mémoire ; elle se dépouille de tout enseignement philosophique. Et d’ailleurs, ce système est rigoureusement impraticable. D’une part, l’école descriptive est obligée, comme les autres, de concilier et de compléter les récits des vieux historiens, de refaire leur travail, condensé ou étendu dans l’œuvre nouvelle ; d’autre part, elle est tenue de conclure, bon gré mal gré : les opinions régnantes, la pensée de l’auteur, se révéleront indirectement dans le choix des circonstances et jusque dans les formes de son langage. Ses erreurs seront difficiles à découvrir ; le lecteur acceptera tout de confiance.
M. de Barante a paré son système, c’est-à-dire son livre, de tous les agréments du récit. « Tant que vous le lisez, dit M. Demogeot, vous êtes sous le charme de sa narration. Quel magnifique tableau ne déploie-t-il pas devant nous ! Avec quel art n’a-t-il pas choisi l’époque (1364-1477) qui, plus que toute autre peut-être, était appropriée à son système ! C’est un temps où ces êtres collectifs et abstraits qu’on nomme les nations ne sont pas constitués encore ; la politique naissante y laisse surtout agir la passion personnelle ; les individus peuvent impunément être grands par l’héroïsme ou par le crime. M. de Barante les saisit dans toute leur vérité. Les personnages, tels que Jean Hyons, Pierre Dubois, Jacques Arteveldt, sont aussi vivants que ceux de Walter Scott. La croisade des chevaliers français en Hongrie est une peinture admirable : la bataille de Nicopolis produit l’effet de la plus saisissante réalité. La bravoure du vieil amiral qui, seul au milieu des janissaires, élève six fois en l’air la bannière de la France, la mort du vaillant Coucy, l’héroïsme du jeune comte de Nevers, qui fut depuis Jean sans Peur, tout cela est frappant, tout cela se passe sous nos yeux. En somme, ce livre est une œuvre du plus grand mérite, quoiqu’il soit à désirer que la méthode de M. de Barante, sujette même ici à tant de défauts, soit adoptée plutôt par les auteurs de romans historiques que par les historiens. »
BOURGOGNE (canal de), grande voie de
navigation qui fait communiquer la Méditerranée
et la Manche par la Saône et le Rhône
d’un côté, l’Yonne et la Seine de l’autre. Il commence à La Roche, à 10 kilom. E. de Joigny,
dans le département de l’Yonne, suit la
vallée de l’Armançon depuis l’embouchure de
cette rivière jusqu’à sa source, traverse la
ligne de faîte à Pouilly par des tranchées et
un souterrain de 3,333 mètres, suit la vallée
de l’Ouche, et va rejoindre la Saône au-dessus
de Saint-Jean-de-Losne, après un parcours de
242 kilom. dans les départements de l’Yonne
et de la Côte-d’Or. Il passe à Brinon, Saint-Florentin,
Tonnerre, Ancy-le-Franc, Buffon,
Montbard, Pouilly, Vandenesse, Plombières et
Dijon. Il est alimenté par des prises d’eau naturelles
et par des réservoirs, dont les principaux
sont ceux de Grosbois et de Panthiers ;
les pentes des deux versants de la Seine et du
Rhône sont rachetées par 191 écluses ; le tirant
d’eau est de 1 m. 60 ; la charge maxima
de 150 tonnes. L’ouverture du chemin de fer
de Paris à Lyon a beaucoup fait baisser le
mouvement de la navigation sur le canal de
Bourgogne ; cependant ce mouvement, qui a
été, en 1861, de 158,000 tonnes, est en progrès
sur les années précédentes. Ce canal avait été
projeté sous le règne de Henri IV. En 1666,
le célèbre Riquet fut chargé d’étudier de nouveau
ce projet, qui fut dans la suite plusieurs
fois repris et abandonné. En 1775, on commença
l’exécution des travaux, qui furent suspendus
en 1793 par la Révolution, repris par
l’empire en 1808, et abandonnés encore en
1814. La Restauration, par une loi du 14 août
1822, voulut mettre la dernière main à cette
œuvre, qui ne fut réellement et complètement
exécutée que de 1832 à 1834, et qui coûta
54,403,314 fr.
