Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 3, part. 1, Ca-Cap.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnie des enfants de la maison de Mommor, aux dépens toutefois de son père, » dit de Bèze. Le père, trouvant la dépense trop lourde à porter, sollicita pour son fils de l’évêque Hangest la charge de chapelain de la chapelle dite la Gésine. L’enfant n’avait que douze ans. Il n’y avait là rien d’extraordinaire pour le temps. Odet de Châtillon, frère de l’amiral de Coligny, devait être bientôt cardinal à l’âge de seize ans, et le pape Léon X, qui mourut l’année même où Calvin obtint un bénéfice, avait été archevêque d’Aix à l’âge de cinq ans. Six ans plus tard, c’est-à-dire à dix-huit ans, le protégé de l’évêque de Noyon fut nommé à une cure qu’il échangea aussitôt contre une autre dont il percevait le revenu quoiqu’il ne fût pas même engagé dans les ordres. Envoyé à l’Université de Paris, il étudia successivement dans les collèges de la Marche et de Montaigu. Il devint un humaniste distingué et acquit des connaissances fortes. Son inclination naturelle, autant que le devoir de sa vocation, le portait vers les matières théologiques. Il y était enfoncé avec piété, avec plaisir, avec succès, lorsque son père vint l’en arracher. Cet homme prudent crut, en voyant le clergé décliner dans la faveur publique, que son fils trouverait plus d’avantage à suivre la carrière des lois. Jean Calvin entra avec déférence, mais non sans quelque regret, dans les vues de son père. Il se rendit tour à tour aux universités d’Orléans et de Bourges. Il apprit le droit dans l’une, sous Pierre de l’Étoile ; dans l’autre, sous le célèbre Milanais André Alciat. À Bourges, il trouva un helléniste allemand nommé Melchior Wolmar qui lui enseigna le grec. Théologien, humaniste, jurisconsulte, helléniste, il devait plus tard compléter à Bâle le trésor de ses connaissances en y ajoutant l’acquisition de l’hébreu. C’est à Orléans qu’il fut initié par Robert Olivetan aux doctrines nouvelles qu’il embrassa dès lors avec ardeur. Voici en quels termes il raconte lui-même ces premiers temps de sa vie dans la préface de son travail sur les Psaumes : « Dieu m’a tiré de très-petits commencements. Comme j’étois petit enfant, mon père m’avait destiné à l’étude de la théologie ; mais, voyant que celle des lois enrichissoit la plupart de ses sectateurs, cette espérance lui fit changer de dessein de sorte que, quittant la philosophie, je fus contraint de m’attacher à la jurisprudence. Quoique pour seconder les volontés de mon père je faisois mes efforts de m’y appliquer tout de bon, il arriva néanmoins que Dieu, par un secret ressort de sa providence, me fit prendre une autre route. En premier lieu, comme j’étais trop opiniâtrement plongé dans les superstitions du papisme pour me tirer aisément d’un si profond bourbier par une conversion soudaine, il ploya à la docilité mon esprit, qui s’était exclusivement endurci pour l’âge où j’étois, et ayant eu quelque goût pour la vraie piété, je fus rempli d’une telle ardeur d’y profiter que, quoique je n’abandonnasse pas mes autres études, je les poursuivois plus froidement. »

Après la mort de son père, survenue en 1531, Calvin quitta Bourges et l’étude du droit. Rendu à ses penchants théologiques, il vint de nouveau à Paris. Il y publia, à l’âge de vingt-trois ans, un commentaire sur le livre de la Clémence de Sénèque, travail d’érudition remarquable, et en même temps appel indirect à la pitié envers les protestants que François Ier livrait alors aux supplices. En même temps qu’il s’essayait à la composition, Calvin débutait dans la prédication, et déployait le zèle le plus actif à exhorter les réformés. « Au milieu de ses livres et de son étude, dit Pasquier, il étoit d’une nature remuante le possible pour l’avancement de sa secte. Nous vîmes quelquefois nos prisons regorger de pauvres gens abusés, lesquels, sans entrecesse, il exhortoit, consoloit, confirmoit par lettres, et ne manquoit de messagers auxquels les portes étaient ouvertes nonobstant quelques diligences que les geôliers apportassent au contraire. Voilà les procédures qu’il tint du commencement, par lesquelles il gagna pied à pied une partie de notre France. »

