Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 3, part. 1, Ca-Cap.djvu/193

Cette page n’a pas encore été corrigée

tre d’accord, lorsque Calvin, encore assez jeune, décida qu’Us ne s’étaient point entendus, et que les chefs des deux partis avaient tort : Luther, — pour avoir trop pressé la présence corporelle ; Zwingle et CEcolampade, pour n’avoir pas assezexprimé que la chose même, c’est-à-dire que le corps et le sang étaient joints aux signes ; parce qu’il fallait reconnaître une certaine présence de Jésus-Christ dans la cène qu’ils n’avaient pas bien

comprise Il y eut un dernier point qui

donna à Calvin grand crédit parmi ceux qui se piquaient d’avoir de l’esprit. C’est la hardiesse qu’il eut de rejeter les cérémonies beaucoup plus que n’avaient fait les luthériens ; car ils s’étaient fait une loi de retenir celles qui n’étaient pas manifestement contraires à leurs nouveaux dogmes. Mais Calvin fut inexorable sur ce point, Jl condamnait Mélanchthon qui trouvait à son avis les cérémonies trop indifférentes ; et si le culte qu’il introduisit parut trop nu à quelques-uns, cela même fut un nouveau charme pour les beaux esprits qui crurent par ce moyen s’élever au-dessus des sens et se distinguer du vulgaire.» De nos jours, M. Mignet a, d’un crayon sûr, esquissé la physionomie générale du calvinisme. Nous trouvons., dans son intéressant Mémoire sur l’établissement de la fléforme à Genève, une exposition sommaire de la théologie calviniste qui mérite de fixer l’attention. Comme Bossuet, M. Mignet constate d’abord que toute l’originalité de Calvin est dans la coordination logique et la systématisation rigoureuse des principes émis par ses devanciers. « Calvin, dit-il, n’inventa rien. En effet, il prit à Luther sa théorie de la justification chrétienne, à Zwingle sa théorie de !a présence spirituelle, aux anabaptistes leur théorie de l’inamissibilité du Saint-Esprit ou de la grâce quand on l’avait une fois reçue. De ces trois dogmes très-légèrement modifiés et très-habilement fondus ensemble, il composa un

système qui fut à lui, et qui prit son nom. »

Pour assigner & ce système de Calvin les caractères qui lui appartiennent, et marquer les différences qui le séparent des autres doctrines protestantes, M. Mignet s’arrête à considérer les origines et les caractères généraux du protestantisme, l’essence du christianisme

Ïirimitif et les développements qu’avait pris e culte, c’est-à-dire l’application du christianisme, sous l’action prolongée du sacerdoce. C’était, dit-il, sur le dogme de la rédemption que reposait le christianisme. D’après ce dogme l’homme, porté au mal et condamné à la mort éternelle par l’effet de son origine et l’inclination vicieuse, avait eu besoin que Dieu envoyât son Fils sur la terre et le sacrifiât sur la croix pour lui afin qu’il pût échapper au mal et acquérir l’immortalité. Cette rédemption de l’homme par le Fils de Dieu avait eu pour conséquences les dogmes de la trinité, de l’incarnation, de la double nature de Jésus-Christ, etc., qui formaient son essence, ou le christianisme par rapport à Dieu ; et les sacrements qui formaient son application, ou le christianisme.par rapport à l’homme. Les hérésies des cinq premiers siècles avaient attaqué l’essence même du christianisme, parce qu’elles éta.snt una protestation de l’esprit philosophique contru les croyances incompréhensibles de la foi ; les hérésies du xvie siècle n’attaquèrent que l’application du christianisme à l’homme, parce qu’elles furent une protestation de l’esprit moral contre les abus qu’en avait faits le sacerdoce. La querelle entre Luther et le pape naquit, en effet, comme on sait, d’une question d’application du christianisme, c’est-à-dire de la distribution des indulgences. Le clergé romain avait singulièrement étendu les moyens de rachat. Ces