BOURGOGNE (Louis, duc de), dauphin de
France, petit-fils de Louis XIV, fils aîné du
grand dauphin, père de Louis XV, né en 1682,
mort en 1712. Plein d’esprit et de pénétration,
ce prince était né dur, opiniâtre, orgueilleux
et d’humeur violente. Confié aux soins de Fénelon,
Fleury et Beauvilliers, il se transforma
d’une manière extraordinaire et devint, au
témoignage de Saint-Simon et des contemporains,
un modèle de vertu, de patience, de
douceur et de piété. Plein de déférence envers
ses précepteurs, il entra dans leurs projets
de réformes aristocratiques et constitutionnelles
tout à la fois (v. Fénelon). « Il se
proposait, dit Saint-Simon, de partager le
royaume en un certain nombre de parties égales,
autant qu’il se pourrait, pour les richesses ;
de faire administrer chacune par ses états ;
de les simplifier tous extrêmement pour en
bannir la cohue et le désordre, et, d’un extrait
aussi fort simplifié de tous ces états des provinces,
former quelquefois des états généraux
du royaume. » C’est pour le duc de
Bourgogne que Fénelon avait composé son
Télémaque. Lorsque les querelles du quiétisme
amenèrent la disgrâce et l’exil de l’archevêque
de Cambrai, le jeune prince, qui lui portait
une vive affection, se jeta, mais en vain,
aux pieds de Louis XIV pour obtenir que son
précepteur lui fût conservé. En 1697, le duc
de Bourgogne épousa Adélaïde de Savoie,
princesse qui devint, par sa grâce et par son
esprit, l’enchantement de la cour du vieux roi.
Il l’aima tendrement et constamment, bien que
celle-ci, si l’on en croit Saint-Simon, n’ait pas
donné des preuves d’une fidélité constante.
Louis XIV donna à son petit-fils le commandement
de l’armée de Flandre en 1702 et le
nomma, l’année suivante, généralissime de
l’armée d’Allemagne. Mis en 1708, avec le
même titre, à la tête des armées de Flandre,
après les défaites d’Hochstaedt et de Turin, le
jeune prince se trouva en présence de Marlborough
et du prince Eugène. Bien qu’il eût
près de lui le duc de Vendôme, le duc de
Bourgogne ne commit que des fautes et n’essuya
que des revers. Sa timide circonspection
amena la défaite d’Oudenarde et la prise de Lille. Il quitta l’armée pour n’y plus revenir,
et retourna à la cour. Un de ses menins, Gamache,
faisant allusion à l’excessive dévotion
et aux pratiques minutieuses auxquelles ce
prince se livrait, lui dit ces paroles connues:
« Je ne sais si vous aurez le royaume du ciel ; mais, pour celui de la terre, le prince Eugène et Marlborough s’y prennent mieux que vous. »
Devenu dauphin à la mort de son père (1711),
il fut appelé dans les conseils par Louis XIV,
s’instruisit sur l’état du royaume, vit les maux
et chercha les remèdes pour les appliquer
quand il serait sur le trône. « Un roi est fait
pour ses sujets, et non les sujets pour le roi, »
dit-il un jour à Marly devant Louis XIV, qui
professait la maxime diamétralement opposée.
Cette parole, inspirée par Fénelon, donne une
idée du caractère et des tendances du duc de
Bourgogne. Il était l’espoir de tout un parti à
la cour, lorsqu’il mourut, subitement enlevé
par une rougeole pourprée, moins d’un an
après la mort de son père et six jours après
celle de sa femme, Marie-Adélaïde. Un de ses
fils mourut également trois semaines plus tard
et de la même maladie. On soupçonna, mais
sans doute à tort, le duc d’Orléans de n’avoir
pas été étranger à ces catastrophes multipliées.