Étroitement lié avec le recteur de l’Université, Nicolas Cop, il l’engagea en 1532 à hasarder une démonstration publique en faveur des idées nouvelles qu’il prêchait dans les assemblées secrètes, et à leur prêter l’appui de son autorité. Il rédigea la harangue que Cop consentit à prononcer à l’octave de la Saint-Martin, et que le parlement poursuivit. Cette démarche faillit leur devenir funeste à l’un et à l’autre. Cop, obligé de prendre la fuite, se retira à Bâle. Calvin échappa par le plus heureux hasard à des recherches qui furent dirigées contre lui dans le collège de Forteret, et se réfugia en Saintonge. Il s’établit chez Louis du Tillet, chanoine d’Angoulême, qui partageait ses opinions. La persécution étant devenue plus ardente en 1534, il résigna ses bénéfices, qu’il avait gardés jusqu’alors, et « voyant, dit Théodore de Bèze, le pauvre état du royaume de France, quant à la religion, il délibéra de s’en absenter pour vivre plus paisiblement et selon sa conscience. » Il se rendit, accompagné de Louis du Tillet, d’abord à Strasbourg et ensuite à Bâle, avec le désir d’y vivre dans l’étude et l’obscurité. « J’étois, dit-il, de mon naturel, peu fait pour le monde, ayant toujours aimé le repos et l’ombre… et n’avois d’autre intention que de passer ma vie dans mon loisir, sans que je fusse connu… À ce dessein, je quittai ma patrie et m’en allai en Allemagne pour y trouver en quelque coin obscur le repos que je n’avois pu trouver pendant un long temps en France. »

Calvin vécut inconnu à Bâle, où il continua ses études. Pour le tirer de la retraite, « il fallait, dit M. Michelet, un coup imprévu, une manifeste nécessité morale, la violence du ciel et de la conscience ; si j’osais dire, la tyrannie de Dieu. » Il voyait persécuter et brûler en France par François Ier, comme luthériens, ceux que ce même François Ier représentait à ses alliés, les luthériens d’Allemagne, comme des anabaptistes ennemis de tout culte et de tout gouvernement. Le cri de la justice sortit de son cœur contre l’hypocrisie et la cruauté de cette politique. Il publia le livre de l’Institution chrétienne, qu’il adressa par une préface à François Ier. « J’entreprends, dit-il dans cette préface, la cause commune de tous les fidèles et même celle de Christ, laquelle aujourd’hui est en telle manière du tout déchirée et foulée en votre royaume, qu’elle semble être désespérée. » Il terminait son épître au roi par ces fières et belles paroles : « Si les détractions des malveillants empêchent tellement vos oreilles que les accusés n’aient aucun lieu de se défendre ; si ces impétueuses furies, sans que vous y mettiez ordre, exercent toujours cruauté par prisons, fouets, géhennes, coupures, brûlures, nous, certes, comme brebis dévouées à la boucherie, serons jetés en toute extrémité ; tellement néanmoins qu’en notre patience nous posséderons nos âmes et attendrons la main forte du Seigneur, laquelle sans doute se montrera en sa saison, et apparaîtra tout armée tant pour délivrer les pauvres de leur affliction que pour punir les contempteurs qui s’égayent si hardiment à cette heure ! Sire, le Seigneur roi des rois veuille établir votre trône en justice, et votre siège en équité ! »

Fidèle à ses projets d’obscurité, Calvin avait publié l’Institution chrétienne sans y mettre son nom. Mais sa vie était dès lors changée sans retour, et il ne pouvait échapper à la réputation et à la lutte qu’il semblait fuir. Sur cette grande force qui venait de se révéler, tous avaient les yeux ouverts ; il appartenait désormais au parti qu’il avait défendu, et cet homme d’étude, timide, ami du repos, devenu malgré lui homme d’action, ne devait plus trouver de paix que dans la mort : « Dieu, dit-il, m’a conduit en telle sorte par divers détours, que jamais il ne m’a permis de me reposer, tant que, contre mon génie, j’ai été tiré en une pleine lumière. » Voici comment s’opéra ce changement si décisif dans sa vie et dans l’histoire du protestantisme.