moyens étaient réduits, dans la primitive Eçlise, h quelques sacrements, fondés eux-mêmes sur des paroles précises de Jésus-Christ. Ils étaient les signes de l’action de Dieu sur l’homme pour le régénérer ; ils exigeaient la foi et commandaient la vertu. Ainsi le baptême était à l’homme sa tache originelle par la communication de l’esprit de Dieu, en vertu de ces paroles : Quiconque aura été baptisé, et croira en moi, ne mourra point éternellement. La pénitence, fondée sur ces autres paroles, de Jésus-Christ à ses apôtres : Tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel, offrait à l’homme qui, malgré sa régénération, avait manqué aux préceptes de la loi chrétienne, un moyen de redevenir juste. L’eucharistie, instituée d’après la cène do Jésus-Christ avec ses apôtres et « tu’il avait recommandé de renouveler, en disant que le pain était son corps et le vin son sang, mettait l’homme en rapport complet avec Dieu par la communication de sa propre substance. Césystème aurait été imparfait si le baptême, qui introduisait l’homme dans la société rachetée en lui donnant l’esprit de Dieu ; l’eucharistie, qui l’y maintenait fortement en le pénétrant de son essence même ;*la pénitence, qui l’y faisait rentrer quand, malgré ces appuis, il avait succombé aux faiblesses de sa nature, ne lui avaient pas été conférés par les prêtres successeurs du pouvoir de Jésus-Christ. C est à quoi avait pourvu le sacrement de l’ordre, fondé sur la mission que Jésus-Christ avait lui-même donnée aux apôtres d’aller prêcher par toute la terre, de baptiser, de délier et de renouveler la cène. Mais l’Eglise avait étendu ce système. Afin qu’aucun acte et qu’aucun moment de l’existence n’échappassent à l’action de Dieu et ne manquassent d’un moyen de sajut, lu confirmation, Je

CALV

> mariago et l’extrême-onction avaient été ajoutés aux quatre autres sacrements. On était allé encore plus loin. On avait créé des moyens de salut qui devaient suivre l’homme après la mort même. On avait admis, sous le nom de purgatoire, un lieu d’attente et d’épreuve, où les âmes punies temporairement pouvaient recevoir du prêtre, sans leur coopération, le pardon de leurs fautes et la rémission de leur châtiment. Par suite de cette nouvelle tendance sacerdotale, le salut n’avait pas été attaché aux sacrements seuls, mais souvent encore à des œuvres sans vertu, à des actes sans repentir, à des pratiques sans résultats. Des pèlerinages, l’invocation des saints, l’abstinence des viandes, certains vœux, des messes, des absolutions achetées, des indulgences répandues à profusion et à prix

d’argent avaient affaibli la morale en facilitant le salut, sans exiger la régénération de l’homme. C’est contre cette justification pécuniaire et extérieure, qui ne changeait pas la vie, qui n’améliorait pas la conduite, qui assurait au chrétien son salut moyennant l’acquittement d’un impôt établi sur ses désordres, qui substituait l’action du sacerdoce à l’action de la foi, et des formes impuissantes à une croyance intérieure et élevée que s’était prononcé Luther.

Après avoir montré le développement, au sein de l’Église et par l’Église, de l’appareil formaliste et sacramentaire, la végétation touffue et stérile des pratiques et des observances, M. Mignet caractérise la réforme de Luther. Cette réforme plaçait la justification du chrétien dans la foi seule. Luther avait fait, contre les pratiques sacerdotales, ce que saint Paul avait fait, quinze cents ans avant lui, contre le judaïsme, réduit aussi àdes cérémonies qui accablaient la foi, et dont l’observance semblait dispenser de la vertu. Saint Paul avait dit : Nous devons reconnaître que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi. Luther avait également condamné les œuvres au nom de la foi, et proclamé que l’homme ne gagnait pas son salut par Sa conduite. Selon lui l’homme, placé sous la main de Dieu, recevait la foi de sa grâce, et le salut de soti supplice sur la croix. Il n’était pour rien ni dans sa foi ni dans son salut : créature faible, il était condamné au mal et à la mort, si la miséricorde de Dieu ne l’arrachait pas à l’un et à l’autre par un acte gratuit de sa puissance. De cette justification par la foi, et de cette foi qui venait de Dieu et non pas de l’homme, étaient découlées des conséquences considérables. Dans la philosophie chrétienne, l’action de la grâce avait été substituée à celle de la volonté, c’est-à-dire l’intervention de Dieu au libre arbitre de l’homme, pour l’accomplissement du salut, qui était la fin même du christianisme. Dans la pratique morale, les indulgences, les pèlerinages, les viandes défendues, le purgatoire, les vœux monastiques, le célibat des prêtres avaient été abolis. Une règle plus obligatoire dans ses prescriptions et plus conforme à la nature humaine dans son exercice avait remplacé, l’accomplissement de beaucoup d’actes stériles * ou la recherche d’une perfection si extrême et si peu accessible aux forces de l’homme, qu’elle le faisait souvent tomber, des hauteurs où elle voulait l’élever, dans des chutes plus profondes. Cette règle exigeait qu’on devint meilleur, moins pour se sauver que pour se conformer à la volonté de Dieu. Dans le culte, les sacrements étaient considérés comme les signes de l’action de Dieu, et non comme les instruments du salut de l’homme. Ils disposaient au salut, mais ils ne le conféraient pas. Leur nombre avait été réduit de sept à trois. Luther n’avait conservé que le baptême, la pénitence, la cène. Il avait changé le caractère de la cène, en ajoutant l’usage de la coupe à celui du pain et en rejetant la transformation complète des espèces, tout en y admettant la présence corporelle de Dieu. Dans le gouvernement de l’Église, l’unité do pouvoir avait été détruite. Luther avait proclamé que le pape n’était pas de droit divin, et n’avait conservé la juridiction religieuse que dans l’épiscopat, dont les membres demeuraient égaux sous un seul chef qui était Jésus-Christ. Le choix des évêques ou visiteurs avait été accordé au prince.