BOURGOGNE (duchesse de). V. Marie.
BOURGOGNE (le bâtard de). V, Antoine.
BOURGOGNE (hôtel de). Cet hôtel, dont
nous n’avons plus qu’un curieux reste, la tour
dont nous parlerons tout à l’heure, s’élevait
rue Pavée-Saint-Sauveur (aujourd’hui rue du
Petit-Lion, n° 23). Originairement bâti pour les
comtes d’Artois, il était situé non loin des
murs de Philippe-Auguste, lesquels bornaient
l’espace où il était renfermé. Lorsque cette
enceinte fut reculée de ce côté, l’hôtel d’Artois
s’étendit dans la rue Mauconseil jusque
vis-à-vis Saint-Jacques de l’Hôpital. Marguerite,
comtesse d’Artois et de Flandre, qui en
était alors propriétaire, l’apporta en dot à
Philippe le Hardi, fils du roi Jean, qui fut la
tige de la nouvelle maison de Bourgogne, si
fatale à la France. L’hôtel de Bourgogne devint
bientôt l’habitation favorite du trop fameux
Jean sans Peur, qui abandonna pour
lui l’hôtel de Flandre. Ses successeurs l’imitèrent
et s’y installèrent définitivement. Cet
hôtel servit donc de séjour aux ducs de
Bourgogne jusqu’à la chute et la mort de
Charles le Téméraire (1477), époque où il
devint l’habitation de certains particuliers
privilégiés, que la faveur royale logeait dans
les demeures de la couronne. Un édit de
François Ier du 20 septembre 1543 en prescrivit
la démolition pour cause de vétusté. Il n’en
demeura debout qu’une grosse tour quadrangulaire.
Quant au terrain, morcelé en diverses
parts, un sieur Jean Rouvet en acquit la
majeure partie, qu’il vendit à son tour aux
confrères de la Passion, lesquels y construisirent
aussitôt la salle connue sous le nom de
Théâtre de l’hôtel de Bourgogne. (V. ci-après.)
La grosse tour quadrangulaire, qui a survécu à la destruction de l’hôtel proprement dit, subsiste encore. C’est un curieux document, un échantillon précieux de l’importance qu’avaient au xve siècle ces vieilles demeures princières. Elle est énorme, construite en pierres de taille solidement cimentées, soigneusement appareillées : l’édifice est percé de baies ogivales, et couronné de mâchicoulis. À l’intérieur, un large escalier à vis monte en serpentant, partant d’une haute salle voûtée en ogive, qui, aujourd’hui, se divise en étages. Sur cet escalier s’ouvrent des portes carrées, bordées de moulures, et des fenêtres de même forme y projettent la lumière. Les degrés tournent autour d’une colonne terminée par un chapiteau d’un ordre fort simple. Mais de ce chapiteau, servant de support, part une caisse ronde en pierre, cerclée d’un triple anneau double et sur laquelle s’élance et serpente un curieux travail de sculpture : ce sont les tiges d’un chêne vigoureux ; les branches en décrivent quatre travées d’ogives, et le feuillage couvre la voûte dans toute son étendue. C’est un monument unique dans l’art de l’ornementation, d’une élégance et d’une légèreté rares. Deux rabots et un fil à plomb, sculptés au milieu de fleurons gothiques dans le tympan ogival d’une baie extérieure, indiquent d’une manière à peu près certaine la date de la construction : Jean sans Peur, par opposition aux bâtons noueux du duc d’Orléans, avait en effet des rabots pour orgueilleux emblèmes. Si Jean sans Peur n’en a pas posé la première pierre, du moins est-il hors de doute qu’elle ne peut remonter plus haut qu’à son père, le duc Philippe le Hardi. C’était dans cette tour que Jean, le mal nommé, couchait, entouré d’un véritable arsenal d’armes, l’oreille au guet, éveillé et debout au moindre bruit ; c’est de cette tour, son repaire, qu’il dirigea les scènes sanglantes qui portèrent le désordre dans Paris sous le roi Charles VI, l’assassinat du duc d’Orléans, etc.