La Réforme, prêchée en Suisse par Zwingle en 1517, avait bientôt trouvé de puissants propagateurs dans les réfugiés français dispersés par la persécution, et surtout dans Farel, le fougueux et ardent apôtre de la Suisse française. La ville de Genève, rendue indépendante des ducs de Savoie par une première révolution, et peu après de ses évêques par une seconde, avait embrassé la Réforme. Farel y dirigeait le mouvement réformé lorsque Calvin, revenant d’un voyage à Ferrare, vint à y passer dans les premiers jours d’octobre 1536. « Farel, dit M. Michelet, n’était pas écrivain, le savait, se rendait justice ; c’était une flamme, rien de plus. Il ne se sentait nullement le pesant et puissant génie de fer, de plomb, de bronze, qui pouvait transformer Genève. » Averti de l’arrivée du savant jeune homme qui avait tous ces dons, il se transporta sur-le-champ auprès de lui, et l’invita à lui prêter le concours de ses lumières et de son ministère. Calvin s’en excusa en alléguant ses goûts qui l’entraînaient vers l’étude, et son caractère qui l’éloignait des agitations et des luttes humaines. « Là-dessus, dit-il, Farel, tout brûlant d’un zèle incroyable d’avancer l’Évangile, déploya toutes ses forces pour me retenir, et, ne pouvant rien gagner par ses prières, il en vint jusqu’à l’imprécation, afin que Dieu maudît ma vie retirée et mon loisir, si je me retirois en arrière, ne voulant lui aider en telle nécessité. L’effroi que j’en reçus, comme si Dieu m’eût saisi alors du ciel par un coup violent de sa main, me fit discontinuer mon voyage, en telle sorte pourtant que, sachant bien quelle étoit ma timidité et mon humeur réservée, je ne m’engageai point à faire une certaine charge. » Cette charge, qu’il refusait alors et qu’il accepta plus tard, fut celle de prédicateur. Il ne consentit d’abord à rester à Genève que pour y professer la théologie. Il ne tarda pas à être élu pasteur et docteur de l’Église de Genève. De concert avec Farel, il présenta une confession de foi qui fut jurée publiquement et dont les points principaux étaient : 1° la Bible, seule « règle à suivre, sans y mêler aucune chose, sans y ajouter ni diminuer »  ; 2° un seul Dieu ; aucunes « cérémonies ni observations charnelles, comme s’il se délectoit en de telles choses ; » 3° la loi de Dieu seule pour toutes. « Comme il est le seul seigneur et maître, nous confessons que toute notre vie doit être réglée aux commandements de sa sainte loi, et que nous ne devons avoir autre règle de bien vivre ni inventer autres bonnes œuvres pour complaire à lui que celles qui y sont contenues ; » 4° l’homme en sa nature. On doit le considérer comme « en ténèbres d’entendement… » « pervers de cœur, » incapable de « s’adonner à bien faire », s’il n’est « illuminé de Dieu » et « redressé à l’obéissance de la justice de Dieu. » Calvin, comme on voit, est théoriquement, comme il le deviendra en pratique, un autoritaire de la meilleure souche : il faut une main de fer pour gouverner les hommes ; 5° l’homme, en soi damné, est obligé de « chercher autre part qu’en soi le moyen de son salut » ; 6° le salut en Jésus-Christ. La mission de Jésus-Christ est contenue « au symbole qui est récité en l’Église. » Suivent quinze autres propositions toutes extraites du symbole. Calvin y professe que l’excommunication « des contempteurs de Dieu et de sa parole… est une chose sainte et salutaire ; » quant aux magistrats civils, ils viennent de Dieu, et leur autorité doit être respectée « en toutes les ordonnances qui ne contreviennent pas aux commandements de Dieu. » On conçoit que Bossuet ait pensé et quelquefois dit tant de bien de Calvin : l’un et l’autre avaient la même trempe de caractère.

Calvin n’entendait pas se borner à la réforme du dogme et du culte ; il entreprit de réformer les mœurs, alors d’autant plus dissolues à Genève que cette ville avait renfermé beaucoup de prêtres et de moines dont la vie, à cette époque, était fort relâchée. C’était pour épurer et fortifier la conscience, non pour ôter un joug aux passions, qu’il avait supprimé l’autorité du pape, la messe, le célibat, la confession, les cérémonies. Faire une révolution dans les mœurs n’était pas tâche facile. Un parti puissant s’opposait à cette conséquence de la Réforme. Ce parti conservateur des vieilles mœurs et des vieilles franchises, désigné sous le nom de parti des libertins, fit à l’austère discipline que Calvin voulait introduire à Genève une résistance vive, prolongée, et qui fut un moment victorieuse. Le 23 avril 1538, Farel et Calvin quittèrent la ville à la suite d’une sentence de bannissement que le petit conseil porta contre eux parce qu’ils avaient refusé de distribuer la cène.