M. Mignet arrive enfin au calvinisme, après ce long mais inévitable détour, et nous montre Calvin complétant le système luthérien de la foi justifiante et y introduisant encore plus de suite, de rigueur et d’exagération. Luther avait prétendu que le chrétien se sauvait par la foi et qu’il était certain par elle de sa justification ; mais il avait ajouté que s’il ne pouvait pas acquérir tout seul son salut, il pouvait te perdre, et que pour être certain de sa justification momentanée, il ne l’était point de sa justification irrévocable. Il admettait la pénitence, puisqu’il reconnaissait la possibilité de la chute. C’est ici que Calvin le dépassa par une logique extrêmement hardie. Il dit que l’homme, une fois assuré de sa justification par la foi, — l’était aussi de sa sanctification, parce que Dieu ne pouvait pas lui donner et lui retirer sa grâce, le rendre alternativement l’objet de son choix et de sa réprobation. Le chrétien justifié fut élu de Dieu, il devint saint, il ne put ni faillir ni se perdre. Cette doctrine, qui poussait la grâce de Luther jusqu’à la prédestination de-Calvin, la justification du premier jusqu’à la sanctification du second, eut à son tour d’inévitables suites dans Je ottltef dans gouvernement, dans ta mp.

CALV

raie. Les sacrements réduits à trois par Luther le furent à deux par Calvin : le baptême et la cène. Ces sacrements eux-mêmes se trouvèrent dépouillés de leur ancienne efficacité ou de leur mystérieuse grandeur. Les enfants des élus, et ici Calvin se rapproche des anabaptistes, n’eurent pas besoin du baptême pour entrer dans la société rachetée ; ils y furent compris par leur descendance seule, comme, avant la venue du Christ, l’homme, par sa descendance seule, avait été frappé de réprobation et de mort. Quant à la cène, adoptant l’opinion de Zwingle, il n’y fit communiquer Dieu qu’en esprit, de la même manière que Dieu était communiqué dans la prédication de sa parole et dans le baptême. Calvin n’admit point la pénitence, parce que, d’après son principe, le véritable élu, ne pouvant pas tomber, n’avait pas besoin de se relever. Il abolit l’épiscopat, comme Luther avait aboli la papauté, et confia le choix du ministre du culte, non au magistrat civil, mais à la société religieuse. U établit l’égalité sur les ruines de la hiérarchie sacerdotale. Il introduisit les laïques, sous le nom d’anciens, dans l’assemblée du consistoire qui conservait les doctrines et jugeait les mœurs. Son christianisme étant tout spirituel, il supprima comme inutiles les cérémonies que Luther avait laissées subsister comme indifférentes. Sa morale fut d’autant plus rigide que l’homme, une fois, selon lui, pénétré de la grâce de Dieu, dut s’en rendre digne par la pureté de ses mœurs et les vertus de sa vie. Elu de Dieu, U dut suivre son exemple et éviter d’autant plus de pécher, qu’il ne trouva plus la possibilité d’être absous. C’est ainsi que, poussant jusqu’aux extrémités les principes de Luther, Calvin fit avec exagération une doctrine de logiciens, un culte et une morale de puritains, un gouvernement de démocrates.