La rue du Petit-Lion, sur le parcours de laquelle on rencontre cette tour célèbre, derrière la halle aux cuirs, qui occupe aujourd’hui l’emplacement de l’ancien hôtel de Bourgogne, est tombée sous le marteau des démolisseurs pour le percement du prolongement de la rue Turbigo ; la tour de Jean sans Peur reste debout, et elle formera, dit-on, le centre d’un square analogue à celui de la tour Saint-Jacques-la-Boucherie.
BOURGOGNE (théâtre de l’hôtel de),
théâtre bâti vers 1548 par les confrères de la
Passion, sur l’emplacement occupé auparavant
par l’hôtel des ducs de Bourgogne. Il
était situé dans la rue Mauconseil, à la place
où s’élève aujourd’hui la halle aux cuirs.
C’est là que jouèrent d’abord Gros-Guillaume,
Gauthier-Garguille, Turlupin, Bruscambille ;
puis Floridor, Mondory, la Béjart, mère de la
femme de Molière ; Baron père, Poisson, et
surtout la fameuse Champmeslé et son mari ;
c’est là que furent représentés les chefs-d’œuvre
de Corneille et de Racine. Les comédiens
italiens exploitèrent ce théâtre de 1680
à 1697, puis de 1716 à 1719 ; il fut définitivement
fermé en 1783, et détruit dans la même
année. Durant ces derniers intervalles, on
joua des canevas italiens, des comédies françaises
d’Autreau, Marivaux, Saint-Foix, etc. ;
les opéras-comiques de Sedaine et de Favart,
embellis par la musique de Monsigny, Grétry,
Dalayrac, etc. L’histoire de l’hôtel de Bourgogne
est en même temps celle des origines
de la comédie française ; à ce titre, nous pensons
que le lecteur nous saura gré des développements
dans lesquels nous allons entrer :
C’est vers 1402 que fut construit l’hôtel de Bourgogne, l’année même où les confrères de la Passion obtenaient le privilège de jouer des mystères dans l’enceinte de la Trinité, près du lieu où s’élève la porte Saint-Denis. Les confrères de la Passion, malgré la protection dont Charles VI se plaisait à les entourer, étaient, certes, loin de supposer alors qu’ils succéderaient un jour à ces puissants et orgueilleux ducs de Bourgogne, qui agitèrent si fort la France, et lui firent tant de mal par leur ambition et leur alliance avec les Anglais. La chose devait pourtant arriver. François Ier ayant ordonné en 1543 la démolition de l’hôtel de Bourgogne, tombé en ruine depuis la mort de Charles le Téméraire, les doyens, maîtres et gouverneurs de la Confrérie de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ achetèrent, moyennant 225 livres de rente perpétuelle, une grande partie des terrains de l’ancienne demeure de la famille ducale qui s’était éteinte. Sur ces terrains, ils firent bâtir un théâtre, malgré l’opposition du parlement, qui confirma cependant, par arrêt du mois de novembre 1548, le privilège royal qu’ils avaient réussi à obtenir. Le parlement leur fit toutefois défense « de jouer les mystères de la Passion de Nostre-Sauveur, ni autres mystères sacrés, sous peine d’amende arbitraire, » leur permettant seulement « de jouer autres mystêres profanes, licites et honnêtes, sans offenser ni injurier aucune personne. » Ajoutons que les confrères de la Passion s’étaient associé les Sots et les Enfants sans souci, dépositaires des joyeuses audaces de la vieille farce populaire, qui devait, en passant des tréteaux des Halles aux planches de la rue Mauconseil, devenir la comédie. Avec eux ils avaient occupé, dès 1539, l’hôtel de Flandre, d’où ils étaient chassés maintenant par les démolitions ordonnées par le roi, et dans lesquelles l’hôtel de Flandre se trouvait compris.