Calvin se retira d’abord à Berne, d’où les réformés de Strasbourg parvinrent à l’attirer au milieu d’eux. Calvin profita de son séjour dans cette ville pour étudier les hommes et les choses de l’Allemagne. Il assista à plusieurs diètes, notamment à celle de Worms où se débattaient les intérêts politiques comme les intérêts religieux de toute l’Europe centrale ; mais Calvin fit peu d’effet dans ce milieu nouveau. Il était à la fois étranger aux mœurs et à la langue du pays ; il n’avait pas non plus les mêmes opinions que la plupart de ceux qui l’entouraient. Aussi, quand les Genevois au bout de trois ans le rappelèrent parmi eux, n’hésita-t-il point à y retourner. Durant son absence, Genève était tombée dans une anarchie effrayante. La lettre des Genevois est très-humble : « Monsieur notre bon frère et singulier ami, écrivent-ils, très-affectueusement à vous nous nous recommandons pour ce que nous sommes entièrement informés que votre désir n’est autre sinon l’accroissement et avancement de la gloire et honneur de Dieu et de sa sainte parole. De la part de notre petit, grand et général conseil, lesquels de ceci faire nous font grandement admonester, vous prions très-affectueusement vous vouloir transporter par devers nous et en votre pristine place et ministère retourner, et espérons en l’aide de Dieu que ce sera un grand bien et fruit à l’augmentation de la sainte Évangile, voyant que notre peuple grandement vous désire, et feront avec vous de sorte que vous aurez occasion vous contenter. » C’était lui dire qu’il agirait désormais à Genève comme il l’entendrait.

Calvin, à peine de retour, se mit à l’œuvre ; il commença par créer une hiérarchie religieuse. C’est l’objet des Ordonnances ecclésiastiques. « Il y a, disent-elles, quatre ordres ou espèces de charges, que Notre-Seigneur a institués pour le gouvernement ordinaire de son Église, assavoir les pasteurs, puis les docteurs, après les anciens, quartement les diacres. » Au sommet de la hiérarchie, Calvin place un consistoire chargé d’administrer les intérêts religieux de la république de Genève. Les membres du consistoire sont les pasteurs et les anciens. Les pasteurs, « que l’Écriture nomme aussi aucunes fois surveillants ou évêques anciens et ministres, » sont chargés « d’annoncer la parole de Dieu pour endoctriner, admonester et reprendre, tant en public qu’en particulier, administrer les sacrements et faire avec les anciens les censures ecclésiastiques. » Ils sont douze, ce qui porte, avec douze laïques ou anciens, à vingt-quatre le nombre des membres du consistoire. L’organisation précédente n’était qu’un préliminaire. Le nouveau législateur de Genève entendait étendre son action sur toutes les branches de l’administration, au temporel comme au spirituel. D’une part, il statue sur la forme des prières, sur les prêches ; il indique la manière de célébrer la cène, de baptiser, d’enterrer les morts ; de l’autre, il fait recueillir par les magistrats de la cité, placés sous ses ordres ou son influence directe, les lois civiles et ecclésiastiques promulguées par lui et Farel depuis l’établissement de la Réforme ; il y retranche, ajoute, corrige et, le travail mené à point, fait approuver son œuvre par l’assemblée des citoyens.

Cette législation est restée en vigueur jusqu’à notre époque. Une autre institution due à Calvin est l’établissement d’une chambre consistoriale investie du droit de censure et d’excommunication. Qu’on appelle ce tribunal comme on voudra, ses attributions étaient les mêmes que celles du saint-office ; mais, chez Calvin, le législateur et l’administrateur n’avaient pas fait disparaître le moraliste toujours courroucé contre les mœurs de son siècle. En 1545, au plus fort de ses travaux d’organisation religieuse et politique, il reprend sa vieille thèse de l’Institution chrétienne contre le monde et les caractères pusillanimes, « ces gens qui n’offrent à Dieu, pour tout potage, qu’un cœur timide et lâche, qu’une foi dont ils n’osent faire profession devant les hommes. » Il y en a de quatre sortes : 1° ceux qui ne veulent pas scandaliser les faibles ; comme si mentir à sa conscience n’était pas le plus grand des scandales ; 2° les délicats, « bien contents d’avoir l’Évangile et d’en deviser avec les dames, moyennant que cela ne les empêche point de vivre à leur plaisir ; » 3° les philosophes. Il entend par là les gens de lettres, sans que pourtant « toutes gens de lettres en soient. » Ce sont des sceptiques qui dissimulent le vide de leur cœur et l’atonie de leur intelligence sous un langage très-épluché, d’ailleurs habitués à préférer l’Énéide à l’Évangile, et qui donnent ainsi la mesure de leur caractère, puisqu’ils préfèrent un valet d’Auguste à l’auteur de l’Évangile ; 4° les marchands. Ce sont des hommes d’argent, c’est-à-dire des animaux à l’engrais, « qui se trouvent bien de leur ménage, » et « se fâchent, qu’on les vienne inquiéter. »

