Villon, qui ressemble souvent à Anacréon ; Olivier Basselin, le créateur du premier Caveau, qui va chercher ses joyeux couplets au fond d un broc de cidre, mais qui trouvera mieux qu’ici sa place au mot vauxce-vire et à son propre nom.

Marot a d’abord sacrifié aux modes de son temps ; il a payé son tribut aux allégories morales, il a fait aussi une traduction des psaumes ; ce qui reste de lui, ce sont des chansons. Marot, en effet, que le hasard, ou mieux les dieux d’autrefois, Bacchus, Momus, Eros, donnèrent pour page à François Ier, n’était point fait pour écrire autre chose que ces petits poëmes, ces Muettes qui ne demandent qu’une plume légère à là fois et piquante, naïve à la fois et malicieuse ; il était fait pour écrire des chansons et bien fait pour cela, car il réunit en lui le pittoresque de Villon et la grâce de Charles d’Orléans, la verve de Jean deMeung et le bon sens d’Alain Chartier. Transcrivons ici une chanson de ce maître chansonnier :

Quand vous voudrez faire une amie,

Prenez-la de belle grandeur,

En son esprit non endormie,

En son telin bonne rondeur, Douceur En cœur, Langage Bien sage 5

Dansant, chantant par bons accords.

Et ferme de cueur et do corps.

Si vous la prenez trop jeunette,

Vous en aurez peu d’entretien ;

Pour durer prenez la brunette,

En bon point, d’assuré maintien. Tel bien Vault bien Qu’on fasse La chasse

Du plaisant gibier amoureux ;

Qui prend telle proie est heureux.

Clément Marot laisse des disciples : Saint-Gelais, Desperriers, Marguerite de Navarre et son frère François Ier lui-même, qui ne dédaigna pas de déroger et d’accoupler au bout d’un nombre égal de syllabes des rimes erotiques et bachiques.

Ensuite viennent, sous le règne d’un poeto qui aurait pu écrire ses vers avec le sang de son peuple, sous Charles IX, la pléiade des réformateurs de la langue. Mais la chanson. est trop vive, trop naturelle, trop primesautière pour se donner le temps d’aller chercher ses mots dans le grec et le latin. Adieu la. chansonl

Une autre pléiade apparaît sous la Ligue, celle de la Satire Mënippée ; celle-ci gaie, alerte, vraiment gauloise, qui sait chanter, et par ses chansons accomplit un des actes les plus marquants, les plus décisifs de nôtres histoire. Cette pluie de chansons qui tombe alors, dru comme grêle au mois de mars, sur les ligueurs, sort de la maison de Jacques Gillot, sur le quai des Orfévres.de la chambro où devait naître Boileau, et au bas de chacune d’elles on doit apposer l’un des noms suivants : Louis Leroy, Pierre Pithou, Nicolas Rapin, Florent Chrétien, Passerat, Durand.

Henri IV, auquel les gais bourgeois, les malins et caustiques compères que nous venons de nommer ouvrirent les portes de Paris, pourrait nous dédommager et amplement ; c’était un. chansonnier, en effet, et des plug