Voilà donc les Confrères installés à l’hôtel de Bourgogne, et munis d’un privilège qui les met en possession du droit exclusif de donner à Paris des représentations théâtrales. Forcés de renoncer désormais à leur répertoire ordinaire, ils s’en composèrent un autre avec des pièces tirées de l’histoire et des romans, taillées pour la plupart sur le patron des ouvrages grecs et latins. Ronsard avait mis l’antiquité à la mode. Sénèque était surtout en grand honneur ; on traduisit et on imita particulièrement Sénèque. Jodelle, mort en 1573, Baïf, Grévin et plus tard Robert Garnier, qui, après avoir éclipsé Jodelle, devait être éclipsé par Corneille, jetèrent en cet endroit les premières assises de notre littérature dramatique.
Cependant les Confrères ne jouaient qu’avec répugnance des pièces dont le genre s’éloignait entièrement de celui de leur fondation. Possesseurs d’un privilège exclusif et de richesses considérables, ils se lassèrent bientôt du rôle qu’ils avaient accepté ; aussi résolurent-ils de ne plus monter eux-mêmes sur les planches, prétendant dans leur sagesse que les pièces profanes ne convenaient pas au titre religieux qui caractérisait leur association ; en conséquence, ils louèrent à une troupe de comédiens l’hôtel qu’ils avaient fait construire, et lui concédèrent le droit d’y donner des représentations. Les confrères de la Passion se réservèrent seulement la jouissance de deux loges, les plus rapprochées de la scène ; ces loges, distinguées par des barreaux, reçurent le nom de loges des maîtres. Ces nouveaux occupants formèrent la première troupe régulière qui parut chez nous. Henri II, qui les avait pris sous sa protection particulière, assistait à leurs représentations.
Sous Henri III, l’hôtel de Bourgogne reçut les Gelosi, comédiens italiens que ce prince avait fait venir d’Italie pour jouer pendant les états de Blois. Leurs représentations à l’Hôtel de Bourgogne commencèrent le 29 mai 1577, et le Journal de l’Estoile nous apprend qu’ils prenaient quatre sous par personne. La nouveauté de leur spectacle, composé de ces farces italiennes qui devaient prendre par la suite droit de cité chez nous, excita vivement la curiosité des Parisiens, et chaque soir l’Hôtel de Bourgogne se trouvait envahi par la foule : manants, bourgeois, gentilshommes, tout le monde y affluait, vu la modicité du prix, dans un pêle-mêle qui confondait toutes les classes de la société. Arlequin, Pantalon, Giangurgolo, Scaramouche et le capitan ne tardèrent pas, par la liberté de leurs allusions, à éveiller les susceptibilités du parlement. Défenses furent faites aux Gelosi « de plus jouer leurs comédies parce qu’elles n’enseignaient que paillardises ; » mais, au bout de trois mois, les comédiens italiens, par ordre du roi, recommencèrent leurs représentations (décembre 1577). Les troubles qui agitaient alors le royaume étant peu favorables aux spectacles, les Gelosi retournèrent dans leur patrie. Une deuxième troupe de Gelosi reparut en 1584, et une troisième en 1588 ; mais l’une et l’autre ne demeurèrent que peu de temps, et ne laissèrent que peu de souvenirs. Henri IV, lors de son mariage avec Marie de Médicis, en amena une nouvelle troupe du Piémont, en 1610, laquelle avait pour chef J.