Après avoir invoqué pour lui-même la liberté de penser, la première et la plus inviolable des libertés de l’homme, Calvin se prononça contre elle avec autant de violence que les docteurs les plus exclusifs du catholicisme. Il reprit à son profit et proclama hautement la doctrine en vertu de laquelle quiconque possède la vérité en matière de religion peut l’imposer par la force et punir de mort les dissidents. Calvin, naturellement convaincu qu’il possédait la vérité, s’empressa de mettre en pratique la théorie qui fait de la Saint-Barthélemy le plus saint et le plus méritoire des actes. Il fit peser sur Genève une insupportable tyrannie. Tous ceux qui, soit en religion, soit en politique, lui firent une opposition quelconque et lui portèrent ombrage furent impitoyablement brisés. Son esprit régnait dans le conseil de la ville comme dans le consistoire, de telle sorte que les juges n’hésitèrent jamais à punir ceux qu’il leur désignait. Jérôme Bolsec, pour avoir adopté et publié les idées de Pélage sur la liberté métaphysique ; Castaillon, pour avoir voulu disputer contre lui ; Okin ; Blandrata, etc., furent bannis ; Gentili faillit être brûlé ; le brave capitaine Ami Perrin, un de ceux qui avaient contribué à son rappel, n’échappa à la mort qu’en s’enfuyant ; Bertelier, Gruet et beaucoup d’autres furent envoyés au supplice, etc. La plus illustre victime de l’implacable et irascible sectaire fut Michel Servet (V. ce nom), qu’il avait secrètement dénoncé aux magistrats catholiques de Vienne, et qu’il fit brûler à Genève, où ce malheureux s’était réfugié.

Plusieurs théologiens de la Réforme ont essayé d’excuser le meurtre de Servet, en absolvant Calvin de la sentence prononcée contre lui. Dès 1546, Calvin écrivait à son confrère Viret : « Servet m’a envoyé dernièrement un gros manuscrit de ses rêveries, m’avertissant, avec une fabuleuse arrogance, que j’y verrais des choses étonnantes. Il m’offre de venir ici, si cela me plaît ; mais je ne veux pas y engager ma parole, car, s’il venait, je ne souffrirais pas, pour peu que mon autorité eût de poids, qu’il sortît vivant de Genève. » On voit quels étaient les sentiments du réformateur contre ceux qu’il considérait comme des hérétiques. Servet vint à Genève en 1553, et fut brûlé vif. C’était conforme à la doctrine constamment professée par Calvin, et qu’on peut voir exposée dans le livre de Théodore de Bèze de la même année (1553), sous le titre : De la punition des hérétiques par le magistrat civil. Calvin ne se repentit pas du traitement infligé à Michel Servet, car il écrivait bientôt à M. Dupont qu’il qualifie général de la religion dans le Dauphiné : « Que le roi fasse ses processions tant qu’il voudra, il ne pourra empêcher les progrès de notre foi ; les harangues en public ne feront aucun fruit que d’émouvoir des peuples déjà trop portés au soulèvement… Ne faites faute de défaire le pays de ces zélés faquins, qui exhortent les peuples par leurs discours à se roidir contre nous, noircissent notre conduite et veulent faire passer pour rêverie notre croyance. Pareils monstres doivent être étouffés, comme fis ici en l’exécution de Michel Servet, Espagnol. À l’avenir ne pense pas que personne s’avise de faire chose semblable. »

Débarrassé de tous dissidents, maître absolu, et, comme on disait, pape de Genève, Calvin usa d’un pouvoir qui n’était plus contesté pour faire de cette ville le séminaire du protestantisme, en y érigeant un collège où furent fondées sept classes et une académie qui eut trois chaires d’hébreu, de grec et de philosophie sous la direction de Théodore de Bèze. Il provoqua l’établissement d’autant d’Églises étrangères qu’il le put dans Genève. En effet, outre l’Église française, il s’y forma des Églises italienne, espagnole, anglaise, écossaise, flamande, au moyen des réfugiés religieux de ces divers pays qui y attendirent le moment où ils pourraient porter le culte institué par Calvin à leurs nations respectives. Jusqu’à la fin de sa vie, Calvin s’occupa de