M. Mignet remarque que Calvin voulut soumettre le pouvoir civil au pouvoir religieux, contrairement à ce qui s’était pratiqué jusquelà dans la réformation. • En Angleterre, dit-il, le roi s’était emparé de la suprématie religieuse. En Allemagne, les princes et les villes impériales ne s’étaient pas, selon l’expression de Mélanchthon, mises en peine de la doctrine, mais seulement de la domination et de ta liberté (De doctrina religionis nihil laborant, tantum de regno et libertate sunt solliciti). En Suisse, les chefs de la réformation se plaignirent que le magistrat se fût fait pape. Chaque pays avait modelé le gouvernement de l’Église réformée sur celui de l’État. Calvin, qui se trouvait proscrit et placé dans une ville en possession récente de sa souveraineté, n’eut aucun ménagement pour l’autorité civile, et parvint à la dompter, parce qu’il la trouva plus faible que lui. Ayant l’exil pour point de départ ? il eut pour but la soumission du pouvoir politique. Il subordonna l’État à l’Église, la société civile à la société religieuse. • M. Mignet a très-bien vu que cette conception théocratique des rapports de la société civile et de la société religieuse est un des traits les plus caractéristiques du calvinisme. Mais il se trompe, selon nous, en l’attribuant exclusivement à l’exil de Calvin et à la faiblesse de l’autorité civile à Genève. Elle dérive très-logiquement de la doctrine calviniste. La papauté, dans le catholicisme, est la clef de voûte de l’édifice sacerdotal, la source du pouvoir religieux. En supprimant le sacrement de l’ordre et en abolissant la papauté, Luther enlevait à l’Église le principe d’une organisation et d’une vie indépendantes de l’État ; elle recevait de l’État sa forme et sa fonction ; elle cessait de se mouvoir et de se développer par elle-même. La conservation de l’épiscopat surtout était incompatible avec l’existence d’un pouvoir spirituel indépendant. Que pouvaient, que peuvent être des évêques séparés du pape, sinon des serviteurs de 1 autorité civile. Ainsi le protestantisme tendait à subordonner la religion à la politique, et cela d’autant plus qu’il était moins radical, et qu’il s’éloignait moins du catholicisme. Calvin voulut que l’Église, que la société religieuse eût une individualité propre, une vie propre, qu’elle fût un organisme et non un organe ; il comprit que là était la condition d’un prosélytisme durable, il comprit que pour remplir Cette condition il fallait placer en elle la source du pouvoir religieux, de l’autorité enseignante et dirigeante, et que cette source du pouvoir religieux, la papauté étant exclue, ne pouvait être placée que dans la communauté des fidèles. C’était le principe de la souveraineté du peuple introduit dans la constitution de l’Église. Ce principe, en faisant dériver le mandat sacerdotal de la volonté des fidèles, effaçait toute distinction essentielle entre les membres de l’Église enseignante et même toute distinction essentielle entre l’Eglise enseignante et l’Église enseignée ; il permettait de se passer, pour reconstruire une autorité religieuse, et du sacrement de l’ordre, et de la papauté, et de l’État. Enfin il s’accordait parfaitement avec cet autre principe calviniste : que la Bible, la parole écrite, doit être considérée comme la règle unique et absolue du dogme et du culte, et qu’il faut repousser absolument tout usage, toute cérémonie, toute croyance qu’on prétend y ajouter au nom de la tradition. La démocratie religieuse instituée par Calvin devait naturellement conduire à la démocratie politique, l’Église calviniste réalisant un type social qui devait fixer l’attention et sur lequel un État dont tes citoyens étaient cajviftistfi d^yftij fendre à se moqejcr, Ainsi,

CALV

189

par la (constitution démocratique de l’Église calviniste, constitution qui assurait son autonomie ; «’expliquent tout à la fois le prosélytisme de cette Église et le caractère révolutionnaire de ce prosélytisme. De là les tendances républicaines du calvinisme signalées par divers écrivains. < Le parti qui porte le nom de Calviu, dit Bossuet, fut extraordinairement haï par tous les autres protestants, qui le regardèrent comme le plus fier, le plus inquiet et le plus séditieux qui eût encore paru.» « L’Écosse et l’Angleterre puritaines, dit Voltaire, voulaient s’ériger en république. C’était l’esprit du calvinisme : il tenta longtemps en France cette grande entreprise ; il l’exécuta en Hollande. • M. Micheiet a très-bien montré ce qu ?il y a de faux dans l’opinion qui, en France, lie la cause de l’aristocratie à celle du calvinisme et qui célèbre, dans la victoire du catholicisme sur la Réforme, celle de la démocratie sur la féodalité.