-B. Andreini, dit Lelio, que nous retrouvons encore à Paris sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne en 1618, puis de 1621 jusqu’à la fin du carnaval de 1623. Il revint une dernière fois en 1624, avec ses camarades François Gabieli et Nicolas Barbieri. Plus tard des Gelosi, appelés en France par le cardinal Mazarin (1645), n’eurent pas de succès et furent remplacés par d’autres qui ne réussirent pas mieux. Une autre troupe vint encore, et obtint la permission de jouer à l’Hôtel de Bourgogne alternativement avec les comédiens français, au théâtre du Petit-Bourbon avec la troupe de Molière, et ensuite au théâtre du Palais-Royal ; car ce ne fut, ainsi que cela sera dit plus loin, qu’au moment de la réunion des deux troupes françaises sur le théâtre de la rue Guénégaud que les comédiens italiens se trouvèrent seuls possesseurs de celui de l’Hôtel de Bourgogne. Mais retournons à nos confrères de la Passion, que nous avons laissés affermant leur local à des acteurs réunis en troupe. Il s’était formé de nombreuses compagnies de comédiens qui parcouraient les provinces, ne pouvant s’établir à Paris, à cause du privilège accordé aux confrères de la Passion. Quand ces derniers eurent cédé leur hôtel, il se trouva que plusieurs troupes nomades, profitant des privilèges accordés aux foires, dressèrent des théâtres en plein vent. En 1695, des comédiens étant venus s’installer à la foire Saint-Germain eurent, à cette occasion, une vive contestation avec les confrères, qui prétendirent exercer le privilège exclusif des théâtres ; une sentence du lieutenant civil, du 5 février 1596, maintint néanmoins le théâtre forain, à condition que les nouveaux venus payeraient, chaque année qu’ils joueraient, aux administrateurs de la confrérie de la Passion, la somme de deux écus. Cette troupe de la foire Saint-Germain finit par établir un théâtre au Marais du Temple en 1600. En 1612, les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, qui n’étaient plus à l’abri de la concurrence, demandèrent d’être affranchis du droit qu’ils payaient aux confrères de la Passion, et l’abolition de cette confrérie. Un arrêt du conseil fit droit à leur requête en 1629, et les rendit seuls propriétaires de l’Hôtel de Bourgogne,
Il est à supposer qu’au milieu des agitations d’une époque de troubles politiques, le public des théâtres se montra plus d’une fois d’une composition difficile. En effet, nous rencontrons sur notre route un règlement de police du 5 février 1596, défendant à toute personne de faire violence en l’Hôtel de Bourgogne ; d’y jeter des pierres, de la poudre ou d’autres choses qui pussent émouvoir le peuple à sédition. Une autre ordonnance du 12 novembre 1609 enjoignit aux comédiens d’ouvrir les portes à une heure après midi, et de commencer leurs représentations à deux heures, « soit qu’il y eût du monde ou qu’il n’y en eût pas, et de les clore à quatre heures et demie du soir en hiver ; » elle défendit d’exiger plus de cinq sous pour les places de parterre, et plus de dix sous pour les galeries ; néanmoins, lorsque les pièces nouvelles avaient occasionné des frais extraordinaires, le lieutenant civil du Châtelet déterminait l’augmentation qui devait avoir lieu sur le prix des entrées.
Parmi les premiers acteurs du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, nous citerons Hugues Guéru, dit Fléchelle ou Gauthier-Garguille ; Robert Guérin, dit Lafleur ou Gros-Guillaume ; Henri Legrand, dit Belleville ou Turlupin. Gauthier-Garguille, Gros Guillaume et Turlupin, farceurs homériques, amusèrent tout Paris pendant un demi-siècle ; ils furent les maîtres de Molière, qui s’est quelquefois ressouvenu des bouffonneries de l’inimitable trio. Molière, à peine âgé de huit ans, était conduit par son grand-père maternel à l’Hôtel de Bourgogne, et la tradition rapporte qu’il prenait un plaisir extrême à entendre les lazzi des trois compagnons et ceux du fameux Italien Fiurelli, dit Scaramouche. Les frères Parfaict, dans leur Histoire du théâtre