Un autre trait caractéristique du calvinisme sur lequel nous devons nous arrêter, c’est l’intolérance. On a souvent dit, et avec raison, que là démocratie et la liberté ne sont pas des compagnes inséparables. L’autorité démocratique est très-forte et peut être très-despotique ; elle l’est même avec d’autant moins de ’ scrupule qu’elle puise dans son impersonnalitê, dans l’intérêt général et dans la passion collective au nom desquels elle prononce, une sorte de légitimité, tout au moins d’irresponsabilité pour ses actes les plus excessifs. » La tyrannie d’un corps, dit Voltaire, est toujours plus impitoyable que celle d’un roi : il y a mille moyens d’apaiser un prince, il n’y en a point d’adoucir la férocité d’un corps entraîné par les préjugés. Chaque membre, enivré de cette fureur commune, la reçoit et la redouble dans les autres membres, et se.porte à l’inhumanité sans crainte, parce que personne ne répond pour le corps entier. • Trop souvent séparés ailleurs, l’esprit-démocratique et l’esprit libéral le sont d’une manière spécialement frappante dans le calvinisme. Il ne faut certainement pas demander à la réforme luthérienne, ni aux autres sectes protestantes, cet esprit de tolérance et de liberté qui est né du mouvement tout païen de la Renaissance, et qui s’est développé, en dehors de la théologie, par la littérature, la science et la philosophie profanes ; mais on peut dire que le calvinisme se distingue des autres sectes protestantes par le caractère systématique qu’il a donné à l’intolérance. Le fait s’explique non-seulement par le génie et le caractère du fondateur, mais encore par la consistance de l’autorité religieuse qu’il a établie, et surtout par la conception calviniste du gouvernement divin, par le dogme de la prédestination.

Le calvinisme ne considère en Dieu que la toute-puissance et la justice, une justice aussi terrible que contraire à notre raison. « Ce Dieu, dit Micheiet, qui d’avance sauve ou damne dans un arbitraire si terrible, diffère peu du royal législateur, comme on le trouve dans nos violentes ordonnances, ou dans la loi de Charles-Quint. » En niant la bonté en Dieu, le calvinisme la détruisait dans le cœur de l’homme. En posant le dualisme : prédestinés au salut, prédestinés à la damnation ; en déclarant à jamais certaines et fixes dans la volonté divine les deux conditions d’élus et do damnés ; en élevant entre elles une barrière infranchissable, il supprimait le repentir et le pardon, et ne laissait subsister entre les bons et les méchants, entre les fidèles et les infidèles, d’autre relation que celle de la haine et de la guerre. U faut voir en quels termes ce principe de la haine aux méchants, aux ennemis de Dieu, est exprimé par les disciples de Calvin : • Non, je n’ai point oublié, écrit Renée do France, duchesse de Ferrare, au réformateur, ce que vous m’avez écrit : que David a haï les ennemis de" Dieu de haine mortelle, et je n’entends point contrevenir ni déroger en rien à cela ; car, quand je saurais que le roi mon père, et la reine ma mère, et feu monsieur mon mari, et tous mes enfants, seraient réprouvés de Dieu, je les voudrais haïr de haine mortelle, et leur désirer l’enfer, et me conformer à la volonté de Dieu entièrement, s’il lui plaisait m’en faire la grâce. » Si le calvinisme inspirait de tels sentiments à une femme, est-il étonnant qu’il ait allumé le bûcher de Servet ?

— II. Histoirb du calvinisme.» Calvin, dit M. Mignet, prépara dans Genève une croyance et un gouvernement à tous ceux en Europe qui rejetteraient la croyance et s’insurgeraient contre le gouvernement de leur pays. C’est ce qui arriva en France sous la minorité de Charles IX ; en Écosse, sous le règne troublé de Marie Stuart ; dans les Pays-Bas, lors de la révolte des Provinces-Unies ; et en Angleterre, sous Charles Ier. Le calvinisme, religion des insurgés, fut adopté par les huguenots de France, les gueux des Pays-Bas, les presbytériens d Écosse, les puritains et les indépendants d’Angleterre. Expression du grand besoin de croire avec liberté qu’éprouvait alors le genre humain, il fournit un modèle et un moyen de réformation aux peuples dont les gouvernements ne voulurent pas l’opérer par eux-mêmes, sans être toutefois assez forts pour l’empêcher. ■ Introduit d’abord à Genève, le système de Calvin devait agiter soixante ans la France, servir à opérer la réformation dfÉcosse, contribuer à 1 émancipation de la Hollande, présider à la révolution d’Angleterre. Traçons une esquisse rapide des destinées du calvinisme en, ces divers pays,